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« Berger, point barre »

Jalons pour une redéfinition pastorale de l’élevage bas-alpin
“Shepherd, period”. Markers for a pastoral redefinition of sheep farming in France’s Alpes de Haute Provence
Lucie Dupré, Jacques Lasseur et Julia Sicard
p. 218-239

Résumés

Cet article est consacré à l’analyse d’une figure singulière de l’élevage méditerranéen que l’on observe depuis les années 2000, celle des éleveurs ovins pastoraux dans les Alpes du Sud. Après avoir souligné la spécificité des parcours biographiques de ces derniers, nous montrons en quoi leur rhétorique professionnelle se cristallise autour de trois éléments : la nécessité de l’herbe pour le troupeau, comme lieu de vie et comme mode d’alimentation, la passion et la liberté. Nous analysons la façon dont les éleveurs pastoraux objectivent leurs pratiques, les confrontant à celles des éleveurs agropastoraux qui incarnent la norme locale. Faisant valoir un point de vue original sur le troupeau, critiquant certaines pratiques des agropastoraux et revendiquant leur proximité avec les bergers, ils font valoir une façon originale de s’engager dans les activités d’élevage. Notre analyse vise à poser quelques jalons dans l’analyse de ce modèle émergent, qui nous aide à comprendre les enjeux et les dynamiques de renouvellement de l’élevage bas-alpin.

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Texte intégral

Éleveur pastoral avec son troupeau dans les Alpes de Haute-Provence.

Éleveur pastoral avec son troupeau dans les Alpes de Haute-Provence.

Photo : Pascal Bonnet

  • 1 La réflexion que nous proposons ici est la poursuite et l’affinement d’une première analyse visant (...)
  • 2 Les expressions « élevage pastoral » et « élevage agro-pastoral » renvoient aux catégories technic (...)
  • 3 Ce travail a été conduit dans le cadre du projet de recherche MOUVE financé par l’Agence nationale (...)

1« Moi, je ne suis pas complexé, je me dis berger. Berger, point barre ». « Moi, je suis bergère ». « Je suis éleveur-berger ». C’est en ces termes que des éleveurs pastoraux des Alpes de Haute-Provence répondaient à la question qui leur était posée en fin d’entretien les invitant à indiquer la façon dont ils s’identifiaient1. Ces « formes d’appellation de soi » [Dubar 2007 : 19] ont en commun de mentionner le terme « berger ». Elles renvoient à une figure professionnelle qui s’affirme depuis une vingtaine d’années dans les Alpes du Sud, l’éleveur pastoral2 qui nourrit toute l’année son troupeau au pâturage. Toute identification, ici professionnelle, est grandement « affaire de langage » [ibid. : 23]. Elle demande donc à prendre au sérieux les pratiques discursives visant à mettre en mots la façon dont chacun définit sa place et son activité. Les identifications professionnelles reposent sur ce que C. Dubar appelle, à la suite des pragmatistes américains, une transaction biographique et relationnelle [ibid]. Celle-ci est le produit de deux dynamiques et ensembles d’interactions. La première se réfère à une trajectoire sociale et professionnelle ; la seconde à une activité réflexive qui s’opère depuis la place occupée dans un monde professionnel donné, et en référence aux « autres » qui le peuplent. Les « actes d’appartenance » vont donc de pair avec des « actes d’attribution » [Dubar op. cit.], qui concourent à désigner des « autres ». En effet, la définition de soi ne va pas sans celle d’une certaine altérité, l’une et l’autre se construisant en référence à des hautes figures professionnelles connues de tous, dans un contexte régional donné. Nous faisons l’hypothèse dans cet article3 que l’analyse de ces formes d’identification de soi nous offre quelques jalons pour saisir les spécificités et les enjeux de l’élevage pastoral, tout en donnant à voir et à penser les dynamiques actuelles présidant au renouvellement de l’élevage bas-alpin.

2Dans les Alpes du Sud, la prépondérance de l’élevage ovin pour la production de viande s’est affirmée au cours du xxe siècle, en substitution à un système de polyculture-élevage et au détriment de l’élevage bovin laitier. Depuis les années 1980, face à une ouverture des marchés et à une baisse des cours de la viande ovine, et conséquemment à la mise en place des dispositifs agri-environnementaux prévus dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC), une réorientation de l’élevage vers une forme pastorale a été observée [Garde et al. 2014 ; Aubron et al. 2015]. Actuellement, deux grands systèmes d’élevage ovin sont présents sur le territoire : l’agropastoral et le pastoral. Le premier a constitué jusqu’à récemment une sorte de norme locale, que René Dumont avait d’ailleurs préconisée à sa façon en 1954 avec une formule lapidaire : « le tracteur et 200 brebis » [1954 : 452]. L’élevage agropastoral se fonde aujourd'hui sur des troupeaux d’environ 400 têtes et combine le pâturage à la production et au stockage de fourrage destiné à nourrir le troupeau l’hiver en bergerie. Les éleveurs pastoraux, quant à eux, ont de gros troupeaux (au-delà de 400 et jusqu’à 2 000 têtes), essentiellement nourris au pâturage tout au long de l’année. L’augmentation de la proportion des troupeaux de grande taille (supérieure à 500 brebis), voire de très grande taille (supérieure à 1 000 brebis) est un trait marquant de l’évolution de l’élevage ovin des Alpes du Sud au cours des vingt-cinq dernières années. Elle est liée au système de prime à la brebis instaurée par la PAC entre 1992 et 2000. En 1993, 21 % du cheptel des départements des Alpes du Sud concernaient des troupeaux de plus de 500 brebis, contre 37% en 2010 (tableau 1). Entre 2000 et 2010, ces gros élevages se sont mieux maintenus en activité que ceux de taille plus modeste, de type agropastoral. Exceptionnels au début de cette période, les troupeaux de plus de 1 000 têtes représentent 16 % du cheptel ovin en 2010.

Tableau 1. Évolution de la proportion des troupeaux de grande taille (départements des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes) et importance relative de leur cheptel (1993-2010)

Tableau 1. Évolution de la proportion des troupeaux de grande taille (départements des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes) et importance relative de leur cheptel (1993-2010)

Sources : fichier de déclaration pour l’obtention des primes compensatoire ovine (1993 et 2001), recensement agricole (2000 et 2010).

