Navigation – Plan du site

AccueilNuméros204VariaFleurir le désert, le mirage de l...

Varia

Fleurir le désert, le mirage de l’agriculture

Les oasis du Liwa (Émirats arabes unis) et du Wadi Sirhan (Arabie saoudite)
Making the desert boom, an agricultural mirage: The oases of Liwa, United Arab Emirates, and Wadi Sirhan, Saudi Arabia
Alain Cariou
p. 192-220

Résumés

En Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, le rêve de voir « fleurir le désert » s’est évanoui à mesure que l’agriculture, déployée depuis les années 1970, conduisait à l’assèchement des aquifères et des finances publiques. Les nouvelles politiques se désengagent du secteur agricole en bannissant la céréaliculture et les cultures fourragères d’où un déclin des surfaces irriguées. Les États se tournent vers l’externalisation de la production à l’étranger sans toutefois abandonner complètement les agricultures nationales orientées vers l’essor des cultures sous abri et l’arboriculture. Mais la reconversion s’avère difficile dans un contexte socioéconomique défavorable. L’avenir de l’agriculture est suspendu à la capacité des politiques agricoles à faire émerger de nouvelles valeurs d’usage comme le tourisme et la patrimonialisation.

Haut de page

Texte intégral

Ouvrier indien dans l'oasis du Liwa (octobre 2017).

Ouvrier indien dans l'oasis du Liwa (octobre 2017).

Aux Émirats, l'agriculture repose exclusivement sur la main-d’œuvre étrangère.

Photo : A. Cariou.

1Près de quarante ans après avoir lancé un ambitieux programme de développement agricole, l’Arabie saoudite annonçait en 2015 l’interdiction des cultures fourragères sur son territoire à l’horizon 2019 après avoir proscrit la céréaliculture en 2016. Dans le même temps, l’Émirat d’Abu Dhabi bannissait aussi du pays la production fourragère. Pourtant, dans les années 1970, les États de la péninsule Arabique n’avaient pas ménagé leurs efforts pour faire « fleurir le désert » à la suite de leur entrée dans l’ère des hydrocarbures. La spectaculaire croissance urbaine alimentée par l’exode rural et l’afflux massif de travailleurs étrangers avaient entraîné une forte hausse de la demande alimentaire. C’est pourquoi, l’agriculture a été érigée au rang de priorité nationale, la rente pétrolière alimentant une politique agricole volontariste dont l’objectif était de parvenir à l’autosuffisance alimentaire. Sous l’effet de généreuses subventions, les déserts ont connu une révolution agricole caractérisée par la frénésie d’investissements consacrés au développement des périmètres irrigués. Aujourd’hui, des milliers d’hectares bonifiés à grands frais retournent au désert car les nouvelles politiques se désengagent progressivement de l’agriculture de plus en plus considérée comme un fardeau.

2Tel est bien le problème fondamental : comment expliquer ce retournement de situation ? Ce changement de cap annonce-t-il un déclin de l’agriculture ou une réorientation de celle-ci ? C’est que dans un contexte environnemental contraint, les modèles d’agriculture productiviste ne sont plus soutenables. La non-durabilité est devenue une évidence avec le déclin des aquifères, car les ressources en eau, héritées des paléoclimats, sont non renouvelables. Non durable du point de vue environnemental, le système l’est aussi sur le plan économique. Les modèles agricoles ont été conçus dans les années 1970-1980, contexte euphorique d’abondance de la rente pétrolière. Or, le retournement du cours des hydrocarbures à partir de 2014 a signé la fin de l’État providence confronté à l’émergence inédite de l’endettement public. Néanmoins, cette fin des modèles d’agricultures nationales ne signifie par pour autant l’abandon de tout interventionnisme d’État dans le secteur agricole. Bien au contraire, la stratégie de sécurisation des approvisionnements alimentaires passe désormais par l’acquisition de terres cultivables à l’étranger. Face à cette délocalisation agricole, quelle place est laissée aux agricultures nationales ? Selon quelles logiques et à quelles nouvelles échelles les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite envisagent-ils leur avenir agricole ?

3À partir d’une analyse géographique (carte 1) comparative conduite dans l’oasis du Liwa (Émirats arabes unis) et du Wadi Sirhan (Arabie saoudite), cet article étudie l’évolution des périmètres irrigués dans le contexte de revirement des politiques agricoles au tournant des années 2000. Il interroge les raisons de leur remise en cause et pose la question de leur devenir national, notamment au regard de l’actuelle tendance au contrôle de nouvelles ressources naturelles à l’étranger. L’étude s’appuie sur la bibliographie existante mais repose surtout sur l’exploitation d’informations collectées sur le terrain depuis plus d’une décennie. Les publications et les données statistiques étant rares, le matériau résulte principalement d’un travail d’enquête réalisé auprès des acteurs du secteur : ouvriers agricoles, propriétaires, agents des services de l’agriculture.

Carte 1. Localisation des zones étudiées.

Carte 1. Localisation des zones étudiées.

Carte : A. Cariou.

4Afin de comprendre pourquoi ces systèmes agricoles arrivent en fin de cycle, il convient dans une première partie de revenir sur la genèse et les enjeux d’un modèle agricole productiviste déployé ces quarante dernières années au cœur d’un monde hyperaride. En dépit de résultats spectaculaires en termes de mise en valeur et de production agricole, la deuxième montre tout le paradoxe d’une agriculture performante mais insoutenable. Les indicateurs économiques, environnementaux et sociaux révèlent de façon criante le caractère non durable des modes de production mis en place à grands frais un demi-siècle auparavant. Après l’euphorie des grands projets d’irrigation, l’heure est au pragmatisme, visible au tournant radical pris par les nouvelles politiques agricoles engagées dans un renoncement à l’autosuffisance alimentaire. Celles-ci sont analysées dans la dernière partie qui explore les stratégies choisies par les États. Entre l’extraversion de la production agricole et le souci de sauvegarder un secteur agricole national par la quête de modes de production plus vertueux, la marge est très étroite.

Le temps des grands projets agricoles

La fin du monde traditionnel nomade et oasien

5Dans la péninsule Arabique, l’ère pétrolière ouvre un nouveau cycle économique qui met fin à un mode de mise en valeur vieux de plus de trois mille ans. Les déserts ont été de longue date le support à un genre de vie original dominé par la figure tutélaire de l’éleveur nomade. Jusqu’au milieu du xxe siècle, l’Arabie était par excellence le domaine des grandes tribus bédouines [Planhol 1993]. Mais le nomadisme ne pouvait subsister sans l’appui oasien, espace agricole et relais commercial indispensable à la vie bédouine. Dans un environnement hyperaride, les oasis étaient rares et minuscules, limitées aux accidents de relief et aux dépressions, là où la couverture sédimentaire laissait affleurer les nappes ou sourdre les sources. C’est ainsi que sont nés les archipels oasiens du Liwa et du Wadi Sirhan.

6Située aux Émirats arabes unis, la région du Liwa est formée d’une série de petites palmeraies qui s’égrainent sur près de 70 km parmi les sables du Rub al Khali (carte 2).

Carte 2. Organisation traditionnelle du territoire et économie pastorale de Liwa.

Carte 2. Organisation traditionnelle du territoire et économie pastorale de Liwa.

Carte : A. Cariou.

Figure 1 : Environnement désertique et aquifères fossiles, coupe nord-sud de l’Émirat d’Abu Dhabi.

Figure 1 : Environnement désertique et aquifères fossiles, coupe nord-sud de l’Émirat d’Abu Dhabi.

Source : d’après GTZ (Deutsche Gesellschaft für technische Tusammenarbeit) 2009. Carte : A. Cariou.

  • 1 Les précipitations étaient alors de l’ordre de 200 ± 50 mm/an.

7En raison de précipitations indigentes (35 mm/an), la vie oasienne dépendait entièrement des nappes phréatiques. En effet, l’existence d’une épaisse couverture sableuse d’âge Quaternaire a été favorable à la formation d’un aquifère de faible profondeur alimenté lors des épisodes pluvieux1 de la fin du Pléistocène, entre 32 000 et 26 000 ans BP, et de l’Holocène entre 9 000 à 6 000 ans BP [Wood et Imes 2003] (fig. 1). Dans les conditions climatiques hyperarides actuelles, le taux de renouvellement de l’aquifère est négligeable. C’est donc à partir d’une nappe fossile, facilement accessible par des puits de quelques mètres foncés dans les creux inter-dunaires, que l’implantation humaine ancienne a pu se constituer. La multiplication des petites palmeraies était facilitée par le fait que seules les jeunes plantations nécessitaient un arrosage, le temps que les racines atteignent la nappe souterraine [Heard-Bey 2016]. Ces palmeraies du Liwa ont été le cœur d’une organisation territoriale étendue des eaux du golfe Arabo-Persique aux confins orientaux du Rub al Khali.

