Véronique Dauby, maire de Nanton (630 hab.) commune rurale de Saône-et-Loire, le 4 septembre 2019
Photo : E. Protat.
1Ce texte aborde la question des femmes maires dans les « petites » communes, à partir d’une enquête menée en Gironde entre 2013 et 2015, basée sur des entretiens, des questionnaires et des archives. L’article tente d’établir une typologie des femmes maires en mettant en relation leurs ressources propres et les caractéristiques de leur territoire d’élection.
2La sociologie des élus municipaux est globalement assez peu attentive au genre. Si certains travaux mentionnent le sexe, c’est le plus souvent dans le cadre d’une forme de routine scientifique qui consiste à analyser séparément ce que l’on appelle les variables lourdes (profession, âge, sexe…) [Mayer et Boy 1997]. Il en ressort dans la plupart des cas le simple constat d’une sous-représentation des femmes aux postes électifs. Mais l’éventualité de carrières municipales spécifiquement féminines est rarement évoquée. Plus précisément, au regard de la faible représentation des femmes aux postes de maires, les profils de celles qui endossent le rôle devraient être plus largement questionnés afin d’approfondir la compréhension des variations des registres de légitimation du pouvoir local.
3La répartition des femmes maires selon la taille des communes présente certaines singularités qui se reproduisent dans le temps. Depuis que les statistiques systématiques par taille de communes et par sexe existent concernant les maires, on peut relever une tendance à la surreprésentation des femmes aux postes de maires dans les petites communes par rapport aux plus grandes. En effet, depuis 1989, les postes de maires dans ces communes semblent plus accessibles aux femmes.
Graphique 1. Proportion de femmes élues municipales et maires en France (1977-2014) selon la taille de la commune
La modification du seuil entre 2008 et 2014 correspond au seuil d’application de la parité, passé de 3 500 habitants avant 2014 à 1 000 habitants après.
Sources : M. Sineau, Femmes et pouvoir sous la Ve République. De l’exclusion à l’entrée dans la course présidentielle, Paris, Presses de Sciences po (« Académique »), 2011 ; C. Achin (dir.), Sexes, genre et politique. Paris, Économica (« Études politiques »), 2007 ; Parité en politique : entre progrès et stagnations. Évaluation de la mise en œuvre des lois dites de parité dans le cadre des élections de 2014 : municipales et communautaires, européennes, sénatoriales, février 2015, Études du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (<http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_2015-02-26-par-015vf.pdf>).
- 1 Cependant, il faut noter une très nette évolution de cette opinion en moins de 30 ans. En effet, a (...)
- 2 Les femmes habitant dans des communes rurales consacrent en moyenne 30 heures par semaine aux tâch (...)
- 3 Voir A. Barthez [2005], A.-M. Lagrave [1987] et C. Bessière [2011].
- 4 Voir Les chiffres clés des inégalités femmes-hommes dans les quartiers prioritaires et les territo (...)
4Ce constat peut sembler paradoxal au regard de deux éléments. D’abord, la féminisation des conseils municipaux est en moyenne toujours plus faible dans les petites communes, même avant la mise en œuvre des lois dites sur la parité en politique. Les femmes sont donc plus souvent maires dans les communes où elles sont moins souvent élues. Ensuite, le sens commun renvoie des communes rurales une image de conservatisme qui serait peu propice à l’émancipation des femmes. Cet a priori s’explique en partie par des faits empiriques. Un certain nombre d’indicateurs permet d’objectiver un écart entre rural et urbain du point de vue de l’égalité des sexes [Cettolo et Rieu 2006]. Par exemple, en 2009 l’opinion selon laquelle les femmes devraient travailler dans tous les cas où elles le désirent est partagée par les deux tiers des Français, mais seulement 60 % des habitants de l’espace rural contre 72 % des habitants de Paris et sa couronne1. Par ailleurs, les femmes des communes rurales consacrent en moyenne plus de temps aux tâches domestiques que les hommes et que les autres femmes2. Ces éléments associés à d’autres facteurs (position historique des femmes dans les rapports de production agricoles3, précarité du salariat féminin plus élevé dans le rural que dans l’urbain4, sociabilités rurales excluant les femmes des catégories populaires [Lechien 2013 ; Clair 2011]) permettent de comprendre la moindre représentation des femmes dans les conseils municipaux des espaces ruraux. Ils ne suffisent pas cependant à expliquer la plus forte féminisation de la fonction de maire dans ces communes.
- 5 Voir Parité en politique : entre progrès et stagnations. Évaluation de la mise en œuvre des lois d (...)
5Il existe trois manières d’aborder ce phénomène. D’abord, on peut retenir une explication en termes de pouvoir qui postule que les enjeux étant plus grands dans les villes, les hommes ont tendance à y monopoliser les fauteuils de maires et à les délaisser dans les petites où il est moindre5. Si le pouvoir est objectivement plus important dans les villes (budgets plus élevés, marges de manœuvre plus importantes ou grands projets), la dimension symbolique du premier élu municipal est très présente dans les petites communes. Par ailleurs, cette explication est difficilement vérifiable empiriquement.