3Élevage pastoral et agropastoral ont en commun la pratique de l’estive dans les montagnes alpines mais se distinguent par l’alimentation hivernale du troupeau. Alors que les éleveurs agropastoraux passent l’hiver dans la vallée alpine avec le troupeau en bergerie, les éleveurs pastoraux, toujours à la recherche d’herbe, descendent dans les plaines méditerranéennes de la Crau et du Var : c’est ce qu’on appelle la transhumance hivernale ou inverse, par opposition à la transhumance estivale qui consiste à conduire le bétail vers des pâturages d’altitude. Cette pratique de la double transhumance a permis aux éleveurs de troupeaux de très grande taille de limiter les besoins en fourrage en ayant recours pour le pâturage hivernal à des terres en location annuelle ou sous convention pluriannuelle. Alors que tous les éleveurs sont propriétaires de leurs troupeaux et d’une grande part des terrains, hérités et /ou achetés progressivement autour du siège d’exploitation dans la vallée alpine, ils louent les autres pâturages ou parcours situés en montagne comme en plaine (tableau 2).

Tableau 2. Caractéristiques des systèmes d’élevage de référence pour les Alpes de Haute-Provence

Tableau 2. Caractéristiques des systèmes d’élevage de référence pour les Alpes de Haute-Provence
  • 4 . Il peut toutefois, dans une perspective d’installation, posséder quelques bêtes qu’il garde avec (...)
  • 5 Voir M. Didier, « Les bergers, prolétaires de l’élevage », Le Monde diplomatique, août 2015, p. 10 (...)

4En Provence, l’élevage s’exerce sous deux statuts : éleveur et berger salarié. L’un et l’autre renvoient à deux hautes figures professionnelles inégalement explorées. Celle du berger a été fort bien et depuis longtemps documentée en sciences humaines [Brisebarre 1978 ; Ravis-Giordani 2001 ; Jean-Brunhes Delamarre 1970 ; Brisebarre et al. 2009 ; Beaumont 2009 ; Lebaudy 2016 ; Moneyron 2003 ; Meuret 2010 ; Lécrivain 2007]. Éleveurs et bergers exercent différemment l’élevage. Tout d’abord, ils n’exercent pas exactement le même métier : si l’éleveur peut garder le troupeau au pâturage, le berger reste le spécialiste de la garde, mais n’intervient pas dans la gestion de l’exploitation agricole (prise de décision, gestion administrative et financière, renouvellement du troupeau), laquelle incombe exclusivement à l’éleveur. Par ailleurs, l’éleveur est un chef d’exploitation, c’est-à-dire qu’il dispose d’un certain capital (troupeau, foncier, bâtiments agricoles), qui constitue une exploitation agricole. Le berger, quant à lui, s’engage dans le métier en tant que salarié (dans le meilleur des cas), c'est-à-dire avec sa seule force de travail : il n’est propriétaire ni de terres, ni de bêtes4, ni de bâtiments. Si son savoir est de plus en plus reconnu et ses conditions de travail commencent à s’améliorer, il est encore souvent décrit comme « un prolétaire de l’élevage »5. Cette tension entre « être berger » et « être éleveur », (autrement dit « avoir une exploitation ») opère une hiérarchie forte dans les activités d’élevage. Le chef d’exploitation reste un idéal statutaire alors que le salariat agricole demeure une étape intermédiaire conduisant possiblement vers l’installation [Madelrieux et al. 2009]. De fait, si on les réduisait à leur statut de salarié, les bergers apparaîtraient comme une figure mineure de l’élevage renvoyant avant tout à une situation ni choisie ni enviée, ni du reste enviable témoignant d’une absence de capital, de chance, de moyens ou de tout cela à la fois – bref une figure pour le moins « complexée » socialement et professionnellement – ce qui n’est pas le cas de notre « berger, point barre » ainsi qu’il prend soin de le préciser. On pressent sans doute mieux désormais que pour un éleveur, se dire « berger point barre » ou « éleveur-berger » est un acte d’appartenance lourd de sens. Pourquoi se dire « berger » quand on est chef d’exploitation ? En quoi cette revendication peut-elle nous permettre de poser quelques jalons sur le renouvellement de l’élevage bas-alpin ? Nous commencerons par revenir sur les trajectoires professionnelle et sociale de ces éleveurs pastoraux, puis nous analyserons leur rhétorique professionnelle en montrant comment ils interprètent le dogme modernisateur agricole d’une façon pour le moins singulière : d’un côté, spécialisés et « agrandis » ils sont en accord avec ce dernier ; de l’autre, ils s’en éloignent par leur choix en matière d’alimentation du troupeau et se rapprochent du berger, dont ils épousent l’ethos et la culture.

Avoir été berger et devenir éleveur

5Nous nous intéressons aux trajectoires professionnelles des éleveurs pastoraux en prenant appui sur deux situations : celle du couple de A. L. et de A. A. pareillement passés par la « case berger », mais qui se distinguent par les rapports bien différents qu’ils entretiennent avec le monde de l’élevage. Le couple A. L. illustre parfaitement le processus d’entrée dans l’élevage en dehors de toute filiation familiale. Sans aucun capital de départ, ils se « sont faits bergers » dans les années 1970, avant de s’installer quelque temps plus tard : 

Tu démarrais chez un éleveur, tu commençais avec 15-20 bêtes, tu augmentais ton cheptel. [Comme] éleveur, plus tu avais de brebis, moins tu étais rémunéré mais t’apprenais le métier, il te mettait le pied à l’étrier ! Après quand tu avais un troupeau viable de 150-200 bêtes […], tu t’installais et tu démarrais, tu pouvais travailler !

6Différente est la trajectoire de A. A., un éleveur fils d’éleveur. Dans les années 1980, à 16 ans, il tente de s’installer alors que son père est encore à la tête de l’exploitation familiale. Faute de foncier suffisant, son projet n’est soutenu ni par les aides à l’installation ni par les primes de la PAC, ce qui le conduit à renoncer (temporairement) à ce qu’il présente comme une « passion » :

J’étais passionné, mais j’avais pas la place de m’installer. Je me suis installé deux fois, une fois à 16 ans très jeune, je suis resté une dizaine d’années, non même pas 7-8 ans, après j'ai été obligé de vendre parce que je n’avais pas ma place. C’était au départ des primes, au départ des primes [à la surface], j'avais pas le droit nulle part, j’étais herbassier, je n'avais que des moutons…

7Le voilà donc berger mais « malgré lui » :

Berger l’hiver pour des gens avec mes brebis et j’étais berger l'été pour des gens avec mes brebis. J’étais employé par des éleveurs pour garder leur troupeau, tout en gardant mes quelques brebis, ce qui faisait que je n’avais pas les montagnes à mon nom et je n’avais pas d’herbe et je ne pouvais pas justifier d’un mètre carré d’herbe… En fait, ils [les éleveurs] me nourrissaient mes brebis, et moi je faisais le boulot ! Et moi, j’y allais avec mes agneaux, mais sans primes. Qu’est-ce que tu voulais que je fasse avec mes agneaux ? J'y arrivais plus ! Donc je n’ai pas voulu manger la baraque, j'ai vendu ! Comme j’ai deux mains, je suis allé faire autre chose. J’ai gagné des ronds et ça m’a permis d’acheter des moutons.

