1La Jigouli file sur une route toute droite et peu fréquentée, faisant un écart de temps à autre pour éviter un nid de poule. Dans la steppe, l’ocre le dispute déjà au vert en cette fin de printemps. Le paysage est largement ouvert, seuls les poteaux électriques régulièrement plantés et de lointaines collines viennent rompre la platitude. De nombreuses taches blanches parsèment les pâtures : « Tu vois tous ces perce-neige ? C’est nouveau ici », me dit le chauffeur. La saison est évidemment trop avancée pour les perce-neige, et même pour les fameuses tulipes des steppes. Ce ne sont pas non plus des moutons disséminés au pacage, car la race locale à queue grasse est de robe sombre. Non, ces taches sont des sacs plastiques, signes de la modernité apparus après l’indépendance du Kazakhstan, dans les steppes peu éloignées des zones urbaines.
Moutons au pacage sur une des collines entourant l’aoul (district de Tôle Bi, avril 2008)
Photo : C. Ferret.
- 1 Cet article a été rédigé dans le cadre d’un programme franco-allemand (ANR-DFG) intitulé « Histoir (...)
- 2 L’aoul (kaz. auyl, rus. aul), qui correspondait autrefois à une unité de nomadisation, désigne mai (...)
2Dans ce pays, le petit bétail (ovin et caprin) est passé de 35,7 millions de têtes en 1991 à 9,5 M en 1999, pour se stabiliser autour de 17 M depuis 2007. Si l’effondrement du cheptel a pu, ici ou là, faire reverdir la steppe, que reste-t-il du pastoralisme kazakh après sa double mort, assénée par la collectivisation des années 1930 [Ohayon 2006] et la privatisation des années 1990 [Vuillemenot 2009] ? L’évolution récente des techniques pastorales, depuis le pastoralisme nomade plurispécifique « traditionnel », en passant par la « rationalisation » et l’intensification soviétique de l’élevage, traduit-elle un retour vers des modes d’action sur la nature moins interventionnistes ? La décollectivisation a-t-elle entraîné un relâchement du contrôle de la sélection, de la reproduction, du nourrissage et des mouvements du bétail ? Ces questions seront examinées1 au niveau micro, depuis un aoul2 du sud du Kazakhstan, où la dislocation du kolkhoze n’amoindrit pas le jeu des solidarités et des discordes entre voisins et parents, encouragé par la petite taille du village, sa position écartée et son homogénéité lignagère. Enfin les pratiques d’élevage de cet aoul sédentaire seront comparées à un cas de pastoralisme mobile sur une estive dans le sud-est du pays.
L’élevage fournit au Kirghize [Kazakh] tout ce dont il a besoin : la nourriture (produits de l’abattage du bétail), la boisson (kumys [lait de jument fermenté] et lait caillé), les habits (cuir, laine), le combustible (kizâk [excréments séchés]), l’éclairage (graisse), la maison (feutre pour la iourte), une partie de la vaisselle (saba [outre en cuir], tursuk [gourde en cuir]), un moyen de gagner de l’argent (voiturage), une monnaie d’échange, un moyen de transport et enfin un capital, épargné pour les jours difficiles. [Dobrosmyslov 1895 : 3]
3En un mot, mal - adamnyņ bauyr etì « le bétail est la chair du foie de l’homme » selon la cinquième réflexion en prose du poète Abaï [Kounanbaïouly 1994 : 28], qui exprime autrement la relation intime et vitale que les Kazakhs entretiennent avec leurs animaux.
4À partir du xixe siècle, au moment de la conquête des steppes par l’Empire russe, de nombreux écrits de voyageurs, d’administrateurs, de statisticiens ou de vétérinaires décrivent le système pastoral kazakh, soulignant unanimement l’importance de cette activité pour la population locale [Alektorov 1888]. Quelques-uns brossent un tableau exhaustif de l’élevage en une région [Dobrosmyslov op. cit.], d’autres se focalisent sur une espèce [Džantûrin 1883] ou une question particulière, comme le traitement rituel des épizooties [Al’džanov 1895 ; voir aussi Argynbaev 1975 : 202-203]. Dans les années 1920, des expéditions ethnographiques détaillent les pratiques pastorales en cours [Baronov et al. 1927 ; Rudenko 1927]. Après la Seconde Guerre mondiale, une abondante littérature zootechnique se développe, prescrivant des méthodes de rationalisation de l’élevage, mais la plupart des ethnographes étudient désormais le pastoralisme nomade antérieur à la collectivisation à partir de sources écrites [Tolybekov 1971 ; Khazanov 1983 ; Masanov 1995].
5À l’ère postsoviétique, alors même que le nomadisme est brandi comme une composante essentielle de l’identité nationale, le pastoralisme kazakh est ignoré des ethnologues locaux et occidentaux, à quelques exceptions près [Werner 1998 ; McGuire 2014], tandis que l’attention de ces derniers se dirige vers le Kirghizstan, géographiquement et culturellement proche [Jacquesson 2010 ; Steimann 2011, entre autres].
6Parmi les usages cités, la consommation de viande est fortement valorisée : non que ses quantités soient supérieures à celles observées dans les pays occidentaux, mais les Kazakhs estiment que c’est le seul aliment qui rassasie. Elle est primordiale dans les nombreuses festivités, familiales et rituelles, qui ponctuent la vie sociale, où chacun reçoit un morceau correspondant à son statut. En outre, le prestige de chaque espèce diffère : le cheval est irremplaçable en certaines grandes occasions (fête funéraire) ; le mouton est aussi une viande festive, mais plus courante ; le bœuf n’est consommé qu’entre soi dans le sud, ainsi que la chèvre, dépréciée. Et il est exclu de manger de l’âne.
7Les aliments sont classés en « chauds » et « froids » suivant de multiples critères, dont leur valeur énergétique – mais pas leur température – et doivent de ce fait être absorbés différemment en fonction de la saison et des affections individuelles [Ferret 2004]. Ainsi le mouton kazakh noir à queue grasse donne une viande « chaude » (ystyq), le mérinos blanc, une viande « moyenne » (orta) ; la viande de chèvre, « légère » et « froide », ne doit pas être mangée en hiver, et jamais offerte à un hôte. Elle est néanmoins bénéfique aux convalescents au printemps, car les chèvres, vives et agiles, vont paître un peu partout et mangent une grande diversité de plantes. La qualité de l’herbe broutée par le bétail, en se transmettant à ses produits, fonde la valeur de la viande et du lait.
8Le qymyz, lait de jument fermenté, légèrement alcoolisé, possède des vertus médicinales, à telle enseigne que, selon le dicton, « celui à qui ce breuvage déplaît va bientôt mourir ». Le šůbat, son équivalent camelin, est plus rare. Le lait le plus courant est celui de la vache, transformé en caillé, crème, beurre, fromage, alors que brebis et chèvres ne sont plus traites depuis quelques décennies.
Fabrication du qaryn maj « beurre d’estomac » dans une station printanière : labeur féminin et repos masculin (district de Rajymbek, juin 2012)
Photo : C. Ferret.
9Toutes les espèces fournissent donc du lait et de la viande, mais aussi des peaux, du cuir, du crin ou de la laine (ensuite agglomérée en feutre ou filée). Le gros bétail offre en outre sa force de travail pour le transport, rôle maintenant dévolu aux équidés (chevaux partout et ânes dans le sud), depuis que bovins et camélidés ne sont plus utilisés ni sous la selle, ni sous le bât, ni au trait. Dans le « système domesticatoire » [Digard 1990] kazakh, les espèces sont donc à la fois polyvalentes et complémentaires. Les produits de diverses espèces peuvent être mélangés dans les processus de fabrication pour bénéficier des qualités des uns et des autres (par exemple, licols en crin pour la solidité et poil de chèvre pour la douceur). De plus, la monte des uns sert au gardiennage des autres : la surveillance des troupeaux se fait souvent à cheval, alors qu’autrefois, des bergers étaient à dos de bœuf [Radlov 1989 : 260]. Cette complémentarité des espèces se manifeste donc dans les usages animaux, mais aussi dans leur élevage.
10Au début du xxe siècle, le pastoralisme kazakh se combine à diverses formes de mobilité, dont la plus fréquente relève du quasi-nomadisme : toute la population se déplace sur les pâtures saisonnières avec les troupeaux, suivant des trajectoires le plus souvent méridiennes (l’hiver au sud, l’été au nord), plus rarement altitudinales (l’hiver dans la vallée, l’été dans la montagne), et demeure plus d’un trimestre sur l’hivernage [Ferret 2005-2006, 2014a].
11Le pastoralisme kazakh est de type multi-spécifique, consistant en un élevage extensif de troupeaux d’herbivores appartenant à quatre ou cinq espèces de bétail : ovins et caprins, souvent comptés ensemble, chevaux, chameaux et bovins. Cette « multi- » ou plus exactement « pluri-spécificité » optimise l’exploitation des ressources pâturées, car les espèces ne mangent ni les mêmes plantes ni les mêmes parties des plantes.