8Depuis le xvie siècle au moins, la tribu bédouine des Bani Yas, celle-là même dont les descendants sont actuellement à la tête des émirats d’Abu Dhabi et de Dubaï, avait établi ses campements d’été dans les palmeraies, pôle oasien exerçant un contrôle politique sur les étendues désertiques environnantes. La complémentarité des écosystèmes et des activités était une nécessité pour l’économie traditionnelle des Bédouins [Wilkinson 1977 ; Cordes et Scholz 1980]. En été, ces derniers se rassemblaient dans le Liwa pour la récolte des dattes, en octobre, ils reprenaient leur migration saisonnière pour gagner les ergs sableux qui, sous l’effet des pluies hivernales offrent des pâturages éphémères mais substantiels aux troupeaux de dromadaires. Certains groupes nomadisaient jusque sur les basses côtes du Golfe où ils établissaient des campements afin de pratiquer la pêche. Le poisson, séché et salé, a constitué un produit d’échange recherché. Riche en protéine, il offrait un aliment complémentaire d’une diète de base fondée sur les dattes. L’activité de la pêche perlière pratiquée de juin à octobre, a constitué une source économique complémentaire jusqu’à son effondrement dans les années 1930 suite au développement des perles de culture.

  • 2 2 L’itinéraire de l’antique route de l’encens et de la myrrhe reliant « l’Arabie heureuse » jusqu’a (...)
  • 3 Dans les déserts, fond de dépression fermée formée de sols salés et sporadiquement occupée par une (...)

9Au nord-ouest de l’Arabie saoudite, la dépression du Wadi Sirhan (province l’Al Jawf) a aussi constitué un environnement favorable à l’économie nomade et au commerce caravanier2 (carte 3). Encadrée de plateaux désertiques, cette dépression qui court sur près de 300 km assure la liaison entre l’erg du Nafud et la bâdiya, grand arc steppique de parcours nomades étendu de la Jordanie à l’Irak en passant par la Syrie. Ce couloir naturel, formé à la faveur d’un fossé d’effondrement, offrait de nombreux points d’eau et de minuscules palmeraies. Si la dépression collecte sporadiquement les eaux des oueds issus des plateaux environnants, elle est surtout alimentée par des puits, jadis artésiens, et jusque dans les années 1950 par des lignes de source qui sourdaient à la base des plateaux et alimentaient des sebkhas3. Grâce aux failles, l’heureux accident tectonique permet à la dépression d’être l’exutoire naturel de l’aquifère quaternaire Tawil, développé dans la couverture sédimentaire de grès et de calcaire, et parfois dans les basaltes, comme pour le plateau d’Al Harrah formé par d’épais épanchements volcaniques (fig. 2).

Carte 3. Organisation traditionnelle du territoire et économie pastorale du Wadi Sirhan.

Carte 3. Organisation traditionnelle du territoire et économie pastorale du Wadi Sirhan.

Carte : A. Cariou.

Figure 2. Environnement désertique et aquifères fossiles, coupe schématique du fossé d’effondrement du Wadi Sirhan.

Figure 2. Environnement désertique et aquifères fossiles, coupe schématique du fossé d’effondrement du Wadi Sirhan.

Source : d’après ESCWA-BGR Inventory (2013). Carte : A. Cariou

  • 4 Voir Inventory of Shared Water Resources in Western Asia, 2013, Beirut, United Nations Economic an (...)

10Ces ressources en eau sont essentiellement fossiles, la couverture sédimentaire ayant piégé d’énorme quantité d’eau lors des épisodes pluvieux de la fin du Pléistocène (32 000-26 000 ans BP), puis au cours de deux périodes pluviales plus récentes, lors du dernier âge glaciaire (20 000-16 000 ans) et à l’Holocène (8 500-3 900 ans)4. Durant des siècles, les grandes tribus chamelières des Shararat et des Rwala ont utilisé le Wadi Sirhan comme dirah, territoire tribal de parcours, et comme axe saisonnier de migrations pastorales [Al Radihan 2006 ; Lancaster 1993]. Les campements s’installaient aux creux de la dépression, à proximité des sources et des puits, signalés pas des bosquets de palmiers. Dans le cadre d’une stratégie flexible d’adaptation aux différents milieux écologiques, ces nomades séjournaient durant l’hiver dans les dunes du Nafud et le Wadi Sirhan, pour remonter vers le nord afin de passer l’été dans la bâdiya syrienne. La découverte des hydrocarbures va précipiter le déclin de ce monde traditionnel étroitement assujetti aux contraintes du milieu.

La poussée pionnière des périmètres irrigués

11Aux Émirats arabes unis comme en Arabie saoudite, les années 1970 marquent un tournant dans l’organisation du territoire et des sociétés. La rente pétrolière va servir une politique volontariste conduisant les États vers la voie d’un développement économique et humain accéléré. C’est dans le contexte d’augmentation de la demande alimentaire liée à la forte croissance démographique et de l’urbanisation que l’agriculture est devenue un enjeu de sécurité nationale ayant pour finalité d’assurer une illusoire autosuffisance alimentaire [Calais 2019]. Si la sédentarisation des nomades apportait de la main-d’œuvre au secteur agricole elle a aussi servi à détribaliser la société. En organisant la conquête des terres agricoles, l’État a dépossédé les tribus bédouines de leurs droits traditionnels à gérer leur territoire. Ainsi, les remuantes communautés, souvent hostiles au pouvoir central, ont été placées dans une situation de dépendance à l’égard d’un « État-providence » redistributeur de richesses [Bonnenfant 1977 ; Fabietti 1993].

  • 5 Ce qualificatif fait référence à des pratiques agricoles qui conduisent à un épuisement des ressou (...)
  • 6 L’Aramco, ou Arabian American Oil Company, est fondée en 1944 par la fusion de Standard Oil of Cal (...)
  • 7 L’irrigation par pivot central est réalisée au moyen d’une rampe mobile dotée d’asperseurs, qui to (...)
  • 8 En raison de son rôle dans l’organisation de l’espace et de son importance politique et identitair (...)

12L’afflux des revenus pétroliers a financé un ambitieux programme agricole destiné à moderniser les vieilles oasis, mais surtout à « fleurir les déserts » [Elhadj 2004 ; Woertz 2013] par la conquête de nouvelles terres agricoles. L’extension des surfaces irriguées a essentiellement reposé sur l’exploitation massive des aquifères fossiles. C’est donc un modèle « d’agriculture minière5 » qui a été choisi, modèle dont la genèse est étroitement liée à l’industrie pétrolière, tant par l’utilisation des techniques de forage, que par le recours aux ressources non renouvelables. D’ailleurs, l’introduction des périmètres irrigués résulte de « gracieuses » donations faites par les compagnies pétrolières désireuses d’entretenir de bonnes relations avec les monarchies arabes. Dès 1946, l’Aramco6 s’était doté d’un département consacré au développement agricole et avait créé pour le roi Ibn Saud une ferme pilote de 1 400 ha à Al Kharj [Woertz op. cit.]. Dans les années 1960, le grand périmètre irrigué d’Haradh, destiné à sédentariser près de 1 000 familles de Bédouins Al Murrah, avait été réalisé pour le roi Faisal par les ingénieurs de l’Aramco. Emblématiques de l’agriculture des déserts d’Arabie, les grands cercles de cultures sont le produit de l’irrigation par pivot central7, technique importée des grandes plaines du Midwest américain. En 1972, la Compagnie française des pétroles offre au père de la nation, Cheikh Zayed, la première ferme moderne des Émirats arabes unis à Maziad [Cordes et Scholz op. cit.]. Les 25 ha irrigués de céréales, légumes et palmiers serviront de modèle au développement agricole du pays. Aux Émirats, l’enjeu était de construire une « agriculture civilisatrice »8 garante du peuplement dans des régions désertiques riches en hydrocarbures et disputées par le voisin saoudien.

  • 9 Voir la base de données d’Aquastat, 2016, Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’ (...)

13La poussée pionnière est donc consubstantielle de l’ère pétrolière. En Arabie saoudite, les surfaces équipées pour l’irrigation passent de 343 000 ha en 1961 à 1 620 000 ha en 20089. Aux Émirats arabes unis, bien que les surfaces mises en jeu soient plus modestes, eu égard à la taille du pays, la bonification des terres désertiques a été encore plus spectaculaire, les surfaces équipées pour l’irrigation passant de 30 000 ha en 1961 à 230 000 ha en 2008, ce qui représente 2,8 % de la superficie du pays, contre 0,75 % pour l’Arabie saoudite (fig. 3). Le cas du Liwa et du Wadi Sirhan illustre cette révolution verte des déserts.