6Selon la deuxième explication – qui découle en fait de la première – la question du pouvoir peut être traitée de manière plus dynamique. En effet, les lieux de décision s’étant déplacés des communes vers les intercommunalités, les hommes tendent à délaisser les postes de maires dans les communes rurales, leurs compétences étant transférées vers les intercommunalités. Comme les petites communes sont progressivement dépossédées de leurs prérogatives, les hommes s’y désintéresseraient, permettant ainsi aux femmes d’y être élues plus facilement [Dulong citée dans Le Bart 2003 : 187 ; Achin et Lévêque 2006 : 86].
- 6 Voir, sur ce point, V. Marneur [2016 : 105-106].
7Enfin, la troisième explication renvoie aux dispositions personnelles des élues. Elle postule que les fonctions de maire dans les communes rurales seraient plus ajustées aux compétences socialement dévolues aux femmes : proximité, entraide, services rendus, désintéressement… S’opérerait ainsi un ajustement entre des espaces où le désintéressement est valorisé et des dispositions au désintéressement, symboliquement plutôt associées au genre féminin6. Il s’agit là d’une explication plus intéressante pour notre objet, puisqu’il est possible de la vérifier du point de vue empirique, par exemple par des entretiens avec des maires sur leur fonction. C’est sur ce troisième point qu’insistera cet article.
8Cela étant, ces explications posent un certain nombre de problèmes puisqu’elles restent relativement globalisantes. Le principal est qu’elles contribuent toutes à saisir le rural comme un objet unifié, où les pratiques et les représentations seraient identiques d’une commune à l’autre. Or on sait qu’à taille de commune égale, on observe des configurations communales très différentes. Par exemple, le seuil de 3 500 habitants, bien souvent pris pour référence, recouvre des situations très contrastées. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence de regrouper dans une même catégorie une commune de 500 habitants dont la population est en déclin, éloignée de plus d’une heure d’une aire urbaine, et une commune de 2 000 habitants, proche d’une grande agglomération et dont la population a doublé en 10 ans.
9Il faut donc être attentif aux principes de classements adoptés lorsque l’on enquête sur les petites communes. Il semble, en ce sens, que le niveau d’analyse le plus pertinent ne soit pas tant la taille de la commune que le type de commune. La seule taille de commune conduit à agréger des configurations bien différentes du point de vue de la répartition des catégories socioprofessionnelles, de la structure de l’emploi local ou encore du degré de sédentarité des populations. Ce n’est qu’au prix d’une attention particulière portée au contexte d’élection que l’on peut comprendre les trajectoires des élus et, a fortiori, des élues. Ainsi, à taille de commune égale, les caractéristiques sociales des maires diffèrent selon le type de commune considérée. Les « catégories supérieures » sont plus représentées au sein des communes périurbaines, alors que les femmes y sont moins souvent élues maires.
Graphique 2. Répartition par catégorie socioprofessionnelle des maires des communes de moins de 3 500 habitants de Gironde pour la mandature 2014-2020 (en %).
Les modalités de regroupement du zonage en aires urbaines de l’Insee sont reprises ici. Sont considérées comme communes urbaines celles appartenant à un grand pôle (10 000 emplois ou plus), comme périurbaines celles appartenant à la couronne d’un grand pôle (dont 40 % au moins de la population active travaille dans le grand pôle) et toutes les autres comme rurales.
Graphique 3. Répartition par sexe des maires des communes de moins de 3 500 habitants de Gironde pour la mandature 2014-2020 selon le type de commune.
10Il faut noter que cet écart de féminisation des fonctions de maire se retrouve pour la mandature 2008-2014 : les femmes représentent 15,5 % des maires des communes périurbaines et 18 % de ceux des communes rurales (moins de 3 500 habitants).
11Une fois ces précautions méthodologiques prises, nous présenterons trois profils de femmes maires de petites communes de Gironde en nous appuyant sur un travail mené entre 2013 et 2015 dans le cadre d’une recherche doctorale. Le corpus comprend des questionnaires adressés à des élus municipaux (187 retours), des entretiens avec des élus de communes de moins de 3 500 habitants (40 entretiens, dont 28 avec des femmes maires) et des données tirées du dépouillement d’archives concernant les mandatures de 1977, 1995, 2001, 2008 et 2014. Sur la base de ces matériaux, plusieurs profils de femmes maires ont été tracés.
12Les entretiens centrés sur les trajectoires (familiales, résidentielles, professionnelles et politiques) et les conceptions du rôle de ces élus ont permis de mettre en évidence trois parcours biographiques significatifs, leurs principales caractéristiques étant partagées par la majorité des enquêtés. Bien qu’ils ne recouvrent évidemment pas l’ensemble des cas rencontrés, ces trois profils montrent les deux principaux pôles de légitimation du pouvoir local pour les femmes dans les petites communes : le dévouement et la valorisation de compétences techniques. Le premier (en contexte rural), illustre l’importance du dévouement, le deuxième (en contexte périurbain), les compétences techniques et enfin, le troisième (cas rural) les potentialités d’hybridation entre ces deux sources de légitimation, ainsi que les effets produits sur la carrière municipale.