12Le mouton broute court : la forme de son museau et la configuration de sa denture lui permettent d’atteindre des brins d’herbe inaccessibles aux autres espèces [Zdzenickij 1915 : 17]. En hiver, les ovins pâturent les solontchaks, en particulier la petite armoise (myq žusan) ; les chameaux aiment aussi les halophiles, le stipa (ši), l’arroche (kôkpek) et même des buissons de Caragana (qaraġan), quand les bovins préfèrent les prairies aux herbes moins dures et les plantes hautes qui surplombent la neige [Čormanov 1906 : 2, 4, 27 ; Potapov 1949 : 45 ; Radlov op. cit. : 257]. L’herbe dite « blanche » (aq ot), qui regroupe stipas et fétuques (betege), surtout présente dans les steppes du nord du pays, est appréciée des bovins et des chevaux, tandis que l’herbe « noire » (qara ot), correspondant aux armoises et aux halophiles, plus fréquentes dans le sud, est goûtée des ovins et camélidés [Džantûrin op. cit. : 9]. Les šalġyn des prairies humides, regroupant graminées, laîches et fléoles, conviennent au pacage de toutes les espèces et à la fenaison [Čormanov op. cit. : 27]. L’activité pastorale implique donc une bonne connaissance de la flore [Nikol’skij 1885 : 83]. Elle conduit à apprécier et découper l’espace steppique à l’aune du bétail [Ferret 2014a ; 2006], en distinguant notamment les pâtures saisonnières.
- 3 S’ils sont accentués, ces phénomènes, en rendant le pacage impossible, risquent de provoquer un žů (...)
13Par ailleurs, les espèces n’ont pas les mêmes aptitudes au pacage hivernal : en cas de neige épaisse ou durcie par le gel3, les chevaux déblaient le terrain pour les autres et broutent la partie supérieure des brins d’herbe, ensuite les bovins, incapables de tebìndeu (rus. tebenovat’) « gratter la neige pour paître », en pâturent la partie médiane, puis les moutons rasent le reste [Dobrosmyslov op. cit. : 21]. Enfin cette pluri-spécificité est une façon de se prémunir contre les épizooties, chaque espèce ayant sa propre sensibilité aux maladies.
14Le pastoralisme mobile, en disposant les bêtes à l’endroit le plus favorable en chaque saison, tire le meilleur profit des variations naturelles de la végétation et du climat dans l’espace et dans le temps. Il peut être considéré comme un modèle d’agriculture durable, car la dispersion et la mobilité des bêtes évitent l’épuisement des ressources. Il est également économe en moyens humains. En 1851, le marchand Žarkov résumait ainsi la différence fondamentale séparant les modes d’élevage russe et kazakh :
Nous, les Russes, nous restons au même endroit, gardons notre bétail au même endroit et donc nous devons lui apporter du foin. Chez les Kirghizes [Kazakhs], l’herbe reste au même endroit et les hommes font en sorte que ce soit le bétail qui aille vers elle. [1854 : 216]
15Pour reprendre la typologie des modes d’action que j’ai développée à propos de l’élevage du cheval [Ferret 2014b], cette économie de moyens correspond à une forme d’élevage peu interventionniste. Par ailleurs, les procédés qui consistent à faire déblayer le terrain par une autre espèce ou à observer le comportement animal pour décider du moment de la nomadisation relèvent de ce que j’appelle l’action participative, où c’est le bétail qui agit à la place de l’éleveur. En outre, ce système technique sans intrant et sans déchet, exploitant tous les usages possibles de l’animal, toutes les parties de son corps, et recyclant ses excréments en combustible, répond parfaitement aux exigences d’un élevage écologique.
16Or aux xixe et xxe siècles, cette attitude de conciliation plus que de maîtrise de la nature, dénuée de visée transformatrice, était jugée comme une marque de faiblesse :
Les forces de la nature, dont dispose aujourd’hui si aisément l’Européen ou l’Américain, exercent encore, dans les steppes kirghizes [kazakhes], une entière domination sur l’homme et sur le résultat de son travail. Le Kirghize ne prend pratiquement de la nature que ce qu’elle veut lui donner et au moment où elle veut le lui donner. [Dobrosmyslov 1895 : 3]
17La collectivisation du bétail, menée lors du premier plan quinquennal (1928-32) entraîna la disparition de plus de 90 % du cheptel (voir graphique) et consécutivement d’un tiers de la population kazakhe, décimée par la famine, les épidémies et l’exil [Pianciola 2004 : 165 ; Ohayon op. cit. ; Cameron 2016 : 120]. Cette catastrophe, en privant le nomadisme de sa raison d’être, fit table rase du système pastoral antérieur et préluda à la réorganisation de l’élevage au sein des kolkhozes et des sovkhozes. Sans revenir sur l’histoire de la collectivisation, j’examinerai les changements techniques introduits à l’époque soviétique à partir de l’exemple de l’élevage ovin, de première importance dans la partie sud du Kazakhstan, sachant que nombre d’innovations (intensification du nourrissage, création de nouvelles races, contrôle de la reproduction, mécanisation de certaines tâches, etc.) sont communes à l’ensemble des espèces.
18Après la Seconde Guerre mondiale, l’élevage ovin, désormais collectivisé, centralisé et au service de toute l’URSS, se tourne résolument vers la production de laine. Si les autres filières, bouchère et laitière, perdurent, elles passent au second rang pour les planificateurs. Cette priorité motive la création de nouvelles races ovines à toison fine ou semi-fine, alors que la race locale, appelée « mouton kazakh » (qazaq qoj) est à queue grasse et à laine grossière.
- 4 Équivalent du haras, mais pour toutes les espèces de bétail, qui travaille à la sélection et l’amé (...)
- 5 En 1971, 127 béliers furent importés d’Australie en URSS, dont huit furent confiés au plemzavod « (...)
19Le cheptel est divisé en deux grandes catégories, l’une dite plemennoj « sélectionné, à pedigree » [Ferret 2009 : 231 ; 2011 : 445], de qualité supérieure, et l’autre tovarnyj « de qualité marchande », plus nombreuse. Les nouveaux critères de sélection sont liés à la quantité de laine tondue, sa qualité (finesse et longueur du poil, quantité de suint) et à l’extérieur de l’animal. L’évaluation s’opère à des âges précis et conduit à une division en classes (élite, 1re, 2e et 3e). Les classes de reproducteurs sont appariées et les béliers les plus fameux, qui ne portent pas de nom mais des numéros, fondent des lignées [Asanov et al. 1977 : 288-291]. Le plemzavod4 du sovkhoze Kuûk, dans la province de Chymkent (Kazakhstan méridional) a créé une nouvelle race ovine, dite sud-kazakhe, croisant des locaux avec des mérinos importés de l’Altaï et d’Australie5. Cette méthode suit la procédure classique de l’amélioration des races de bétail adoptée par l’agriculture soviétique : d’abord externe, par croisement de femelles locales avec des mâles importés, puis interne, « en soi », par sélection des meilleurs spécimens [Ferret 2011 : 426].
20Dans cette province, les deux destinations de l’élevage ovin sont la production de karakul (aussi appelé astrakan) dans les zones désertiques de l’ouest et de laine fine dans les steppes et les montagnes. En 1975, sur les 3 millions de moutons des kolkhozes et sovkhozes de la province, 55 % sont à toison fine. La production de karakul est multipliée par quatre entre 1953 et 1974, où 700 000 peaux sont livrées à l’État. Les agneaux nouveau-nés sont abattus à un ou deux jours, après tétée, nettoyage, égorgement, insufflation d’air sous la peau, découpe et dépouille. Les peaux sont ensuite salées et séchées, les carcasses transformées en farines animales [Asanov et al. op. cit. : 300-302]. Les indicateurs de succès de l’élevage ovin sont le taux de fécondité (ici 111 agneaux pour 100 brebis) et la production de laine (3,9 kg de laine fine par tête dans la province, 5,5 kg dans le plemzavod Kuûk), en dépit de l’insuffisance chronique d’affouragement hivernal. Les mots d’ordre censés favoriser le développement du secteur sont les suivants : rationalisation, intensification, spécialisation [ibid. : 275].
- 6 Kaz. qojšy ou šopan, rus. čaban « berger » ; kaz. siyršy, rus. skotnik, « vacher » ; kaz. žylqyšy, (...)
21La spécialisation vaut à la fois chez les hommes et chez les bêtes. Les pâtres sont désormais dédiés à une espèce6, voire une catégorie (responsable des brebis, des béliers, des antenais, des poulains d’un an, des génisses, etc.), et les animaux perdent de leur polyvalence, phénomène habituel d’une sélection accrue.
- 7 Voir l’article d’I. Ohayon dans le présent volume.
22L’intensification de l’élevage se traduit par le développement de l’affouragement en foin et en céréales, qui complète ou remplace temporairement le pacage pour certaines catégories de bétail à des périodes précises de l’année. Il implique une normalisation de l’alimentation et un calcul des rations en fonction de multiples critères : espèce, race, âge, sexe, poids, état d’engraissement, état reproductif, saison [Dejhman 1947]. Il s’agit, pour étendre au règne animal une célèbre formule, de donner à chacun selon ses besoins, ceux-ci étant scientifiquement définis et catégorisés. Cette modification du mode de nourrissage correspond également à une volonté de maîtrise des aléas climatiques. Faucher et stocker du foin à l’avance permet de prévenir les conséquences d’éventuelles irrégularités des températures et des précipitations. Là se manifeste donc le primat d’actions que j’appelle « préventives » sur les actions « réparatrices » qui avaient cours naguère (une fois le žůt survenu, envoyer les bêtes sur des pâtures éloignées, briser la couche de verglas à la pelle ou chercher des aliments de substitution [Dobrosmyslov op. cit. : 31-35]). L’application de ces directives connaît néanmoins des dysfonctionnements7.
