Navigation – Plan du site

AccueilNuméros200DossierLe « tournant environnemental » à...

Dossier

Le « tournant environnemental » à l’Est (années 1970 et 1980) 

Irrigation et culture du coton dans l’Asie centrale soviétique
Irrigation and Cotton cultivation in Soviet Central Asi: the Eastern “Ecological turn”, 1970s-1980s
Julia Obertreis
Traduction de Marc Elie
p. 106-129

Résumés

En Occident, l’environnement entre dans le champ politique au début des années 1970, notamment en France et en République fédérale d’Allemagne. Un « tournant écologique » du même ordre, bien que de qualité différente, a eu lieu en URSS dans les années 1970 et 1980. Cet article examine comment une critique environnementale des excès de l’irrigation et de la culture du coton et de ses graves conséquences écologiques, dont l’envasement de la mer d’Aral, s’est développée dans l’Ouzbékistan soviétique. Le tournant environnemental soviétique apparaît plus élitiste qu’à l’Ouest : il émergea sous la plume de scientifiques, d’écrivains et de journalistes. La presse académique, les sociétés pour la protection de la nature et les expéditions scientifiques présentent des formes spécifiques d’un environnementalisme socialiste en Asie centrale. Les contestations plus conséquentes de la Perestroïka puisent leurs sources dans les années 1970. Comme à l’Ouest, ce mouvement impliquait une critique du système politique et économique.

Haut de page

Texte intégral

1C’est au cours du xxe siècle et particulièrement de la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale que l’environnement est constitué au sens actuel de champ d’action politique. Son institutionnalisation, portée par un large mouvement social aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne fédérale, date des années 1970, période qualifiée de « tournant environnemental ». Cette chronologie et ce concept, qui s’appliquent habituellement aux sociétés occidentales, sont-ils transposables aux cas de l’Union soviétique et des pays socialistes de l’après-guerre? Si tournant environnemental il y eut, était-il appuyé sur un mouvement social?

2La recherche en histoire globale n’a pas encore déterminé la place qu’occupent ces derniers pays dans les problématiques environnementales. Ainsi John McNeill [2001 : 355], tout en soulignant les conséquences écologiques des idéologies, ne se penche pas sur le cas des pays socialistes. Dans une analyse stimulante, Joachim Radkau [2011], qui situe son « ère de l’écologie » entre le tournant des années 1970 et celui des années 1990, étudie de près l’Union soviétique et la RDA (République démocratique allemande), mais sans arriver à une compréhension générale de l’environnementalisme dans les sociétés à socialisme d’État.

  • 1 Voir notamment K. Gestwa [2003], J. Obertreis [2012], L. Coumel et M. Elie [2013].
  • 2 Mentionnons néanmoins les projets de Laurent Coumel, Marc Elie, Flora Roberts et Georgios Tziafeta (...)

3Pour l’URSS, les recherches se sont concentrées jusqu’à présent sur la période de la Perestroïka (1986-1991). C’est sous Mikhail Gorbatchev, étant donné la transformation de l’espace public, que les discussions environnementales ont pu se développer rapidement et les protestations contre les dégradations écologiques ont concouru – d’une façon qui fait encore débat – à l’effondrement de l’Union soviétique1. Mais la plupart des travaux sur cette période passe rapidement sur ces questions et se focalise sur la partie européenne de l’URSS. Il n’existe aucune étude précise sur la pollution atmosphérique ou les essais nucléaires, par exemple, ni de monographie sur une région, une ville ou une république particulière2.

Monument à la gloire des trois grandes figures de l’épopée hydro-cotonnière : la tractoriste, l’ingénieur hydraulique, l’irrigant.

Monument à la gloire des trois grandes figures de l’épopée hydro-cotonnière : la tractoriste, l’ingénieur hydraulique, l’irrigant.

Monument situé sur la route en venant de Džizak, à l’entrée de la « ville nouvelle » de Pahtakor (« travailleur du coton » en ouzbek), Ouzbékistan.

Photo : R. Jozan.

  • 3 Voir R. Létolle et M. Mainguet [1993], J. McNeill [2001 : 162-166].

4Cet article traite de la chronologie propre à l’URSS sur ce thème et de l’existence d’un « tournant environnemental », en prenant l’Ouzbékistan et le Turkménistan comme exemples. Ces pays d’Asie centrale représentent en effet un cas particulièrement frappant pour l’histoire environnementale. Le coton, dont la production reposait sur l’irrigation, occupait une place centrale dans l’orientation économique et politique de l’Ouzbékistan, république la plus peuplée et économiquement la plus importante d’Asie centrale. Or l’irrigation massive entraîna l’assèchement de la mer d’Aral, considéré à l’Ouest comme une catastrophe écologique et un exemple révélateur du pillage des ressources naturelles en système communiste3.

5L’argumentation est la suivante : d’abord, le « tournant environnemental » n’a pas commencé au milieu des années 1980 et doit être situé dans les années 1970 aussi bien en Union soviétique qu’à l’Ouest. Mais ses manifestations et ses implications furent nettement distinctes à l’Est. Ensuite les développements des années 1970-1980 sont dus à des problèmes lancinants en Union soviétique comme l’augmentation continue dans les plans quinquennaux des exigences de livraison à l’État et les dysfonctionnements de la politique de mise en valeur des ressources. Même si la critique écologique plaçait le gouvernement sous une pression croissante, il n’était pas en mesure de réagir de manière adéquate à ces problèmes ni à changer le cours de sa politique de développement extensif.

Les années 1970 et le « tournant environnemental », à l’Ouest et à l’Est

6Avant de se pencher sur l’Asie centrale, examinons le « tournant environnemental » dans les pays occidentaux à l’exemple de la France et de la République fédérale d’Allemagne (RFA). Dans ces deux pays la création de nouvelles organisations, étatiques et non étatiques, et un important mouvement social inscrivirent la question écologique dans le champ politique et institutionnel [Vrignon 2012 : 124]. Des débats naguère menés séparément, comme la pollution et la protection des animaux, fusionnèrent alors en un seul : celui de la « question environnementale » [Uekötter 2015 : 117]. Si ce nouvel environnementalisme a bien pris son essor dans les années 1970, surtout dans sa première moitié, il est amorcé pendant la décennie précédente et ses origines intellectuelles sont plus anciennes encore [Frioux et Lemire 2012 : 4].

  • 4 En 1971, le gouvernement français crée un ministère chargé de la Protection de la nature et de l’E (...)

7Comme l’a montré Michael Bess [2003 : 15-27], la France d’après-guerre fut marquée par l’association efficace d’un discours de puissance nationale et de projets techniques encouragés et diffusés avec le soutien de l’État. Le Concorde (1969) et, plus tard, le TGV (train à grande vitesse, 1981) symbolisèrent la supériorité technique de ce pays. Pourtant l’année 1968 augura le début d’un tournant environnemental marqué par la politisation et l’ancrage dans le discours public de thèmes environnementaux, qui culmina avec la création d’un parti vert en 1984 [Bess, op. cit. ; Vrignon op. cit. : 116]. D’une part l’agir politique s’enrichit de formes nouvelles, notamment la démocratie de base et la défiance envers les hiérarchies. Dans les années 1970 l’opposition grassroots permit à des scientifiques et des universitaires connus d’y participer sans intégrer le champ de force ultra-conflictuel de la politique partisane. D’autre part une vision globale et radicale du monde mit en cause la civilisation industrielle moderne [Bess op. cit. : 80-81]. Les protestations écologiques fleurirent. Parallèlement au mouvement environnementaliste qui s’établissait hors du jeu politique officiel, les questions environnementales s’institutionnalisaient au niveau étatique4. Une nouvelle ère s’ouvrait.

8En RFA, la fin des années 1960 est également une césure : outre les événements de 1968, le libéral Hans-Dietrich Genscher, ministre de l’Intérieur dans une coalition sociale-libérale élue l’année suivante, visait un ambitieux programme de réformes dans le domaine environnemental, sans y inclure cependant des thèmes importants comme la circulation automobile [Uekötter op. cit. : 119-123]. Cette initiative d’en haut fut rapidement supplantée par un mouvement vert venu d’en bas, qui aboutit en 1980 à la création d’un parti de niveau fédéral, Die Grünen (Les Verts). L’effet d’entraînement du contexte international doit également être mentionné, notamment la première grande conférence environnementale de l’Onu à Stockholm en 1972 [Bess op. cit. : 84-85 ; Uekötter op. cit. : 114, 118].