13Le passage par des cas particuliers faisant figure de parangons permet de montrer l’impérieuse nécessité de ne pas faire une sociologie des élus « hors-sol », sans prendre en compte le contexte d’élection. C’est plus exactement l’ajustement entre trajectoires individuelles, ressources et configurations communales qu’il convient d’analyser de concert.
14La fonction d’élu municipal en milieu rural est particulièrement associée aux qualités de dévouement et de désintéressement. Il semble que ce soit encore plus souvent le cas pour les maires qui, dans les petites communes, soulignent régulièrement leur rôle d’accompagnement des populations en difficulté et le fait qu’ils ne perçoivent que des indemnités très faibles. Le profil du maire dévoué, assurant essentiellement un rôle social de proximité paraît particulièrement ajusté aux rôles traditionnellement dévolus aux femmes.
15De fait, dans de nombreuses communes rurales de Gironde, des femmes maires ont construit leur légitimité autour des activités d’entraide au sein de leur commune. Elles mettent généralement en œuvre une gestion municipale de proximité relevant surtout du travail du care. Elles envisagent pour la plupart leur rôle de maire comme une extension de leurs prérogatives familiales et domestiques. Ces femmes exercent surtout des professions d’exécution dans des secteurs typiquement féminins (infirmières, secrétaires…) et font preuve d’un fort investissement bénévole.
16Michèle L., correspond à ce profil. Vigeon, dont elle est l’édile, compte une population assez stable de 400 habitants puisque 96 % d’entre eux y sont installés depuis au moins 5 ans7. Cette commune a pourtant subi quelques bouleversements puisqu’elle est passée d’une économie majoritairement structurée autour de l’agriculture (quelques propriétaires et surtout beaucoup de « métayers ») dans les années 1970 à une population de « ruraux dépaysannés » [Chamboredon 1982 : 240]. Face aux difficultés de la vie agricole, de nombreux métayers se sont résolus à travailler en usine. De fait, la population est encore aujourd’hui très largement ouvrière (52,6 %). De manière générale, les catégories populaires y sont très présentes puisque plus de 80 % de la population active est employée et ouvrière. Le poids des cadres et des professions intellectuelles supérieures ainsi que des professions intermédiaires y est très faible, ces deux catégories socioprofessionnelles représentant à elles deux moins de 6 % de la population active communale.
17Michèle L. (59 ans) est installée dans la commune depuis la fin des années 1970 à la faveur de son mariage avec un agriculteur du village. Elle exerce en tant qu’infirmière libérale. Son cabinet est basé dans le chef-lieu de canton à moins de 15 minutes de voiture du Vigeon. Elle est, par ailleurs, vice-présidente d’une œuvre catholique bordelaise, qui propose un accompagnement des personnes handicapées et malades et organise des pèlerinages à Lourdes. En outre, elle est très impliquée au sein de la paroisse notamment pour soutenir les familles endeuillées. Conseillère municipale d’opposition de 2001 à 2008, elle est élue maire « par hasard », d’après ses propres mots. En 2008, elle n’est pas tête de liste et a même « fait promettre de [lui] donner aucune charge. [Elle] voulait seulement soutenir cette liste, faire humblement la onzième ». Au jeu du panachage, les deux têtes de liste sont rayées et ne sont finalement pas élues. La liste à laquelle elle appartient étant arrivée en tête (huit sièges contre trois pour l’autre liste), elle est désignée par ses colistiers pour occuper le fauteuil de maire.
18Selon elle, le choix s’est porté sur elle parce qu’elle est « engagée dans la commune » et que sa profession lui a fait « rencontrer pas mal de monde ». Même si son cabinet n’est pas situé sur la commune, elle y soigne ses habitants.
- 8 Il faut signaler que ses propos viennent ici en contradiction avec ceux exprimés plus haut expliqu (...)
De par mon travail j’ai rencontré des gens du village. Je suis assez impliquée en pastoral, donc j’ai accompagné beaucoup de gens ici dans leur deuil. Voilà je pense que c’est pour ça en fait que les gens ont aussi souhaité que heu… C’est pas par hasard qu’on arrive à un poste comme ça quand on l’a pas souhaité8.
- 9 À noter que cet engagement politique doit aussi se lire, historiquement, à travers l’implantation (...)