23La rationalisation de l’élevage suppose également un contrôle strict de la reproduction. L’absence de sevrage à 4 mois est sévèrement critiquée parce qu’elle mène à l’épuisement des brebis et à des saillies hâtives non planifiées. Là encore, le volontarisme zootechnique soviétique condamne le laisser-faire pastoral :
Certains kolkhozes, que le plan assigne au métissage des moutons locaux avec des mérinos, au lieu de préparer convenablement les brebis et les béliers à la saison de monte, laissent les choses se faire toutes seules (samotëk). Ils ne retirent pas à temps du troupeau les jeunes mâles à laine grossière ni les métis, et les laissent trop longtemps avec les brebis. Ceux-là couvrent donc les brebis qui auraient dû être croisées avec des mérinos. Cette manière de faire est inadmissible. Elle ruine le projet de métissage, entraîne une utilisation improductive des ressources en animaux de race et viole directement l’arrêté du Sovnarkom d’URSS et du Comité central du PCUS du 20 avril 1940 “Sur les mesures pour l’amélioration du stockage de la peausserie” qui impose une stricte séparation des troupeaux de moutons à toison fine et à laine grossière. [Dejhman op. cit. : 86]
24Les saillies en liberté sont réservées aux otar « troupeau ovin » non plemennoj, ou aux exploitations de petite taille possédant un seul mâle reproducteur. Ailleurs sont préférées les saillies en main ou « en harem », qui permettent l’appariement individuel d’un bélier reproducteur avec un groupe particulier de brebis, choisies à l’aide d’un bélier « souffleur ». Celui-ci repère (action participative) les brebis en chaleur, vêtu d’un tablier contraceptif. L’insémination artificielle se développe à partir des années 1940, pour le bétail collectif et privé [Mel’nik 1967 : 217]. Cette méthode décuple la capacité reproductive des béliers d’élite, passant de 20-30 brebis en saillie libre, 50-60 en saillie en main, à plusieurs milliers de brebis par an. Cette technique de reproduction nécessite, en revanche, une intervention humaine plus lourde.
- 8 Cette opposition n’est pas constante, car dans la même brochure, un deuxième texte reconnaît la va (...)
25L’agnelage hâtif du queue-grasse, dès février ou mars, en donnant des animaux plus gros pour l’abattage automnal, augmente la production de viande. Il alourdit considérablement les tâches liées à la mise bas, mais il allège quelque peu les soins de l’hivernage suivant, les agneaux étant plus développés à l’arrivée de la saison froide. En outre, il autorise à la fois une mise à la reproduction des antenais et leur tonte semestrielle, ce qui concourt à l’intensification de la production lainière. Le discours zootechnique des années 1930 est ouvertement volontariste à ce sujet, condamnant comme « une capitulation devant des difficultés surmontables » [Pŝeniĉnij et Villius 1934 : 3] la pratique usuelle de l’agnelage printanier, pourtant prônée par les bergers car elle réduit les pertes et n’oblige pas au maintien des brebis et des nouveau-nés dans des bergeries chaudes. Il oppose les habitudes et les croyances des bergers, hostiles au changement, à la théorie scientifique, déjà appliquée dans les élevages ovins occidentaux, qu’il incite à suivre8.
26D’autres expériences ont été menées pour stimuler artificiellement les naissances gémellaires et doubler ainsi le cheptel, par injection de sérum de juments gestantes [Dejhman op. cit.]. Les mérinos donnent souvent des jumeaux, les queue-grasse plus rarement, mais ces brebis ont parfois deux gestations la même année. Une autre stratégie fut donc d’organiser le calendrier des saillies de sorte d’obtenir trois gestations en deux ans.
27Les moutons sont sujets aux parasites et s’infestent à nouveau en paissant. Aussi la lutte contre les vers, « fléau de l’élevage ovin » [idem], est prise très au sérieux. Des livres entiers sont consacrés à l’identification des parasites et décrivent les moyens de lutte préconisés [Celiŝev et Boev 1951]. Ce combat est sans pitié pour les indésirables. Le traitement est à la fois préventif (administration de vermifuges, bains contre les tiques et la gale) et curatif : les animaux atteints par la myiase doivent être régulièrement inspectés et individuellement soignés, les larves extirpées, les plaies nettoyées et désinfectées.
- 9 Les baj, gros propriétaires de bétail, représentaient les équivalents kazakhs des koulaks, paysans (...)
28À l'intérieur des sovkhozes, l’organisation du travail est hiérarchisée et les sections d’élevage ovin divisées en brigades, composées de deux à quatre bergers, dirigées par un berger en chef ou brigadier, en charge de 800 à 1 000 têtes. Les troupeaux doivent être homogènes suivant l’âge, le sexe, la classe et la productivité, afin de rationaliser au mieux l’alimentation. Cette fine catégorisation et stricte séparation des catégories est une innovation. Cependant, ironie de l’histoire quand on connaît le sort réservé aux baj dékoulakisés9, elle reprend en l’accentuant celle qui avait cours naguère chez les gros propriétaires de bétail. Selon Radlov, « le bétail grossit plus vite chez les riches » [op. cit. : 257] car les troupeaux des différentes espèces, plus nettement séparés, suivent chacun un parcours qui leur est propre et pâturent donc l’herbe qui leur convient le mieux.
- 10 Sur l’aspect participatif de cette méthode, où le petit favorise la montée de lait par une tétée p (...)
29Moment critique de l’élevage ovin, l’agnelage, après cinq mois de gestation, représente une lourde charge de travail. Aussi des travailleurs supplémentaires sont temporairement affectés aux brigades de bergers. La surveillance est alors constante, 24h sur 24. Brebis parturientes et nouveau-nés sont gardés dans des cages individuelles pendant deux à trois jours, avant d’être transférés dans des petits groupes (saġman en kazakh, sakman en russe). À deux ou trois semaines, les agneaux à laine fine ont la queue coupée puis les mâles sont castrés [Dejhman op. cit. ; Asanov et al. 1977 : 286]. La traite des brebis s’effectue en employant la méthode de la sucée10. Les agneaux sont sevrés vers 4 mois, une partie abattue à l’âge de 7 ou 8 mois.
30Les moutons à toison fine sont tondus une fois par an, au printemps ; ceux à laine grossière, deux fois. La tonte doit être courte et égale, de manière à obtenir une toison entière la plus longue possible, sans deuxième passage. La mécanisation, avec l’emploi d’appareils électriques, accroît sa productivité.
31Les moutons paissent toute l’année, au moins 14 heures par jour en été et en automne, avec un complément alimentaire dans certains cas [Asanov et al. op. cit. : 287]. La nuit, ils sont gardés en enclos l’été et en bergerie l’hiver. Le berger doit veiller à la rotation des pâtures, en ne faisant pas paître plus de cinq ou six jours au même endroit, pour éviter l’épuisement et le piétinement de celles-ci, mais aussi limiter les parasites. Pour une exploitation optimale des ressources herbagères, il est recommandé de conduire les moutons le matin, quand ils sont affamés, sur les traces de la veille puis de les mener sur une pâture fraîche ensuite. Par temps chaud, ils doivent être poussés dans le sens du vent le matin, contre le vent au retour l’après-midi, et l’inverse par temps froid. Le berger doit faire avancer le troupeau lentement, sachant que les animaux les plus forts ont tendance à marcher en tête, broutant les meilleures herbes, laissant les moins bonnes aux plus faibles. L’intensification relative du nourrissage n’implique pas que le pacage soit négligé, car la nourriture « sur pied » demeure l’essentiel de l’alimentation ovine. Les savoir-faire des bergers sont explicités et normalisés. Même s’ils occupent une place marginale dans la littérature zootechnique, des éthologues étudient le comportement des moutons [Baskin 1976].
32Loin d’être l’apanage du système soviétique, ces processus de normalisation et de spécialisation liés à l’intensification sont propres à l’élevage moderne. Ils relèvent de ce que j’appelle, faute de mieux, l’action a priori, opposée à l’action a posteriori ou opportuniste, dans ma classification des modes opératoires [Ferret 2014b]. Cette dichotomie oppose, d’une part, des actions déterminées de façon préétablie, effectuées en vertu de principes plus ou moins rigides, appliquées systématiquement à tous les objets d'une certaine catégorie et composées d'une succession rigoureusement ordonnée d'étapes et, d’autre part, des actions opportunistes, s’adaptant au contexte singulier de l’instant ou n’étant pas motivées par un objectif précis. Dans l’optique d’une rationalisation de l’élevage, chaque animal est classé dans une catégorie strictement définie, à laquelle doit être appliqué de manière systématique un traitement déterminé à l’avance suivant une méthode scientifique.
Cheptel dans les frontières actuelles du Kazakhstan depuis un siècle (en milliers de têtes)
Graphique : C. Ferret. Sources : Mel’nik 1967 ; Pianciola 2004 : 166 ; I. V. Sautin (dir.), Životnovodstvo SSSR za 1916-1938 gg., Moskva – Leningrad: GOSPLANIZDAT, 1940 ; 1927, Narodnoe hozâjstvo Kazahstana v 1925-26 god IV Statistiko-èkonomičeskij ežegodnik. Kzyl-Orda: Izdatel’stvo Gosplana KazSSR ; 1959, Narodnoe hozâjstvo SSSR v 1958 g. Statističeskij sbornik. Moskva: Gosudarstvennoe statističeskoe izdatel’stvo ; 1961. Narodnoe hozâjstvo SSSR v 1960 g. Statističeskij ežegodnik. Moskva: Gosstatizdat CSU SSSR; 1987. Narodnoe hozâjstvo SSSR za 70 let. Ûbilejnyj statističeskij ežegodnik. Goskomstat SSR. Moskva : Finansy i statistika ; 1991. Narodnoe hozâjstvo SSSR v 1990 g. Statističeskij ežegodnik. Moskva : Finansy i statistika ; Agence des statistiques de la République du Kazakhstan.