9Après ce boom environnemental général à l’Ouest dans la première moitié de la décennie 1970, le mouvement s’essouffla en France, où les Verts restèrent faibles et divisés jusqu’au début des années 1980. En RFA, le zénith se maintint plus longtemps. Cela s’explique par l’attitude différente des deux mouvements vis-à-vis du nucléaire. En France, surtout sous de Gaulle, la création et l’expansion de l’arsenal nucléaire bénéficiaient d’un fort consensus national et étaient perçues comme la clef de l’indépendance nationale [Bess op. cit. : 30-31 ; Hecht 1998]. Si la construction de centrales provoqua d’importantes protestations, elles faiblirent dans la deuxième moitié de la décennie. La population était majoritairement favorable à l’utilisation du nucléaire pour des applications civiles, la gauche était divisée, et le nouveau Parti socialiste ne prenait pas au sérieux le mouvement antinucléaire [Bess op. cit. : 99]. En RFA au contraire, l’énergie nucléaire devint au milieu des années 1970 l’objet de la principale controverse écologique, marquant le mouvement environnementaliste plus que nulle part ailleurs. Celui-ci mena des opérations violentes sur les chantiers de centrales nucléaires. Une contre-expertise se développa, notamment à partir du site d’enfouissement des déchets de Gorleben [Uekötter op. cit. : 128-131].

10Ainsi, autant en RFA qu’en France le tournant des années 1960-1970 et les années 1970 apparaissent comme une phase de politisation et d’enracinement des problématiques environnementales. Les discours écologistes incluaient une critique radicale de la modernité industrielle liée en partie à une vive critique du capitalisme, en exigeant la participation aux processus de décision politiques. Des formes nouvelles de protestation apparurent : manifestations à pied ou à vélo dans les rues et sur les places des grandes villes (on pense à la « Vélorution » à Paris en 1972), occupation de chantiers nucléaires, pétitions à l’administration et au gouvernement, plantation d’arbres ou actions militantes radicales. Comme les autres mouvements issus de 1968, féministe et pacifiste, l’écologisme influença durablement la culture protestataire des démocraties occidentales. Dans les deux pays, l’environnement s’établit comme un domaine politique spécifique, ouvrant la voie à la récupération de thèmes écologistes par les acteurs politiques et sociaux traditionnels : savants, intellectuels, étudiants, journalistes ou publicistes bénéficiant du soutien de larges couches de la société.

11Cette émergence peut s’expliquer entre autres par des raisons économiques : après le boom de l’après-guerre, l’industrie perdait son hégémonie, suscitant la critique des pollutions qu’elle causait. À cela s’ajoutaient des problèmes économiques structurels : chômage de masse et dette étatique croissante. L’environnement, compris comme terrain où il semblait facile de proposer des solutions, devint attractif pour la politique [Uekötter op. cit. : 144-145].

  • 5 Sur les problèmes écologiques, voir A. Čibilev [2014], Saktaganova [2004 : 143-176] et l’article d (...)

12En Union soviétique, la situation était bien différente. Le communisme demeurait le cœur de la doctrine et le fondement du système politique. La déstalinisation sous Nikita Khrouchtchev n’ébranla pas la domination du parti unique, le PCUS. Contrairement à l’idée selon laquelle la période dite de dégel aurait apporté une libéralisation, les recherches récentes ont montré que les réformes de Khrouchtchev étaient accompagnées d’une ré-idéologisation de la politique [Ilič et Smith 2011]. De plus, la campagne des « Terres vierges » en Sibérie, au Kazakhstan et dans le Sud-Est de la Russie européenne a aussi créé de graves problèmes environnementaux comme l’érosion5. Pourtant, sous Khrouchtchev, des initiatives législatives en matière environnementale suscitèrent un accroissement des activités de protection de la nature, où l’Académie des sciences joua un rôle institutionnel important [Coumel 2013].

  • 6 À noter, toutefois, un texte qui suit la chronologie politique de 1964 à 1985 [Josephson et al. 20 (...)
  • 7 W. Radecki et J. Rotko [1991]. Une collection de lois publiée en 1981, en RDA (Akad. für Staats- u (...)
  • 8 Voir K. Schlögel [1984].
  • 9 Voir J. Oldfield et D. Shaw [2013] pour le concept de biosphère de V. I. Vernadski et M. Elie [201 (...)

13L’histoire environnementale s’est encore insuffisamment penchée sur la période brejnévienne6. Si un mouvement social comparable aux mouvements féministes, écologistes ou pacifistes des pays occidentaux n’a pas pu exister en URSS, les questionnements écologiques ont provoqué des transformations profondes. Dans le domaine législatif, le centre moscovite et les républiques ont adopté dans les années 1960 et 1970 de nombreuses lois sur la protection des sols, de l’air et des eaux7. Les thèmes environnementalistes se sont multipliés aussi bien dans le discours politique officiel que dans celui des experts8. L’URSS n’était pas simplement récepteur d’idées et de slogans forgés à l’Ouest, les experts et les chercheurs soviétiques influencèrent fortement les débats internationaux9. Un tournant environnemental a bien eu lieu en Union soviétique, mais il s’appuyait sur des groupes sociaux plus restreints que ceux des sociétés occidentales. Dans ce qui suit l’Asie centrale sert d’exemple pour les développements dans les décennies d’après-guerre et particulièrement les années 1970 et 1980. Commençons par un court retour en arrière sur la période pré-soviétique.

L’Asie centrale et les grands projets de l’après-guerre

  • 10 J’ai souligné les continuités discursives entre l’époque tsariste et soviétique [2017].
  • 11 Pour une contribution qui traite de la politique d’irrigation et de culture du coton dans le cadre (...)
  • 12 Il y eut un précédent à ce projet celui du canal principal du Turkménistan, qui devait commencer p (...)
  • 13 Anonyme, 1962, « Radost’ narodnaâ! », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 3 : 3-6.

14À partir du moment où l’Empire russe conquit l’Asie centrale, les colonisateurs envisagèrent l’extension des systèmes d’irrigation et, un peu plus tard, celle des surfaces plantées en coton. Malgré la faiblesse des résultats obtenus dans ce domaine jusqu’en 1917, les Bolcheviks purent puiser dans les discours scientifiques et techniques des ingénieurs tsaristes et exploiter à leur avantage les plans élaborés avant la révolution. Parmi ces représentations se trouvaient l’indépendance cotonnière de l’Empire ou de l’Union soviétique et un avenir fait « d’oasis florissantes » dans les steppes et les déserts10. Dans les années 1920 et 1930, la faiblesse de l’économie et les pertes humaines provoquées par la terreur stalinienne empêchèrent ces grands projets de devenir réalité11. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1950, que les plans d’aménagement furent appliqués : construction de systèmes d’irrigation modernes et exploitation de nouvelles surfaces irriguées pour augmenter la production de coton. Le tristement célèbre canal du Karakoum au Turkménistan, dont la construction commença en 1954, était la réalisation d’un rêve ancien des planificateurs impériaux : relier l’Amou-Daria à la mer Caspienne à travers le désert du Karakoum12. Il devait irriguer de nouvelles surfaces, surtout des champs de coton, et alimenter en eau la capitale du Turkménistan, Achkhabad. En 1962, le canal, long de 800 kilomètres, atteignit la ville. Célébré comme le plus grand canal d’irrigation d’URSS et l’un des plus grands du monde, il était, d’après la propagande, le seul ouvrage de cette taille à traverser un tel désert. Les statistiques officielles indiquent qu’en 1962, 130 000 hectares de terres nouvelles avaient été aménagés et de nouveaux sovkhozes construits près de Tedžen. Le XXIIe congrès du Parti prévoyait en 1961 la création de 600 000 nouveaux hectares de coton irrigués par le canal13. Le projet était de loin le plus important dans l’histoire de l’irrigation au Turkménistan ; il concentra les ressources de la république pendant des années. Pour le Turkménistan, vu comme un pays attardé, la construction du canal, l’irrigation d’immenses surfaces et la dérivation de l’eau de l’Amou-Daria jusqu’à Achkhabad étaient des réalisations grandioses et la preuve du progrès formidable réalisé depuis la révolution d’Octobre [Gel’dyev 1970 ; Annaniâzov 1972].

Un canal, qui vient du Syr-Darya pour irriguer des terres dans la province de Syr-Daria et de Džizak, en Ouzbékistan.

Un canal, qui vient du Syr-Darya pour irriguer des terres dans la province de Syr-Daria et de Džizak, en Ouzbékistan.

Photo : R. Jozan

15Pourtant, dès le début des années 1960, alors que Khrouchtchev mettait la pression sur la république turkmène pour qu’elle augmentât la production de coton, des problèmes aigus surgirent. On avait mis précipitamment en culture de nouvelles surfaces en négligeant les collecteurs et le drainage. À cause de la salinisation et de la remontée des eaux souterraines dans les surfaces irriguées, les rendements étaient bas [Rech’ 1962 ; Ovezmuradov 1962]. D’autres dysfonctionnements apparurent dans les décennies suivantes : l’abondante infiltration de l’eau du canal fit croître les populations de moustiques, engendrant la résurgence de la malaria [Goldman 1972 : 235]. Au début des années 1970, la construction du canal du Karakoum fut interrompue. Contrairement aux attentes, il n’avait pas atteint la mer Caspienne, mais s’arrêtait à 200 kilomètres au nord-ouest d’Achkhabad. Un regard écologique (rétrospectif) révèle que le « fleuve bâti par l’homme », le « fleuve de la vie » avait fortement contribué à assécher la mer d’Aral : non régulées, les prises d’eau sur l’Amou-Daria étaient énormes [Giese et al. 2004 : 14].