  • 6 Ce statut renvoie à une diversité de situations foncières : herbassier en mouvement permanent, stab (...)

8Cet éleveur fait référence à l’herbassier, un type d’éleveur que l’on trouve en Provence et en Languedoc. Jusque dans les années 1980, l’herbassier était en continuel déplacement pour nourrir son troupeau, dont il est propriétaire [Labouesse 1982 ; Molénat et al. 2003]. Aujourd'hui, de plus en plus sédentarisé6, il doit faire face à une grande précarité foncière [Roy 2012] : c’est un éleveur sans terre qui se situe entre le berger avec lequel il partage les savoirs et l’éleveur dont il a le statut mais pas le capital foncier.

9Dans ces deux trajectoires, le salariat a été transitoire, mais il a renvoyé à des dynamiques professionnelles opposées. En effet, d’une part, il constitue une rampe d’accès au monde de l’élevage (monter un troupeau, acquérir de l’expérience, se doter d’une base foncière, se faire connaître), autrement inaccessible faute d’ascendance agricole et, de l’autre, une porte de sortie et une mise à l’écart de ce même monde de l’élevage, dont l’éleveur était pourtant héritier, mais trop petitement pour pouvoir s’installer. Il le réintégrera bien plus tard, avec une solide expérience professionnelle – et accessoirement un bas de laine pour acheter des moutons et des terres. La relation salariale s’en trouve dotée d’une signification subjective différente. D’un côté, désiré et choisie, elle s’est finalement substituée aux liens familiaux – le salariat est un moyen d’accéder au métier par installation « hors cadre familial » [Dupré 2010]. Il accompagne un processus de capitalisation en moutons, en argent et en sociabilités professionnelles. De l’autre, la subordination caractérise une expérience s’apparentant clairement à un déclassement professionnel (échec à l’installation alors même que A. A. était fils d’éleveur), se réduisant à un travail « pour les autres ». Dans cette trajectoire-ci, la capitalisation (en argent cette fois) s’est opérée hors du monde de l’élevage. Les parcours biographiques de ces éleveurs ont un autre point commun : ils ont eu assez tôt et durablement à défendre leur projet contre diverses institutions : la famille, puis l’administration agricole qui refusa d’appuyer les projets d’installation qui ne respectaient pas la norme agropastorale enseignée localement, et enfin les politiques publiques n’incluaient qu’imparfaitement les éleveurs sans terre au système de primes. L’accès au statut d’éleveur a consacré leur position sociale et professionnelle : après avoir travaillé « pour les autres », les voilà devenus « employeurs » de bergers, eux qui négociaient la possibilité de garder quelques moutons leur appartenant avec le troupeau qui leur était confié, en prennent désormais en pension pour des voisins. Selon la même procédure dont certains ont bénéficié, ils peuvent aujourd’hui à leur tour « faire installer » leurs bergers et contribuer à renouveler, de leur point de vue, ce monde de l’élevage. Ils y font valoir un système bien particulier sur lequel nous allons maintenant revenir.

Des éleveurs pastoraux « agrandis » et spécialisés

10Pour ces éleveurs, l’installation marque le début d’une nouvelle trajectoire professionnelle caractérisée par l’agrandissement et la spécialisation des activités. Ces deux dynamiques, encouragées par les chambres d’agriculture et les services dédiés à l’accompagnement des activités d’élevage, renvoient à une forme d’excellence largement promue par le programme de modernisation agricole française impulsée dans les années 1960. Dans la rhétorique professionnelle des éleveurs pastoraux, la spécialisation apparaît associée à la passion et à la liberté.

Passion et spécialisation

11Les éleveurs pastoraux sont non seulement spécialisés – et certains n’hésitent pas à le rappeler –, se singularisant des éleveurs agropastoraux parfois tournés vers l’agrotourisme pour sécuriser leurs revenus (« Moi, je n’élève pas des Hollandais ! », relève A. A.), mais ils ont de « gros, gros troupeaux ». La passion pour le mouton – que ces éleveurs partagent – s’est traduite par la spécialisation (par refus de la diversification) qui a les a poussés à augmenter leur cheptel. Ces gros effectifs, ils n’en ont pas hérités mais les ont constitués eux-mêmes, éventuellement à partir d’un petit cheptel familial reçu en héritage, à l’instar de A. A., aujourd'hui à la tête de 2 000 bêtes. Bénéficiant d’opportunités foncières, celui-ci a agrandi son troupeau et acquis de nombreux terrains agricoles rapidement sans rencontrer trop d’obstacles ni en montagne, ni en plaine : 

Dans la famille, j’étais le seul qui avait la passion. J’ai repris les 250 moutons de mon père. Je suis tombé à une bonne période, y’a pas mal de gens qui ont arrêté, des personnes âgées, et ça s’est trouvé que j’ai racheté beaucoup [de terres]. 

12La pratique de la transhumance hivernale en plaine littorale a offert une alternative à la mécanisation de l’exploitation agricole qui, autrement, aurait été nécessaire à la production du fourrage pour l’hiver. Ces éleveurs « agrandis » ne doivent (presque) rien à personne, et leur (gros) troupeau est d’autant plus objet de leur fierté qu’ils l’ont « monté eux-mêmes », souvent « contre » l’entourage notamment familial : « Pour un vieux, un gros troupeau, ce n’est plus gérable, c’est un autre monde », estime A. A. Agrandissement et spécialisation consacrent l’accomplissement statutaire opéré à l’installation et marquent le point d’orgue d’une dynamique professionnelle qui leur a permis de s’élever socialement et professionnellement, passant d’un état de « petit » (berger) à celui de « grand / gros » (éleveur). Ils insistent bien sur cette distance sociale et professionnelle parcourue en dépit des obstacles rencontrés : « J’étais le plus petit et le dernier qui suis arrivé sur la commune, ça s’est trouvé que bon, sur la commune on est sept aujourd’hui. Mais y’en a qui n’ont jamais agrandi et, bizarrement, moi aujourd’hui, je n’ai pas besoin de chercher des terres. C’est les gens qui me les amènent ! », constate A. A. Le premier de ces obstacles a été l’absence, non pas tant d’un capital foncier, que de l’usage régulier et reconnu de pâturages, condition nécessaire pour prétendre aux primes : « Je n’avais pas de terre à mon nom », précise A. A., qui « maintenant, [occupe] deux montagnes ». C’est en des termes aussi clairs que forts que ce dernier analyse son itinéraire :

J’ai l'impression de prendre ma revanche ! […] Quand on arrive en haut [dans la vallée, depuis la plaine] avec plus de 3 000 brebis, ça ne plaît pas à tout le monde, je parle de tous mes voisins éleveurs [agropastoraux] ! Ça leur met un peu la pression quand même !