33Les effets désastreux de la collectivisation des années 1930 et de la privatisation des années 1990 apparaissent nettement dans l’évolution du cheptel (voir graph.). Ses courbes s’inversent en 2000, mais certaines productions ne se relèvent pas de la crise, notamment celle de karakul, passée de 1,8 million de peaux en 1990 à seulement 4 000 en 2016.
34La privatisation du bétail, la chute du cheptel et le morcellement de la propriété ont inéluctablement entraîné de profondes transformations, non seulement quantitatives mais aussi qualitatives dans la manière de mener l’élevage. La distribution du bétail des kolkhozes et des sovkhozes à l’ensemble de la population rurale pourrait laisser penser qu’à l’inverse de la spécialisation qui suivit la collectivisation, tout un chacun est (re)devenu berger dans les années 1990, mais ce phénomène de généralisation ne doit pas être surestimé. En effet, il est fortement tempéré par la disparition du bétail, mangé en nombre [Pétric 2013]. Ensuite, cette distribution n’était nullement égalitaire. Enfin, la propriété privée du bétail, toute restreinte qu’elle fût, n’avait pas disparu des zones pastorales. En revanche, il est indéniable que la spécification et la spécialisation des bêtes, elles, ont fondu. Dans des troupeaux émiettés, il n’est plus question de diviser le peu d’animaux possédés en catégories fines suivant leur race, leur âge, leur sexe et leur fonction. Tous sont mêlés et par conséquent, souvent traités indifféremment. L’indifférenciation efface la catégorisation. Dans une économie de subsistance où les cours de la laine se sont effondrés, le mérinos doit, paradoxalement, sa valeur à sa viande. À ce moment-là, l’opportunisme l’emporte sur la rationalisation a priori.
- 11 Z. Žanabaeva, « Sovremennoe sostoânie agrarnogo sektora Respubliki Kazahstan », G. Global, 2015 (<http://group-global.org/ru/publication/18972-sovremennoe-sostoyanie-agrarnogo-sektora-respubliki-kazahstan>)</http>
35Du point de vue des politiques publiques, la rupture n’est pas si profonde qu’il n’y paraît. Passé le temps de la privatisation, le ministère de l’Agriculture du Kazakhstan exhorte au croît du cheptel et privilégie les exploitations de grande taille par des subventions ciblées11 [Hazanov 2017 : 53], poursuivant à cet égard la même politique qu’à l’époque soviétique [Bapaev 1978]. Mais au niveau micro, à l’échelle du village, observe-t-on, depuis l’indépendance, un retour vers des techniques d’élevage antérieures, refermant la parenthèse soviétique ? C’est ce que nous allons voir par l’étude d’un cas, issu d’un long terrain ethnographique et qui, à ce titre, n’est sans doute ni moyen ni typique, mais néanmoins représentatif.
- 12 Ce toponyme et certains noms de personnes ont été changés pour préserver l’anonymat des informateu (...)
36L’aoul d’Aqtau12 est situé dans le sud de la province du Kazakhstan méridional, un peu à l’écart de la route qui relie Tachkent à Chymkent, dans une zone de steppe au climat continental modéré par la latitude méridionale. Il est arrosé par un cours d’eau provenant d’une source du Qazgůrt, montagne où s’est échouée l’arche de Noé d’après la légende locale. C’est un village de taille modeste, dit de « quarante maisons » (j’en ai dénombré 56 en 2008, mais toutes n’étaient pas habitées), qui compte 250 habitants. L’aoul est d’une grande homogénéité lignagère puisque tous les hommes appartiennent au même segment : Šegìr, de la tribu Dulat dans la Horde aînée (Ůly žùz), à quelques exceptions près. Vantée par les habitants, cette appartenance commune joue un grand rôle dans le fonctionnement du village. Dans la région, l’élevage est sédentaire de longue date. La proximité de la ville de Chymkent, capitale de la province située à 40 km, offre des opportunités d’emploi professionnel aux habitants de l’aoul. Ce n’est cependant que depuis 2008 qu’il est desservi par une route goudronnée, le reliant au bourg le plus proche, Fogolevka, situé à 5 km.
37Ce village semble cultiver sa singularité : il appartient à un autre district (Tôle Bi) que le bourg voisin (dans le district Qazgůrt), qui est pourtant le seul moyen de rejoindre le réseau routier, et il n’a pas non plus été intégré à aucun des sovkhozes les plus proches, ni Kùìk ni Qazgůrt. Avec un autre hameau voisin, il faisait partie du kolkhoze Bolševik, dont le centre était situé à Galkino, à plus de 50 km (voir carte). Cette fragmentation du découpage territorial des fermes collectives et d’État ne laisse pas d’étonner et répond vraisemblablement à des raisons d’ordre économique et écologique, mais aussi historique et politique. Selon mes informateurs, l’isolement de cet aoul est volontaire, il résulte du souhait des « petits chefs » locaux de conserver leurs prérogatives, préférant « rester les premiers dans un petit chez-soi que de devenir des moins que rien dans un grand chez-les-autres ».
Carte des sovkhozes et kolkhozes d’une partie de la région de Chymkent
Carte : C. Ferret. Sources : carte soviétique intitulée Schéma de répartition des possessions et usages fonciers. République du Kazakhstan
- 13 Cette divergence d’opinions se retrouve fréquemment dans les histoires locales de déplacement de p (...)
38En 1952, tous les habitants de l’aoul ont été déplacés dans le sud de la région pour réaliser un projet de culture irriguée de coton dans le désert, fournissant de la main-d’œuvre au kolkhoze Tel’man. Ce grand déménagement, volontaire selon certains informateurs, forcé selon d’autres13, est un des événements fondateurs de l’histoire locale, connu seulement à l’échelle du village. Il offre une parfaite illustration du prométhéisme soviétique désireux de dominer la nature, qui s’est traduit non seulement par des projets pharaoniques décrits dans la littérature, mais aussi dans une multitude de sacrifices de moindre ampleur, dont seule la mémoire locale conserve maintenant la trace. Là, dans le désert, sans maison, sans eau de qualité, les conditions étaient rudes, à travailler dans les champs sans relâche ni congé, et privés de bétail. Dès qu’ils y ont été autorisés, les habitants d’Aqtau sont revenus dans leur aoul, entre 1954 et 1956.
39Au creux d’une zone de steppe vallonnée, les maisons du village sont de plain-pied, construites avec des briques crues. Le village bénéficie d’une eau de source, tirée à l’aide de pompes manuelles (en 1995), puis électriques et aujourd’hui, plusieurs maisons ont l’eau courante. La plupart sont aussi alimentées en gaz, mais le tezek « excrément du bétail séché » reste un combustible couramment utilisé, notamment pour le chauffage au poêle et la cuisson du pain.
- 14 Voir, par exemple, l’article de M. Stawkowski dans ce même volume.
40Les services publics sont bien présents dans l’aoul, et même étonnamment actifs compte tenu de sa taille modeste et du désengagement de l’État constaté dans les républiques centrasiatiques à l’ère postsoviétique14: une école primaire, qui comptait, en 2008, 21 élèves répartis en trois classes, de la 1re (7 ans) à la 4e (10 ans) ; une infirmerie, et même un jardin d’enfants, ouvert en novembre 2012. Une mosquée a été construite en 2009, financée par les habitants et un sponsor, acteur et animateur, originaire du village (maison 4, voir infra). Les occasions de festivités sont nombreuses dans l’aoul: célébrations familiales, cycle funéraire, jubilés divers. Par exemple, le 21 avril 2008 a été organisé un qůdajy (repas collectif au nom de Qůdaj « Dieu ») en plein air réunissant tout l’aoul, après abattage d’un mouton, pour faire tomber la pluie et contrer une sécheresse débutante. Le lendemain, il a effectivement plu en fin de journée, mais les sceptiques expliquent qu’on planifie ce type de qůdajy précisément quand la météo prévoit des intempéries.
Préparatifs du qůdajy (district de Tôle Bi, 21 avril 2008)
Photo : C. Ferret.
J'ai numéroté les maisons (m.) suivant leur emplacement le long de la route. Le cheptel individuel est détaillé en têtes de petit bétail (p.b.), ovin principalement, bovins (bo.) et chevaux (ch.), le total compté en équivalents cheval.
Carte : C. Ferret.
41L’habitat, assez dispersé, se répartit entre, d'un côté, « l’aoul du bas », vers l’aval, l'eau ou l'ouest et, de l'autre (après l’école), « l’aoul du haut », vers les montagnes (voir plan du village).
42Ce recensement révèle l’entrecroisement des relations de voisinage et de parenté au sein de l’aoul. L’organisation sociale y est marquée par la patrilocalité, l’exogamie, la cohabitation des générations, l’ultimogéniture et l’autorité des aînés, traits qui influencent aussi la gestion du bétail (voir infra). Sur l’élevage plusieurs renseignements peuvent être tirés. Premièrement, la grande majorité des maisonnées possède du bétail, mais le cheptel détenu par chacune est relativement modeste, comparé au second cas d’étude que nous examinerons : en moyenne, 54 têtes de petit bétail, 4,9 bovins et 1,3 cheval, ces moyennes étant assez différentes des médianes (respectivement 20, 4 et 0) en raison d’une distribution inégale. Compté en équivalents cheval, le cheptel par foyer est de 14,3 en moyenne (médiane : 6,7), avec une forte dispersion allant de 0,8 à 108,3. Deuxièmement, les espèces ne sont pas également réparties : si le nombre de vaches varie assez peu d’une maisonnée à l’autre, car leur exploitation se fonde essentiellement sur un lait d’autoconsommation, celui des moutons et des chevaux fluctue fortement avec la richesse individuelle. Autrement dit, les pauvres qui ne possèdent que quelques têtes de bétail ont surtout des vaches ; les riches, surtout des moutons et quelques-uns, des chevaux, animal assez rare ici. Certains individus cependant ont décidé d’investir « en technique » plutôt qu’en bétail, tel le maître de la maison 10 qui, malgré un cheptel modeste, possède voiture, tracteur et car. Cette répartition inégalitaire est pour une part héritée de la dislocation des exploitations collectives, dont mes informateurs locaux m’ont raconté l’histoire, de façon certes partielle et partiale, mais significative.