19Ses activités professionnelles et bénévoles résolument orientées vers la sollicitude et le soin porté aux personnes l’ont conduite à être appréciée par la population communale, parce qu’elle « touchait un petit peu tout le point sensible des gens ici ». Il est assez frappant de relever à quel point ce profil rappelle celui des premières élues municipales des années 1930. En France, l’engagement féminin9 dans l’espace public est historiquement associé à l’engagement catholique [Della Sudda 2010]. L’investissement des femmes dans les associations familiales catholiques conservatrices a pu paradoxalement permettre à certaines d’entrevoir l’élection à un mandat électif [Rétif 2008]. Bien avant qu’elles n’obtiennent l’exercice de la citoyenneté, des femmes ont ainsi pu accéder à certains conseils municipaux. Investies dans les œuvres de charité, ce sont leurs compétences en matière sociale qui étaient avant tout prisées [Caveng 2004], au titre d’un « différentialisme » assumé tant par les hommes que par elles-mêmes. Tout indique que l’engagement municipal de Michelle L. s’inscrit dans ce sillage. Recrutée pour ses dispositions de genre objectivées par des positions professionnelles et associatives, elle doit son élection à ses engagements orientés vers la sollicitude et le soin, mais également aux rencontres effectuées dans le cadre de sa profession qui, d’une certaine façon, lui ont permis de « faire campagne » de manière non intentionnelle.
- 10 Cette situation évoque les résultats des travaux de F. Purseigle sur l’engagement politique des je (...)
20Pour autant, l’élection de Michelle L. ne peut pas être comprise au seul regard de ses ressources propres de dévouement et d’assistance. Non originaire de la commune, elle s’y est installée à la faveur de son mariage à la fin des années 1970. Son mari, natif de la commune, était « le dernier agriculteur du village ». Lorsqu’il a pris sa retraite, leur fils a repris l’exploitation. Élu au conseil municipal en même temps que sa mère en 2001, il a, selon elle, toute sa place dans le conseil, du fait de son statut de dernier agriculteur du village10 :
Mais en même temps je trouve que c’est symbolique aussi. C’est pas parce que c’est mon fils, mais c’est le seul agriculteur du village. Je trouve que dans ce village où il y a 30-40 ans il y avait 40 exploitations agricoles il n’en reste plus qu’un. Je trouve que c’est symbolique quand même, il a vraiment sa place.
21L’engagement municipal de cette femme ne s’adosse pas seulement à ses activités professionnelles et associatives. Il est improbable de comprendre son élection au poste de maire dans cette petite commune sans considérer son statut de femme d’agriculteur, d’autochtone et de propriétaire terrien, dont la famille est installée depuis plusieurs générations sur la commune.
22Le profil de Michèle L. fait écho à celui de beaucoup d’autres femmes maires en Gironde. Celui-ci se retrouve, indépendamment de la taille de la commune, dans des espaces marqués par la présence des catégories populaires et par un faible renouvellement de la population. Ces femmes ont généralement des carrières municipales relativement lentes et empruntent le cursus honorum classique (conseillère, adjointe, maire), principalement parce qu’elles accordent une grande importance à leur rôle de mère et n’envisagent pas de prendre des responsabilités à la mairie avant que leurs enfants aient quitté le foyer. Pour autant, leur élection doit être resituée dans l’économie générale des ressources qui permettent, dans des catégories d’espaces donnés, d’être éligible. Ainsi, le statut d’autochtone ou de propriétaire terrien, même par alliance, paraît fondamental. Dans les communes rurales isolées, avec un renouvellement très faible de la population, les sources de légitimité sont encore souvent liées à l’ancrage local et à la détention de patrimoine foncier. Ainsi, si les femmes correspondant au profil des dévouées ne sont pas natives de la commune où elles sont élues, elles y sont généralement implantées depuis longtemps et sont mariées à des natifs. Enfin, le profil des femmes dévouées se caractérise par l’expression d’un faible attrait pour le pouvoir. Elles sont souvent élues « par hasard » et affirment avoir été maire contre leur gré.
- 11 Pour A. Faure, à la gestion « bon père de famille » succède les maires « capacitaires » qui dévelo (...)
23Le profil des maires « manager » est assez rare pour les femmes. Il s’agit d’élues dont la légitimité est essentiellement tirée de leurs compétences professionnelles, directement convertibles dans la gestion municipale. Ce profil est particulièrement ajusté à des contextes singuliers de fort renouvellement de la population communale et d’activation de la demande sociale sous l’effet de l’arrivée massive de nouveaux habitants. Céline L. correspond au profil de maire « capacitaire »11, développant une vision managériale de sa fonction. Cette femme, âgée de 50 ans au moment de l’entretien, est arrivée dans la commune de Carbon (2 200 habitants) en 1997. Elle a intégré le conseil municipal dès la mandature suivant son arrivée, en 2001.
24La commune de Carbon est située dans le sud de la Gironde, à une trentaine de kilomètres de la communauté urbaine de Bordeaux. Dans cette partie du département, la viticulture est totalement absente et c’est l’économie sylvicole qui a longtemps été pourvoyeuse d’emplois locaux. Carbon accueillait notamment deux usines de transformation de bois (parquet et meubles en kit) qui faisaient travailler près de 150 personnes, essentiellement des habitants de la commune. Les ouvriers étaient pour la plupart logés dans des petites maisons mises à disposition par les directions d’usine, qui fonctionnaient de manière paternaliste. De fait, la population y était majoritairement ouvrière et très marquée par le poids des sociabilités populaires et notamment de la chasse à la palombe, pratique très prisée des chasseurs gascons. Du point de vue du pouvoir local, la municipalité était accaparée par les cadres usiniers, ce qui est assez courant dans ce type de configuration [Mischi 2013 : 18].