13Ces éleveurs pastoraux occupent une place singulière face aux éleveurs agropastoraux, dont ils pointent l’altérité pour mieux revendiquer leurs propres spécificités. Ils sont devenus « gros » car ils étaient « passionnés » ; ils sont devenus gros et spécialisés mais ils sont restés – voire sont devenus – « libres », comme ils le disent.

Une liberté décisionnelle, technique et économique

14La liberté est souvent associée au monde agricole et au statut de chef d’exploitation (faire ses propres choix, être son propre patron, travailler pour soi), par contraste avec le statut de salarié (travailler pour les autres). Mais depuis une quinzaine d’années, cette liberté tend à se réduire de tous côtés, et l’agriculture apparaît davantage comme un métier dont le niveau de contraintes – notamment liées aux investissements et aux emprunts allant de pair avec l’agrandissement – ne fait qu’augmenter, contribuant à une « catastrophe sociale et anthropologique » [Bitoun et Dupont 2016]. Ainsi, alors que d’une façon générale, l’agrandissement s’accompagne de nombreuses contreparties, les éleveurs pastoraux rendent compte d’une tout autre situation. Leur système repose sur une adéquation entre la taille du troupeau, la place disponible en bergerie et la capacité à produire et à stocker du fourrage pour l’hiver. Un gros troupeau y est donc difficilement concevable – sauf à avoir plusieurs grosses bergeries et un stock fourrager suffisant (et des investissements en conséquence). Dans un système entièrement pastoral, il apparaît, au contraire, synonyme de liberté et d’esprit d’entreprise, que les éleveurs lient, une fois encore, à la passion. « Ils [les agro-pasteurs] n’ont jamais eu l’ambition d’avancer, ils ne le font pas par passion le métier, moi je pense ! Euh, ils le font parce qu’il faut qu'ils le fassent », analyse A. A. Libérés des contraintes de place en bergerie, les éleveurs pastoraux estiment non seulement que le gros troupeau n’est pas un handicap mais qu’il offre une flexibilité qui sécurise les activités d’élevage, comme le précise A. A. :

  • 7 Distributeurs d’aliments installés en bergerie.

Le nombre, nous, ça ne nous gêne plus. Moi aujourd'hui, il me faut aller en montagne avec 300 agneaux de plus, ce n’est pas un problème. Moi, l’hiver, si j'ai 300 agneaux de plus que prévu, ce n’est pas gênant. Eux [les agro-pasteurs], si ils ont 50 bêtes de plus, ils sont dépassés, ça va plus aux caisses7, ça fait plus assez de grain, ça fait plus assez de foin. Et puis bon, ils sont tous tenus par des contrats : il ne faut pas semer ci, il ne faut pas semer ça, il ne faut pas labourer… Je ne sais pas comment ils font… Après moi, je ne peux pas prévoir sur 20 ans quoi, je ne suis pas coincé, tu vois ce que je veux dire… Moi je ne peux pas, quoi, il faut que je sois libre quoi !

15Cette liberté, les éleveurs pastoraux la revendiquent. Ils insistent sur la possibilité qu’ils ont de s’adapter à des situations imprévues, que les agro-pasteurs, « tenus », semblent avoir perdue. L’autonomie décisionnelle, technique et économique (comment faire, quand et à qui vendre), est fortement mise en avant, tant dans la conduite des animaux qu’au regard des contraintes qui pèsent sur les activités de mise en culture des terres. Cette autonomie ne s’apparente en rien à un isolement professionnel mais à la redéfinition des ressources à mobiliser. « Moi, dit l’ancien berger A. L., quand j’ai un problème, c’est à mon berger que j’en parle » – on notera au passage que le berger est ici considéré non seulement comme un pair mais comme un expert. « Moi, c’est mon banquier qui me dit si ça passe et ce que je dois faire [vendre ou pas des bêtes] », précise A. A., fort de son capital en espèces bêlantes et moutonnantes. Alors que les agro-pasteurs se tournent vers leur conseiller agricole, c’est leur banquier que les éleveurs pastoraux sollicitent. C’est ce dernier qui les oriente sur la détention de leurs cheptels, leurs capitaux, en un mot, leur aver (dénomination du « troupeau » en provençal), autrement dit leur avoir.

16Dans le paradigme modernisateur, « être gros » est valorisé, mais dans les Alpes, la taille « normale » est celle du troupeau d’un élevage agropastoral, soit environ 350-400 têtes. Les éleveurs agropastoraux ne manquent d’ailleurs pas de faire valoir, au cours des entretiens, un point de vue critique sur les gros troupeaux. Ils pointent ainsi l’impossibilité de gérer convenablement de tels effectifs, dénonçant une gestion à l’opposé de celle qu’ils valorisent, qui consiste à entretenir un capital patrimoine familial [Lasseur et al. 2014 ; Lémery 2003]. Les « gros » ne peuvent faire que « du gros » ; ils ne peuvent pas « soigner » les parcours (c’est-à-dire bien faire pâturer, « faire propre »), ni entretenir un patrimoine foncier ou immobilier (granges, bergeries, hangars…), faute d’être présents toute l’année dans la vallée. Débordant des cadres et des normes de l’élevage établis localement, ils sont présentés comme ne prenant pas soin du petit héritage qu’ils ont parfois reçu. Les éleveurs pastoraux seraient « expansionnistes », « trop gros » et leur troupeau livré à lui-même : « bon courage pour les trouver, il [l’éleveur] ne sait même pas où sont ses brebis, c’est la grande cavalerie », pointe M. B., un agro-pasteur de la vallée. La rhétorique professionnelle des éleveurs pastoraux pourrait laisser penser qu’ils ont choisi un modèle entrepreneurial conforme au dogme modernisateur. Or ils ont aussi misé sur le pâturage, un mode d’alimentation qui n’a pas été, loin s’en faut, le mot d’ordre de la modernisation et de l’excellence agricoles [Vissac et Leclerc 2002 ; Dupré et al. 2015]. Défendant la formule « que de l’herbe, tout dehors », ils revendiquent, tout éleveurs installés qu’ils sont, ce qui relève de la culture et de l’ethos du berger [Lasseur et Dupré 2016].