Figure 3. Essor et déclin des surfaces irriguées en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

Figure 3. Essor et déclin des surfaces irriguées en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

Sources : www.fao.org/nr/water/aquastat/data et www.stats.gov.sa. Graphique : A. Cariou.

14Jusqu’au début des années 1970, 301 familles bédouines confluaient encore vers le Liwa en été où elles se dispersaient parmi de minuscules palmeraies pour la récolte des dattes [Wilkinson 2009]. En 2010, le Liwa compte près de 21 000 ha irrigués et 20 000 habitants répartis dans 38 villages de sédentarisation et une ville, Mizaira, centre de service pour tout l’archipel oasien (carte 4). Cette mutation est le fruit de la politique agricole volontariste du jeune État émirati. Dans les villages de sédentarisation construits au sommet arasé des dunes, les villas confortables ont remplacé les barasti, humbles cabanes faites de palmes et de poteaux de palmier. En contrebas, dans les sillons interdunaires, s’étalent les périmètres irrigués récemment gagnés sur le désert : la surface bonifiée est passée de 1 000 ha en 1987 à 20 817 ha en 2002. À partir de 1983, des petites exploitations agricoles, les mazâri, ont été distribuées gratuitement par l’État aux Bédouins sur la base du droit coutumier. Les enquêtes ont montré que seuls les membres d’un clan ou d’une tribu qui détenaient des droits d’usage traditionnels sur les oasis et les parcours de la région du Liwa ont reçu des parcelles équipées de système d’irrigation.

Carte 4. Organisation de l’espace à Liwa.

Carte 4. Organisation de l’espace à Liwa.

Carte : A. Cariou.

15La ferme type se compose d’une surface quadrangulaire de 1 à 4 ha et dispose de deux puits de forage équipés de pompes pour irriguer les cultures (carte 5). La limite extérieure de chaque ferme est généralement ceinturée par une haie brise-vent composée d’arbres typiques des zones arides : Prosopis, Zizyphys. Cet écran végétal est suivi par deux autres rangées périphériques de palmiers dattiers plantés à un écart de 8 mètres par 8 mètres. La zone centrale est composée de petites parcelles consacrées aux légumes (concombre, tomate, poivron, aubergine, pastèque…), mais surtout aux cultures fourragères (rhodes grass et luzerne). L’irrigation gravitaire, initialement réalisée au moyen de canaux de béton est désormais pratiquement partout remplacée par le système de goutte-à-goutte. L’apparition récente de serres climatisées permet le maraîchage (fraises, laitues, tomates…) tout au long de l’année, et non plus seulement durant la saison hivernale.

  • 10 Le roi crée des centres de sédentarisation (hidjras) afin de purifier la foi des bédouins et de mi (...)

16Les Émirats ont fait le choix d’une petite agriculture privée. L’Arabie saoudite a, en revanche, développé un puissant secteur agricole fondé sur une agriculture de firme [Purseigle et al. 2017]. Le Wadi Sirhan est emblématique des grandes régions agricoles (Riyad, Qassim, Hail) créées ex nihilo dans les déserts. C’est entre Tabarjal et Al Issawiyah, que naît le premier projet agricole destiné à sédentariser les nomades. Si dans le pays la première phase de sédentarisation (1912-1929) avait été engagée pour des raisons politiques et religieuses10 par le roi Ibn Saoud, le processus de fixation des tribus locales Shararat et Rwala ne débute qu’à partir de 1956 pour des motifs économiques [Al Radihan 2006]. Les sécheresses des années 1950 viennent précipiter un long déclin de l’économie nomade confrontée à de nombreux défis : perte de débouchés de l’élevage camelin (le camion remplace le dromadaire), déstructuration des territoires pastoraux liés à la liberté de parcours, disparition des grandes migrations saisonnières suite à l’édification des frontières internationales. C’est dans ce contexte que l’État finance la construction de villages et organise à partir de 1961 l’installation de 700 à 800 familles bédouines dans le secteur de Tabarjal. Chaque famille dispose d’une maison et d’un lot de terre de 5 à 10 ha irrigués au moyen d’un puits peu profond équipé d’une motopompe partagée par 10 à 15 agriculteurs. Ce programme gouvernemental ne va guère rencontrer de succès car trois ans après le début du projet, la grande majorité des allocataires avait abandonné leur terre [Ebrahim 1981]. Certains avaient repris un mode de vie semi-nomade tourné vers l’élevage ovin, tandis que la plupart avaient gagné les villes du pays afin d’y occuper un emploi salarié. Plus que le manque de moyen financier, l’impasse du projet tient surtout à une conception technicienne où les Bédouins étaient considérés comme un simple facteur de production [Bonnenfant op. cit.].

Carte 5. La mise en valeur agricole de Liwa.

Carte 5. La mise en valeur agricole de Liwa.

Carte : A. Cariou.

17Face à cet échec, l’État s’oriente dans les années 1980 vers la grande agriculture commerciale censée répondre aux enjeux de la sécurité alimentaire du pays. L’essor d’une politique favorable à la concentration foncière et accordant un généreux soutien au secteur agricole par l’octroi de subventions aux intrants et l’achat de la production à des prix garantis très rémunérateurs va attirer une élite urbaine de princes, de grands commerçants et de dignitaires religieux en quête d’investissements. C’est pourquoi, une bonification frénétique transforme les terres situées au sud de Tabarjal (carte 6). Le grand glacis d’Al Busayta se couvre de rampes-pivots d’aspersion de 400 à 500 m de long permettant d’irriguer des parcelles circulaires de 50 à 70 hectares. Entièrement désertique en 1987, ce secteur comptait, en 2001, 105 000 hectares irrigués à partir de 2505 pivots [Uddin et al. 2004] permettant les cultures de luzerne, de blé et de pomme de terre. Hautement mécanisée, l’agriculture est le fait de grandes sociétés saoudiennes d’agribusiness comme Watania (30 000 hectares) et Nadec Al Jawf (18 000 ha). La plus importante est la société Al Jawf Agricultural Development Company (Jadco) fondée en 1988 et dirigée par le prince Bin Abdulaziz Al Saud. Elle détient 60 000 hectares, plusieurs unités de stockage et de transformation (céréales, fourrages, fruits et légumes, huile d’olive) ainsi qu’une entreprise de forage.

Carte 6. Les périmètres irrigués de la région de Tabarjal, province de Al Jawf, Arabie Saoudite (février 2016).

Carte 6. Les périmètres irrigués de la région de Tabarjal, province de Al Jawf, Arabie Saoudite (février 2016).

Source : d’après image satellitaire Landsat, février 2016. Carte : A. Cariou.

18Les enquêtes révèlent que ces sociétés ont une forte dépendance structurelle vis-à-vis de l’étranger, tant par les intrants et le matériel de haute technicité importés (rampe, pompe, tracteur…) que par le recours à du personnel qualifié souvent occidental (chef d’exploitation, ingénieurs) et à des ouvriers agricoles originaires du sous-continent indien : Bangladais, Pakistanais, Indiens.

19Plébiscitée et impulsée par les États, cette agriculture a bouleversé en l’espace d’un demi-siècle le peuplement et les paysages des déserts d’Arabie. Loin de tout déterminisme physique, l’exemple du Liwa et du Wadi Sirhan témoigne de la capacité technique et financière des États à « fleurir le désert ». Mais cette prouesse à un prix, un prix payé par la nature et les finances publiques qui rend désormais insoutenable ce modèle. Après l’euphorie des grands projets, l’heure est aujourd’hui à la remise en cause d’un modèle agricole qui arrive en fin de cycle. Il convient donc d’analyser les raisons de ce retournement de situation.

La fin des illusions

20Les années 2000 marquent un tournant des politiques agricoles désormais confrontées à des objectifs intenables. Cependant, les facteurs qui expliquent l’impasse agricole diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre.

Déclin agricole et crise de l’eau aux Émirats arabes unis

  • 11 Voir la base de données d’Aquastat, 2017, Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’ (...)
  • 12 Voir, S. Fragaszy et R. McDonnell, Oasis at a Crossroads: Agriculture and Groundwater in Liwa, Uni (...)

21Aux Émirats, la part de la superficie irriguée du pays a diminué de près de 60 %, passant de 226 600 hectares en 2003 à 92 000 en 201011. Il en va de même dans le Liwa où les superficies équipées pour l’irrigation passent de 21 000 hectares en 2002 à 15 000 en 201112. À ce recul, s’ajoute la faible intensité de la mise en valeur des fermes du Liwa où 38 % des terres sont en jachère, voire abandonnées. Les surfaces cultivées sont surtout dédiées aux palmiers dattiers qui occupent 43 % des surfaces (1,2 million de palmiers productifs) tandis que les terres labourées, essentiellement consacrées aux cultures fourragères (rhodes grass et luzerne) couvrent 14 % des surfaces. Les cultures légumières (tomate, concombre, oignon) occupent seulement 2 %, moins que la superficie boisée et les haies brise-vent qui couvrent 3 % des terres irriguées.