25Depuis la fin des années 1990, la commune a connu de grandes évolutions. D’abord, la plus grande des deux usines ayant fermé en 2001, plus d’une centaine d’ouvriers très peu qualifiés et peu mobiles ont été licenciés :
La population la plus ancienne est quand même une population qui est fragile économiquement, qui sont souvent des ouvriers du bois, qui sont pas propriétaires hein, qui sont encore dans les maisons d’usine. [Céline L.]
26Par ailleurs, la commune a connu une poussée démographique très importante puisque sa population a doublé en vingt ans, passant de 1 100 habitants en 1990 à 2200 en 2013. Cette évolution s’est traduite par la construction de 150 pavillons sur la commune, surtout pour des jeunes couples avec enfants, primo-accédants en début de parcours résidentiel. Elle s’est également accompagnée d’un bouleversement des catégories socioprofessionnelles typique du phénomène de périurbanisation. Les ouvriers, les artisans et les commerçants, qui composaient majoritairement la population de la commune, ont été remplacés par des employés, des professions intermédiaires, des cadres et professions intellectuelles supérieures travaillant pour la plupart dans la communauté urbaine de Bordeaux. Entre 1990 et 2012, le nombre d’ouvriers est passé de 40 % à 18 % de la population active communale. Dans le même temps, celui des employés est passé de 19 % à 28 % et celui des professions intermédiaires de 13 % à 25 %. Enfin, les cadres et les professions intellectuelles supérieures représentent, en 201212, 17 % de la population active contre 6 % en 1990.
27Céline L. s’est donc installée en 1997 dans ce contexte de profonde mutation de la commune. Après des études en physiologie végétale et une formation d’éco-conseiller, elle a travaillé auprès des collectivités territoriales, puis pour une association professionnelle, en passant par de l’audit en entreprise. Disposant de compétences professionnelles liées à l’environnement et en particulier à la gestion des déchets et à la collecte sélective, elle s’est adressée à l’édile peu après son arrivée sur la commune :
J’avais proposé au maire, parce que j’avais vu que ça commençait à se mettre en place, s’il voulait de l’aide. Ça me paraissait normal vu mon métier voilà.
28Elle intègre finalement le conseil municipal en 2001. Trois ans plus tard, suite à une démission au sein du conseil, elle est nommée adjointe en charge des travaux, des bâtiments, des écoles et de la jeunesse. Des délégations très larges et très chronophages l’ont contrainte à quitter son emploi, parce qu’elle « n'arrivai[t] pas à tout faire ». Elle avoue volontiers que son choix d’arrêter de travailler n’était pas forcément judicieux :
J’ai démissionné, j’ai démissionné de mon boulot. Financièrement, c’était pas une bonne idée. En termes de finances et de retraite, ça me fait presque 13 années blanches donc c’est pas très intelligent.
29Pour autant, elle assure s’être épanouie dans la fonction et ne regrette pas son choix : « moi honnêtement je m’y suis construit, personnellement, professionnellement. […] Donc c’est aussi une bonne expérience quoi ». Se définissant elle-même comme une « technicienne », elle a parfaitement intégré les enjeux entrepreneuriaux de la gestion municipale contemporaine : « Parce que voilà j’ai montré que j’étais capable de gérer entre guillemets une PME qui produit du service public pendant six ans. En la désendettant parce que nous on s’est désendetté de 25 %. En augmentant le niveau de services ».
30Elle a, par ailleurs, mis un point d’honneur à moderniser le fonctionnement de la municipalité qui, selon elle, était largement dépassé :
Donc je me suis présentée aux élections en 2001 avec l’ancien maire, j’ai été élue, et là j’ai découvert au bout de 15 jours que heu… c’était très très particulier comme commune. Et moi j’arrive aussi d’autres régions et, en fait, j’avais la sensation qu’on était quand même très décalé par rapport à la réalité, notamment technique et réglementaire. En 2001, par exemple, dans cette mairie on était deux à avoir un mail sur quinze élus. Donc ça fait un petit décalage sociologique quoi.
31Plusieurs innovations sont à mettre à son compte. Elle a, par exemple, recruté un directeur des services afin de coordonner le travail des différents services municipaux. Elle a également mis en place un forum en ligne permettant de faciliter les échanges entre élus municipaux via internet. Ces évolutions étaient, selon elle, nécessaires :
- 13 Certificat d’aptitude à la conduite en sécurité.
Après pour vous donner un marqueur, moi, je suis arrivée ici en 2008 : il n’y avait pas l’eau chaude à la mairie. Voilà. Il n’y avait pas l’eau chaude à la mairie, […] les archives étaient pas triées, n’avaient jamais été triées et les employés communaux n’avaient pas leur CACES13 pour pouvoir conduire les machines. Et y’avait pas de structuration de services, et on fonctionnait avec des post-it, et y’avait pas d’informatique vraiment développée. C’était comme ça voilà. Et la station d’épuration était hors service, ensuite on a eu des problèmes d’eau on n’avait plus assez d’eau, à 40 km de Bordeaux. C’était un peu surréaliste. Et donc j’ai énormément bossé sur ce mandat pour mettre des structures, pour mettre des bases.