  • 14 Akademija Nauk Uzbekskoi SSR and Sovet po izučeniiu proizvoditel'nykh sil respubliki, 1975, p. 205
  • 15 Ibidem, p. 299.

16Un autre grand projet de l’époque était l’aménagement de la Steppe de la faim, comparable à la campagne des Terres vierges mentionnée plus haut, mais de moindre ampleur. La Steppe de la faim (Golodnaâ step’) est une plaine basse, limitée au sud et à l’ouest par des hauteurs et à l’est et au nord-est par le Syr-Daria. Elle s’étend sur un million d’hectares en Ouzbékistan, au Kazakhstan et au Tadjikistan [Igamberdyev et Razzakov 1978 : 13-15]. Un décret du gouvernement soviétique d’août 1956 fixait l’objectif ambitieux d’irriguer 300 000 hectares de nouvelles terres14, par le biais des sovkhozes, tenus pour un type d’exploitation éminemment approprié à la mise en valeur de nouvelles terres [McAuley 1986 : 168]. Le projet, soutenu, outre par Khrouchtchev, par Charaf Rachidov, premier secrétaire d’Ouzbékistan, fut généreusement doté en ressources financières et matérielles. Il bénéficiait de sa propre administration : le trust Golodnostepstroj « Construction pour la Steppe de la faim », qui dépendait de la direction générale pour l’irrigation du ministère de l’Agriculture à Moscou. Cette tutelle au niveau de l’union, et non de la république, assurait au projet un positionnement privilégié dans la distribution des ressources. La création du trust permettait de lier toutes les compétences gestionnaires relevant du projet d’aménagement15 [Igamberdyev et Razzakov op. cit. : 107-108].

  • 16 L. Brežnev, Leninskim kursom. Reči, privetstviâ, stat’i, vospominaniâ, volume 4. Moscou, Izdatel’s (...)

17Les conditions étaient donc favorables. À la fin des années 1950 et pendant la décennie suivante, les « aménageurs de la Steppe de la faim » (golodnostepcy) comme ils se désignent eux-mêmes dans leurs mémoires, conquirent d’immenses surfaces, creusèrent des canaux d’irrigation, bâtirent des sovkhozes et firent fleurirent les champs de coton. Des districts furent créés, et même une ville, Ângier, centre administratif du nouveau territoire. En 1961 il y avait déjà sept sovkhozes [Igamberdyev et Razzakov op. cit. : 120 ; Matley 1970 : 344]. Bien que le rythme de la conquête en termes d’hectares fût bien inférieur à ce que la planification exigeait, le trust de construction, la région du Syr-Daria et de nombreux responsables reçurent des récompenses (médailles et ordres de Lénine) en l’honneur du dixième anniversaire du projet [Igamberdyev et Razzakov op. cit. : 132]. En 1975, les 300 000 hectares étaient conquis, mais ce chiffre incluait les surfaces mises en culture avant 1956, ce qui n’empêcha ni Rachidov de déclarer que les objectifs de développement avaient été atteints, ni Brejnev de compter la Steppe de la faim parmi les méga projets soviétiques, au même titre que ceux de Dneproges ou de Magnitogorsk16.

18Depuis le stalinisme tardif, la mise en valeur de territoires steppiques et désertiques s’accompagnait d’une rhétorique de la « conquête du désert », encore employée par Brejnev [1979] dans ses mémoires publiées à propos de son séjour au Kazakhstan pendant la compagne des Terres vierges (1954-1956). Brejnev continua les programmes d’aménagement de Khrouchtchev, même si l’élan des années 1950 et du début des années 1960 avait déjà faibli. Les irrigateurs et les fonctionnaires responsables de la conquête de la Steppe de la faim en Ouzbékistan formaient alors des réseaux qui s’étendaient jusqu’à Tachkent et Moscou. Leur motivation pour travailler dans des conditions spartiates et même dangereuses au début se nourrissait de leur esprit d’aventure, de leur recherche d’ascension sociale et de leur volonté de recomposer une communauté masculine et multiethnique à l’image des unités combattantes dans lesquelles ils avaient servi pendant la guerre. De nombreux acteurs font (rétrospectivement) de leur fort engagement personnel un combat pour construire un monde moderne à partir du néant, c’est-à-dire du sol stérile de la steppe. Les Centrasiatiques étaient nettement sous-représentés aux postes de décision mais leur participation en tant qu’experts n’était pas négligeable. Le milieu des aménageurs de la Steppe de la faim n’était pas compartimenté selon des critères ethniques et était ouvert à tous ceux qui se dévouaient à la création d’un monde nouveau [Obertreis 2017].

19Sur place, les défis étaient nombreux. Il fallait, notamment, avec des plans bien trop généraux pour une grande variété de sols, maintenir un équilibre entre la qualité des terres dont disposaient les sovkhozes. Par exemple, les sols de deux sovkhozes qui avaient reçu d’importants investissements se sont vite révélés peu fertiles et difficiles à mettre en valeur du fait de leur densité, de leur haute proportion de gypse et de leur forte salinité. Les aménageurs parvinrent à convaincre Khrouchtchev, qui visitait les lieux, de concentrer la mise en valeur sur les seules terres dont la qualité était prometteuse [Duhovnyj 2006 : 136-137]. Le manque de drainage devint un problème central au cours des années 1960. Au début de la décennie, une partie des experts en irrigation estimait qu’on pouvait s’en passer [Kalantaev 1962 : 51 ; Igamberdyev et Razzakov op. cit. : 9]. Mais sa nécessité apparut rapidement au vu de la salinisation et de la montée des eaux souterraines. En 1970, seule une petite partie des surfaces exploitées, 70 000 hectares, était équipée de systèmes de drainage, souvent peu fonctionnels en raison de la faible qualité des tuyaux et de leur utilisation mal coordonnée [Igamberdyev et Razzakov op. cit. : 128-129]. L’aménagement procédait de manière désynchronisée : le principe de la « méthode intégrée » (komplesknyj metod), diffusé au sein du projet, exigeait certes de construire en même temps les réseaux d’irrigation, les habitations et toutes les infrastructures nécessaires. Mais en réalité, ces différents chantiers étaient décalés. Les réseaux d’irrigation jouissaient de la plus haute priorité, car d’eux dépendait le succès du coton. La construction de routes et de maisons venait loin derrière. Quant aux ouvrages de drainage, ils étaient parfois entièrement négligés [Duhovnyj op. cit.]. Les dégâts environnementaux, provoqués tant par ce problème que par le caractère toujours extensif de la politique agricole et l’ignorance délibérée de la réglementation sur la protection de l’environnement, s’aggravèrent dans les années 1970. Au même moment, une effervescence environnementale se déployait à plusieurs niveaux.

Les années 1970 en Union soviétique : naissance d’une critique environnementale

  • 17 Voir les Archives centrales de la république d’Ouzbékistan (désormais CGARUz), f. 1807, op. 2, d. (...)

20Comme en France et en RFA, les problématiques environnementales n’ont pas en URSS fait subitement irruption dans les discours et le champ d’action politique dans les années 1970, mais elles prolongeaient des transformations antérieures. Les protecteurs de la nature y avaient bénéficié de la déstalinisation depuis le milieu des années 1950. La commission de l’Académie des sciences pour les réserves naturelles (zapovedniki) fut transformée en une commission pour la protection de la nature en général. À défaut d’une loi au niveau de l’Union soviétique, initiative lancée en vain en 1958, elle ouvrit la voie à une série de lois au niveau des républiques. La direction politique poststalinienne redécouvrit la protection de la nature, élargit son domaine au-delà des seuls zapovedniki et en fit un champ d’action politique où l’URSS essayait de rivaliser avec les autres pays17.

  • 18 CGARUz, f. 2742, op. 1, spravka, l. 9 ; CGARUz, f. 2742, op. 1, d. 153, l. 15. La République ouzbè (...)

21L’élargissement d’après-guerre se manifesta aussi par la massification de la Société pan-russe pour la protection de la nature (Vserossijskoe obŝestvo ohrany prirody, VOOP), créée en 1924. Comptant 100 000 membres au début des années 1950, 29 millions dans les années 1980, elle était devenue la plus grande association de protection de la nature au monde [Weiner op. cit. : 10-11]. Cela ne signifiait pas que l’intérêt pour la protection de la nature avait subitement augmenté dans la population, car des usines et des administrations entières, avec tous leurs employés, y adhéraient, parfois à leur insu. Ses membres restant passifs, sa direction pouvait continuer de fonctionner comme un cercle de savants (naučnaâ obŝestvennost’) [idem : 262]. La société essaima dans les républiques, où des organisations homologues furent créées : en 1961 en Ouzbékistan (elle tint son premier congrès l’année suivante, et comptait 2,7 millions d’adhérents en 1975, soit un cinquième de la population18) et en 1968 au Turkménistan. Même si ces sociétés étaient bien intégrées au système politique, elles contribuèrent à la diffusion et à l’enracinement des thèmes environnementaux.

