Bernard Traimond, Anthropologue dans la Lande. Recueil d’articles
Bernard Traimond, Anthropologue dans la Lande. Recueil d’articles, Dax, Société de Borda, 2017, 258 p.
Texte intégral
- 1 Le livre s’ouvre sur un article intitulé « Voyage dans les Landes ou la traversée du Sah (...)
1Voici une réédition bien utile de travaux sur une région du Sud-Ouest qui constituerait plutôt un no man’s land. Utile parce que les études qui composent ce recueil, n’ont pas toujours paru dans les très légitimes publications scientifiques que sont Terrain ou Ethnologie française ou… Études rurales1, mais ont été souvent aussi accueillies dans un vaillant Bulletin de l’Institut aquitain d’études sociales, qui ne figure pas sur les rayons de toutes les bibliothèques. En rassemblant, ici, les travaux qu’il a consacrés aux Landes de Gascogne, travaux conduits à partir d’un terroir situé autour de sa maison des bois, à Garein (arrondissement de Mont-de-Marsan), Bernard Traimond chercherait-il à se construire un statut d’érudit local ? Pas seulement, et ce n’est pas une préciosité de titre que de s’affirmer Anthropologue dans la Lande et non pas simplement Anthropologue de la Lande.
- 2 Par ordre d’évocation : Bernard Traimond, 1988, Le pouvoir de la maladie. Magi (...)
- 3 Bernard Traimond, Les fêtes du taureau. Essai d’ethnologie historique, 1996, Bordeaux, A (...)
- 4 Bernard Traimond, Penser la servitude volontaire. Un anthropologue de notre pr (...)
2Professeur d’anthropologie à l’université de Bordeaux, l’auteur s’était plutôt fait remarquer par des interventions générales2 : sur la maladie, les supercheries ethnographiques, la fixation de l’orthographe française, l’économie politique, l’enquête ethnographique par magnétophone et des synthèses sur l’ethnopragmatique. S’il n’y avait son petit livre sur la corrida3 et un bilan de l’œuvre du grand Gérard Althabe4, on oublierait un peu qu’il s’est toujours voulu essentiellement anthropologue de l’Europe et, plus précisément, de cette région qu’il sillonne depuis de longues années et dont il manie le patois (il préfère parler à ce propos, à la suite d’un Girondin de marque, Robert Escarpit, de « langue civilisatrice » – ce qui ne va pas bien avec l’ethnologie, mais ne lui en dites rien).
3Bien que les textes de ce recueil, publiés sur une quarantaine d’années, concernent un espace précis, où l’on se plaît surtout de faire usage des sources locales, orales ou écrites, B. Traimond ne se prive pas de citer des auteurs généralistes de son temps, ou encore des auteurs intermédiaires, supra régionaux pourrait-on dire, comme Maurice Agulhon, Daniel Fabre ou Emmanuel Le Roy Ladurie. Dans leur sillage, il s’agit d’ailleurs d’étudier comment se forme une « région », à propos de ces Landes qui, avec leurs dunes évoquent d’abord un « vrai Sahara français » – l’expression est de Théophile Gautier –, c’est-à-dire un désert, au mieux une zone frontière, propre à être colonisée, aménagée, valorisée, ce qu’elle fut à la suite de grands travaux d’amendement lancés notamment sous le Second empire.
4On trouve aussi, comme il se doit, dans ce recueil des analyses des carnavals ou des courses « landaises » (qui se pratiquent avec des vaches et ne se concluent pas sur une mise à mort), des approches de la transmission de l’occitan (à partir de Leibniz, quand même), des formes de sociabilité et d’entraide récurrentes dans les régions méridionales, des monnaies enfin qui permettent autant de circonscrire un territoire que d’assurer l’échange avec l’extérieur.
5On notera cependant que ces études ponctuelles, volontiers appuyées sur des traits de folklore, font apparaître en toile de fond une révolution analogue à celle que décrit Marx dans le Livre I du Capital à propos des « enclosures » en Angleterre : il s’agit, ici, de la privatisation des collectifs de la forêt landaise (les propriétaires d’aujourd’hui devraient sentir le vent du boulet) au détriment d’une population de métayers et, spécialement de « résiniers », qui vivait de son exploitation. On l’a compris : si l’on doit chercher une base commune à ce recueil d’articles, c’est sans doute qu’il s’inscrit dans un territoire précis, la Lande de Gascogne, mais aussi qu’il propose un point de vue, celui d’un petit peuple indigène auquel l’auteur se sent d’appartenir.
6À partir de là, on peut voir s’ordonner en perspective toute une série de questions relevant en effet du « folklore », cette fois pensé au sens fort de ce terme (l’anarchiste Van Gennep est volontiers cité). L’eau et le feu sont sans doute ainsi des grands concepts bachelardiens, mais ce qui sort de ces marécages que l’on s’attache à assécher et ces incendies de forêts, pas toujours accidentels, c’est bien une lutte des classes. Les charivaris, ces rituels d’inversion qui marquent les carnavals ont été souvent étudiés dans cette perspective, mais le maintien d’une langue strictement locale, des cercles de sociabilités et d’assurance mutuelles, sont plus fréquemment lus dans une perspective communautariste que comme des bases de résistance à des pouvoirs locaux ou étatiques. La moins singulière de ces études n’est sans doute pas celle qui s’attache à analyser la fabrication et l’usage vernaculaire de fausses monnaies, soit quelque chose qui met singulièrement en question la plus sacro-sainte des prétentions régaliennes.
Notes
1 Le livre s’ouvre sur un article intitulé « Voyage dans les Landes ou la traversée du Sahara français », paru en 1986 dans le n°103-104 d’Études rurales (p. 221-234).
2 Par ordre d’évocation : Bernard Traimond, 1988, Le pouvoir de la maladie. Magie et politique dans les Landes de Gascogne, 1750-1826, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux (PUB) ; 2000, Vérités en quête d’auteurs. Essai sur la critique des sources en anthropologie, Bordeaux, William Black & Co ; Une cause nationale : l’orthographe française. Éloge de l’inconstance, Paris, Presses universitaires de France (« Ethnologies ») ; 2011, L’économie n’existe pas, Lormont, Le Bord de l’eau ; 2008, L’anthropologie à l’époque de l’enregistreur de paroles, Bordeaux, William Black & Co ; 2014, La mise à jour. Introduction à l’ethnopragmatique, Pessac, PUB ; 2016, Qu’est-ce que l’ethnopragmatique ?, Pessac, PUB.
3 Bernard Traimond, Les fêtes du taureau. Essai d’ethnologie historique, 1996, Bordeaux, AA Éditions.
4 Bernard Traimond, Penser la servitude volontaire. Un anthropologue de notre présent, Gérard Althabe, 2012, Lormont, Le Bord de l’eau. Celui-ci affirmait aussi très haut faire de l’anthropologie « dans » la ville et non pas de l’anthropologie « de » la ville.
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Référence papier
François Pouillon, « Bernard Traimond, Anthropologue dans la Lande. Recueil d’articles », Études rurales, 201 | 2018, 248-249.
Référence électronique
François Pouillon, « Bernard Traimond, Anthropologue dans la Lande. Recueil d’articles », Études rurales [En ligne], 201 | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2018, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/13132 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.13132
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