- 15 Spravočnik po istorii sovhozov Ûžno-Kazahstanskoj oblasti (1918 – 1994 gg.), 2012. Šymkent, Upravl (...)
- 16 De fait, quelques habitants de l’aoul employés en ville ont des horaires de travail éreintants, si (...)
43Le sovkhoze Kuûk (Kùìk en kazakh) fut fondé dès 1927 sous la forme d’un trust d’État de la province du Kazakhstan méridional15, spécialisé dans l’élevage ovin, d’une part karakul à partir de 1957, d’autre part à toison semi-fine. Un des habitants de l’aoul, né en 1947, qui y a travaillé, d’abord comme comptable puis dans le syndicat, raconte : « Après la création de la nouvelle race, la production de laine a grandement augmenté. Ces moutons sont couverts de laine, ils en ont même sur les pattes ». La population totale du sovkhoze s’élevait à 12 000 personnes, dont 800 à 1 200 employés. Il comptait cinq fermes, dont une unité laitière de 1 700 vaches et une ferme ovine de 55 000 moutons. Le sovkhoze avait 400 chevaux de travail, 120 véhicules et machines agricoles. Sur 40 km à l’ouest de Fogolevka s’étendaient ses 60 000 ha de pâtures et 10 000 ha de terres arables, où étaient cultivés luzerne, blé, avoine. Chaque famille disposait d’un lopin privé d’un hectare. « Tous recevaient la même chose, c’était égalitaire : l’URSS nous nourrissait. Aujourd'hui, c’est différent : pour bien vivre, il faut travailler16 », résume le même informateur.
44Depuis, les surfaces cultivées ont considérablement diminué. Le sovkhoze Kuûk a été démantelé officiellement le 17 avril 1998, segmenté en fermes et coopératives qui, pour la plupart, ont duré moins d’une année. Le bétail collectif a été bradé pour acheter du blé ou distribué en guise de salaire, ainsi que les machines agricoles (50 moutons pour un berger, par exemple ; l’employé qui avait reçu un tracteur pouvait ensuite gagner sa vie en le louant). La société par actions Kuûk qui a repris les activités du sovkhoze suit la même politique d’élevage qu’auparavant. Elle a créé un nouveau type dit « kuûk » au sein de la race sud-kazakhe en croisant à nouveau des brebis mérinos sud-kazakhes avec des béliers australiens.
45L’aoul ne faisait cependant pas partie de ce sovkhoze tout proche. C’était un des huit secteurs (učastok) du kolkhoze Bolševik, chargé d’élever trois ou quatre otar d’environ 450 brebis chacun, et de cultiver du blé et du trèfle non irrigués avec une rotation pluriannuelle des cultures. Bétail collectif et bétail privé étaient gardés ensemble. Pour dissimuler celui-ci et échapper aux réquisitions, un des habitants se souvient que, enfant sous Khrouchtchev, il emmenait les bêtes de ses parents vers le hameau voisin en cas d’inspection.
46Lors de la privatisation, le bétail collectif devait, en principe, être redistribué en parts (rus. paj) en fonction du nombre d’années travaillées, mais « ça n’a jamais fonctionné. Les paj, c’est bien joli sur le papier, mais en fait, ça ne compte pas. Il n’y a pas eu de répartition des biens suivant un principe défini. Que des arrangements oraux, rien d’écrit », raconte un de mes informateurs.
47En outre, le processus de privatisation connut ici des ratés. En 1995, l’aoul se sépara une première fois du kolkhoze Bolševik. Le total des biens à distribuer qui lui revenaient alors consistait en 2 700 moutons, 100 vaches, deux tracteurs, deux camions, trois bergeries. Les maîtres des maisons n°8, 16 et 53 évaluèrent ce qui devait échoir à chacun suivant son emploi et la composition de sa famille. Leur projet était de créer une coopérative, mais il n’y eut jamais d’accord sur le choix de la personne qui l’aurait dirigée. L’administration du kolkhoze refusa la candidature des instigateurs du projet, au motif qu’ils n’avaient pas une expérience suffisante ou étaient déjà à la retraite, et proposa celle du directeur du secteur (maison 54). Or la population ne l’aimait pas, certains disant qu’il avait corrompu la mairie (akimat) pour avoir le poste. Elle aurait préféré le maître de la maison 50, vétérinaire, qui déclina la proposition, de même que le maître de la maison n°6, agronome. On remarquera que les personnes pressenties sont parmi celles qui, aujourd’hui, possèdent une bergerie privatisée. De manière générale, les anciens dirigeants des sovkhozes et des kolkhozes, ainsi que les spécialistes (zootechniciens ou agronomes), sont ceux qui ont tiré le meilleur profit personnel de la privatisation, accaparant la majeure partie des biens [Toleubayev et al. 2010 : 357 ; Hazanov op. cit. : 49].
Vue sur une des bergeries de l’aoul, la maison n°50 (district de Tôle Bi, avril 2008)
Photo : C. Ferret.
48L’aoul ayant échoué à se mettre d’accord sur le nom d’un chef, il réintégra le kolkhoze en 1995. Il n’en sortit finalement qu’en 1997, mais les biens collectifs s’étaient alors réduits comme peau de chagrin : 350 moutons, 60 vaches, deux tracteurs et un camion. « On a beaucoup perdu à cause d’un imbécile », commente un de mes informateurs. Une coopérative fut néanmoins créée, composée de 17 maisonnées et cultivant 120 ha de trèfle. Mais elle se décomposa rapidement, ses membres la quittant les uns après les autres. Au bout de cinq ans, tous étaient séparés et menaient leur exploitation de manière indépendante.
- 17 Pour plus de précisions sur les réformes foncières au Kazakhstan, voir les articles coécrits par K (...)
49Les terres arables et les prés à foin ont été distribués à raison de 3 hectares par personne dont l’ancienneté au kolkhoze était supérieure ou égale à trois ans. Par exemple, la maisonnée n° 44 a reçu 10 ha (trois pour le maître de maison, trois pour la maîtresse de maison et 0,75 par enfant) ainsi que 5 moutons et un petit tracteur Belarus. Mais les surfaces ne font pas tout, la qualité et l’emplacement des terres importent autant. Cette répartition foncière a soulevé de vives discussions. Les mieux lotis ont réussi à obtenir de bonnes terres près de chez eux, suscitant du ressentiment. L’usufruit des pâtures a d'abord été cédé pour 100 ans, puis les baux ont été réduits à 49 ans17. Cependant, comme elles ne sont pas clôturées, le bétail ne se cantonne naturellement pas aux terres de son propriétaire. En 2009, les pâtures proches sont officiellement devenues communes, « de l’aoul », conformément aux usages du pacage.
- 18 Selon le dictionnaire de Syzdykova et Husain [2002 : 665], pada désigne en kazakh un troupeau bovi (...)
50Aujourd’hui, tout le bétail paît aux alentours de l’aoul l’année durant. La transhumance estivale du kolkhoze a été abandonnée. La majorité des habitants étant des éleveurs modestes, les animaux sont regroupés dans des troupeaux composites appelés pada18, appartenant à plusieurs maisonnées et gardés à tour de rôle par chacun des propriétaires. Le village compte deux otar composites d’environ 120 brebis (250 têtes avec agneaux et antenais), l’un pour l’aoul du bas, l’autre pour l’aoul du haut. Tous les soirs, le troupeau se décompose et chaque groupe de moutons rentre dans la cour de son propriétaire, où il passe la nuit dans un enclos. En hiver et lors de l’agnelage, chacun garde son bétail chez soi. Quant aux gros propriétaires, à la tête d’otar entiers, ils gardent leurs bêtes à part, notamment les maîtres des maisons n° 31 et 27, qui ont réussi à privatiser à leur avantage les bergeries situées à l’extrémité du village.
51Les moutons portent des marques de propriété sous la forme d’entailles aux oreilles, qui permettent de les différencier et de décourager le vol. L’activité de berger ou de vacher est peu valorisée, jugée ennuyeuse, abêtissante et peu enviable. Personne ne veut garder le bétail et on dit : « celui qui a fait pâturer des moutons pendant trois ans, il ne faut plus rien lui demander, parce qu’il est devenu aussi bête qu’eux ». Étrangement, les moutons sont à la fois jugés stupides, mais bien plus prisés que les chèvres, plus vives mais tenues pour quantité négligeable.