22Dans les années 1970, la critique experte, dépassant les discours soviétiques établis, introduisit de nouvelles idées et concepts, alors en circulation à l’ouest, dans des revues telles que Sciences sociales d’Ouzbékistan (Obščestvennye nauki Uzbekistana), publiée par l’Académie des sciences nationale. Un article de l’économiste A. E. Išmuhamedov, par exemple, paru à l’automne 1975 montre une évolution du regard des experts. « L’utilisation irrationnelle/rationnelle des ressources naturelles » et la critique du gaspillage étaient des thèmes récurrents dans les débats scientifiques et les discours politiques. L’auteur reprend cette expression dans un titre très conventionnel, mais décrit la pollution de l’environnement (zagrâznenie okružaûŝej sredy) comme un problème alarmant qui concerne toute l’humanité. Il y parle non seulement « d’environnement », mais encore « d’écologie », exigeant une utilisation des ressources acceptable non du seul point de vue économique, mais aussi écologique [Ishmukhamedov 1975 : 32]. Le lien ainsi créé entre l’exploitation rationnelle des ressources et le bien des « générations actuelles et futures du peuple soviétique » élargissait la question environnementale en lui conférant un tour plus politique. L’économiste situait la gestion de l’eau, problème brûlant en Asie centrale, dans une réflexion sur le futur.

  • 19 Voir les Archives d’État central pour la documentation scientifico-technique et médicale de Tachke (...)

23D’autres experts le rejoignirent pour lancer des alertes sur la pénurie d’eau, qui s’aggravait dans plusieurs régions. Les quantités prises aux deux grands tributaires de la mer d’Aral, l’Amou-Daria et le Syr-Daria, avaient considérablement augmenté : de 80 % entre 1965 et 1980 pour le premier, et de 65 % pour le second19. L’utilisation extensive des systèmes d’irrigation et l’évacuation de l’eau de drainage créèrent de nouveaux lacs aux eaux fortement polluées. L’Amou-Daria et le Syr-Daria, les grandes artères de la région, transportaient de moins en moins d’eau. Au printemps 1977, l’Amou-Daria cessa d’alimenter le canal du Karakoum pendant une dizaine de jours [Gošaev et Berdiev 1978 : 38].

24Le manque d’eau (malovod’e) affectait non seulement l’agriculture, mais aussi l’alimentation des villes. Les documents gouvernementaux et les publications expertes mentionnaient de plus en plus fréquemment le « déficit d’eau ». En 1981, ils prévenaient que l’eau des deux grands fleuves était « presque épuisée » et que les fleuves eux-mêmes tariraient en une décennie [Lapkin et al. 1981].

  • 20 Données pour 1981 : CGARUz, f. 2483, op. 2, d. 4239, l. 97.

25Le Karakalpakistan et d’autres régions situées sur la partie basse de l’Amou-Daria étaient les plus touchées car elles étaient placées à la fin de la chaîne des utilisateurs. Depuis le milieu des années 1970 le fleuve n’atteignait plus la mer d’Aral. Les conséquences furent dramatiques : la mer s’assécha rapidement, la ligne de côte recula et le secteur de la pêche du Karakalpakistan périclita. La ville de Mujnak, qui avait vécu de l’industrie halieutique, était affectée par une inéluctable restructuration économique et s’ensablait [Ârošenko 1989 : 350, 352]. Le non-traitement des eaux usées de l’industrie et de l’agriculture entraîna une pollution hydrique dramatique pour les populations rurales qui en prélevaient pour leur consommation dans les canaux et retenues20.

26Pour la première fois, un article écrit par I. Hašimova, chercheuse à l’Institut de philosophie et de droit de l’Académie des sciences ouzbèke, à propos de l’emploi inconsidéré d’engrais minéraux, critiqua ouvertement la politique d’irrigation et de développement frénétique menée par l’État :

L’un des problèmes écologiques les plus graves aujourd’hui est la conquête du désert. […] Le déficit d’eau est condamné à croître constamment avec l’aménagement de nouvelles terres. [Hašimova 1980 : 62]

27La conquête de la Steppe de la faim était ici directement visée et, avec elle, l’idée que la nature doit être soumise et la politique d’irrigation extensive. L’auteur introduisit ainsi une ligne d’argumentation souvent réutilisée après 1985. Cette critique par les experts, certes confinée au cadre étroit des milieux scientifiques et universitaires, posait les fondements de futurs débats sociétaux.

  • 21 Voir Rezničenko [1992] et l’analyse des écrits des participants de l’expédition de W. Wheeler [201 (...)

28Un autre phénomène apparut dans les années 1970 : des journalistes se joignirent aux chercheurs en sciences naturelles dans des expéditions scientifiques et diffusèrent leurs résultats auprès d’un large public. Comme les participants étaient employés dans des instituts et des maisons d’édition d’État, ils pouvaient produire la critique de la politique économique et développementaliste de l’État avec une certaine légitimité et n’étaient pas perçus immédiatement comme des gêneurs. En 1978, une telle expédition, intitulée « Eau vivante » (Živaâ voda), gagna l’Amou-Daria et son ancienne embouchure dans la mer d’Aral. Le groupe, constitué de journalistes et de savants de Russie, avait pour objectif d’étudier le problème de la pénurie d’eau et l’assèchement de l’Aral en s’entretenant avec des fonctionnaires locaux du Parti et du komsomol ainsi qu’avec des chercheurs et des experts. Le manque d’eau était un sujet récurrent dans ces conversations. Des responsables de divers comités locaux du Parti se plaignaient que leurs champs ne se reposaient pas suffisamment, alors qu’ils devaient livrer toujours plus de coton [Ârošenko op. cit. : 338]. Ces échanges furent inscrits dans le rapport de l’expédition en toute franchise. Ce document ne fut cependant publié qu’en 1989. En 1988 les revues Novyj mir et Pamir montèrent une autre expédition, plus importante encore, nommée « Aral 88 », dans laquelle participaient aussi des journalistes et des savants d’Ouzbékistan21. Ce type d’expédition permettait de diffuser légalement de l’information critique dans l’opinion et d’attirer l’attention de toute l’Union sur la mer d’Aral.

  • 22 Voir les paragraphes 18 et 67 de la Constitution de 1977 éditée et traduite en 1979 par J. M. Feld (...)
  • 23 Dans le cas du Turkmenistan voir « O dopolnitel’nyh merah po usileniû ohrany prirody i ulučšeniû i (...)
  • 24 CGARUz, f. 2483, op. 2, d. 4239, ll. 33–35, 41.

29Dans les années 1970, les sujets environnementaux s’ancrèrent dans la législation de l’Union et des républiques sur la protection des eaux, des sols et de la santé. La protection de la nature apparut même dans la constitution de 197722, suite à un large débat préalable, où des citoyens réclamèrent que la politique soviétique prît mieux en compte les exigences environnementales [Gestwa 2010 : 541]. Au-delà des experts, les sujets environnementaux intéressaient donc aussi de simples citoyens. La législation adopta de nouveaux concepts, parlant désormais « d’environnement » et de « reproduction des ressources naturelles » (vosproizvodstvo prirodnyh resursov), mais sans employer l’adjectif « écologique ». Aucun comité ni ministère pan-soviétique n’était consacré à la protection de l’environnement, qui restait partagée entre plusieurs administrations, entravant toute politique environnementale résolue23. De plus, les lois sur la protection des sols, de l’air et des eaux étaient rarement appliquées. Le développement de nouvelles techniques d’épuration était négligé [Idem : 531-534]. Dans la vallée du Fergana, par exemple, seule une petite part des fonds dédiés aux unités d’épuration des communes était effectivement dépensée24. Le système péchait donc moins par manque de financement que par défaut d’application de la réglementation, en raison de la faible valeur dissuasive des sanctions pour infraction et de la priorité accordée à l’exécution du plan.

  • 25 Voir la tentative de dresser la liste de toutes les usines polluantes en 1974 : CGARUz, f. 2742, o (...)
  • 26 Voir l’article de Z. Habibova [1979].

30À la fin des années 1970, la VOOP, s’appuyant sur la mention de la nécessaire protection de la nature dans la nouvelle constitution, chercha à réclamer pour elle-même ce champ d’action comme « mandat du Parti » [Nikiforov 1978 ; Hakyev 1979]. La société ouzbèke de protection de la nature avait déjà commencé à rassembler une documentation sur les pollutions25 et à diffuser ce thème dans l’opinion, mais sans en faire un usage politique direct, car elle se pensait comme un organe de soutien à l’action étatique et non pas comme instance critique26.