32D’après Céline L., le problème venait surtout du manque d’adaptation des municipalités successives aux évolutions démographiques de la commune dont la population a littéralement doublé en vingt ans. Les anciens maires, souvent salariés de l’usine de bois de la commune, n’avaient, selon elle, pas les capacités pour répondre aux nouveaux besoins et aux nouvelles attentes engendrés par ces évolutions démographiques.
[l’ancien maire n’] était pas adapté à la réalité du monde d’aujourd’hui […]. Aujourd’hui, il faut qu’un maire ait un minimum de culture générale. Et il était complètement déphasé par rapport aux nouvelles populations.
33Elle s’est donc comportée en véritable « manager » de l’équipe municipale, afin de maintenir ses colistiers motivés :
Parce qu’en fait vous savez, bon comment ça se passe une équipe municipale ? Moi les services ici je suis le patron, je suis le manager. Une équipe municipale c’est de la co-construction c’est comment vous faites pour que les gens aient envie de ne pas vous dire qu’ils sont fatigués ou qu’ils ont mal à la tête ou qu’ils vont rester devant leur canapé ou qu’ils ont leurs gamins à garder. Comment ils vont tenir six ans, toutes les cinq ou six semaines venir en conseil municipal, mais à faire de multiples commissions, à répondre, à lire des notes. […] J’estimais que j’étais une sorte d’enzyme, de catalyseur.
34Totalement dépourvue de ressources sociales localisées (arrivée récemment sur la commune et n’appartenant pas aux familles qui « comptent » localement), elle doit son parcours à ses compétences techniques et à son volontarisme. C’est également dans le secteur de l’éducation et de la jeunesse qu’elle a construit sa notoriété en tant qu’adjointe. Elle a notamment « réorganisé toutes les écoles », créé un centre de loisirs de grande ampleur (« le plus gros du canton ») et un orchestre pour enfants. Ces nombreuses réalisations, menées par une adjointe, profitables à l’ensemble des nouvelles populations (souvent des jeunes couples avec enfants), ont indéniablement participé à construire localement sa notoriété et sa réputation.
35Les capacités de modernisation et d’innovation qu’elle a mises en œuvre, d’abord en tant qu’adjointe, puis en tant que maire, sont particulièrement ajustées aux nouvelles attentes envers la municipalité résultant du mouvement de périurbanisation de la commune. Les évolutions sociodémographiques de Carbon ont contribué à dévaluer les ressources sociales traditionnelles du politique pour valoriser les compétences managériales correspondant à un système d’attentes renouvelées de la part des nouveaux habitants. En outre, les personnes susceptibles d’accorder de l’importance à l’autochtonie ou du crédit sur la base d’un patronyme local sont devenues très minoritaires.
36Ces nouveaux maires, dont la légitimation sur la scène politique locale est largement liée à la périurbanisation, correspondent assez rarement à des profils féminins puisqu’ils mettent en œuvre des compétences plutôt valorisées dans des métiers masculins (techniques, management, direction…). La sociologie des professions du point de vue du genre montre, en effet, qu’en dépit de l’élévation du niveau de diplôme et de la diversification des parcours scolaires pour les femmes, la ségrégation sexuée des professions se reproduit dans le temps, les hommes exerçant toujours plus souvent des métiers techniques, scientifiques et de pouvoir, et les femmes des professions liées à l’enseignement, à la santé et à l’assistance [Bereni et al. 2012]. Cela peut, en partie, expliquer qu’à taille de communes égales, les femmes sont moins souvent maires dans les communes périurbaines.
37Un troisième profil de femme maire se dessine dans les communes rurales de Gironde. Il s’agit d’un profil plutôt intermédiaire puisqu’il combine deux sources de légitimité : la détention de ressources sociales localisées et des compétences professionnelles convertibles dans l’espace politique local.
38Martine T., 51 ans, est maire d’une commune de 400 habitants. Elle a un parcours particulier puisqu’elle devient maire en 2008 sans jamais avoir été élue auparavant. Le contexte est ici central afin de comprendre cette élection qui pourrait apparaître a priori improbable.
- 14 Entre 1990 et 2012, le nombre de cadres et de professions intellectuelles supérieures est passé de (...)
39Sarlac est une petite commune historiquement viticole où 10 % de la population active vit encore de la viticulture. Elle a connu un dépeuplement à partir du début des années 1980, puis s’est progressivement repeuplée à partir de la fin des années 1990, mais dans des proportions assez limitées. Cela n’a pas bouleversé en profondeur la structure sociodémographique de la population, même si l’on observe tout de même une augmentation des catégories moyennes et supérieures pendant les vingt dernières années14.