La culture et l’ethos du berger

17La figure du berger ne se réduit pas à celle d’un éleveur en attente ou à une figure mineure de l’élevage. En effet, en Provence, les bergers se caractérisent par une culture propre de plus en plus reconnue et valorisée. C’est cette dernière, organisée autour de l’herbe, que les éleveurs pastoraux revendiquent.

« Que de l’herbe »

  • 8 En 2014, une étude conduite auprès de ces mêmes éleveurs a permis de qualifier et de quantifier de (...)

18Le système pastoral repose très fortement sur la nécessité de « faire de l’herbe ». L’expression désigne la coordination dans le temps et dans l’espace visant à mettre à disposition du troupeau les ressources fourragères qui lui sont nécessaires aux différents moments de l’année. On peut y voir l’extension à l’échelle annuelle du travail quotidien et estival du berger. Le pâturage ne concerne pas seulement les ressources naturellement renouvelables, présentes dans les sous-bois, les prairies permanentes, les bords de route, les regains des champs ou les estives. L’éleveur est parfois amené à cultiver des terres (qu’il a en location ou en propriété) pour anticiper des périodes difficiles d’intersaisons auxquelles son système d’élevage l’expose particulièrement. Il s’agit essentiellement de garantir les pâturages d’automne et d’assurer la « soudure » souvent délicate entre la fin du printemps et la montée dans les Alpes. Cette « herbe » cultivée est destinée à être pâturée et non pas fauchée et stockée, contrairement à ce que font les éleveurs agropastoraux. De fait, dans les systèmes pastoraux, le foin et surtout le grain ne sont qu’un recours ultime qui permet « d’allonger l’herbe » en période critique8. Cette pratique est alors présentée comme une entorse au principe d’élevage, rendue nécessaire par les aléas climatiques auxquels ces systèmes sont fortement exposés. « Exceptionnellement cette année, on est obligé de donner parce qu’on n’a plus d'herbe, donc on est obligé de nourrir les bestioles, mais sinon, nous, on donne rien rien-rien, ni grain ni foin, ils sont tout le temps dehors », insiste P. G., une éleveuse pastorale. A. A., quant à lui, a une position singulière. À la fois propriétaire d’un très gros troupeau (2 000 brebis) et exploitant beaucoup de terre (170 ha de surface fauchées), il produit du foin, mais tient à en préciser la raison :

Pour moi, le plus important, c’est de faire de l’herbe, ce n’est pas de faire du foin, c’est de faire manger les bêtes, enfin dans le système où je suis à l’heure actuelle, je fais du foin parce qu’il faut nettoyer [entretenir le terrain, faucher] et puis ça fait du revenu.

19Une distinction assez nette s’opère ainsi entre d’un côté, le choix de « faire manger » de l’herbe (un principe structurant) et de l’autre, celle de « faire du foin » afin d’« entretenir » certaines parcelles dont les éleveurs sont propriétaires, et « faire du revenu ». Le foin est donc une catégorie d’aliment « à vendre », « pour les autres » mais pas « pour soi », c’est-à-dire pas « pour faire manger » [ses brebis]. L’écart entre le principe revendiqué du « que de l’herbe » et les pratiques occasionnelles d’affouragement ne doit donc pas être considéré comme une contradiction de la part des éleveurs pastoraux : c’est bien l’activité « faire manger l’herbe » qui prime et est valorisée, quand bien même certains appoints alimentaires s’avèrent parfois nécessaires.

20L’orientation pastorale n’a pas entraîné le suréquipement généralement associé à l’agrandissement [Charroin et al. 2012]. Au contraire, la culture matérielle des éleveurs pastoraux est le plus souvent bien celle du berger : réduite, peu ostentatoire, légère et le plus souvent mobile. Elle s’organise autour du rapport à l’animal plutôt qu’aux engins : des moutons et des chiens (de garde et de travail) plutôt que des tracteurs. Des équipements existent mais ils sont légers et mobiles : les filets servant à délimiter les pâturages sont déplacés d’un lieu à l’autre facilement et des serres tunnels, elles aussi mobiles, sont utilisées comme abris hivernaux en plaine. Une telle culture matérielle tranche avec les élevages agropastoraux équipés de machines agricoles pour travailler la terre, de bâtiments pour stocker le fourrage et de bergeries [Lasseur 2005]. Loin d’être présentée comme une carence du système d’élevage, les éleveurs pastoraux l’assument pleinement (« On n’a rien comme matériel agricole », souligne A. L.). Le tracteur est sans ambiguïté un des emblèmes des agropastoraux. Ainsi l’un d’eux se demande à propos de tel éleveur pastoral : « Je ne sais même pas s’il a un tracteur… », faisant de son absence l’indice d’une fondamentale altérité professionnelle. De leur côté, les éleveurs pastoraux renieraient presque ce même tracteur. Et de préciser, que quand il y doit y avoir semis, voire récolte d’herbe, cette tâche ne leur incombe généralement pas, quand bien même en bénéficient-ils comme le précise A. A. : « Nous, on ne fait pas de travail de la terre ». Ici, c’est un voisin qui se charge de récolter, en échange de quoi il lui « prend quelques brebis » [en pension]. Là, c’est le fils de l’éleveur qui fauche le foin. Ainsi, les gestes propres à l’agriculteur (semer, récolter, stocker, distribuer) renvoient aux éleveurs agropastoraux dont les pastoraux souhaitent se distinguer au point d’en faire disparaître toute référence dans leur dénomination, ne laissant parfois plus que celle de berger : « berger, point barre ».

« Toujours dehors »

  • 9 Ce terme désigne, ici, ce qu’on appelle, en agronomie, les prairies naturelles ou permanentes, c'es (...)

21« L’herbe » n’est pas seulement la nourriture du troupeau : c’est aussi son lieu de vie tout au long de l’année. Ces deux dimensions, difficiles à distinguer, sont souvent coiffées par le terme « dehors ». Celui-ci, s’opposant à l’enfermement en bergerie, réfère à une diversité de pâturages fréquentés par le troupeau au long de sa vie : parcours, sous-bois, estive, prés9 ou prairies cultivées. La « prairie » ou le « pré » s’oppose radicalement à la bergerie, dont certains éleveurs ont pu faire l’expérience à leurs débuts, à l’instar de C. G., une éleveuse formée localement au système agropastoral :

  • 10 Aliment fabriqué industriellement se présentant sous la forme de gros bouchons constitués de céréal (...)

On avait laissé le troupeau en bergerie, donc ça le faisait pas parce que la première année, on a eu de l’avortement je crois, et la deuxième année, c’était l'époque où il n'y avait pas d’herbe nulle part et ils avaient fabriqué des gros bouchons10 . […] Et en fait, au lieu de faire du bien-être ou laisser en état les brebis, ça avait fait l’effet contraire, les brebis elles perdaient, elles perdaient [du poids] elles étaient folles, folles, folles-folles!