22Les enquêtes de terrain révèlent les différentes causes du déclin agricole. En premier lieu, la majorité des propriétaires sont des citadins qui ne se sentent guère investis dans une démarche productive. Sur les quelque 20 000 habitants du Liwa, les Émiratis ne représentent que 15 % contre 85 % d’étrangers engagés surtout dans le secteur agricole. Dans la plupart des cas, les revenus tirés de la terre sont superflus au regard d’une activité principale exercée en ville. Car avec la prospérité pétrolière, les Bédouins ont fini par se fondre dans la ville, abandonnant le plus souvent leur village pour s’intégrer à l’économie des grandes cités littorales. L’attrait du confort urbain combiné aux opportunités d’emplois réservés dans la fonction publique et le commerce ont suscité un profond exode rural. Ainsi, les propriétaires absentéistes laissent l’entretien de leur exploitation à des ouvriers agricoles étrangers, pakistanais, indiens et bangladais pour l’essentiel. L’activité agricole est souvent assimilée à une agriculture de loisir avec laquelle le citadin renoue le temps d’un week-end [Arthur et Al Qaydi 2010]. Mais plus que tout, l’échec de l’agriculture tient ici à son caractère non durable. Dans le Liwa, l’essor des surfaces cultivées et l’usage gratuit et non limité de l’eau ont abouti à une forte consommation et à un énorme gaspillage ayant pour conséquence un épuisement de l’aquifère. Cela se traduit par la formation d’un cône de déplétion atteignant 50 à 100 km de diamètre dans la région de Liwa [Rizk et Alsharhan 2003]. Aussi, la profondeur moyenne des puits est passée de 24 à 40 mètres dans les années 1980 à 60-120 mètres aujourd’hui. Au rythme actuel des prélèvements, l’aquifère sera épuisé d’ici un demi-siècle. Mais la dégradation hydrologique est aussi qualitative car l’épuisement de la nappe oblige désormais à utiliser des eaux plus profondes et plus salées : 65 % des puits produisent une eau dont la minéralisation varie entre 4 et 14 g/l ce qui interdit les productions légumières et fruitières et explique la domination dans le paysage du palmier dattier et de la rhodes grass, cultures assez tolérantes à la salinité.

  • 13 L’eau consommée par l’agriculture provient à 95 % des aquifères.
  • 14 La recharge se fait presque exclusivement dans les nappes de piémont de l’est de l’émirat, aliment (...)
  • 15 Voir Advancing Sustainable Groundwater Management in Abu Dhabi, 2012, EAD (Environment Agency-Abu (...)

23Cette crise de l’eau est aussi observable à l’échelle de l’Émirat d’Abu Dhabi où tous les aquifères connaissent un déclin rapide. En effet, l’extraction des eaux souterraines est d’environ 2 200 millions de m3 par an13, tandis que la recharge naturelle oscille entre 90 et 135 millions de m3/an, ce qui couvre moins de 6 % de la consommation annuelle extraite de ces aquifères14. Au rythme actuel des prélèvements, les nappes exploitables (non salées) auront disparu d’ici cinquante ans15. Non durable, cette agriculture est aussi peu performante sur le plan économique : dans l’émirat, le secteur agricole (agriculture, agroforesterie et espaces verts) absorbe 71 % de l’eau mais réalise moins de 1 % du PIB. Face à ces déboires, l’État entend désormais préserver les ressources. Depuis 2010, les exploitations ne reçoivent plus de subventions si elles cultivent la rhodes grass, culture interdite depuis 2018 en raison de sa très grande demande en eau. En 2010, la culture de rhodes grass a utilisé 59 % de l’eau agricole dans l’Émirat d’Abu Dhabi (48 000 m3/ha/an). Les palmeraies qui sont responsables de 34 % de l’eau consommée par l’agriculture ont été modernisées grâce à la distribution gratuite de système d’irrigation goutte-à-goutte. Ce tournant vers la contraction des activités agricoles s’observe aussi chez le voisin saoudien.

Crise financière et déclin agricole en Arabie saoudite

24Depuis le milieu des années 1990, la grande agriculture saoudienne est remise en cause en dépit de résultats qui avaient pourtant fait la fierté du royaume : entre 1972 et 1992, la superficie emblavée était passée de 40 000 à 924 407 ha et les rendements augmentaient de 1,4 t/ha à 4,46 t/ha, faisant bondir la production de 42 000 t à 4,1 millions de t. Le pays réussit à atteindre l’autosuffisance en blé mais aussi à devenir exportateur de céréales à partir de 1983. Cette forte croissance du secteur céréalier s’explique par les prix garantis attractifs proposés par l’État. Entre 1984 et 2000, le prix moyen payé aux producteurs de blé était d’environ 500 $ la tonne contre 120 $ durant la même période sur les marchés mondiaux [Elhadj 2004]. À cela s’ajoute un accès aux intrants et au matériel agricole subventionné à hauteur de 45 %. Au total, entre 1984 et 2000, l’ensemble des subventions directes et indirectes ont coûté au budget de l’État environ 100 milliards de dollars. Résultat : le coût de la tonne de blé produite dans le royaume avoisine 1 000 $ sur la période 1984-2000, tandis que le prix mondial s’établit autour de 120 $ [Elhadj 2008] ! La même stratégie de soutien est appliquée à l’orge, céréale fourragère dont la demande est stimulée par l’augmentation de la consommation nationale de produits laitiers, de poulet et de viande rouge.

  • 16 Voir Agriculture Census et Statistical Yearbook, General Authority for Statistics, Kingdom of Saud (...)

25Mais en 1993, le gouvernement annonce une réduction des subventions à la production céréalière. En effet, la baisse des prix du pétrole creuse le déficit budgétaire du pays si bien que le gouvernement mettra plusieurs années pour honorer plus de 70 milliards de dollars de subventions dues à des milliers d’entrepreneurs agricoles et de fournisseurs [ibid]. Entre 1996 et 2000, la production de blé diminue de 70 %, celle de l’orge de 94 %, tandis que les exportations sont interdites. En 2007, le mythe de l’autosuffisance s’effondre lorsque l’État annonce la fin de la culture du blé à l’horizon 2016. Ce changement de cap de la politique agricole est souvent présenté comme la prise de conscience par l’État de l’urgence à sauvegarder les ressources en eau. En réalité, l’arrêt de la céréaliculture a eu pour conséquence d’augmenter la pression sur l’eau car les exploitants se sont reportés sur des cultures plus consommatrices en eau comme les plantes fourragères, l’arboriculture ou les pommes de terre (fig. 4). En effet, si un hectare de blé absorbe 13 000-14 000 m3, la culture d’un hectare de palmier dattier nécessite entre 15 000 et 30 000 m3/an tandis que les cultures fourragères ou de pomme de terre ont besoin de 40 à 50 000 m3/ha. Aussi, la consommation d’eau agricole du pays est repartie à la hausse. En 2014, sur 20 milliards de mètres cubes d’eau consommés par l’agriculture saoudienne, 13,4 milliards (53,6 % de la consommation d’eau agricole) sont consommés pour la culture de luzerne, laquelle occupe 236 800 ha, soit 28,8 % des terres cultivées du pays16. Plus qu’une véritable volonté de sauvegarder la ressource, cette réforme agricole vise surtout à réduire la dépense publique suite au déficit budgétaire dû à la diminution de la rente pétrolière entre la fin des années 1980 et celle des années 1990.

Figure 4. Évolution des surfaces irriguées, des cultures et des prélèvements en eau en Arabie saoudite.

Figure 4. Évolution des surfaces irriguées, des cultures et des prélèvements en eau en Arabie saoudite.

Source : www.fao.org/nr/water/aquastat/data et www.stats.gov.sa. Graphique : A. Cariou.

  • 17 Almarai (« pâturages verts » en arabe) est une entreprise agroalimentaire saoudienne parmi les plu (...)

