Alessandra Corrado, Carlos de Castro et Domenico Perrotta (dir.), Migration and Agriculture. Mobility and change in the Mediterranean Area
Alessandra Corrado, Carlos de Castro et Domenico Perrotta (dir.), Migration and Agriculture. Mobility and change in the Mediterranean Area, Londres et New York, Routledge, 2016, 346 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage collectif aborde la question des transformations de la production agroalimentaire en Méditerranée dans le contexte de la mondialisation. La focale y est mise sur une dimension souvent négligée dans les analyses des processus de restructuration productive en cours : celle du travail. L’ouvrage rassemble les résultats de dix-huit recherches menées dans diverses régions et secteurs productifs de l’aire méditerranéenne, qui prennent toutes pour objet l’articulation des conditions de travail, des dynamiques migratoires et des processus de restructuration de la production de l’agriculture intensive et exportatrice.
2La principale thèse défendue est que l’emploi de main-d’œuvre migrante – notamment dans les phases de production et d’emballage – constitue un élément clé de la reconfiguration en cours de la production, de la distribution et de la consommation de produits alimentaires à l’ère de « la révolution des supermarchés », marquée par le contrôle accru de la distribution dans les filières (global chains).
- 1 À l’exception notable de l’ouvrage dirigé par J. Gertel et S. R. Sippel, Seaso (...)
- 2 Voir H. Friedmann et P. McMichael, « Agriculture and the state system: the rise and fall (...)
3La plupart des contributions sont basées sur de riches travaux ethnographiques, soulignant la valeur heuristique des études localisées pour mieux comprendre les dynamiques et les processus qui opèrent à l’échelle globale. Cette dialectique global/local, appréhendée finement dans l’étude des rapports entre les différents acteurs et maillons de la chaîne, permet de saisir la complexité des changements dans les enclaves de production agricole en Méditerranée. En effet, ce livre est une de rares initiatives qui abordent ces questions à l’échelle méditerranéenne1. Ses auteurs se trouvent face à la difficulté de développer une analyse régionale d’un territoire divisé par l’histoire coloniale et le « jeu » des rapports Nord/Sud. Cependant, le choix traiter les mobilités et les régulations des travailleurs, travailleuses et des capitaux permet précisément de saisir les interrelations entre les deux rives de la Méditerranée et d’appréhender l’intégration différenciée des territoires dans le système agroalimentaire mondialisé. La proposition d’Alessandra Corrado (qui a coordonné l’ouvrage) de mobiliser la théorie des régimes alimentaires2 pour analyser ces transformations pose les bases d’une histoire du capitalisme agraire dans la région et ouvre une piste de recherche inexplorée.
4Les questions abordées dans l’ouvrage sont multiples. Néanmoins, je voudrais retenir ici ce qui me semble être ses quatre apports essentiels. Y est d’abord montré, sur la base d’un riche matériau empirique, comment les processus de division sexuelle, ethnique et statutaire des marchés de travail construisent une force de travail précaire, flexible et in fine bon marché, utilisée comme variable d’ajustement dans un environnement concurrentiel avec de fortes exigences de qualité. Observées dans différentes études de cas, les stratégies de fragmentation de la force de travail en fonction de son origine et les processus de substitution ethnique mis en place, afin de réduire la capacité de négociation et de mobilisation de la main-d’œuvre, confirment l’intégration du racisme, articulé à des asymétries juridiques et de genre, dans l’organisation sociale du travail et les relations professionnelles au sein de cette agriculture. Ensuite, l’ouvrage souligne avec raison le rôle des États, des politiques publiques et de la géopolitique dans le développement de ces agricultures et notamment, dans la construction de leurs marchés du travail. Plusieurs chapitres montrent, par exemple, l’impact des politiques migratoires sur le fonctionnement du marché de l’emploi et leur rôle dans la construction de la vulnérabilité des ouvriers et ouvrières, que ce soit dans le cas des programmes de migration temporaire « légale » (en Espagne ou en France) ou dans celui de séjours illégaux de travailleurs (en Grèce ou en Espagne) dans un contexte de politiques extrêmement restrictives qui ne se caractérisent pas seulement par l'empêchement des entrées mais aussi par l'assignation de statuts juridiques précarisants qui assurent l'adéquation de la main-d'œuvre étrangère aux exigences des modèles de production agricole analysés.
5Enfin, ce livre met en relief l’importance des coûts sociaux que cette agriculture de firme mondialisée fait reposer sur les différents acteurs présents dans les enclaves étudiées. On perçoit ainsi mieux les difficultés rencontrées par les petites exploitations d’Europe du Sud pour survivre face aux pressions exercées en amont comme en aval de la chaîne. On comprend comment ces petites structures se sont résolues à recourir au crédit, à l’auto-exploitation de la main-d’œuvre familiale et à l’exploitation de la force de travail migrante. Les contributions concernant l’Afrique du Nord mettent en évidence l’intégration de ces territoires dans les filières et l’accaparement des ressources par des entreprises étrangères et par les élites locales. Il serait, ici, intéressant d’enrichir l’analyse en y incluant la question de la reproduction, tant des économies familiales paysannes des pays du Sud global (de plus en plus marginalisées et dépendantes de la vente de leur force de travail sur le marché national et/ou international), que du salariat agricole stricto sensu dans un contexte de dégradation accrue des conditions d’emploi, de travail et de vie imposée dans ces bassins de production intensive.
Notes
1 À l’exception notable de l’ouvrage dirigé par J. Gertel et S. R. Sippel, Seasonal workers in Mediterranean agriculture. The social costs of eating fresh, publié en 2014 par Routledge.
2 Voir H. Friedmann et P. McMichael, « Agriculture and the state system: the rise and fall of national agricultures, 1870 to the present », Sociologia Ruralis, 1989, n° 29 (2), p. 93-117 et P. McMichael, « Global development and the corporate food regime », in F. H. Buttel et P. McMichael (dir.), New directions in the sociology of global development. Research in rural sociology and development. Amsterdam et Londres, Elsevier, 2005, p. 269-303.
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Référence électronique
Juana Moreno Nieto, « Alessandra Corrado, Carlos de Castro et Domenico Perrotta (dir.), Migration and Agriculture. Mobility and change in the Mediterranean Area », Études rurales [En ligne], 201 | 2018, mis en ligne le 01 juillet 2018, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/13104 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.13104
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