  • 11 Avant que ne soit reconnue la pratique de l’agnelage en plein air comme une alternative possible à (...)
  • 12 Société protectrice des animaux.
  • 13 Direction départementale des services vétérinaires, service aujourd’hui intégré aux Directions dépa (...)
  • 14 En estive, on parle de « couchades », quand le troupeau dort à l’emplacement qu’il a librement choi (...)

22Cet épisode a constitué une sorte de pivot dans la trajectoire de cette éleveuse, lui donnant l’assurance que laisser le troupeau dehors toute l’année était non seulement possible mais également souhaitable. Il a marqué le début de son agrandissement et le passage à la formule « tout dehors, que de l’herbe ». A. A. n’a pas été directement confronté à de telles expériences négatives car il les a anticipées. C’est la crise de la vache folle qui l’a décidé à « laisser tout courir dehors ». Puis, voyant que « ça marchait », il a continué et opté pour le système « que de l’herbe, tout dehors », y compris pour l’agnelage, ce qui n’a pas manqué de susciter une certaine réprobation locale11. Même expérience pour P. G. : « Ici, ça se faisait pas, on n’avait pas le droit de laisser agneler les brebis dehors. […] Donc, on a eu la SPA12, on a tout eu quand même, la DSV13 ». D’expérience ou de conviction, la bergerie est perçue comme un milieu malsain, impliquant des conditions de vie et une alimentation défavorables. Les bêtes y sont « concentrées » durant l’hiver, là où dehors, elles « courent » et se dispersent à leur gré sous la garde du berger, qui leur laisse une certaine liberté, par exemple dans le lieu de leur couchade nocturne14 ; dedans, l’animal apparaît fragile aux yeux des éleveurs pastoraux. Ces derniers insistent sur le fait qu’il faut alors avoir recours à une importante prophylaxie qui n’empêche cependant pas la mortalité des agneaux : « ils crèvent, les agneaux en bergerie ; il faut les vacciner, il faut leur donner plein de choses aux agneaux. Voilà, ils sont en concentration, donc plus de maladies », précise P. G. « Donner plein de choses » réfère à des pratiques d’élevage caractérisées par des interventions répétées sur les brebis, des dépenses en argent et en temps, soit un système dans lequel l’animal est incapable de se débrouiller seul. En bergerie, la nourriture n’est pas uniquement constituée de foin : elle se compose également d’aliments fabriqués par l’industrie et achetés dans les filières d’amont. Là encore, les éleveurs pastoraux marquent leur différence avec les agro-pasteurs : « Eux, ils ne font pas comme moi, ils font de l’agneau qui reste quatre mois avec la mère, ils le mettent au grain, ils le poussent quoi, et hop, ils le cassent », analyse A. A. De fait, les éleveurs pastoraux n’engraissent pas, c’est-à-dire qu’ils vendent des agneaux en descente de montagne, à des maquignons, les plus beaux sont prêts à être abattus, les autres engraissés hors région, enfreignant de nouveau le dogme local et s’attirant – une fois de plus – les foudres de l’entourage, y compris familial : « Même le père de Jean-Pierre quoi, il était fou ! Il était furieux ! Il trouvait que notre travail était aberrant ! », se souvient P. G.

23Par contraste, l’herbe, comme lieu de vie et donc aussi comme nourriture, est décrite comme bienfaisante : les gestations en montagne se passent généralement mieux ; les éleveurs observent moins de problèmes de parasites, des mises bas plus faciles et une mortalité réduite :

Je n’ai rien [pas de problème], dehors ils [les agneaux] ne meurent pas ou si ils doivent mourir, c’est qu'il y a un problème de lait. Il m’en crève beaucoup moins dehors quoi, parce que c’est plus sain. (P. G.).

  • 15 Les éleveurs peuvent, bien sûr, garder leur troupeau mais la garde en estive est le cœur du travail (...)

24La bergerie n’est pas pour autant complètement absente, pas plus que le tracteur comme on l’a mentionné. Mais, hérités (souvent par le mari), les bâtiments ne sont ni en proportion du nombre de bêtes, ni présents partout, ni même en bon état et parfois même non entretenus (« La bergerie ? C’est un corps de ferme qui est en train de se casser la figure ! », reconnaît P. G.). Leur usage est repensé : ceux de la vallée alpine, vides l’hiver, servent d’infirmerie ou d’abris temporaires pour l’agnelage d’automne, ou bien encore pour quelques béliers restés dans la vallée alors que le troupeau est en estive. Lorsque les éleveurs y ont recours, les bêtes n’y sont enfermées que de façon exceptionnelle, certains insistant sur le fait que les bâtiments sont « bien placés », c'est-à-dire ouverts sur des prés, de telle sorte que le troupeau puisse y avoir accès en permanence selon ses besoins. Ainsi, dans les systèmes pastoraux, de la même façon que pour la complémentation fourragère, le passage en bergerie ne s’opère qu’en cas de nécessité et ne concerne qu’une certaine catégorie de bêtes (malades, brebis venant d’agneler, béliers). L’herbe constitue l’espace de vie du troupeau dont la garde revient au berger15. Celui-ci est une figure de référence, détentrice de savoirs propres et complexes, comme nous l’avons indiqué en introduction. Les éleveurs pastoraux la revendiquent, y compris ceux qui regrettent de ne plus garder eux-mêmes leurs troupeaux autant qu’ils le souhaiteraient (« Qu’est-ce qu’il y a de plus beau quand tu es tranquille, que les brebis mangent dans la colline ? », remarque A. L.) ou ceux qui ne gardent plus eux-mêmes mais font valoir leur expérience dans le domaine (« j’ai gardé dix ans », « Quand je suis rentrée dans le métier, je gardais, mais maintenant, je ne le fais plus » (P. G., qui se dit « bergère »). La garde du troupeau est, en effet, parfois en partie confiée à un berger salarié dans la mesure où l’éleveur est possiblement accaparé par d’autres tâches qu’il préfère ne pas déléguer (agnelage, par exemple)

25Affirmant leur différence avec les agropastoraux, se rapprochant des bergers qu’ils reconnaissent pleinement, tout en ayant le statut et la position sociale d’un éleveur, les éleveurs pastoraux se définissent également par rapport à une figure importante de l’élevage provençal que l’on a déjà brièvement évoquée : l’herbassier, éleveur sans terre, propriétaire de son seul troupeau. En décrivant le début de sa trajectoire, A. A. s’y identifiait explicitement. « À l’époque, j’étais herbassier, je n’avais que mes moutons », résume-t-il. D’autres s’en estiment proches, puis se ravisent, arguant du fait que leur mobilité saisonnière n’empêche pas une vie sociale et personnelle stable, contrairement à l’herbassier provençal dont ils dressent un portrait peu enviable, à l’instar de A. L. :

Le vrai berger herbassier, il part en montagne, il ne sait pas où il va aller à l’automne ! C’est des SDF ! Ils ont des caravanes et ils vont là où est l’herbe. Mais bon… quand tu as une vie de famille, tu ne peux pas faire ça, tu te poses !