26Le véritable tournant de la politique agricole date de 2015, avec l’arrivée de l’homme d’affaires Abulrahman Al Fadley (PDG d’Almarai17 de 2002 à 2015) à la tête du ministère de l’Environnement et de l’Agriculture. Avec un cours du pétrole passé de 110 à 30 dollars le baril entre 2014 et 2016, les déficits sont devenus abyssaux si bien que l’agriculture dont la part ne pèse que 2,7 % du PIB du pays en 2016 est devenue un fardeau. Cette situation inaugure une nouvelle série de réformes visant à réduire les surfaces cultivées : outre l’arrêt programmé des cultures fourragères en 2019, l’État se désengage du secteur agricole avec l’externalisation et la privatisation des services aux agriculteurs et la réduction des subventions sur les carburants et l’électricité. Seules les productions à plus forte valeur ajoutée comme les fruits, les légumes et l’élevage peuvent bénéficier de subventions publiques. Tel est le cas de l’élevage hors-sol de volaille et du secteur laitier intégré verticalement dans une filière portée par le lobby de puissants groupes agroalimentaires.

27Avec la réduction des subventions, la promesse d’un rendement financier élevé pour les entreprises s’est évanouie. La viabilité économique des exploitations est devenue très précaire, voire impossible, d’où un déclin des surfaces cultivées. Entre 1992 et 2015, les cultures irriguées du pays reculent de 53 %, passant de 1,6 million d’ha à 0,76 million d’hectares. Les enquêtes conduites en 2017 dans les périmètres du secteur de Tabarjal révèlent que 45 % des rampes-pivots sont à l’arrêt. Si certains propriétaires ont fermé leur exploitation, d’autres résistent et refusent de se plier à la nouvelle réforme agricole et continuent à cultiver des céréales et du fourrage pour le marché local. Sur le terrain, les enquêtes montrent un grand mécontentement social dû au déclin drastique de la rentabilité économique des exploitations. Les acteurs locaux soulignent tous que l’eau n’est pas un facteur limitant dans le Wadi Sirhan, la baisse du niveau de l’aquifère étant pour le moment très faible en raison de sa mise en exploitation récente.

28Au regard du temps long de l’économie pastorale, le cycle de l’agriculture irriguée moderne dans les déserts d’Arabie aura été fugace, à peine un demi-siècle. La raréfaction des ressources budgétaires et d’eau a eu raison du modèle d’agriculture minière. Mais la non-durabilité environnementale du système est aussi mesurable à l’érosion rapide des capacités de production du milieu due à la pollution des sols et des nappes. En effet, le choix d’une agriculture productive fondée sur l’usage massif d’engrais chimiques et de pesticides est particulièrement inadapté aux sols de la région : très sableux et faiblement structurés par l’indigence du complexe argilo-humique, le lessivage des intrants chimiques par les eaux d’irrigation y est particulièrement rapide et efficace. Aussi, dans le Liwa comme dans le Wadi Sirhan, les enquêtes effectuées auprès des services de l’agriculture révèlent souvent des concentrations de nitrates (> 50 mg/l) et de composés organochlorés dangereusement élevées dans les nappes peu profondes. Outre l’impact direct sur la santé humaine et animale, cette pollution n’est pas en mesure de préserver l’intégrité des moyens de production (sol, eau).

29Que dire de la durabilité sociale de cette agriculture ? Le système agricole repose sur une dualité entre les propriétaires, exclusivement des nationaux, et une force de travail formée par de la main-d’œuvre étrangère précarisée par des contrats de travail courts, de trois à six ans maximum. Les législations nationales qui limitent le séjour des migrants leur interdisent aussi toute possibilité d’obtenir la naturalisation et de devenir propriétaire. Cette main-d’œuvre agricole qui vit le plus souvent dans l’isolement, la précarité d’un habitat rudimentaire, et avec des salaires très bas (150 à 200 $/mois) est particulièrement démunie et vulnérable, situation rarement dénoncée par les agences onusiennes et les ONG qui focalisent leur attention sur le personnel domestique et les travailleurs des chantiers des grandes villes. Comme dans tous les autres secteurs économiques des pays du Golfe (exploitation des hydrocarbures, industrie, services), la main-d’œuvre agricole est surtout vue comme une simple variable d’ajustement. La responsabilité sociale de l’agriculture est donc très limitée, ne serait-ce que par le recours systématique à l’emploi temporaire de personnes originaires des pays pauvres : Inde, Pakistan, Bangladesh, Égypte… Face à cette impasse, quelles sont les nouvelles orientations agricoles prises par les États ?

Éviction ou reconversion agricole ?

Vers une délocalisation de l’agriculture

30Afin de sécuriser leurs approvisionnements alimentaires, l’Arabie saoudite et les Émirats ont déployé différentes stratégies, dont la plus médiatique est l’acquisition de terres à l’étranger [Ulrichsen 2016 ; Woertz op. cit.]. Depuis 2009, on observe une délocalisation de l’agriculture vers quelques pays cibles : Soudan, Égypte, Pakistan, Éthiopie. Ainsi la firme Saudi Star dirigée par le milliardaire saoudo-éthiopien Cheikh Al Amoudi détient en Éthiopie, dans la région de Gambela, une concession de cinquante ans sur 140 000 ha, surtout pour produire du riz. Cet investissement a été rendu possible par l’origine binationale de l’influent homme d’affaires qui entretenait des relations étroites avec le pouvoir politique éthiopien [Calvary 2014]. Aux Émirats arabes unis, le Fonds d’Abu Dhabi pour le développement a financé de grands projets agricoles au Soudan, en Égypte et au Pakistan pour le compte de la firme privée Al Dahra. La société d’investissement Jenaan, basée à Abu Dhabi, s’est spécialisée dans la bonification de terres désertiques au Soudan et en Égypte : 10 000 hectares à Al Dabbah (Nord Soudan) et 62 000 en Égypte. L’objectif est surtout de produire du fourrage (luzerne, sorgho, maïs) exporté par conteneur depuis Port Soudan vers les Émirats. En s’implantant principalement dans des zones désertiques (Sahara oriental au Soudan et en Égypte, désert de l’Ouest américain, désert du Baloutchistan) les investissements du Golfe reproduisent paradoxalement une agriculture minière désormais bannie dans leur propre pays.

31Cette « ruée vers les terres » est cependant à relativiser. Les travaux d’aménagement et l’exploitation font face à bien des obstacles comme des retards et des dysfonctionnements dus à des problèmes technique et logistique souvent difficiles à résoudre dans des pays souffrant du manque d’infrastructures. Il faut aussi composer avec la résistance des populations locales confrontées à une nouvelle concurrence pour les ressources car les investissements des pays du Golfe concernent des États avec une forte croissance démographique et une insécurité alimentaire comme le Soudan, l’Égypte, le Pakistan et l’Éthiopie. Dans ce dernier pays, les fermes de Saudi Star ont été attaquées, en 2012, par des villageois déplacés à la suite de la création du projet rizicole de Gambela. En Égypte, la Kingdom Holding Company – contrôlée par le prince saoudien Alwaleed bin Tala – a été contrainte d’abandonner les 42 000 hectares acquis en 1998 pour le projet Toshka car le contrat d’acquisition des terres signé par le gouvernement du président Hosni Moubarak a été dénoncé en 2011 par le nouveau pouvoir né du printemps arabe.

32Face à ces aléas politiques et techniques, les pays du Golfe diversifient leurs investissements vers des territoires moins risqués et où l’agro-industrie est bien implantée comme l’Europe, l’Amérique ou l’Australie. Al Dahra a ainsi acquis en 2013 huit sociétés agricoles et plus de 10 000 hectares de terres arables en Serbie pour 400 millions de dollars. Elle détient aussi 4 047 hectares en Espagne, 2 000 en Australie et 4 000 aux États-Unis. Afin de nourrir ses vaches laitières et ses volailles, la société Almarai possède 12 300 hectares en Argentine pour le maïs et le soja, et 5 600 en Arizona et en Californie pour le foin de luzerne.

33Confrontées à la montée des résistances opposées aux transactions foncières, les entreprises du Golfe réorientent leur stratégie vers la prise de participation dans des sociétés étrangères spécialisées dans la production et la transformation de produits alimentaires : Al Dahra Fagavi en Espagne (aliment du bétail), Al Dahara Oliva au Maroc (huile d’olive), Al Dahra Kohinoor en Inde et au Pakistan (riz), Saudi Minerva au Brésil (viande de bœuf), Saudi Arabian agriculture company G3 au Canada (blé et orge) [Brun 2019]. Face à cette « externalisation » de la production agricole, quel est l’avenir des agricultures nationales ?