  • 27 Voir P. Jehlička, P. Sarre et J. Podoba [2002 : 9-10] pour le rôle de l’Académie des sciences en T (...)

31Les années 1970 en Union soviétique sont donc caractérisées par l’essor de l’opinion experte critique et la densification des activités environnementales. Dans ce domaine, les sociétés socialistes se sont distinguées par la place centrale occupée par les savants, en particulier les membres de l’Académie des sciences, et par le rôle joué par les sociétés de protection de la nature, qui tentèrent peu à peu d’émettre des critiques [Obertreis 2012]27.

Les années 1980 : confrontations et continuités

32L’historiographie n’a pas encore étudié les effets des politiques plus répressives des successeurs de Brejnev, Iouri Andropov et Konstantin Tchernenko, dans le domaine environnemental. En Ouzbékistan, les années 1983-1985 furent marquées par le « scandale du coton », qui conduisit au limogeage de nombreux hauts fonctionnaires et même à une condamnation à mort. Jusqu’à présent, cet événement n’a été traité que dans sa seule dimension politique [Critchlow 1991 : 43-44]. Il fut pourtant causé par un grave problème d’utilisation des ressources : le centre exigeait des quantités toujours croissantes de coton, que l’Ouzbékistan ne pouvait livrer qu’au prix d’une surexploitation des terres et d’une falsification des comptes. En 1980, la production atteignit officiellement plus de 6 millions de tonnes, chiffre fêté comme un grand succès [Vorob’eva 1981 : 19], mais qui s’avéra ensuite fallacieux. Moscou fit porter l’unique responsabilité de ce scandale à la république. L’ensemble de la vie politique ouzbèke en fut affecté pendant plusieurs années.

33Au même moment les problèmes environnementaux urgents continuaient de s’aggraver et des voix critiques s’élevaient à ce sujet. Le cas du professeur Mirza-Ali V. Muhamedžanov, né en 1914, agronome devenu ministre de l’Agriculture d’Ouzbékistan dans les années 1940-1950, est révélateur. Outre ses fonctions gouvernementales, il occupa des postes importants à l’Académie des sciences et il représentait, en tant qu’expert agricole, l’Ouzbékistan à l’étranger. Il avait participé à la conquête de la Steppe de la faim, écrit plus de 200 publications scientifiques et de vulgarisation et reçu de nombreuses médailles [Muhamedžanov 1985a : 5-11]. Pourtant, il s’était élevé contre la monoculture du coton (sans la traditionnelle rotation avec la luzerne) que prônait Khrouchtchev. Probablement encouragé par son mandat à la tête du comité national ouzbek du programme de l’Unesco « L’homme et la Biosphère », auquel l’Union soviétique participait [Idem : 12], il s’était fait le critique des pratiques courantes dans le secteur du coton. Dans un livre paru en 1985 (Protéger les sols, multiplier leur fertilité), il rendait la monoculture du coton responsable de toute une série de problèmes, dont la baisse des rendements, la compaction des sols et la pollution [Idem 1985b : 8]. Muhamedžanov est un exemple de l’ascension de Centre-asiatiques vers de hautes positions d’expertise dans le cadre de la politique des nationalités qui prévoyait de recruter des nationaux dans tous les secteurs. Les discussions critiques sur l’environnement n’épousaient pas des lignes de partage ethnique, mais professionnelles et institutionnelles [Lubin 1984 ; Obertreis 2017].

  • 28 Parmi toutes les publications sur le projet de détournement, voir notamment P. Micklin [1987] et, (...)

34Un autre cas de portée pan-soviétique est représenté par le projet de détournement (perebroska) du fleuve Ob’ et de la rivière Irtysh depuis la Sibérie par un canal de plus de 2 000 kilomètres de long jusqu’en Asie centrale pour compenser les énormes prises d’eau et empêcher l’assèchement de la mer d’Aral. Ce plan se fondait sur l’idée que les ressources pouvaient et devaient être redistribuées sur de vastes étendues. Un très grand nombre de hauts fonctionnaires et d’experts irrigateurs en Asie centrale soutenait ce projet, comme le prestigieux Institut d’irrigation de Tachkent (Sredneaziatskij naučno-issledovatel’skij institut irrigacii, SANIIIRI), contre l’avis des défenseurs de l’environnement. Au milieu des années 1980 une controverse opposa les promoteurs du projet, surtout des ingénieurs, des fonctionnaires du puissant ministère de la gestion de l’Eau et des instituts d’irrigation à ses détracteurs, réunis dans une alliance caractéristique pour l’URSS composée de savants, de journalistes et d’écrivains parfois célèbres28. Ce débat houleux montre qu’on pouvait discuter des grands projets techniques et de l’affectation des ressources aux républiques et aux administrations mais aussi que des attitudes changeantes et opposées envers les relations homme-nature existaient. Ainsi se faisaient face deux conceptions de la nature, l’une la percevant comme dotée d’une capacité d’agir ou « complexe » et l’autre, plus traditionnelle, comme devant être entièrement à la disposition de l’Homme [Červanev 1990 : 25 ; Atčabarov et Šarmanov 1990 : 122].

  • 29 Sur les conditions politiques, voir M. Ochs [1997] et W. Fierman [1997].
  • 30 Sur les questions de santé et d’hygiène voir P. Carley [1989] et sur les herbicides P. Habibullaev (...)

35La Perestroïka et la Glasnost’ modifièrent profondément le cadre de la discussion des dysfonctionnements, mais moins fortement en Asie centrale qu’en Russie ou dans les républiques occidentales, du fait du maintien du personnel politique au sommet du pouvoir29. Les débats sur les questions environnementales se multiplièrent, le ton devenant plus virulent, et prirent de nouvelles formes, comme les « tables rondes » retransmises dans la presse [Komirenko 1987]. Dès 1985, les médias s’emparèrent de sujets à scandale, comme la crise sanitaire au Karakalpakistan, et les conséquences délétères de l’utilisation massive d’herbicides dans l’agriculture30.

  • 31 CGARUz, f. 837, op. 41, d. 7209, ll. 132-136.

36Le grand projet de détournement des fleuves fut arrêté au plus haut niveau dès 1986 pour des considérations plus financières qu’environnementales, mais l’opposition entre les experts en irrigation, les vodniki, et leurs adversaires se renforça. Les premiers étaient critiqués pour avoir négligé l’entretien des ouvrages d’irrigation dans les régions de mise en valeur [Duhovnyj op. cit. : 5]. Dans l’administration soviétique, des voix s’élevaient contre les responsables des projets d’aménagement, dont la Steppe de la faim. Par exemple, deux commissions du Soviet suprême de l’URSS critiquèrent vertement en 1987 le ministère de la Gestion de l’eau. Selon leur rapport, la « restructuration » (Perestroïka) du ministère avançait trop lentement car il continuait de négliger la protection de la nature et les techniques d’économie de l’eau. Or, l’utilisation excessive d’eau conduisit à la salinisation et à l’hydromorphie des sols dans diverses régions de l’Union soviétique, continuait le rapport31. Le ministère de la Gestion de l’eau (Ministerstvo vodnogo hozâjstva) qui avait une compétence au niveau de l’Union, avec son équivalent au niveau de chaque république, était perçu comme une effroyable mécanique dévoreuse de ressources et devint la cible principale des experts et de la presse. Une journaliste de Tachkent écrivit, par exemple, que :

Le marathon de la mise en valeur de terres nouvelles [dans la Steppe de la faim et d’autres espaces semi-désertiques avait seulement contribué à accroître] le nombre de médailles, décorations et honneurs pour les aménageurs et pour Rachidov personnellement. [Plutôt que son nom officiel] ministère pour la bonification et la gestion de l’eau, [l’abréviation « Minvodhoz » aurait dû désigner] le ministère pour le développement des investissements centralisés. [Alâb’eva 1989 : 77]

37L’écologue Aleksandr Ânšin [1991 : 157, 160] n’était pas moins véhément lorsqu’il affirmait que l’activité du ministère ne visait qu’à l’extension des systèmes d’irrigation et donc de son propre appareil en s’accommodant de l’assèchement de la mer d’Aral.

38Les débats restaient étonnamment libres de connotations nationales, au moins en Asie centrale, car les élites des républiques centre-asiatiques étaient, pour des raisons politiques et économiques, plus attachées à l’Union soviétique que les républiques baltes et l’Ukraine [Hale 2008].

  • 32 CGARUz, f. 837, op. 41, d. 6735, ll. 105-107.