  • 16 Cela est toutefois accessoire car cette reconnaissance d’accès leur confère une existence dans le t (...)

26Le célibat contribue au déclassement social qui a longtemps caractérisé les bergers (et les agriculteurs plus généralement). Pour les premiers, il est bien souvent le produit d’une trajectoire sociale largement déterminée par la place dans la famille. Dans les années 1930, J. Blache [1934] avait repéré dans les Alpes, ce qu’on peut appeler un  « berger-malgré-lui », cadet de famille sacrifié pour assurer l’intégrité patrimoniale de la ferme, chassé du groupe familial avec pour tout héritage quelques bêtes mais pas de terre – un berger qui n’est pas sans faire penser à la victime structurale de P. Bourdieu [1962]. Celui de J. Blache, qui n’existe plus aujourd’hui dans les vallées alpines, se trouvait contraint à de longs déplacements en plaine, en quête d’herbe pour son maigre troupeau ou à « garder pour les autres ». S’il est tentant d’établir une sorte de filiation entre ce berger-là et les éleveurs pastoraux, celle-ci a ses limites qui tiennent au statut de ces derniers. D’une part, ils sont pleinement éleveurs, c’est-à-dire non seulement propriétaires de leurs (« gros, très gros ») troupeaux, mais ils peuvent se prévaloir d’un accès stable et reconnu à des pâturages dont ils ont, parfois, même la maîtrise foncière16. Par ailleurs, leur situation sociale n’est en rien comparable aux « bergers malgré eux » de J. Blache : outre le fait qu’ils ont une vie de famille, ils ont pleinement choisi de s’établir dans un système pastoral qu’ils défendent, sur lequel ils ont autorité, et qui repose sur une très forte insertion sociale [Dupré et al. 2017].

L’éleveur pastoral : être (berger) et avoir (un gros troupeau)

27Le travail d’identification professionnelle repose sur un « travail sur soi », mais aussi sur « un travail sur les autres » par lequel revendiquant une place, on en désigne une également aux autres [Gauléjac 2002]. Dans leur rhétorique professionnelle, les éleveurs pastoraux s’opposent et se mesurent à d’autres figures de l’élevage régional : celle du berger, de l’agro-pasteur ainsi que, dans une moindre mesure, de l’herbassier, avec lesquelles ils s’entre-définissent dans un double processus biographique et relationnel [Dubar 1998]. Cette première analyse des formes d’appellation de soi des éleveurs pastoraux nous a conduits à repérer les aspects importants de l’élevage pastoral (la nécessité de l’herbe, la liberté et la passion du métier) tels que les éleveurs les objectivent, et qui entrent en tension avec l’élevage agropastoral. Elle nous a, par ailleurs, permis de poser quelques jalons dans la compréhension des dynamiques de production des normes professionnelles qui interviennent dans le renouvellement des façons d’exercer l’élevage ovin bas-alpin.

28L’éleveur pastoral se tient à l’orée de deux mondes à la fois propres et intersécants : celui des éleveurs qu’ils sont par leur statut et celui des bergers qu’ils revendiquent – au moins en partie. Il s’agirait donc d’un berger bien particulier : un berger installé en élevage, qui a pouvoir sur son troupeau dont il est propriétaire, lié aux autres éleveurs par une relation de parité et non de subordination. Un berger qui ne serait pas le produit de ce double déclassement social et professionnel tel qu’il est encore fréquemment associé au salariat agricole. L’éleveur pastoral fait valoir un système d’élevage qui ne manque pas d’originalité. Alors que d’un côté, sa spécialisation et son troupeau « XXL » lui confèrent une certaine forme de grandeur au regard des canons modernisateurs, de l’autre, son système entièrement pastoral tendrait à lui faire occuper une position mineure ou subalterne relativement à ces mêmes grilles. Pourtant, ces éleveurs revendiquent pleinement leurs choix, dans une rhétorique professionnelle faisant valoir un lien passionné à l’herbe et aux moutons. De l’herbe – nourriture et lieu de vie pour leur troupeau – ils ont fait un principe. Leur culture professionnelle ne se fonde pas sur la mécanisation et le suréquipement encouragés par la modernisation agricole. De fait, à la différence des agro-pasteurs travaillant la terre, stockant le foin et enfermant le troupeau en bergerie, c’est la culture du berger qu’ils revendiquent.

29Les choix de ces éleveurs pastoraux peuvent se lire comme une triple émancipation. Tout d’abord, ils ont pris leurs distances avec les normes et le modèle agricoles de l’élevage agropastoral, prescrits et enseignés localement, ce qui a souvent rendu leurs parcours professionnels plus sinueux. Ensuite, tout en reprenant éventuellement l’exploitation familiale, ils se sont détachés des façons de faire de leurs parents, s’engageant dans d’autres choix marquant une rupture dans la gestion de l’héritage. Enfin, ils s’émancipent des marchés généralement associés à l’élevage agropastoral. D’une part, ils tournent le dos aux filières d’amont fournissant l’alimentation animale industrielle ; de l’autre, ils s’affranchissent des dates et des circuits de vente des bêtes relativement rigides pour se tourner vers des réseaux de commercialisation moins contraignants. Ces derniers leur offrent une certaine souplesse leur permettant de vendre quand cela leur convient (prix plus attractifs, nécessité de réduire la troupe, besoin d’argent…). Mais pour autant que les éleveurs pastoraux expriment ce sentiment d’être « hors normes », qu’ils s’attachent à souligner leurs différences d’avec les agropastoraux qui incarnent la norme locale, s’opposent-ils à ces derniers au point de ne plus avoir rien en commun avec eux ? La réponse à est assurément négative et soulève une question centrale : celle de la production des normes professionnelles.

  • 17 Pour J.-P. Darré [1985], le GPL est un collectif de personnes exerçant la même activité, dans un en (...)