Des États en quête de nouveaux modèles agricoles

34Les pays du Golfe n’ont pas pour autant complètement abandonné l’agriculture locale. Après l’ère des méga projets, les politiques agricoles s’orientent vers des programmes plus modestes fondés sur des productions agricoles à plus forte valeur ajoutée comme le maraîchage, l’aquaculture, l’agriculture biologique et l’agrotourisme. Des gains d’efficacité sont attendus en termes de rendement et d’économie d’eau, c’est pourquoi les plans de subvention soutiennent la généralisation de l’irrigation au goutte-à-goutte et les cultures de fruits et légumes sous abris. Les États misent sur les technologies de pointe pour développer une agriculture adaptée au contexte désertique pauvre en eau et en sol fertile. Ils placent leur espoir dans l’essor des cultures hydroponiques et de l’aquaculture [Fiaz et al. 2016], techniques de production hors-sol fonctionnant avec de l’eau essentiellement recyclée. Dans l’Émirat d’Abu Dhabi, le Centre de Baniyas composé de 400 000 m2 de serre est conçu pour produire annuellement 300 000 laitues et 200 tonnes de poisson Tilapia [Al Qaydi 2016]. Les Émirats explorent aussi la voie de l’agriculture biosaline, fondée sur l’irrigation à partir d’eau saumâtre, particulièrement abondante dans les aquifères de la région. Le Centre international pour l’agriculture biosaline, implanté sur 100 hectares proches de Dubaï, mène des recherches biochimique et physiologique afin de sélectionner des végétaux tolérant aux eaux et aux sols salés et expérimente des protocoles d’irrigation avec des eaux minéralisées. Pour le moment, cette agriculture de pointe en est au stade expérimental et il est encore trop tôt pour dresser un bilan de son efficacité technique et de sa rentabilité économique.

35Comment se concrétisent sur le terrain ces nouvelles orientations agricoles ? Au Wadi Sirhan, la nouvelle politique agricole à des effets très limités. Le recul des superficies cultivées dû à l’abandon des cultures céréalières et fourragères n’est que très partiellement compensé par l’essor d’autres productions. Dans la mesure où le modèle économique avait été conçu sur une forte participation financière de l’État, les investisseurs sans enracinement local se sont détournés de l’agriculture, laissant leur exploitation partiellement à l’abandon. La visite des exploitations révèle qu’un personnel réduit resté sur place continue à produire un peu de blé et de fourrage pour le marché local, malgré les interdictions. Rares sont les entreprises qui profitent des nouvelles subventions pour se réorienter vers les productions plus techniques de l’arboriculture ou du maraîchage. Tel est le cas de Jadco, qui a planté à Al Busayta des dizaines d’hectares d’abricotiers et de pruniers, 7 000 palmiers dattiers, mais surtout 1 million d’oliviers pour la production d’huile d’olive. Cependant, cette orientation reste dans une logique de production industrielle qui ne résout en rien la gestion durable des aquifères car les fruitiers nécessitent une irrigation pérenne dont les volumes sont bien supérieurs à une culture annuelle de blé. Sur le plan économique la reconversion est hasardeuse car la production saoudienne de fruits ou d’huile d’olive arrive à des coûts élevés sur un marché très concurrentiel et spéculatif, dominé par les pays du pourtour méditerranéen où les avantages comparatifs sont meilleurs et l’intégration sur le marché mondial ancienne.

36Au Liwa, l’agence d’État, l’Abu Dhabi Food Control Authority subventionne généreusement les cultures sous abri et de palmier. Elle fournit gratuitement les équipements d’irrigation et les services de vulgarisation tandis que les intrants sont vendus à prix réduit. Elle collecte et achète aux producteurs les fruits et légumes à un prix très rémunérateur afin de leur assurer un débouché sécurisé et rentable. Cependant, les résultats de cette politique ne sont pas à la hauteur des espérances car les cultures légumières (tomate, concombre, oignon, laitue, carotte, poivron, courgette) occupent seulement 2 % des surfaces du Liwa. Depuis 2010, un peu plus de 1 000 serres ont été installées, mais la moitié d’entre elles sont inutilisées, faute de personnel qualifié ou d’eau faiblement salée. Quelques fermes hydroponiques ont également vu le jour mais leur développement est notamment limité par le recours systématique aux eaux de dessalement.

37Parmi les obstacles, il faut aussi noter un environnement social peu propice à l’essor des pratiques innovantes plus exigeantes sur le plan technique. Les entretiens montrent que la plupart des propriétaires fonciers ne sont pas issus du monde agricole, les terres et les subventions agricoles ayant été distribuées par les États dans un but plus politique qu’économique. Sans véritable tradition agricole locale, la gestion des exploitations repose essentiellement sur des travailleurs étrangers souvent peu formés et peu motivés par les enjeux productifs en raison de la précarité de leur emploi. À cela s’ajoute l’incertitude d’un avenir agricole non soutenable. L’agriculture et l’énergie sont intimement liées car tout le système repose sur des subventions issues de la rente pétrolière et l’utilisation massive d’énergie pour le pompage, le dessalement de l’eau et la climatisation des serres. L’épuisement progressif des aquifères et des hydrocarbures signifie la fin de « l’État providence » et l’augmentation des coûts énergétiques, même si l’accès à l’eau agricole est encore gratuit. La conscience du non-sens économique et environnemental est de plus en plus palpable. Tandis que les nappes se vident, le coût de revient d’un kilo de tomates produit aux Émirats est trois fois supérieur à celui d’un kilo importé [Al Qaydi 2014]. C’est pourquoi le gouvernement d’Abu Dhabi mène depuis 2008 une politique de réduction de l’utilisation de l’eau agricole au profit d’une sécurisation hydrique des zones urbaines. Les autorités ont créé dans l’erg du Liwa un réservoir stratégique d’eau correspondant à trois mois de consommation de la ville d’Abu Dhabi. En cas de crise et de rupture des approvisionnements en provenance des unités de dessalement, le réservoir souterrain délivrerait pendant 90 jours 16,4 millions de m3 d’eau potable à la capitale. L’aquifère fossile, traditionnellement exploité par l’agriculture, est désormais largement sanctuarisé au profit de la capitale [Cariou 2017] ce qui pousse l’oasis de Liwa à se tourner vers de nouveaux usages.

Liwa : vers une agriculture patrimoniale et touristique

  • 18 La phœniciculture est la culture du palmier dattier.

38Depuis 2010, l’agriculture du Liwa est investie de nouvelles finalités où aux enjeux touristiques s’ajoute la nécessité d’inventer un nouveau territoire porteur de valeurs identitaires. Dans ce processus de tertiarisation économique, la phœniciculture18 occupe une place centrale. Bien que très consommatrice en eau, la palmeraie est valorisée pour des raisons identitaires, culturelle et esthétique, et érigée en géo-symbole. Dans un pays passé en quelques décennies de la pauvreté à l’opulence de la mondialisation, les oasis témoignent de l’ancienneté et de l’ingéniosité des hommes à vivre au désert. L’État comme les citadins (86 % de la population du pays) sont à la recherche de leur origine et des valeurs ancestrales d’un passé bédouin à la fois récent au regard des quelques décennies écoulées, mais aussi très lointain si l’on mesure les transformations socioéconomiques radicales qu’ont vécues les populations de la région. Si la palmeraie conserve une fonction productive, elle se mue de plus en plus en jardin d’agrément dédié à de nouvelles pratiques. Les propriétaires réinventent un « jardin arabe » moderne où, dans le confort de luxueuses villas entourées de palmiers, on se retrouve en famille ou entre amis le temps d’un week-end. Les migrations de fin de semaine sont facilitées par l’aménagement du réseau routier de qualité permettant de recréer un lien entre les centres urbains du littoral et l’arrière-pays oasien. Avec l’essor d’une urbanisation diffuse, la palmeraie devient un espace social récréatif qui permet au citoyen des villes mondialisées comme Abu Dhabi ou Dubaï de s’inscrire dans un espace identitaire où l’oasis participe pleinement à la construction de l’identité nationale.

Hôtel Qasr Al Sarab à Liwa (octobre 2017).

Hôtel Qasr Al Sarab à Liwa (octobre 2017).

L’eau rapporte plus lorsqu’elle remplie les piscines des hôtels que lorsqu'elle est utilisée pour l'agriculture.

Photo : A. Cariou.

39C’est pourquoi l’État a promu les oasis du Liwa et d’Al Ain au rang de patrimoine culturel et historique du pays. Cela se traduit par des mesures agro-environnementales en faveur de la préservation des pratiques phœnicicoles et de la protection des palmeraies souvent menacées d’abandon. Tout propriétaire possédant plus 60 palmiers dattiers reçoit des subventions (100 000 dirhams soit 23 500 € en 2017) et bénéficie gratuitement de matériel, de jeunes plants de dattier et de conseils. Chaque année, le festival de la datte de Liwa est l’occasion de faire la promotion de la phœniciculture et de récompenser les meilleurs producteurs de dattes par des prix totalisant 6 millions de dirhams (1,4 million €).

40Cette politique a permis aux oasis de Liwa et d’Al Ain d’être classées par la FAO (Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) en 2015 parmi les systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial. Ces espaces sont officiellement reconnus pour leur importance internationale en tant que dépositaires de patrimoines culturel et biologique. En effet, le Liwa détient une richesse génétique avec plus de 200 cultivars de palmiers dattiers.

