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Comptes rendus

Markus A. Denzel, Andrea Bonoldi, Anne Montenach et Françoise Vannotti (dir.), Oeconomia Alpium I: Wirtschaftsgeschichte des Alpenraums in vorindustrieller Zeit. Forschungsaufriss, -konzepte und -perspektiven

Volker Stamm
Référence(s) :

Markus A. Denzel, Andrea Bonoldi, Anne Montenach et Françoise Vannotti (dir.), Oeconomia Alpium I: Wirtschaftsgeschichte des Alpenraums in vorindustrieller Zeit. Forschungsaufriss, -konzepte und -perspektiven. Berlin et Boston, De Gruyter, 2017, 313 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif de seize contributions sur l’histoire économique des Alpes mérite l’attention de tous ceux qui s’intéressent aux études rurales et cela à plus d’un titre. La région alpine historique est l’espace rural par excellence, mais elle renferme également en son sein des éléments de la vie économique, communément peu associés à son imaginaire : la production pour le marché, le commerce à courte et à longue distance. Certes, les Alpes constituent une barrière pour la circulation des marchandises, mais elles sont en même temps un lieu de transit et les populations en tirent profit. Les habitants de ses vallées et montagnes sont imprégnés d’une profonde conscience de leur identité paysanne, qui dépasse de loin les aspects folkloriques ou touristiques. Enfin, ils sont parvenus à diversifier les secteurs économiques sans que pourtant les Alpes ne perdent complètement leur caractère rural, malgré la progression inévitable de l’industrie du tourisme.

  • 1 Nicolas Jean, 2003 [1979], La Savoie au xviiie siècle. Noblesse et bourgeoisie, Montmélian, La Fon (...)

2L’histoire économique et rurale des Alpes, fleuron de la discipline il y a encore quelques décennies, a récemment perdu une grande partie de son rayonnement comme l’a déploré avec insistance Jean Nicolas1. Cette situation prévaut particulièrement au pays du Tyrol, où l’histoire agraire occupa longtemps une place importante parmi les sciences sociales. Aujourd’hui, par exemple à l’université d’Innsbruck, elle est marginale. Peut-être que le passé d’une génération d’éminents chercheurs à l’instar de Leo Santifaller, de Otto Stolz, de Hermann Wopfner pesait trop lourd, avec leur analyse approfondie des sources et leurs enquêtes ethnologiques auprès des paysans ; peut-être aussi que les affinités de certains chercheurs des années 1930 pour l’idéologie du nazisme discréditaient la discipline entière. Pourtant, l’histoire agraire progresse encore en Suisse, avec notamment les remarquables travaux d’un Roger Sablonier, poursuivis par Stefan Sonderegger.

3Maintenant, il semble que l’heure soit venue de tenter une nouvelle synthèse de l’histoire économique des Alpes en période préindustrielle. Les éditeurs annoncent son caractère ambitieux dans le titre, exprimé de façon classique en latin, et par le choix de quelques formules qui rappellent explicitement Les Annales ou La Méditerranée de Fernand Braudel.

4Cette histoire économique des Alpes, comme la présente Markus Denzel, un des éditeurs, sera répartie en trois volumes : L’espace et les hommes, La vie quotidienne et Commerce, migration, communication. Le livre analysé ici est également désigné comme le premier volume, mais il n’est pas identique au tome I de l’ouvrage en préparation – il forme plutôt une introduction thématique et méthodologique aux trois volumes. Voilà la construction formelle de cette entreprise intellectuelle qui n’est pas immédiatement évidente. L’éditeur souligne le rôle de l’agriculture comme secteur principal de l’économie des Alpes, dans lequel travaille et vit la majeure partie de la population (p. 8). Ce constat à lui seul ouvre un immense terrain de recherche ; de nombreux problèmes de l’agriculture au Moyen Âge et au début de l’époque moderne sont encore très mal connus, dont les principaux systèmes agraires, les techniques utilisées, la quantité des semences et des récoltes, l’utilisation de ces dernières, pour ne citer que quelques aspects technico-quantitatifs. Loin d’être des chiffres abstraits, ils constituent la base nécessaire pour l’évaluation de la situation socio-économique des hommes. Leurs efforts de travail se soldaient-ils par des récoltes suffisantes ou étaient-ils contraints de vivre dans la précarité et à la marge de la société ? Quel poids représentaient les multiples redevances qui sont généralement mieux connues que les revenus ? Que leur charge fût oppressante ou supportable n’est compréhensible qu’en relation avec les revenus des exploitations agricoles. Et pourtant, malgré le constat de son rôle majeur et le grand nombre de questions importantes non résolues, l’agriculture ne semble pas être placée au centre de cet ouvrage. Dans ce dernier sont, en effet, privilégiées les recherches sur « Trade, migration and communication, ...the different aspects of trade are presented more extensively than the other sectors », comme l’annonce le même éditeur dans ses conclusions (p. 303, en anglais, les autres contributions sont en italien, français, allemand). Les trois tomes de l’ouvrage à venir montreront la possibilité d’une compréhension de l’économie alpine en partant de ces priorités.