30Le groupe professionnel local (GPL) demeure le collectif de référence de ce domaine, notamment à travers les « réseaux de dialogue » 17. Le GPL de la vallée alpine porte une culture de l’élevage fédérant, au-delà de leurs différences, agropastoraux et éleveurs pastoraux. Ces derniers montrent l’importance des réseaux de longue distance dans le renouvellement – auquel ils contribuent – des normes professionnelles. Ils invitent de fait à prendre en compte la question de la proximité dans ses deux dimensions : « géographique » et « organisée » [Rallet et Torre 2004]. Cette dernière renvoie à l’appartenance à une organisation (au sens large) ainsi qu’à des similitudes entre acteurs. Être originaire de la vallée, y disposer de terres en propriété et y mêler ses bêtes avec celles des agropasteurs pour aller en estive, fréquenter la grande foire de septembre contribuent indéniablement à la production d’une culture partagée entre pastoraux et agropastoraux. Dans le même temps, les éleveurs pastoraux, précisément parce qu’ils sont très mobiles géographiquement, renouvellent la production de normes au sein du GPL, fut-ce dans un débat contradictoire avec les agro-pasteurs. Mais ni l’une ni l’autre de ces dimensions de la proximité ne suffit à elle seule à une meilleure intelligibilité des processus de redéfinition de l’activité professionnelle en élevage : c’est bien leur combinaison dans le temps et dans l’espace qui permet d’en saisir la complexité et les dynamiques. Au cours des saisons comme au cours de leur vie, les éleveurs pastoraux circulent largement dans les territoires, s’y arrêtent plus ou moins longuement avec leurs troupeaux, interprètent les normes qui les gouvernent, s’y opposent et les reformulent éventuellement, les emportent avec eux lorsqu’ils quittent un territoire pour un autre. Cette triple mobilité sociale, géographique et professionnelle, par laquelle on peut commencer son activité comme berger, la poursuivre par une phase transitoire sous le statut d’herbassier et l’achever comme éleveur pastoral, ne serait-elle pas la condition nécessaire au renouvellement de l’élevage méditerranéen dans sa globalité ?

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Notes

1 La réflexion que nous proposons ici est la poursuite et l’affinement d’une première analyse visant à repérer la diversité des pratiques en matière d’alimentation des élevages ovins dans la région de Saint-André-les-Alpes dans les Alpes de Haute-Provence [Sicard 2012]. La dernière série de questions de notre guide d’entretien (« comment vous définissez-vous ? » et « qui travaille différemment de vous ? ») était destinée à conduire l’éleveur à reformuler et à synthétiser les points saillants de son système d’élevage, en se situant relativement à d’autres systèmes d’élevage de son territoire. Notre analyse porte sur les pratiques discursives de huit couples d’éleveurs pastoraux.

2 Les expressions « élevage pastoral » et « élevage agro-pastoral » renvoient aux catégories technico-économiques en vigueur.

3 Ce travail a été conduit dans le cadre du projet de recherche MOUVE financé par l’Agence nationale de la recherche (Projet ANR-STRA-005-01, 2011-2014).

4 . Il peut toutefois, dans une perspective d’installation, posséder quelques bêtes qu’il garde avec le troupeau qui lui est confié.

5 Voir M. Didier, « Les bergers, prolétaires de l’élevage », Le Monde diplomatique, août 2015, p. 10.

6 Ce statut renvoie à une diversité de situations foncières : herbassier en mouvement permanent, stabilisé en collines, stabilisé sur prairie, selon qu’il est dans les Bouches-du-Rhône ou dans le Var. Voir le Panorama des systèmes d’élevages ovin viande pastoraux du Sud-est de la France, mai 2013, Institut de l’élevage, Paris.

7 Distributeurs d’aliments installés en bergerie.

8 En 2014, une étude conduite auprès de ces mêmes éleveurs a permis de qualifier et de quantifier de manière approfondie les pratiques d’alimentation du troupeau. Les chiffrages réalisés et simulations de fonctionnement des élevages confirment ces propos d’éleveurs [Lasseur et al. 2016 ; Vigan et al. 2017].

9 Ce terme désigne, ici, ce qu’on appelle, en agronomie, les prairies naturelles ou permanentes, c'est-à-dire qui ne sont pas labourées et semées chaque année. Il est utilisé couramment par les éleveurs.

10 Aliment fabriqué industriellement se présentant sous la forme de gros bouchons constitués de céréales déshydratées.

11 Avant que ne soit reconnue la pratique de l’agnelage en plein air comme une alternative possible à la bergerie.

12 Société protectrice des animaux.

13 Direction départementale des services vétérinaires, service aujourd’hui intégré aux Directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP).

14 En estive, on parle de « couchades », quand le troupeau dort à l’emplacement qu’il a librement choisi.

15 Les éleveurs peuvent, bien sûr, garder leur troupeau mais la garde en estive est le cœur du travail du berger.

16 Cela est toutefois accessoire car cette reconnaissance d’accès leur confère une existence dans le territoire et dans le jeu politique d’attribution des primes.

17 Pour J.-P. Darré [1985], le GPL est un collectif de personnes exerçant la même activité, dans un environnement proche, qui élabore un ensemble de références orientant la manière dont chaque membre de ce collectif conçoit la réalité et envisage ses actions.

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Table des illustrations

Titre Éleveur pastoral avec son troupeau dans les Alpes de Haute-Provence.
Crédits Photo : Pascal Bonnet
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Titre Tableau 1. Évolution de la proportion des troupeaux de grande taille (départements des Alpes de Haute-Provence, des Hautes-Alpes et des Alpes-Maritimes) et importance relative de leur cheptel (1993-2010)
Crédits Sources : fichier de déclaration pour l’obtention des primes compensatoire ovine (1993 et 2001), recensement agricole (2000 et 2010).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/12799/img-2.jpg
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Titre Tableau 2. Caractéristiques des systèmes d’élevage de référence pour les Alpes de Haute-Provence
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Pour citer cet article

Référence papier

Lucie Dupré, Jacques Lasseur et Julia Sicard, « « Berger, point barre » »Études rurales, 201 | 2018, 218-239.

Référence électronique

Lucie Dupré, Jacques Lasseur et Julia Sicard, « « Berger, point barre » »Études rurales [En ligne], 201 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2020, consulté le 13 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/12799 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.12799

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Auteurs

Lucie Dupré

anthropologue, chargée de recherche, Inra, SadApt (UMR 1048), AgroParistech, Université Paris Saclay, Ivry-sur-Seine

Articles du même auteur

Jacques Lasseur

zootechnicien, ingénieur, Inra, Systèmes d'élevages méditerranéens et tropicaux (UMR 0868), Montpellier SupAgro, Montpellier

Julia Sicard

agronome, Confédération générale de l’agriculture, Laxou

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Droits d’auteur

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