Retour du bada à l’aoul le soir. Chaque propriétaire attend ses moutons, armé d’un bâton pour aider à la décomposition du troupeau (district de Rajymbek, août 2013)
Photo : C. Ferret
52Le gros bétail est habituellement soumis à une surveillance moins serrée que le petit. Quelques vaches pâturent en totale liberté. Cependant la configuration des lieux, avec des champs non clôturés, rend le gardiennage indispensable pour préserver cultures et foins. La plupart des bovins sont donc également regroupés en un troupeau composite de 120 têtes, gardé par un vacher. Les vaches sont rassemblées tous les matins après la traite et rentrent le soir. C’est le fils aîné du maître de la maison n°9 qui s’en charge, rémunéré 300 tenge (1,7 euro) par mois et par tête. Âgé de 22 ans, il fait en même temps des études de dessin industriel par correspondance. Il doit veiller à tenir les vaches à l’écart des cultures et peut être rendu responsable des pertes. Quant aux chevaux, peu nombreux, beaucoup paissent attachés, car ce sont pour la plupart des juments laitières ou des animaux de selle entiers, qui doivent rester à la disposition de leur maître plusieurs fois par jour.
- 19 3 tenge le kg de laine en 2008, soit 1,6 centime d’euro (20 tenge en 2005). La monnaie kazakhe s’e (...)
53Dans les otar, sexes et âges ne sont plus séparés. Le seul critère déterminant la formation des troupeaux est l’identité des propriétaires, indépendamment des caractéristiques des animaux. Ici, mérinos et croisés ont complètement disparu ; seule subsiste la race à queue grasse. De ce point de vue, la parenthèse soviétique est refermée. Néanmoins, on ne constate pas un retour à la polyvalence, mais bien un changement d’orientation : les ovins sont désormais exploités exclusivement pour leur viande, à la fois pour l’autoconsommation et la vente, sur les marchés au bétail des environs. Les moutons sont bien tondus, fin avril ou début mai, avec des ciseaux, mais uniquement pour leur bien-être et la qualité de la viande. La tonte ne rapporte rien, car la laine n’est pas vendue (son prix, qui s’est effondré19, est inférieur à celui du transport jusqu’au marché) ni utilisée. La laine, second « or blanc » centrasiatique après le coton, est ainsi devenue un déchet de l’élevage ovin (« costly nuisance » selon McGuire [op. cit. : 6]). Les espèces sont donc ici plus complémentaires que polyvalentes, avec une exploitation bouchère des ovins, laitière des bovins. S’il va au rebours de la privatisation, le gardiennage collectif de troupeaux composites n’est pas un retour au kolkhoze : la propriété reste privée, liée à chaque maisonnée, chaque propriétaire demeure maître des décisions concernant ses bêtes, le regroupement est temporaire et les autres tâches de l’élevage (agnelage, tonte) sont assumées individuellement.
54L’agnelage se déroule de janvier à mars, parfois jusqu’en mai voire au-delà. Cette extension de la saison des naissances est due à un relâchement du contrôle de la reproduction : les saillies se font désormais en liberté, par des béliers qu’on se contente d’habiller de tabliers contraceptifs pour éviter les naissances hâtives. Quelques brebis à queue grasse mettent bas une deuxième fois dans l’année, en été. L’accouplement des bovins a lieu en liberté, sans aucun contrôle. L’aoul n’a que trois ou quatre taureaux pour ses 120 vaches, avec lesquelles ils restent du printemps à l’automne. Personne n’a intérêt à posséder un taureau, qui ne rapporte rien. Les bovins mâles sont abattus à un ou deux ans pour la viande. Avec le morcellement de la propriété du cheptel, ce dysfonctionnement peut vite s’avérer rédhibitoire. La traite, effectuée deux fois par jour, uniquement par des femmes, s’arrête en octobre jusqu’à la mise bas, privant les villageois de produits laitiers en hiver. On observe donc un retour vers des pratiques antérieures (tonte au ciseau, saillie en liberté), notamment dans le domaine de la reproduction, où dominent actuellement des actions moins interventionnistes et plus opportunistes.
55À l’inverse, le nourrissage s’est plutôt intensifié. Au cœur de l’hiver, du 20 décembre à fin février, bovins, ovins et caprins restent à l’étable jour et nuit, nourris au foin, car il n’y a plus rien à brouter autour du village. Le pacage reprend en mars, quand l’herbe nouvelle apparaît. Chaque éleveur s’efforce d’adapter la taille de son cheptel à la quantité de foin qu’il est susceptible de faucher, mais les années de sécheresse, il est contraint d’acheter du fourrage. En 2012, par exemple, les pâtures de l’aoul étaient dégarnies dès juillet et plusieurs maisonnées ont cessé la traite à ce moment-là. Le surpâturage près des villages est un fait souvent relevé [Kerven et al. 2006 ; Alimaev et al. 2008]. Mais ici, les gens ne parlent pas d’une dégradation des terres et ne s’en inquiètent pas, le pastoralisme local ayant toujours été majoritairement sédentaire dans leur mémoire.
- 20 Sur l’engraissement de bovins au Kirghizstan, activité exigeante en capital mais très rentable, vo (...)
56Aux antipodes d’un pastoralisme extensif, certains habitants se sont même mis, faute de salaire après l’indépendance, à engraisser du bétail. Ainsi en 1995, l’instituteur de l’aoul gagnait sa vie – beaucoup plus qu’avec ses élèves – en achetant des chevaux pour les revendre au marché après deux mois d’embouche. Le cheval est gardé dans une stalle en permanence, attaché et entravé. Il est alimenté trois fois par jour avec du blé aplati, additionné d’un peu d’eau et de sel, et du trèfle à volonté. La ration quotidienne est progressivement augmentée jusqu'à satiété, passant de 3 à 8, voire 10 ou même 12 kg de céréales. Ensuite, le cheval est revendu vivant au marché, pour sa viande, à un prix dépendant de son état d’engraissement. Ce gavage, particulièrement dépensier en fourrage et en travail, était alors un moyen de se procurer des liquidités rapidement20.
- 21 Ce traitement de la carcasse est particulier au sud du pays. Ailleurs, des températures plus basse (...)
- 22 Bismillah (« au nom d'Allah », en arabe) : phrase par laquelle débute la récitation du Coran et pr (...)
57Le gardiennage collectif n’est qu’une des facettes de la vie sociale de l’aoul, marquée par une forte cohésion et de nombreuses occasions de coopération. Quand un habitant prévoit d’abattre une tête de gros bétail, il prévient ses connaissances deux semaines à l’avance afin d’avoir des acheteurs pour les 12 parts (žìlìk) de viande dans lesquelles est débitée la carcasse, chaque part comprenant une proportion égale de chacun des morceaux, cinquième quartier inclus21. Dans l’aoul, on fait souvent appel au même homme (maison n° 45) pour l’abattage du gros bétail – qui se pratique obligatoirement pour toutes les espèces par égorgement après Bismillah22 –, réputé particulièrement habile, et rétribué par le don d’une partie des bas morceaux. Les acheteurs de l’aoul ne règlent pas toujours immédiatement, parfois ultérieurement ou en nature. L’abattage massif (soġym) se fait à l’automne, saison où les animaux sont les plus gras, afin de constituer des réserves pour l’hiver. Le petit bétail peut, lui, être égorgé tout au long de l’année, suivant les besoins du moment. En octobre 2009, une vache a dû être abattue après avoir été encornée par une autre. Il n’y a alors pas eu de remboursement de la part du vacher ni du propriétaire du bovin fautif, mais tous se trouvaient dans l’obligation morale, selon les aqsaqal « barbe blanche, vieillard respecté », d’acheter une part de viande au propriétaire de la bête tuée, coutume désignée comme aġajyn gerŝìlìk « entraide obligée entre apparentés ».
- 23 Issue de mes séjours de terrain dans le district (juin 1994, juin-juillet 2012 et août 2013).
58Cette seconde étude de cas23, détaillée dans d’autres publications [Ferret 2015, à paraître], présente un exemple de pastoralisme mobile, avec des troupeaux d’une tout autre envergure. Elle fera contrepoids au cas précédemment étudié, illustrant la diversité des pratiques tout en révélant certains traits communs.
59Dans le sud-est du pays (district de Rajymbek, région d’Almaty), les chaînes montagneuses nord-ouest du Tian Chan favorisent une mobilité pastorale altitudinale. Dans le bourg de Žalanaš et le village de Kiši Žalanaš, situés au pied du Kungej Alatau, une petite part des familles (50 foyers sur 786 à Žalanaš en 2012, pour 320 exploitations agricoles) pratique actuellement le nomadisme pastoral, après une interruption due à la crise de l’élevage en 1995-1999. Le maire (akim) du bourg m’explique ainsi en 2012 :
Le kolkhoze a été dissous en 1995, il y a eu une chute du cheptel, puis une reprise. Les gens ont compris que le bétail, c’est une richesse. Actuellement, il y a autant de vaches et de chevaux que durant la période soviétique, un peu moins de moutons, mais ça augmente et, d’ici peu, on aura retrouvé le niveau antérieur.
60Cette remontée du cheptel a encouragé la reprise de la mobilité pastorale, d’abord pour les gros éleveurs, mais pas uniquement. Certains petits propriétaires regroupent aussi leurs bêtes pour les envoyer sur les estives sous la surveillance d’un berger rémunéré, si bien que la majeure partie du bétail est mobile. Éleveurs-propriétaires et bergers salariés suivent le même parcours de nomadisation, avec des variations d’amplitude (20 à 100 km) et dans le nombre de stations saisonnières (2 à 5).