39Finalement, le ministère de Gestion de l’eau fut dissous au niveau de l’Union en 1990, en partie en réaction aux protestations tenaces contre sa toute-puissance [Weißenburger 1989 : 192-193]. Mais, en Asie centrale, les ministères républicains furent conservés et surent défendre leur position hégémonique au-delà de l’effondrement de l’URSS [Libert 1995 : 49]. L’attachement acharné aux schémas de fonctionnement de l’économie planifiée caractérisait la politique étatique dans cette phase tardive de l’existence de l’Union soviétique. Le Gosplan continuait de prévoir l’augmentation de la consommation d’eau32. Le scandale du coton avait effrayé les décideurs ouzbeks : ils n’osaient pas s’opposer à cette politique et proposer une autre voie.

Conclusion

  • 33 Voir Aliâb’eva, op. cit. et Musaev [1991]. Wheeler [2016] arrive aussi à la conclusion que les par (...)

40Il y a bien eu un tournant environnemental en Asie centrale soviétique dans les années 1970 et au-delà. En comparaison avec les pays occidentaux, il fut plus élitiste car ce sont d’abord des spécialistes de diverses disciplines qui le provoquèrent. La critique environnementale et le discours public sur les problèmes écologiques eurent néanmoins une influence de plus en plus large, diffusés par la presse et la Société pour la protection de la nature. À l’Ouest, le monde industriel dans son ensemble et, parfois aussi, le capitalisme essuyèrent le feu de la critique sociale et environnementale. En URSS, la modernisation soviétique fut aussi radicalement mise en question. En Asie centrale, où la modernité était basée sur la croissance et l’expansion, on critiquait avant tout la modernisation non durable des campagnes et l’attachement tenace au principe de croissance. Si le socialisme lui-même n’était pas attaqué, la politique de mise en valeur extensive était assimilée au gouvernement de Rachidov, qui incarna le pouvoir en Ouzbékistan pendant un quart de siècle et à la « stagnation » brejnévienne. Ainsi un pilier de sa domination politique était touché33.

41Le tournant environnemental en Asie centrale est exemplaire pour l’Union soviétique. La critique environnementale proposait une vision de la nature qui se distinguait du discours officiel. Celle-ci n’était plus vue comme un ennemi à soumettre, mais comme un système complexe dont on devait tenir compte. C’est à partir des discours officiels sur l’utilisation des ressources dans le cadre d’une analyse économique que se développa une pensée moderne de la protection de l’environnement. La critique visait aussi une institution, le ministère de la Gestion de l’eau, auquel elle attribuait la responsabilité des problèmes écologiques et économiques gravissimes qui frappaient l’Asie centrale. S’exprimait également le souhait d’une part plus importante de la population de participer aux décisions politiques. Les débats précurseurs des années 1970 permettent de mieux comprendre l’extension des discours critiques à partir des années 1985-1986. Avec la Perestroïka et la Glasnost’, le lobby de l’eau et ses opposants se menèrent une lutte ouverte, laquelle n’aboutit cependant pas à une transformation politique fondamentale.

42Jusqu’à présent la recherche s’est surtout penchée sur l’Occident et ses larges mouvements sociaux et sur le « Tiers Monde » et ses mouvements « grassroots » plus tardifs [McNeill op. cit. : 350]. Cet article contribue à montrer qu’il a existé un troisième type d’environnementalisme au xxe siècle : celui des pays à régime socialiste.

  • 34 Voir l’infographie sur la modification de la forme de la mer d’Aral de la Russian Federal Space Ag (...)

43La chute de l’Union soviétique à la fin de 1991 déboucha en Asie centrale sur la création de cinq États indépendants à régimes présidentiels et autoritaires. En outre, les organisations internationales occidentales et leurs bailleurs de fonds furent de plus en plus actifs à partir de l’éclatement de l’URSS. C’est d’abord sur la conservation de la mer d’Aral qu’ils firent porter leurs efforts. Pourtant, une part importante des financements occidentaux s’évapora et l’assèchement de l’Aral ne put être arrêté. Le Kazakhstan, l’autre État riverain de l’Aral et rival de l’Ouzbékistan, fit ériger en 2005, avec l’aide de la Banque mondiale, le barrage de Kok-Aral qui empêche le Syr-Daria de rejoindre la partie sud de la mer au profit de sa partie nord, située en territoire kazakh. La mer d’Aral fut coupée en deux. Alors que la mer du nord s’est quelque peu remplie, celle du sud est morcelée en petites étendues dont la forme et la position se modifient constamment34.

44En Ouzbékistan, les kolkhozes et sovkhozes furent dissous et remplacés d’abord par des coopératives, ou chirkats, puis, ces dernières étant considérées non rentables, par des exploitations individuelles avant 2006. Les paysans ont désormais des baux de longue durée sur la terre, propriété de l’État, et sont obligés de planter du coton et des céréales sur environ 80 % des surfaces irriguées. La Banque mondiale et l’USAID ont soutenu la création des communautés d’usagers de l’eau (water users’ associations, WUA) dans les années 2003-2006, dans l’espoir que cette nouvelle forme d’organisation encouragerait l’auto-administration et la démocratisation. Mais les WUA sont, en Ouzbékistan, des organisations hiérarchiques. Les réseaux et les ouvrages d’irrigation, créés à la période soviétique, sont encore utilisés aujourd’hui et maintenus en état autant que faire se peut. On sait peu de chose des ouvrages construits depuis l’indépendance. Nombre des problèmes médicaux et sociaux liés à la culture du coton depuis la période soviétique, restent aigus, comme le travail des enfants et la haute mortalité infantile [Beckert 2014 : 431-432, 438-439 ; Franz et Fitzroy 2006 : 484].

  • 35 Seules sont disponibles les données démographiques sur le recul de la part des Russes dans la popu (...)

45Pour finir, deux observations s’imposent. D’une part, la prédilection pour les grands projets et leur mise en scène au service de la propagande reste forte, surtout au Turkménistan (comme dans la construction controversée de la retenue « Âge d’or » [Harding 2009]). D’autre part, les infrastructures d’irrigation doivent désormais être entretenues et administrées sans l’expertise des ingénieurs et des techniciens slaves qui ont quitté l’Asie centrale depuis la fin des années 1980, entraînant une poursuite du processus d’indigénisation conduit à l’époque soviétique35.

Haut de page

Bibliographie

Alâb’eva, Irina, 1989, « ‘I poka â na zemle, â spešu prinât’ mery…’ », Zvezda Vostoka 5 : 75-87.

Annaniâzov, B., 1972, « Simvol družby sovetskogo naroda », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 12 : 20-22.

Ânšin, Aleksandr, 1991, « Aral dolžen byt’ spasen », Obŝestvennye nauki i sovremennost’ 4 : 157-168.

Ârošenko, Viktor, 1989, Èkspediciâ « Živaâ voda ». Moscou, Molodaâ gvardiâ.

Atčabarov, B., et T. Šarmanov, 1990, « Voda dlâ regiona : Sibirskaâ voda dlâ Srednej Azii – absurd ili nasuŝnaâ neobhodimost’? », Zvezda Vostoka 4 : 117-22.

Beckert, Sven, 2014, Empire of cotton: A global history. New York, Penguin.

Bess, Michael, 2003, The light-green society: Ecology and technological modernity in France, 1960-2000. Chicago, University of Chicago Press.

Brejnev, Léonide, 1979, À la pointe du combat : souvenirs, 1941-1956. Paris, Hachette.

Carley, Patricia M., 1989, « The Price of the Plan: Perceptions of Cotton and Health in Uzbekistan and Turkmenistan », Central Asian Survey 8 (4) : 1-38.

Červanev, Igor’, 1990, « Otkaz ot stihijnogo – vo imâ razumnogo », Zvezda Vostoka 2 : 23-27.

Čibilev, A. A., (dir.), 2014, Voprosy stepevedeniâ. Orenburg, IS UrO RAN (<http://vk.com/doc112829754_348083002>).

Coumel, Laurent, 2013, « A Failed Environmental Turn? Khrushchev’s Thaw and Nature Protection in Soviet Russia », The Soviet and Post-Soviet Review 40 (2) : 167-189.

Coumel, Laurent et Marc Elie, 2013, « Introduction: A Belated and Tragic Ecological Revolution: Nature, Disasters, and Green Activists in the Soviet Union and the Post-Soviet States, 1960s-2010s », The Soviet and Post-Soviet Review 40 (2) : 157-165.

Critchlow, James, 1991, Nationalism in Uzbekistan: A Soviet Republic's Road to Sovereignty. Boulder, Westview Press.

Duhovnyj, Viktor, 2002, « Lidery i učitelâ », in Oživšaâ legenda. Vospominaniâ veteranov osvoeniâ Golodnoj Stepi. Gulistan, Orfei : 5-21. — 2006, Zov vody. Moscou, Rudomino.

Elie, Marc, 2015, « Formulating the Global Environment: Soviet Soil Scientists and the International Desertification Discussion, 1968-91 », The Slavonic and East European Review 93 (1) : 181-204.