40Martine T. dispose d’un ancrage local fort à Sarlac. Si elle n’est pas née sur le territoire communal, sa famille y est implantée depuis plusieurs générations :
Alors je suis née à L. parce qu’on naissait à l’hôpital, mais effectivement je suis originaire d’ici sur quatre générations parce qu’on est partis dans les archives sur quatre générations, mais à mon avis depuis plus longtemps. […] Mon père est né à Sarlac, ma grand-mère était née à Sarlac et mon arrière-grand-mère était aussi née à Sarlac. Après au niveau des naissances, on va pas très loin, faudrait que j’aille aux archives départementales. Mais je pense oui qu’on va un petit peu plus loin.
41Cet ancrage local fort est d’autant plus perceptible que ses ascendants exerçaient leur profession sur le territoire communal.
Alors, mon grand-père était carrossier à l’époque : son garage est toujours dans le centre de la commune, fermé depuis qu’il est mort, il est mort en 83 donc… C’est un local que mon père a hérité, mais il y fait juste un dépôt. Mon grand-père était carrossier, ma grand-mère restait à la maison. Ils avaient aussi quelques hectares de vigne, 2 ou 3 hectares de vigne. Et mon père est né à Sarlac, et quand il est revenu de l’armée il a rencontré ma mère qui était aussi originaire de Sarlac […] Et puis heu bah… ils se sont mariés, ils ont acheté une propriété sur Sarlac et ils ont été viticulteurs toute leur vie.
42Martine T. est donc issue d’une famille de propriétaires, mais également d’élus locaux. Son père était élu depuis 1977, d’abord comme conseiller municipal, puis comme maire (1989-2008). C’est lorsque sa santé déclinante l’a contraint à se retirer en 2008 que sa fille a eu l’idée de le « remplacer ». Pour autant, son choix de mener une liste dès sa première candidature n’est pas seulement dû à son statut d’héritière. Elle est déjà secrétaire de la mairie depuis 1982. Titulaire d’un certificat d’aptitude professionnelle « employée de bureau », d’un brevet d’études professionnelles « agent administratif », puis d’un baccalauréat, elle a ensuite participé à de nombreuses formations continues en droit grâce au Centre national de la fonction publique territoriale. Les savoir-faire administratifs étant très prisés dans les petites communes où l’essentiel des activités de maire s’y rapporte, elle paraît d’autant mieux prédisposée à exercer la fonction de maire qu’elle s’occupe des affaires communales depuis plus de vingt-cinq ans :
Alors comment je me suis retrouvée à la mairie ? J’ai été secrétaire de mairie ici de 1982 à 2008. Et heu mon père était conseiller municipal depuis 1977 et il a été élu maire de 1989 à 2008. Et il a eu des soucis de santé, des très gros soucis de santé. Il avait un adjoint sur qui il n’avait pas une totale confiance pour passer le flambeau. […] En plus il a un gros problème de surdité donc les réunions c’est vraiment pas facile. Donc il voulait arrêter, mais tout en étant sûr qu’il y aurait quelqu’un derrière qui prendrait la relève. Donc dans le conseil municipal il a proposé à plusieurs, mais personne n’en a voulu, puis un jour je lui ai dit : « Mais moi heu… ça fait 30 ans, enfin de nombreuses années que je suis là et je vais avoir des difficultés peut-être à travailler avec quelqu’un d’autre je sais pas ». Et sur une petite dispute amicale j’ai envie de dire il m’a dit : « T’as qu’à prendre la place, pourquoi tu prends pas la place ? », comme ça il a lâché ça un jour. Je dis : « Mais t’y penses même pas ! ». Il me dit : « Mais si, pourquoi pas ? ». Et puis c’est venu comme ça de fil en aiguille. Et le jour où il l’a dit y’avait deux, trois conseillers municipaux qui étaient présents et voilà ça a été le déclic. Et donc je suis passée de secrétaire de mairie à maire quoi, j’ai démissionné de mon métier ici en tout cas parce que j’étais secrétaire de maire intercommunale sur deux communes, donc j’ai laissé mon poste de secrétaire de mairie ici et je me suis présentée.
43À la lumière de ces éléments il est possible de dire que son élection relève d’une double logique : un héritage politique localisé et la détention de compétences administratives particulièrement prisées dans les petites communes.
- 15 Cette expression permet à l’origine de rendre compte des « contre-modèles de sexe » dans le cas de (...)
44Par ailleurs, il faut noter que, issue d’une « fratrie de filles », la succession patrimoniale et politique du père s’est effectuée au profit de celles-ci. Ainsi, en l’absence de garçons qui héritent traditionnellement des terres et des titres symboliques attachés, on observe un partage des activités professionnelles et publiques entre les deux filles, jouant ainsi le rôle de « garçons manquants »15.
Alors on est deux, ma sœur a repris la propriété, moi j’ai repris la mairie. […] Quand il a été malade, il a fallu prendre des décisions pour la propriété, du coup ma sœur qui est mariée avec un viticulteur a repris la propriété et moi j’ai repris la mairie. Ça s’est fait un petit peu comme ça.