41Cette reconnaissance patrimoniale participe aussi d’une stratégie de diversification économique post-pétrolière. Elle contribue à renforcer la position des Émirats comme destination touristique mondiale notamment grâce à la découverte des pratiques traditionnelles et du paysage « exotique » des palmeraies. Dans l’écrin du grand erg, la succession d’oasis bénéficie d’une valeur patrimoniale rehaussée par la restauration soigneuse des anciens forts et par l’implantation d’hôtels de haut standing. Chaque année, le festival de la datte est un évènement touristique majeur aussi bien pour les nationaux que pour les touristes étrangers. Plus de 60 000 visiteurs se pressent sous une immense tente climatisée aménagée dans le style d’un « ancien souk émirati » : 150 stands présentent tous les produits issus du palmier ainsi que des objets d’artisanat liés à l’ancienne vie des oasiens et des Bédouins. Liwa constitue désormais une destination complémentaire à celles des complexes balnéaires et des « villes mondes » de Dubaï et d’Abu Dhabi. Cette vocation plurielle de l’espace agricole n’est bien sûr pas possible au Wadi Sirhan, région hors de portée du tourisme national, car située en périphérie des grands centres urbains d’un pays également fermé au tourisme international.

Conclusion

42Au Liwa comme au Wadi Sirhan, l’analyse géographique démontre que les cassandres avaient raison. Que ce soit pour des raisons environnementales ou économiques, l’agriculture au désert est un non-sens [Planhol et Rognon 1970 ; Elhadj 2004]. C’est ce constat, déjà ancien, que découvrent aujourd’hui les pays du Golfe en adoptant de nouvelles politiques agricoles à rebours de décennies d’efforts consacrées à « fleurir le désert ». Quel que soit le type de modèle, de la petite agriculture familiale oasienne classique – fondée sur la palmeraie et le jardinage de fruits et légumes dont rêvait Cheik Zayed pour les Émirats – aux grands périmètres irrigués des firmes saoudiennes engagées dans une agriculture industrielle, le constat est le même : le secteur agricole est en déclin. En effet, l’avènement de l’agriculture moderne dans les années 1970-1980 est consubstantiel de l’ère des hydrocarbures et de ses logiques d’exploitation rentière forcément éphémères à l’échelle du temps long. En effet, comme pour le pétrole, le modèle agricole est non durable car fondé sur l’extraction massive de ressources en eau non renouvelables. Il en va de même sur le plan financier, où le secteur agricole a été pensé et nourri au moment de « l’âge d’or » de la rente pétrolière, période aujourd’hui révolue. Dans le contexte d’une ingénierie triomphante fondée sur un rapport à la nature fortement « anthropocentré », les enjeux environnementaux ont été niés de sorte que le modèle agricole mis en place est, à bien des égards, une allégorie du développement non durable. Mais le déclin du secteur agricole est aussi lié à l’évolution sociétale et politique. Au-delà des enjeux productifs légitimés par la rhétorique de l’autosuffisance alimentaire, l’agriculture a été un outil au service du politique. En effet, les pays du Golfe sont des « États redistributifs » où les généreuses subventions accordées au secteur agricole avaient la même finalité que la redistribution de la rente pétrolière, à savoir assurer la stabilité sociale et emporter l’adhésion des populations à l’égard d’un État-providence porteur de modernisation. Faisant preuve de largesses par l’attribution de terres et de moyens de production, les dynasties régnantes se sont assuré le soutien des citoyens et d’une clientèle privilégiée de chefs tribaux et religieux, de riches commerçants. Désormais, dans des sociétés largement détribalisées et urbanisées, les monarchies n’ont plus à craindre la traditionnelle instabilité du monde rural bédouin, d’où le désengagement progressif du secteur agricole. Comme la population rurale pèse moins de 15 % de la population totale et est principalement composée de travailleurs étrangers, c’est désormais les villes qui sont potentiellement porteuses d’instabilité sociale.

43Ce contexte pousse irrémédiablement l’agriculture vers la marginalisation. L’avenir de ce secteur est suspendu à la capacité des agriculteurs et des politiques agricoles à faire évoluer les pratiques vers une « tertiarisation » de l’agriculture. Pour subsister, l’agriculture doit, en effet, entrer dans l’ère de l’économie des services afin de répondre aux défis sociétaux et économiques que pose l’avènement d’un nouveau monde post-pétrolier. Ce processus est observable aux Émirats, pays ouvert sur la mondialisation et pleinement engagé dans la transition économique. L’agriculture évolue vers d’autres finalités que la production en se tournant vers des nouvelles valeurs d’usage comme le tourisme et la patrimonialisation oasienne. Si cette nouvelle orientation paysagère va dans le sens d’une agriculture plus durable grâce aux économies d’eau, elle ne constitue pas pour autant une solution durable à long terme : le nouveau souffle agricole n’est en fait qu’un répit. Alors que cette reconversion agricole est en marche aux Émirats, rien de tel n’est pour le moment observable en Arabie saoudite. Dans un État en crise où la transition vers l’économie post-pétrolière est en échec, l’agriculture est un fardeau rendant son avenir très incertain. Avec l’essor spectaculaire des surfaces irriguées et leur contraction toute aussi spectaculaire, l’agriculture saoudienne semble n’avoir été qu’un mirage.

Haut de page

Bibliographie

Al Qaydi, Saif, 2014, « Food Security in the United Arab Emirates; the Role of the State in Overseas Farm Crops Production », Asian Journal of Agricultural Extension, Economics & Sociology 3 (6): 569-579. — 2016, « The Status and Prospects for Agriculture in the United Arab Emirates (UAE) and their Potential to Contribute to Food Security », Journal of Basic & Applied Sciences 12 : 155-163.

Al-Radihan, Khaled, 2006, « Adaptation of Bedouin in Saudi Arabia to the 21st Century: Mobility and Stasis among the Shararat », in D. Chatty (dir.) Nomadic Societies in the Middle East and North Africa: Entering the 21st Century. Leiden, Boston, Brill (« Handbook of Oriental Studies, Section One, The Near and Middle Esat ») : 840-864.

Arthur, Robert et Saif Al Qaydi, 2010, « Agricultural Marketing in the Western Region of Abu Dhabi, United Arab Emirates : Attitudes and Perceptions », Agriculture and Biology Journal of North America 1 (4) : 458-468.

Bonnenfant, Paul, 1977, « L'évolution de la vie bédouine en Arabie centrale. Notes sociologiques », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée 23 : 111-178.

Brun, Matthieu, 2019, « Produire et se nourrir dans les monarchies du Golfe. Une économie politique des approvisionnements agricoles et alimentaires », Revue internationale des études du développement 237 : 65- 87.

Calais, Damien, 2019, « Abu Dhabi au défi de la sécurité alimentaire. L’approvisionnement des villes comme expression du pouvoir et de la hiérarchie sociale », Revue internationale des études du développement 237 (1) : 89-114.

Calvary, Romain, 2014, « Les investissements saoudiens dans la Corne de l’Afrique : l’exemple de Mohamed Al Amoudi, homme d’affaires saoudien en Éthiopie », Confluences Méditerranée 90 (3) : 61-74.

Cariou, Alain, 2017, « Liwa : The Mutation of an Agricultural Oasis into a Strategic Reserve Dedicated to a Secure Water Supply for Abu Dhabi », in E. Lavie et A. Marshall (dir.), Oases and Globalization. Ruptures and Continuities. Cham, Springer International Publishing (« Springer Geography ») : 213-225.

Cordes, Rainer et Fred Scholz, 1980, Bedouins, Wealth and Change. A Study of Rural Development in the United Arab Emirates and the Sultanate of Oman. Tokyo, The United Nations University.

Ebrahim, Mohammed, 1981, Problems of Nomad Settlement in the Middle East with Special Reference to Saudi Arabia and the Haradh Project. Thèse de doctorat de géographie. Ithaca, Cornell University.

Elhadj, Elie, 2004, « Camels don’t Fly, Deserts don’t Bloom : an Assessment of Saudi Arabia’s Experiment in Desert Agriculture », Occasional Paper 48, School of Oriental and African Studies (SOAS)/King’s College London University of London (<https://www.soas.ac.uk/water/publications/papers/file38391.pdf>). — 2008, « Dry Aquifers in Arab Countries and the Looming Food Crisis », Middle East Review of International Affairs 12 (4) : 1-12.