Fierman, William, 1997, « Political Development in Uzbekistan: Democratization? », in K. Dawisha et B. Parrott (dir.), Conflict, Cleavage, and Change in Central Asia and the Caucasus. Cambridge, Cambridge University Press  (« Democratization and Authoritarianism in Postcommunist Societies » 4) : 360-408.

Flynn, Moya, 2007, « Renegotiating Stability, Security and Identity in the Post-Soviet Borderlands: The Experience of Russian Communities in Uzbekistan », Nationalities Papers 35 (2) : 267-288.

Franz, Jennifer et Felix Fitzroy, 2006, « Child Mortality in Central Asia: Social Policy, Agriculture and the Environment », Central Asian Survey 25 (4) : 481-498.

Frioux, Stéphane et Vincent Lemire, 2012, « Pour une histoire politique de l’environnement au xxe siècle », Vingtième Siècle. Revue d’histoire 113 (1) : 3-12.

Gel’dyev, A., 1970, « Krupnejšaâ v mire rukotvornaâ reka », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 4 : 8-10.

Gestwa, Klaus, 2003, « Ökologischer Notstand und sozialer Protest: Der umwelthistorische Blick auf die Reformunfähigkeit und den Zerfall der Sowjetunion », Archiv für Sozialgeschichte 43 : 349-383. — 2010, Die Stalinschen Großbauten des Kommunismus: Sowjetische Technik- und Umweltgeschichte, 1948-1967. München, Oldenburg (« Studien zur Ideengeschichte der Neuzeit » 30).

Giese, Ernst, Jenniver Sehring et Alexej Trouchine, 2004, « Zwischenstaatliche Wassernutzungskonflikte in Mittelasien », Geographische Rundschau 56 (10) : 10-16.

Gleason, Gregory W., 1984, Between Moscow and Tashkent: The Politics of the Uzbek Cotton Production and Complex. Thèse de doctorat en science politique. Davis, Université de Californie.

Goldman, Marshall I., 1972, The Spoils of Progress: Environmental Pollution in the Soviet Union. Cambridge, MIT Press.

Gošaev, D. G. et G. R. Berdiev, 1978, « Sostoânie èkspluatacii meliorativnyh sistem », Sel’skoe Hozâjstvo Uzbekistana 5 : 37-38.

Habibova, Z., 1979, « Tretij ’’ezd Obŝestva ohrany prirody TSSR », Sel’skoe Hozâjstvo Uzbekistana 7 : 36.

Hakyev, A., 1979, « Ohranât’ prirodu – nakaz partii », Sel’skoe Hozâjstvo Uzbekistana 5 : 31-32.

Hale, Henry E., 2008, The Foundations of Ethnic Politics: Separatism of States and Nations in Eurasia and the World. Cambridge, Cambridge University Press (« Cambridge Studies in Comparative Politics »).

Harding, L., 2009, « Turkmenistan Tries to Green Its Desert with Manmade Lake », The Guardian 17 Jul.

Hašimova, I., 1980, « Bereč’ prirodnye resursy », Sel’skoe Hozâjstvo Uzbekistana 3 : 61-62.

Hecht, Gabrielle, 1998, The radiance of France: Nuclear power and national identity after World War II. Cambridge, Mass, MIT Press (« Inside technology »).

Igamberdyev, R. S. et A. A. Razzakov, 1978, Istoriâ melioracii v Uzbekistane (na materialah Golodnoj stepi). Tashkent, FAN.

Ilič, Melanie et Jeremy Smith (dir.), 2011, Soviet State and Society under Nikita Khrushchev. London et New York, Routledge.

Jehlička, Petr, Philip Sarre et Juraj Podoba, 2002, « Czech Environmental Discourse after a Decade of Western Influence: Transformation beyond Recognition or Continuity of the Pre-1989 Perspective? », EUI Working Papers, RSC 24, Florence, European University Institute (<http://cadmus.eui.eu/bitstream/id/1602/02_24.pdf/>).

Josephson, Paul R. et al., 2013, An Environmental History of Russia. Cambridge et New York, Cambridge University Press (« Studies in Environment and History »).

Kalantaev, V, 1962, « Ulučšeniû meliorativnogo sostoâniâ zemel’ – povsednevnuû zabotu (V porâdke obsuždeniâ) », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 2 : 51-54.

Komirenko, P., 1987, « Problema gosudarstvennoj važnosti », Sel’skoe Hozâjstvo Uzbekistana 8 : 33-38.

Létolle, René et Monique Mainguet, 1993, Aral. Paris, Springer-Verlag.

Libert, Bo, 1995, The Environmental Heritage of Soviet Agriculture. Wallingford, CAB International (« Sustainable Rural Development » 2).

Lubin, Nancy, 1984, Labour and Nationality in Soviet Central Asia : an Uneasy Compromise. London, Macmillan/St. Antony’s College.

Matley, Ian M., 1970, « The Golodnaya Steppe : A Russian Irrigation Venture in Central Asia », Geographical Review 60 (3) : 328-346.

McAuley, Alastair, 1986, « Economic Development and Political Nationalism in Uzbekistan », Central Asian Survey 5 (3-4) : 161-182.

McNeill, John R., 2001, Something new Under the sun: An Environmental History of the Twentieth-century World. New York, Norton.

Micklin, Philip P., 1987, « The Fate of “Sibaral”. Soviet Water Politics in the Gorbachev Era », Central Asian Survey 6 (2) : 67-88. — 2006, « The Aral Sea Crisis and Its Future: An Assessment in 2006 », Eurasian Geography and Economics 47 (5) : 546-567.

Muhamedžanov, Mirza-Ali V., 1985a, Materialy k bibliografii učenyh Uzbekistana. Tashkent, FAN. — 1985b, Bereč’ zemlû, umnožat’ ee plodorodie, Tashkent, Mehnat.

Musaev, Bahadyr, 1991, « ‘Â nikomu ne hoču zla… tol’ko spravedlivosti prošu.’ Zametki sociologa », Zvezda Vostoka : 71-80.

Nikiforov, N., 1978, « Bereč’ prirodnye bogatstva », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 12 : 26-27.

Obertreis, Julia, 2012, « Von der Naturbeherrschung zum Ökozid? Aktuelle Fragen einer Umweltzeitgeschichte Ost- und Ostmitteleuropas », Zeithistorische Forschungen/Studies in Contemporary History 9 : 115-122. — 2017, Imperial Desert Dreams. Cotton Growing and Irrigation in Central Asia, 1860-1991. Göttingen, V&R unipress (« Cultural and Social History of Eastern Europe » 8).

Ochs, Michael, 1997, « Turkmenistan: the Quest for Stability and Control », in K. Dawisha (dir.), Conflict, Cleavage, and Change in Central Asia and the Caucasus. Democratization and Authoritarianism in Postcommunist Societies. Cambridge, Cambridge University Press : 312-359.

Oldfield, Jonathan D. et Denis J. Shaw, 2013, « V.I. Vernadskii and the development of biogeochemical understandings of the biosphere, c. 1880s-1968 », The British Journal for the History of Science (April) : 1-24.

Ovezmuradov, B., 1962, « K osvoeniû celinnyh i zaležnyh zemel’ v zone Karakumskogo kanala », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 4 : 49-53.

Radecki, Wojciech et Jerzey Rotko, 1991, Entwicklung des Natur- und Umweltschutzrechts in Mittel- und Osteuropa. Baden-Baden, Nomos (« Schriftenreihe des Zentrums für Europäische Rechtspolitik an der Universität Bremen » 15).

Radkau, Joachim, 2011, Die Ära der Ökologie: Eine Weltgeschichte. München, Beck.

Rezničenko, Grigorij, 1992, Aral’skaâ katastrofa: dnevnik èkspedicii (s otstupleniâmi i kommentariâmi). Moscou, Novosti.

Saktaganova, Z. G., 2004. Istoriâ osuŝestvleniâ sovetskogo opyta èkonomičeskoj modernizacii v Kazahstane (1946-1970 gg.). Karaganda.

Schlögel, Karl, 1984, Ökologiediskussion in der Sowjetunion. Köln, Bundesinstitus für Ostwissenschaftliche und Internationale Studien.

Sehring, Jenniver, 2002, Kooperation bei Wasserkonflikten: die Bemühungen um nachhaltiges Wassermanagement in Zentralasien. Mainz, Institut für Politikwissenschaft, Abteilung Politische Auslandsstudien und Entwicklungspolitik (« Dokumente und Materialien » 30).

Simon, Gerhard, 1986, Nationalismus und Nationalitätenpolitik in der Sowjetunion. Von der totalitären zur nachstalinschen Gesellschaft. Baden-Baden, Nomos.

Teichmann, Christian, 2016, Macht der Unordnung. Stalins Herrschaft in Zentralasien 1920-1950. Hamburg, Hamburger Edition (« Studien zur Gewaltgeschichte des 20 »).

Uekötter, Frank, 2015, Deutschland in Grün. Eine zwiespältige Erfolgsgeschichte. Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht.