45Cette répartition du patrimoine politique et professionnel entre les deux filles en l’absence de garçons rejoint les conclusions de Céline Bessière relatives à la transmission des exploitations familiales aux filles d’agriculteurs. Pour que l’héritage s’effectue au profit des filles, il faut qu’un certain nombre de conditions soient réunies et notamment « l’absence de concurrence mâle dans la fratrie, soit qu’il n’y ait pas de garçon du tout, soit que les garçons aient été disqualifiés de la reprise » [2010 : 95-96]. Ainsi, « c’est toujours faute de mieux, c’est-à-dire faute d’un repreneur masculin dans la fratrie, que les filles “s’intéressent” ou “s’investissent” dans l’exploitation familiale » [idem : 96].
46Ce profil permet de saisir comment l’élection de certaines femmes à la tête de mairie peut être le produit d’une forme d’hybridation entre différents types de ressources sociales valorisés localement dans certaines petites communes. Dans ce cas, cette élue a pu bénéficier d’un encrage familial important puisque son père a lui-même été maire et que sa famille est propriétaire, notamment de vignobles, sur le territoire communal. Toutefois, on ne comprendrait pas son élection en tant que maire sans prendre en compte le fait qu’elle détient par ailleurs des compétences administratives en gestion des affaires municipales d’une commune de cette taille.
47Nous avons mis en évidence trois profils de femmes maires bien différents à plusieurs égards. Les cas particuliers présentés sont des parangons qui renvoient à des profils plus généraux dont les caractéristiques, mises en évidence ici, sont plus ou moins partagées mais relativement proches. D’un côté, dans les communes rurales dont la population est plutôt stable, on observe des femmes maires qui construisent leur légitimité autour des qualités et des compétences symboliquement associées au genre féminin (proximité, care, entraide, social,…). Elles ont une conception de leur rôle essentiellement tournée vers le dévouement et la sollicitude. Elles mettent en œuvre des schèmes de perception plutôt différentialistes en concevant leur fonction comme le prolongement de leurs qualités supposées spécifiquement féminines. Dans le même temps, ces femmes s’appuient sur des ressources localisées très fortes qu’elles détiennent soit en propre soit par le biais du mariage. Elles sont ainsi toutes autochtones ou femmes d’autochtones, issues de familles ou de belles-familles qui « comptent » localement, c’est-à-dire de propriétaires terriens et de lignées d’élus. Elles ont, par ailleurs, une attitude peu assurée à l’égard du pouvoir, comme en témoigne leur réticence à assumer le leadership, notamment au moment de la campagne.
48D’un autre côté, un autre profil de femmes maire se distingue. Il s’adosse à une légitimité totalement détachée des ressources localisées traditionnelles en milieu rural. Récemment implantées et sans attaches familiales, ces femmes font valoir des compétences techniques en mettant en œuvre des pratiques tournées vers la rationalisation de la gestion municipale. Ces profils sont particulièrement ajustés à des contextes de périurbanisation qui se traduisent par un effacement progressif des catégories populaires au profit des classes moyennes supérieures venues des aires urbaines avoisinantes. Enfin, elles font montre d’un volontarisme politique important et d’une totale assurance vis-à-vis de leur fonction.
49Enfin, un profil intermédiaire peut-être identifié. Il correspond à des femmes maires qui disposent de ressources localisées fortes, issues de familles de propriétaires et d’élus communaux. Mais leurs carrières municipales seraient difficilement compréhensibles sans prendre en compte leurs compétences techniques issues de leur activité professionnelle. Disposant de savoir-faire administratifs convertibles dans la gestion des affaires municipales, elles semblent tout indiquées pour reprendre le flambeau, sous certaines conditions. Ce profil hybride a plutôt tendance à se déployer dans les communes rurales peu attirées par les aires urbaines, dont la population est plutôt stable et marquée par la présence des catégories populaires.
- 16 Ainsi, « les carrières singulières ne sont jamais analysables à partir d’un seul de ces canaux, ma (...)
50Encore une fois, les trois profils présentés sont des cas « idéaux » auxquels il ne faudrait pas réduire l’ensemble des cas observés. Il s’impose de considérer la multitude de variations entre ces trois cas16. Néanmoins, ils permettent de mettre en évidence deux grands pôles de légitimation qui se révèlent de manière différente selon les caractéristiques des territoires de la compétition municipale : un pôle du « dévouement et des ressources localisées » et un pôle « valorisant les compétences techniques ». Un troisième profil permet d’illustrer la possibilité de puiser au sein de ces deux pôles pour construire une forme de légitimité « hybride ».
51Nous aurions pu évoquer d’autres formes de sociabilités comme celles liées à l’école pour comprendre l’éligibilité de ces femmes. Cependant, il semble qu’il s’agisse plutôt d’un élément transversal, partagé par la plupart des femmes maires dans ces petites communes, et donc non différenciant du point de vue des profils présentés ici.
52Finalement, la présentation détaillée de ces trois cas doit permettre de saisir l’importance de contextualiser toute analyse portant sur les élus locaux. À défaut de regarder ce qui se passe en détail, on se prive de comprendre comment s’ajustent une trajectoire individuelle, des ressources – à la fois individuelles (professionnelles, associatives) et collectives (héritage politique, lignée locale) – avec les caractéristiques et l’évolution d’un espace.