Fabietti, Ugo, 1993, « Politiques étatiques et adaptations bédouines : l’Arabie du nord (1900-1980) », in R. Bocco, R. Jaubert et F. Métral (dir.), Steppes d’Arabies. États, pasteurs, agriculteurs et commerçants : le devenir des zones sèches. Paris et Genève, Presses universitaires de France/Cahiers de l'Institut universitaire d'études du développement : 135-146.

Fiaz, Sajid, Mehmood Ali Noor et Fahad Owis Aldosri, 2018, « Achieving Food Security in the Kingdom of Saudi Arabia through Innovation : Potential Role of Agricultural Extension », Journal of the Saudi Society of Agricultural Sciences 17 (4) : 365-375.

Heard-Bey, Frauke, 2016, « Development Anomalies in the Beduin Oases of Al-Liwa », in F. Heard-Bey (dir.), Abu Dhabi, the United Arab Emirates and the Gulf Region : Fifty Years of Transformation. Berlin, Gerlach Press (« Gulf Studies Series ») : 58-72.

Lancaster, William et Fidelity Lancaster, 1993, « Sécheresse et stratégies de reconversion économique chez les Bédouins de Jordanie », in R. Bocco, R. Jaubert et F. Métral (dir.), Steppes d’Arabies. États, pasteurs, agriculteurs et commerçants : le devenir des zones sèches. Paris et Genève, Presses universitaires de France/Cahiers de l'Institut universitaire d'études du développement : 223-246.

Planhol, Xavier (de), 1993, Les Nations du Prophète. Manuel géographique de politique musulmane. Paris, Fayard.

Planhol, Xavier (de) et Pierre Rognon, 1970, Les zones tropicales arides et subtropicales. Paris, Armand Colin (« Collection U »).

Purseigle François, Geneviève Nguyen et Pierre Blanc (dir.), 2017, Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme. Paris, Presses de Sciences Po (« Académique »).

Rizk, Zein S. et Abdulrahman S. Alsharhan, 2003, « Water Resources in the United Arab Emirates », in A. Alsharhan et W. Wood (dir.), Water Resources Perspectives: Evaluation, Managment and Policy. Amsterdam, Elsevier Science : 245-264.

Uddin Saif, Yousef Alrumikhani, Mohammad Latif, 2004, « Use of Remote Sensing and Agrometeorology for Irrigation Management in Arid Lands : a Case Study from Northwestern Saudi Arabia », Journal of Environmental Hydrology 12 : 9-22.

Ulrichsen, Kristian Coates, 2016, The Gulf States in International Political Economy. Basingstoke, Palgrave Macmillan (« International Political Economy Series »).

Wilkinson, John, 1977, Water and Tribal Settlement in South-East Arabia. A study of the Aflāj of Oman. Oxford, Clarendon Press (« Oxford Research Studies in Geography »). — 2009, « From Liwa to Abu Dhabi », Liwa (Journal of the National Center for Documentation & Research) 1 : 4-11.

Woertz, Eckart, 2013, Oil for Food. The Global Food Crisis and the Middle East. Oxford, Oxford University Press.

Wood, Warren et Jeffrey Imes, 2003, « Dating of Holocene Groundwater Recharge in the Rub al Khali of Abu Dhabi », in A. Alsharhan et W. Wood (dir.), Water Resources Perspectives: Evaluation, Managment and Policy. Amsterdam, Elsevier Science : 379-385.

Haut de page

Notes

1 Les précipitations étaient alors de l’ordre de 200 ± 50 mm/an.

2 2 L’itinéraire de l’antique route de l’encens et de la myrrhe reliant « l’Arabie heureuse » jusqu’aux ports de la Méditerranée empruntait le Wadi Sirhan contrôlé par le royaume nabatéen (Ier siècle avant notre ère, IIe siècle après).

3 Dans les déserts, fond de dépression fermée formée de sols salés et sporadiquement occupée par une lagune salée.

4 Voir Inventory of Shared Water Resources in Western Asia, 2013, Beirut, United Nations Economic and Social Commission for Western Asia/Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe.

5 Ce qualificatif fait référence à des pratiques agricoles qui conduisent à un épuisement des ressources du milieu (eau, sol) à l’image de l’industrie minière.

6 L’Aramco, ou Arabian American Oil Company, est fondée en 1944 par la fusion de Standard Oil of California et de Texas Oil Company.

7 L’irrigation par pivot central est réalisée au moyen d’une rampe mobile dotée d’asperseurs, qui tourne autour d’un pivot, généralement constitué par le puits de forage.

8 En raison de son rôle dans l’organisation de l’espace et de son importance politique et identitaire, l’agriculture est considérée comme un pilier de la civilisation, à l’image de la maxime de Cheikh Zayed : « Donnez-moi les moyens de l’agriculture, je vous donnerai une civilisation ».

9 Voir la base de données d’Aquastat, 2016, Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) (<http://www.fao.org/nr/water/aquastat/data/query/index.html?lang=fr>).

10 Le roi crée des centres de sédentarisation (hidjras) afin de purifier la foi des bédouins et de mieux les contrôler, notamment en imposant son autorité face aux incessantes oppositions tribales.

11 Voir la base de données d’Aquastat, 2017, Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) (<http://www.fao.org/nr/water/aquastat/data/query/index.html?lang=fr>).

12 Voir, S. Fragaszy et R. McDonnell, Oasis at a Crossroads: Agriculture and Groundwater in Liwa, United Arab Emirates, 2016, Colombo, International Water Management Institute.

13 L’eau consommée par l’agriculture provient à 95 % des aquifères.

14 La recharge se fait presque exclusivement dans les nappes de piémont de l’est de l’émirat, alimentées par les précipitations tombées sur le massif omanais. La recharge est quasi nulle dans la région du Liwa.

15 Voir Advancing Sustainable Groundwater Management in Abu Dhabi, 2012, EAD (Environment Agency-Abu Dhabi), Annual Policy, Abu Dhabi.

16 Voir Agriculture Census et Statistical Yearbook, General Authority for Statistics, Kingdom of Saudi Arabia (<https://www.stats.gov.sa/ar>).

17 Almarai (« pâturages verts » en arabe) est une entreprise agroalimentaire saoudienne parmi les plus puissantes du Moyen-Orient.

18 La phœniciculture est la culture du palmier dattier.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Ouvrier indien dans l'oasis du Liwa (octobre 2017).
Légende Aux Émirats, l'agriculture repose exclusivement sur la main-d’œuvre étrangère.
Crédits Photo : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 126k
Titre Carte 1. Localisation des zones étudiées.
Crédits Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 86k
Titre Carte 2. Organisation traditionnelle du territoire et économie pastorale de Liwa.
Crédits Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 82k
Titre Figure 1 : Environnement désertique et aquifères fossiles, coupe nord-sud de l’Émirat d’Abu Dhabi.
Crédits Source : d’après GTZ (Deutsche Gesellschaft für technische Tusammenarbeit) 2009. Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 45k
Titre Carte 3. Organisation traditionnelle du territoire et économie pastorale du Wadi Sirhan.
Crédits Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 134k
Titre Figure 2. Environnement désertique et aquifères fossiles, coupe schématique du fossé d’effondrement du Wadi Sirhan.
Crédits Source : d’après ESCWA-BGR Inventory (2013). Carte : A. Cariou
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 49k
Titre Figure 3. Essor et déclin des surfaces irriguées en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Crédits Sources : www.fao.org/nr/water/aquastat/data et www.stats.gov.sa. Graphique : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 75k
Titre Carte 4. Organisation de l’espace à Liwa.
Crédits Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 127k
Titre Carte 5. La mise en valeur agricole de Liwa.
Crédits Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 171k
Titre Carte 6. Les périmètres irrigués de la région de Tabarjal, province de Al Jawf, Arabie Saoudite (février 2016).
Crédits Source : d’après image satellitaire Landsat, février 2016. Carte : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 198k
Titre Figure 4. Évolution des surfaces irriguées, des cultures et des prélèvements en eau en Arabie saoudite.
Crédits Source : www.fao.org/nr/water/aquastat/data et www.stats.gov.sa. Graphique : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 61k
Titre Hôtel Qasr Al Sarab à Liwa (octobre 2017).
Légende L’eau rapporte plus lorsqu’elle remplie les piscines des hôtels que lorsqu'elle est utilisée pour l'agriculture.
Crédits Photo : A. Cariou.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/17484/img-12.jpg
Fichier image/jpeg, 192k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Alain Cariou, « Fleurir le désert, le mirage de l’agriculture »Études rurales, 204 | 2019, 192-220.

Référence électronique

Alain Cariou, « Fleurir le désert, le mirage de l’agriculture »Études rurales [En ligne], 204 | 2019, mis en ligne le 02 janvier 2022, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/17484 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.17484

Haut de page

Auteur

Alain Cariou

géographe, maître de conférences, Sorbonne Université, Espaces nature et culture (UMR 8185), Paris

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search