Vorob’eva, S. I., 1981, « Obyčai i tradicii v sisteme social'nyh norm socialističeskogo obŝestva », Obŝestvennye Nauki v Uzbekistane 6 : 14-20.

Vrignon, Alexis, 2012, « Les écologistes et la protection de la nature et de l’environnement dans les années 1970 », Écologie & Politique 44 (1) : 115-125.

Wegerich, Kai, 2003, « Water: The Difficult Path to a Sustainable Future for Central Asia », in T. Everett-Heath (dir.), Central Asia: Aspects of transition. London, RoutledgeCurzon (« Central Asia Research Forum ») : 244-263.

Weiner, Douglas R., 1999, A little corner of freedom: Russian nature protection from Stalin to Gorbachëv. Berkeley et Los Angeles, University of California Press.

Weißenburger, Ulrich, 1989, « Der Umweltschutz in der Sowjetunion: Zwang zum Handeln », in H. Schreiber (dir.), Umweltprobleme in Mittel- und Osteuropa. Frankfurt am Main et New York, Campus Verlag : 184-196.

Wheeler, Geoffrey, 1964, The Modern History of Soviet Central Asia. London, Weidenfeld & Nicolson.

Wheeler, William, 2016, « Aral-88 : Catastrophe, Critique and Hope », The Slavonic and East European Review 94 (2) : 295-324.

Haut de page

Notes

1 Voir notamment K. Gestwa [2003], J. Obertreis [2012], L. Coumel et M. Elie [2013].

2 Mentionnons néanmoins les projets de Laurent Coumel, Marc Elie, Flora Roberts et Georgios Tziafetas, qui devraient combler cette lacune dans les années à venir.

3 Voir R. Létolle et M. Mainguet [1993], J. McNeill [2001 : 162-166].

4 En 1971, le gouvernement français crée un ministère chargé de la Protection de la nature et de l’Environnement, un fait souvent ignoré dans les comparaisons environnementales internationales [Frioux et Lemire op. cit. : 6].

5 Sur les problèmes écologiques, voir A. Čibilev [2014], Saktaganova [2004 : 143-176] et l’article de M. Elie dans ce même numéro.

6 À noter, toutefois, un texte qui suit la chronologie politique de 1964 à 1985 [Josephson et al. 2013 : 184-251].

7 W. Radecki et J. Rotko [1991]. Une collection de lois publiée en 1981, en RDA (Akad. für Staats- u. Rechtswiss. d. DDR, Lehrstuhl Bodenrecht u. Rechtsfragen d. Sozialist. Landeskultur).

8 Voir K. Schlögel [1984].

9 Voir J. Oldfield et D. Shaw [2013] pour le concept de biosphère de V. I. Vernadski et M. Elie [2015] pour les discussions internationales sur la désertification.

10 J’ai souligné les continuités discursives entre l’époque tsariste et soviétique [2017].

11 Pour une contribution qui traite de la politique d’irrigation et de culture du coton dans le cadre du stalinisme à la périphérie, voir C. Teichmann [2016].

12 Il y eut un précédent à ce projet celui du canal principal du Turkménistan, qui devait commencer plus au nord de l’Amou-Daria. Il en fut fait une large publicité au début des années 1950, mais la construction fut interrompue immédiatement après la mort de Staline [Wheeler 1964 : 172-173 ; Gestwa 2010 : 93, 115 n. 188].

13 Anonyme, 1962, « Radost’ narodnaâ! », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 3 : 3-6.

14 Akademija Nauk Uzbekskoi SSR and Sovet po izučeniiu proizvoditel'nykh sil respubliki, 1975, p. 205.

15 Ibidem, p. 299.

16 L. Brežnev, Leninskim kursom. Reči, privetstviâ, stat’i, vospominaniâ, volume 4. Moscou, Izdatel’stvo Političeskoj Literatury, 1974, p. 436. Dneproges est la première grande centrale hydroélectrique soviétique sur le Dniepr près de Zaporijia en Ukraine, commencée en 1927 et achevée en 1932. Magnitogorsk est un centre métallurgique majeur dans l’Oural, construit pendant le premier plan quinquennal.

17 Voir les Archives centrales de la république d’Ouzbékistan (désormais CGARUz), f. 1807, op. 2, d. 355, passim et D. Weiner [1999 : 250-251].

18 CGARUz, f. 2742, op. 1, spravka, l. 9 ; CGARUz, f. 2742, op. 1, d. 153, l. 15. La République ouzbèke comptait 13,8 millions d’habitants en 1975 [Gleason 1984 : 230, table 5.2.].

19 Voir les Archives d’État central pour la documentation scientifico-technique et médicale de Tachkent (CGANTMD), f. 87, op. 3-n, d. 200, l. 28.

20 Données pour 1981 : CGARUz, f. 2483, op. 2, d. 4239, l. 97.

21 Voir Rezničenko [1992] et l’analyse des écrits des participants de l’expédition de W. Wheeler [2016].

22 Voir les paragraphes 18 et 67 de la Constitution de 1977 éditée et traduite en 1979 par J. M. Feldbrugge et W. B. Simons (The constitutions of the USSR and the Union Republics. Analysis, texts, reports. Alphenaan den Rijn, Sijthoff & Noordhoff, p. 71-171) et l’ouvrage co-écrit par P. Josephson [op. cit. : 198].

23 Dans le cas du Turkmenistan voir « O dopolnitel’nyh merah po usileniû ohrany prirody i ulučšeniû ispol'zovaniâ prirodnyh resursov », Sel’skoe Hozâjstvo Turkmenistana 3 : 2-3 [1979]. 

24 CGARUz, f. 2483, op. 2, d. 4239, ll. 33–35, 41.

25 Voir la tentative de dresser la liste de toutes les usines polluantes en 1974 : CGARUz, f. 2742, op. 1, d. 153, l. 32.

26 Voir l’article de Z. Habibova [1979].

27 Voir P. Jehlička, P. Sarre et J. Podoba [2002 : 9-10] pour le rôle de l’Académie des sciences en Tchécoslovaquie à travers un exemple concret.

28 Parmi toutes les publications sur le projet de détournement, voir notamment P. Micklin [1987] et, pour un état de l’art, K. Gestwa [2010 : 541 n223].

29 Sur les conditions politiques, voir M. Ochs [1997] et W. Fierman [1997].

30 Sur les questions de santé et d’hygiène voir P. Carley [1989] et sur les herbicides P. Habibullaev, 1986, « Sdelat’ vybor po-hozâjski. Vnimanie: novye defolianty », Pravda Vostoka, 31 juillet.

31 CGARUz, f. 837, op. 41, d. 7209, ll. 132-136.

32 CGARUz, f. 837, op. 41, d. 6735, ll. 105-107.

33 Voir Aliâb’eva, op. cit. et Musaev [1991]. Wheeler [2016] arrive aussi à la conclusion que les participants à l’expédition Aral-88 ont produit une critique générale du système.

34 Voir l’infographie sur la modification de la forme de la mer d’Aral de la Russian Federal Space Agency and Research Center for Earth Operative Monitoring (<http://www.ntsomz.ru/projects/eco/econews_271108_beta>). Voir aussi L. Harriman, « The Future of the Aral Sea Lies in Transboundary Co-Operation », 2014, UNEP Global Environmental Alert Service, (<https://na.unep.net/geas/getUNEPPageWithArticleIDScript.php?article_id=108>) et, sur les acteurs internationaux, K. Wegerich [2003 : 260], J. Sehring [2002] et P. Micklin [2006].

35 Seules sont disponibles les données démographiques sur le recul de la part des Russes dans la population ouzbèkes : de 8,4 % en 1989 à 4 % en 2004 [Flynn 2007 : 269]. Au Turkménistan la part des Russes était de 6,7 % en 1995 [Ochs op. cit. : 333], contre 14,5 % en 1970 [Simon 1986 : 427-428].

Haut de page

Table des illustrations

Titre Monument à la gloire des trois grandes figures de l’épopée hydro-cotonnière : la tractoriste, l’ingénieur hydraulique, l’irrigant.
Légende Monument situé sur la route en venant de Džizak, à l’entrée de la « ville nouvelle » de Pahtakor (« travailleur du coton » en ouzbek), Ouzbékistan.
Crédits Photo : R. Jozan.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/11681/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 62k
Titre Un canal, qui vient du Syr-Darya pour irriguer des terres dans la province de Syr-Daria et de Džizak, en Ouzbékistan.
Crédits Photo : R. Jozan
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/11681/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 40k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Julia Obertreis, « Le « tournant environnemental » à l’Est (années 1970 et 1980)  »Études rurales, 200 | 2017, 106-129.

Référence électronique

Julia Obertreis, « Le « tournant environnemental » à l’Est (années 1970 et 1980)  »Études rurales [En ligne], 200 | 2017, mis en ligne le 01 juillet 2019, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/11681 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.11681

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search