5Retournons maintenant au présent livre qui réunit 16 contributions d’une rencontre scientifique tenue en 2016 dans la perspective de préparer l’ouvrage en programmation. Immédiatement après la note conceptuelle, nous sommes confrontés à une notion, paraît-il, clé de l’analyse, celle du « capitalisme alpin » introduite par Gabriel Imboden. Nous retrouvons la problématique qui vient d’être évoquée, le rôle de la production agricole. Selon G. Imboden, cette forme de capitalisme spécifique se manifeste dans le rôle joué par quelques grands négociants comme le Suisse Kaspar Stockalper. Si le poids de ces personnalités et l’importance du grand commerce dans les Alpes ne font guère de doute, l’interprétation de ce phénomène comme signe de la présence d’une économie fondamentalement capitaliste reste discutable. Souvent, le retour à Karl Marx s’avère utile, surtout quand il s’agit de la question de l’accumulation primitive. Selon le philosophe allemand, le capitalisme est caractérisé par la séparation des producteurs de leurs moyens de production, processus entraîné au cours de l’accumulation primitive. Vouloir démontrer une telle situation dans les Alpes me semble assez aléatoire. Jusqu’à un passé récent, les biens de l’économie alpine, et notamment les marchandises destinées à la commercialisation, étaient produits en grande partie par de petits exploitants. La sphère de la circulation était dominée par des commerçants, qu’on nomme volontiers des « capitalistes ». Dans la production, un quelconque capitalisme était toutefois loin de prévaloir.

6La contribution suivante d’Andrea Bonoldi traite de la production matérielle. Lui non plus n’aborde pas son côté technique et ni ses résultats mais analyse ses conditions-cadres, ses régulations et formes d’organisation, dans le sens de l’économie institutionnelle. Gerhard Siegl souscrit également à cette approche en présentant l’état des connaissances relatives aux « commons », aux ressources partagées qui sont au centre d’une vaste discussion. Dans ce contexte, il évoque avant tout l’eau, les forêts et les pâturages en montagne, seule référence d’ailleurs à la thématique très importante de l’élevage alpin.

  • 2 Stefan Sonderegger, (à paraître), « Aktive Grundherren und Bauern, Beziehungen zwischen Herren und (...)

7Deux chapitres traitent des problématiques de la démographie alpine et des mutations climatiques. Concernant les changements climatiques en période préindustrielle, Christian Rohr signale les limites de nos connaissances dans ce domaine, et ceci est en soi une raison suffisante pour mettre en garde contre des approches historiques marquées par un certain déterminisme qui a tendance à expliquer les évolutions économiques et sociales par le facteur du climat. Nous ignorons jusqu’à présent, au moins en grande partie, les manifestations locales ou régionales du climat, et donc ses influences sur les pratiques économiques des hommes dans les Alpes, particulièrement dans le secteur agricole, qui est très sensible à cet égard. En revanche, les effets des avalanches, des chutes de neige massives, des inondations des vallées avec leurs routes de transit pour la circulation des marchandises sont bien documentés. Katia Occhi livre une analyse du commerce du bois, mais davantage de données sur l’impact de cette industrie sur le budget familial des paysans qui en fournissent la matière première aurait été appréciable. Une longue série de contributions adopte les thématiques privilégiées par la publication : le commerce, la migration, la contrebande, la frappe de monnaies, le service étranger (une forme de mercenariat, au grand bénéfice des régions d’où proviennent les soldats). Mais nous n’apprenons rien, ou presque, sur les structures sociales qui vont de pair avec celles de l’économie et de son évolution : organisation du travail, liens de dépendance, conflits et formes de coopération, thèmes dont l’importance fut récemment mise en évidence par Stefan Sonderegger2. Seule la contribution de Bonoldi se réfère à l’importance des liens familiaux dans les activités économiques. Un autre acteur économique de premier ordre, l’Église, de la paroisse à la principauté épiscopale, fait également défaut.

8Dans l’ensemble ce livre réunit des essais qui introduisent un certain nombre de sujets d’intérêt pour une histoire économique des Alpes et qui donnent un aperçu général des thématiques qui contribuent à une meilleure connaissance de cette région. Les priorités qu’il fixe se prêtent au débat. L’idée maîtresse de l’ouvrage, la vision des Alpes comme un lieu de transit, de migration et de contact a tendance à reléguer au second plan les activités économiques quotidiennes dans les vallées et les montagnes : la production, la consommation, la commercialisation des céréales, des légumes, du vin, de la viande, du lait et du fromage, avec l’objectif d’en tirer un revenu décent pour les exploitations. On attend maintenant avec impatience l’œuvre complète et la vision globale qu’elle livrera de cette région si fascinante.

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Notes

1 Nicolas Jean, 2003 [1979], La Savoie au xviiie siècle. Noblesse et bourgeoisie, Montmélian, La Fontaine de Siloé (« Le champ régional ») : XI.

2 Stefan Sonderegger, (à paraître), « Aktive Grundherren und Bauern, Beziehungen zwischen Herren und Bauern im wirtschaftlichen Alltag », in E. Bünz (dir.). Ostfildern, Konstanzer Arbeitskreis für mittelalterliche Geschichte e. v. (« Vorträge und Forschungen »).

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Volker Stamm, « Markus A. Denzel, Andrea Bonoldi, Anne Montenach et Françoise Vannotti (dir.), Oeconomia Alpium I: Wirtschaftsgeschichte des Alpenraums in vorindustrieller Zeit. Forschungsaufriss, -konzepte und -perspektiven »Études rurales [En ligne], 200 | 2017, mis en ligne le 19 mars 2018, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/11824 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.11824

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Volker Stamm

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