61Bétail et bergers, accompagnés de leur femme et de leurs enfants d’âge préscolaire (et scolaire pendant les vacances) passent l’hiver sur les qystau « hivernage » au nord, sur les piémonts du Tory Ajġyr, du côté de l’adret, plus ensoleillé, où la neige est balayée par les vents en hiver, à une altitude d’environ 1800 m. Puis pendant les intersaisons, ils se rendent sur les kôkteu
62« station et pâtures printanières » et kùzeu « station et pâtures automnales», dans la vallée, à l’altitude la plus basse, autour de 1500 m. L’été, ils vont au sud, sur des žajlau « estive » situés à des altitudes atteignant ou dépassant les 2 000 m dans le Kungej Alatau, du côté de l’ubac, où la richesse de la végétation, stimulée par d’abondantes précipitations, fait rapidement engraisser le bétail. Ce parcours, qui n’a guère changé depuis le début du xxe siècle [Ferret à paraître], exploite les variations altitudinales du climat et de la végétation, mais aussi l’orientation des versants. Les bergers vivent dans des fermes sur les qystau, où sont également bâtis étables et enclos, et dans des iourtes le reste de l’année.
- 24 Certains emplacements d’estive ont été desservis par le réseau électrique entre 1971 et 1995. Aujo (...)
- 25 Par exemple, l’un des bergers interrogés m’a dit s’occuper d’un otar de 600 moutons (dont 500 appa (...)
- 26 Outre la connaissance des plantes citées supra, les pasteurs savent évaluer la qualité d’un herbag (...)
63Sur un grand žajlau proche du Kirghizstan, réputé et fréquenté à l’époque soviétique24, une trentaine de iourtes sont montées en été, le long de deux bras de rivière. Ici, la taille des troupeaux est bien supérieure, ce qui rejoint les constatations faites au xixe siècle, montrant que les riches sont plus mobiles, et des observations récentes dans la région de Žambyl [Kerven et al. 2006 ; Kerven et al. 2015]. Parmi les bergers, la moitié environ est propriétaire, l’autre salariée. Souvent, un des membres d’une fratrie – le benjamin suivant la règle kazakhe d’ultimogéniture –, garde les bêtes de toute la famille étendue, tandis que les autres frères restent l’année durant au village, s’occupant des moissons, de la fenaison et aidant à la nomadisation. D’autres bergers sont employés par de riches éleveurs, mais la distinction entre salariés et propriétaires n’est pas toujours nette car les premiers possèdent au moins quelques têtes – parfois bien davantage25 – dans les troupeaux qu’ils gardent. Et les seconds, même lorsqu’ils emploient un salarié, participent activement aux tâches de l’élevage. Chaque iourte a un berger en titre, le seul à recevoir un salaire (30 000 tenge par mois en 2012, soit 160 euros), qui surveille le gros bétail, soigne le petit et supervise le travail. Sa femme s’occupe du ménage et de la traite. Un aide-berger, généralement non apparenté et démuni, est affecté à la surveillance du petit bétail et ne reçoit pour toute rémunération que le gîte et le couvert. Si le berger a des enfants, ils sont également sollicités, notamment pour réorienter, rapprocher, éloigner, regrouper, disperser ou chasser les bêtes qui paissent aux alentours de la iourte. Le propriétaire fournit la iourte et approvisionne régulièrement le berger et sa famille. En cas de perte par maladie ou attaque de loup, montrer la peau du mouton mort dispense celui-ci du remboursement. Connaissant les bonnes pâtures26 et sachant y conduire le troupeau au moment opportun, les bergers expérimentés savent préserver les bêtes et limiter les pertes.
J'ai numéroté les iourtes suivant leur emplacement le long des deux affluents. Statut individuel : éleveur-propriétaire (EP) ou berger salarié (BS) (la mention EP/BS indique que la moitié du cheptel appartient au berger). Le cheptel est détaillé en têtes de petit bétail (p.b.), ovin principalement, bovins (bo.) et chevaux (ch.), le total compté en équivalents cheval. Le recensement du žajlau n’est pas exhaustif et les chiffres restent indicatifs.
Plan : C. Ferret
64Les iourtes sont espacées de quelques centaines de mètres (300 m à 1 km) et plus encore les fermes d’hivernage. Sur l’estive comme dans le village, les apparentés s’installent de préférence à proximité les uns des autres. Ici, les hommes appartiennent à la tribu Alban de la Horde aînée et à plusieurs clans et lignages qui en sont issus, principalement Qyzyl Bôrìk et Sary, y compris les Oralman, Kazakhs récemment immigrés depuis la Chine. Même si cette règle n’est pas systématique, les voisins du village sont aussi souvent voisins d’estive et des autres stations saisonnières. Ainsi sur ce žajlau, les gens de Kìšì Žalaņaš montent leur iourte le long de l’affluent « antérieur » (bìrgì aša), au sud ; et les gens de Žalaņaš, près de l’affluent « postérieur » (arġy aša), au nord.
La iourte n°16 sur l’estive avec l’enclos à moutons à droite et le cheval de selle à gauche (district de Rajymbek, juin 2012).
Photo : C. Ferret
65Le cheptel du žajlau est remarquablement abondant, avec un total de 10 284 ovins, 804 bovins et 491 chevaux pour les 19 iourtes recensées, soit en moyenne 541 moutons, 42 bovins et 26 chevaux par iourte, des chiffres proches des médianes (respectivement 500, 30 et 22) et qui représentent 151 équivalents cheval par maisonnée (11 fois plus que dans l’aoul sédentaire précédemment étudié), variant de 55 à 268. Seuls les gros élevages vont sur cette estive éloignée, c’est pourquoi la dispersion est ici bien moindre que dans le cas précédent. Quand les conditions sont favorables, le croît des troupeaux est rapide (+ 15 % entre mes deux séjours en 2012 et 2013).
Calendrier des actions d’élevage
Graphique : C. Ferret
66Les vaches sont traites dès la mise bas, avec méthode de la sucée et en laissant le veau téter à satiété le premier mois. Sur l’estive, elles paissent en liberté, sans surveillance autre que de vérifier, de loin et de temps à autre, qu’elles restent à distance de leur petit. Le soir, elles sont habituées à revenir d’elles-mêmes pour la traite. Les veaux sont parqués dans un petit enclos une heure avant la traite, lâchés dans la journée dans la direction opposée de leur mère. Une des femmes de berger trait six vaches matin et soir, obtenant 25 litres de lait par jour, qu’elle transforme en crème à l’aide d’une écrémeuse manuelle, puis en beurre, baratté à la main et conservé dans un estomac de mouton (qaryn maj). Le lait appartient à celui qui le trait, même s’il n’est pas propriétaire des bêtes. L’isolement du žajlau ne permet pas la vente de lait frais.
67Pour éviter la consanguinité, les taurillons sont vendus à 2 ans et castrés à 4. Comme dans l’aoul, on observe un allongement du calendrier des naissances dû à l’absence de contrôle de la reproduction pour le gros bétail : « les veaux naissent un peu n'importe quand, de février à juin », explique un éleveur. Ils sont donc de taille disparate et leur allure tranche avec l’homogénéité passée du bétail kolkhozien. En outre, ils ne sont plus sevrés et quelques-uns arrivent même à téter au-delà de la naissance suivante, si leur mère est indulgente.
68Ici les moutons sont de race croisée, Arharo-mérinos, bien qu’exploités pour la viande. Leur laine est plus fine que celle des queue-grasse mais ils sont moins mobiles et plus fragiles lors de l’agnelage. Ils sont tondus une fois par an, en juin, et même si son prix a chuté, la laine continue d’être vendue, certains éleveurs espérant une remontée des cours.
69Lors des nomadisations, les troupeaux de petit bétail sont conduits à l’aide de boucs meneurs castrés (serke) ou entiers (teke), au nombre d’une dizaine pour un otar de 400 têtes. Les béliers reproducteurs, 1 à 5 pour 100 brebis et réformés au bout de trois ans, restent sur l’hivernage en été, pour éviter les saillies hâtives et, en septembre, quand les brebis redescendent, ils sont vêtus d’un tablier. Ici également, l’insémination artificielle pratiquée au temps du kolkhoze a aujourd’hui disparu. À l’estive, moutons et chèvres passent la nuit serrés dans un enclos. Ils en sortent le matin, une fois que la rosée a séché, car son humidité froide pourrait provoquer des boiteries. Le berger en profite pour les compter, opération malaisée lors du pacage. Durant la journée ils sont surveillés en permanence, à la différence du gros bétail, et changés de pâture chaque jour. Outre le gardiennage, la lutte contre les vers occupe une large place dans le travail pastoral. La vermifugation hivernale ne suffit pas, mais des soins attentifs aident à limiter la prolifération des parasites, d’autant que les mouches sont peu nombreuses sur l’estive. En l’absence de soins, les vers peuvent faire périr l’animal et rendre sa viande immangeable. La vaccination du bétail, obligatoire, reste prise en charge par l’État, mais les autres soins vétérinaires sont maintenant payants.
Une fillette de 12 ans soigne des moutons affectés par les vers que son petit frère de 6 ans l’aide à attraper (district de Rajymbek, juin 2012).
Photo : C. Ferret
70Sur le žajlau chaque maisonnée trait ses vaches. En revanche, seule une iourte sur quatre fait du qymyz, car la traite des juments représente une tâche fastidieuse, répétée toutes les deux heures, et ce produit ne peut être ni conservé ni vendu ici. Aussi d’une année sur l’autre, ce ne sont pas toujours les mêmes iourtes qui battent le qymyz. Et les visites entre voisins, pluriquotidiennes, qui à la recherche de bétail, qui pour échanger des potins, permettent à tous de consommer ce breuvage prisé. Les manifestations d’hospitalité vont au-delà, car le dernier arrivé sur l’estive est censé organiser une fête pour nouvel arrivant (erulìk toj). Un des estivants cite d’autres occasions de festoyer : « quand on n’a rien à faire, on met un morceau de poitrine de mouton salée dans un sac avec d’autres présents (tissu, bonbons) et on l’offre à quelqu'un qui, étant redevable, est obligé d’organiser une fête (tôs bajlau toj) » ; ou encore la fête de l’attache des poulains (qymyz můryndyq toj « fête des muselières de qymyz » ou bie bajlau toj « fête de l'attache des juments »), à l’occasion de la première traite.
71Les chevaux paissent en liberté. Seuls les poulains des juments laitières sont attachés au želì « corde d’attache » dans la journée, ce qui restreint indirectement les mouvements de leur mère. La distribution de sel est un autre procédé indirect employé pour empêcher la fuite des chevaux en l’absence de gardiennage. En dehors des vaches et des juments laitières, les éleveurs peuvent même, le moment venu, laisser partir seuls et sans surveillance chevaux et bovins sur les pâtures saisonnières suivantes, car le bétail, habitué au parcours annuel, saisit parfaitement l’instant propice à la nomadisation. Par rapport au cas précédemment étudié, la richesse des pâtures et l’absence de champs autorisent cette liberté de mouvement laissée au gros bétail. En outre, les troupeaux équins (ùôr), composés d’un étalon et d’une dizaine de juments, forment des petits groupes unis par une forte cohésion, bien plus autonomes que les otar.
72Le bétail vit du pacage toute l’année, avec un affouragement complémentaire en foin et kombikorm « mélange de céréales » en hiver pour les bovins, les chevaux de selle et quelques moutons affaiblis ou à l’embouche, ainsi qu’au moment des mises bas (voir calendrier). L’éleveur calcule à l’avance le fourrage nécessaire pour l’hiver suivant et vend à l’automne les bêtes en surplus qu’il ne pourrait pas nourrir. Bovins et ovins ne sont rentrés en stabulation que la nuit de décembre à mars, dans l’étable et la bergerie du qystau. Selon un éleveur, « les trois ennemis du bétail sont les voleurs, les loups et lui-même [comprendre : les maladies ou les blessures que les animaux se causent eux-mêmes] ». Les voleurs jettent leur dévolu sur les chevaux, faciles à emmener et aussitôt revendus, et les loups, sur les jeunes de toute espèce, surtout l’hiver.
Fenaison près d’une station printanière (district de Rajymbek, août 2013).
Photo : C. Ferret
73Champs, prés et pâtures ne sont pas clôturés, bien que j’aie vu des rouleaux de fil de fer barbelé faire leur apparition en 2013. Des épouvantails protègent les champs des vaches près des villages, et le bétail des loups sur les stations saisonnières. Un éleveur a cloué deux têtes de loups qu’il a chassés sur les murs extérieurs de son qystau, pour signifier aux carnassiers de ne pas approcher. Des pièges sont également posés, des battues organisées, mais le poison est interdit en principe. Plus généralement, ce sont les chiens de garde qui donnent l’alarme. En hiver, la surveillance des moutons reste permanente pour parer les attaques de ces prédateurs, qui redoublent en cas de tempête. Lorsque le berger doit rentrer au qystau, pour déjeuner par exemple, il ramène le troupeau à portée de vue. Il lui faut doser ses interventions avec mesure : faire avancer le troupeau assez vite pour ne pas épuiser les pâtures, mais pas trop pour permettre le pacage et ne pas fatiguer les bêtes. Quand l’otar est regroupé dans un enclos, il lui arrive de se relever la nuit pour changer la disposition des brebis, éviter que celles placées vers l’extérieur du groupe ne prennent froid. Cependant il doit prendre garde à ne pas les déranger inutilement, au risque de les faire « ruminer de travers », selon les mots d’un berger.
74Les marques de propriété du bétail sont diverses et en partie redondantes, les unes visibles de loin (peinture sur le dos), les autres indélébiles (brûlures près des naseaux). En outre les animaux portent des entailles aux oreilles et le gros bétail, des marques au fer rouge. Elles servent principalement à distinguer les bêtes quand deux troupeaux se mélangent.
75Les éleveurs actuels continuent de tenir compte de l’aptitude différenciée au pacage hivernal, en ajoutant un usage original du fer à cheval. Un éleveur à Karasaz, dans le même district, m’a expliqué que :
Les žůt surviennent en cas de couche de neige épaisse : quand les chevaux en ont jusqu'aux genoux, il leur est difficile de paître. Ou alors quand la neige est durcie par le vent, les animaux n’arrivent pas à la déblayer. On leur met des fers d’hiver [avec crampons] pour les aider. Dans ce cas, on envoie d'abord les chevaux sur les pâtures, car ils sont les plus forts pour gratter la neige, puis les moutons, puis les vaches. Les vaches n'utilisent pas leurs pattes pour déblayer la neige, elles la balaient juste un peu en secouant la tête, avec leur mufle et leur langue.
76Le principe d’action participative, selon lequel le bétail se procure lui-même sa nourriture, reste donc inchangé.
77Ici, les parcours de nomadisation sont restés identiques depuis 1970 (même depuis 1910) et les modes de nourrissage similaires. Une moindre homogénéité des troupeaux et un net relâchement du contrôle du gros bétail doivent néanmoins retenir l’attention, comme dans le cas précédent. Du côté des hommes, les bergers ont gagné en indépendance (à l’exception des aides-bergers, surexploités et entièrement dépendants). Plusieurs d’entre eux m’ont déclaré être soulagés ne plus être « obligés » d’aller sur l’estivage comme au temps du kolkhoze : quand ils sont propriétaires, seule la taille du cheptel peut désormais les y contraindre. Et ceux qui peuvent rester toute l’année sur leur qystau (ou se contenter d’allers et retours entre deux stations proches) apprécient la sédentarité. À mille lieues de la vision romantique du nomadisme qui prévaut en Occident, ils me disent : « C’est compliqué de tout transporter. C’est plus simple de rester sur place ». Un ancien électricien qui, en 2013, venait pour la première fois sur le žajlau en tant qu’éleveur-propriétaire après 5 années de travail comme berger salarié, se dit satisfait d’être désormais « son propre maître » ; et un autre, berger salarié, heureux de pouvoir maintenant changer de patron si le sien lui déplaît.
78Cette étude comparée de deux petites communautés, non autarciques mais formant des microcosmes dont la cohésion sociale est solidifiée par des liens de parenté et de voisinage, illustre deux formes de pastoralisme, l’une sédentaire et l’autre nomade. L’évolution de leurs techniques pastorales, depuis l’indépendance du Kazakhstan, correspond-elle à une transition vers un autre système d’élevage, exprimant une nouvelle relation à la nature ?
79D’un côté, nombre d’expériences soviétiques d’un élevage interventionniste (agnelage hivernal, insémination artificielle, sélection de races lainières) ont été abandonnées, laissant parfois des séquelles contraires à la rationalité (élevage de mérinos pour la viande). Une régression de la mécanisation s’observe dans l’emploi de certaines techniques (tonte au ciseau, fenaison à la faux). Le morcellement de la propriété et l’effacement des zootechniciens ont conduit à un traitement indifférencié et a posteriori des animaux, oublieux des actions a priori, scientifiquement établies et normalisées, systématiquement appliquées à chaque catégorie de bétail. Le contrôle de la reproduction et des mouvements des troupeaux s’est indéniablement relâché, laissant libre cours à la participation animale, notamment du gros bétail. En effet, au regard de la continuité des actions, on observe une opposition entre deux modes de gardiennage : permanent pour le petit bétail, et discontinu pour le gros, voire inexistant quand les conditions le permettent.
- 27 Les observateurs russes, tant au xixe siècle que dans les années 1920, reprochaient aux éleveurs k (...)
80D’un autre côté, l’exploitation des espèces, tout en changeant parfois de direction (filière lainière devenue bouchère pour les ovins), n’est pas revenue de la spécialisation à la polyvalence antérieure. Le nourrissage n’a pas regagné en extensivité; il s’est même quelquefois intensifié, prix à payer d’une moindre mobilité ou choix assumé d’une filière d’engraissage coûteuse en intrants mais rentable à court terme. Enfin le productivisme, tant dénigré dans l’appréciation du système soviétique, n’a pas disparu à présent et s’accorde bien au désir du croît des troupeaux, qui prime constamment chez les Kazakhs, du xixe au xxie siècle27.
- 28 Cette divergence dans les perceptions de la dégradation ne trouve pas une explication satisfaisant (...)
- 29 Pour la céréaliculture, Toleubayev [2012] décrit même un retour en arrière du Kazakhstan postsovié (...)
81En tout état de cause, ces changements dans les techniques d’élevage n’ont pas été provoqués par l’irruption ou le retour d’un souci écologique. Indépendamment de sa réalité et de son intensité, sujettes à débat scientifique [Robinson et al. 2003 ; Robinson 2016], la dégradation des pâtures est, comme au Kirghizstan [Liechti 2012], davantage un argument avancé par ou pour des acteurs extérieurs [Sadyk et al. 2011 ; Tonkobaeva 2012], qu’une préoccupation des éleveurs locaux28. Les problèmes de surpâturage ont été partiellement résolus par l’effondrement du cheptel dans les années 1990, non par la mise en œuvre de mesures conservatoires de la part des autorités29. Si le pastoralisme extensif est un modèle d’exploitation durable des ressources steppiques, ce n’est pas au nom de la préservation du milieu que les pasteurs kazakhs le pratiquent, mais pour entretenir la relation vitale entre bêtes et gens.