- 1 Front paysan est un collectif de cinéma créé en 1971 à l’initiative de Claude Bailblé et de Guy Ch (...)
1Pourquoi et comment choisit-on de consacrer une partie de son existence et de sa vie de chercheur à un sujet (le paysan) et à un médium (le film) ? Telle est l’une des questions que pose la trajectoire professionnelle de Guy Chapouillié et à laquelle il a tenté de répondre dans l’un de ses derniers longs-métrages L’Azegado (2015, 100 min). Le choix de la paysannerie peut se lire comme le fruit d’un engagement politique et cinématographique fait dans le contexte des années post- Mai-1968 où, sur les friches de la révolution silencieuse, émerge un fort courant de contestation et de remise en cause de la modernisation « capitaliste », cristallisé autour du mouvement des paysans-travailleurs. Ce combat est relayé par le collectif de réalisation Front paysan1, qui produit des films sur les luttes emblématiques des années 1970 (La guerre du lait, 1972 ; Des dettes pour salaires, 1973 ; La reprise abusive, 1974 et N’i a pro, 1976).
2Quant au cinéma, il est en pleine effervescence tant sur le fond que sur la forme. À l’époque, il s’est senti transformé, littéralement happé par la vague de ceux qui pensaient que l’heure était venue de changer le monde, avec le cinéma notamment, en tout cas de changer le cinéma, sa pratique et son enseignement pratique. Il décide alors de transformer cette expérience politique en expérience professionnelle. Les films du Front paysan vont constituer pour lui la matière première d’une écriture scientifique. Cela s’est traduit par une thèse de 3e cycle en psychologie sociale, soutenue à l’École pratique des hautes études en 1978, dirigée par Marc Ferro intitulée Une histoire de la paysannerie en France et la réalisation de films qui tentent d’en organiser le reflet (un mémoire et quatre films) et, en 1989, par une thèse d’État à l’Université de Toulouse-Le Mirail, sous la direction de Rolande Trempé, intitulée Produits de communication audiovisuelle et évolution des images du monde paysan, également accompagnée d’un film (André).
3À partir de 1977, il s’attelle à la création de l’École supérieure d’audiovisuelle de Toulouse qui sera officiellement ouverte deux ans plus tard. Dans la foulée des premiers films d’intervention, il continue d’explorer avec sa caméra le monde paysan et ses représentations, traversé par la lancinante question du grand ébranlement de la révolution industrielle et manufacturière qui, depuis le milieu du xviiie siècle, met à mal les structures de la société rurale, mouvement qui n’a eu de cesse s’accélérer dans la France d’après-guerre, suscitant tensions et résistances.
4Son récit nous permet de rentrer de plain-pied dans la fabrication de l’image et du film, d’abord en amont, dans l’affirmation d’un certain nombre de partis pris et de références dans lesquels est enchâssé le regard du cinéaste. Cet environnement, rarement aussi clairement énoncé, éclaire l’œuvre d’un jour nouveau. Puis vient la réalisation elle-même, celle du terrain, des acteurs, des images, subtils va-et-vient entre des choix techniques, des rencontres, des opportunités imprévisibles, qui mis bout à bout et patiemment assemblés font œuvre et représentation du monde rural que ce dossier a pris pour objet d’analyse.
5Quel regard portez-vous sur la représentation visuelle du monde rural ?
- 2 Le « chemin des affronteux » est une expression empruntée à George Sand (La Mare au diable. Suivie (...)
6En deux siècles à peine, une force colossale a provoqué une dévastation du paysage rural sans précédent, en déplaçant la presque totalité d’une population de la campagne vers la ville. Il y a dans cette désintégration du monde paysan de quoi nourrir des tas de romans, de tableaux, de films. Or, la représentation sera majoritairement de conception bourgeoise [Bourdieu 1977], une forme particulière d’oubli qui sera le masque de cette décomposition : « on épiloguerait sur l’absence ou l’infortune des paysans dans la littérature française, c’est-à- dire dans la littérature d’un pays qui, jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ou peu s’en faut, est resté massivement soumis aux choses de la terre » [Chevalier 1975 : 7]. Heureusement, tous les auteurs ne détournent pas leur regard du « chemin des affronteux »2, un chemin emprunté par ceux qui partent de la campagne, avec le sentiment d’avoir échoué alors qu’ils sont victimes du productivisme. Dans La mare au diable, Georges Sand prend à parti une des compositions funestes d’Hans Holbein le Jeune, celle du laboureur qui pousse avec peine un attelage, accompagné par un être famélique, fouettant les chevaux (Le Laboureur, gravure, 1540). Elle est révoltée par ce spectre de la mort qui triomphe, car elle ne croit plus au néant du monde… Il y a Honoré de Balzac avec son roman inachevé Les paysans, publié en 1855 par son épouse Évelyne à titre posthume et bien sûr Eugène Le Roy qui publia, Jacquou le Croquant en 1899. Il faut rappeler aussi, le film de Marcel Pagnol, Regain (1937), véritable manifeste virgilien d’une reprise de la terre contre la conception patriarcale du monde, qui invite à lutter contre l’emprise naissante des semences nord-américaines, qui recompose le couple dans une relation côte à côte et non de soumission, tout en montrant le paysan solidaire et fraternel, soucieux d’entraide et de partage.
7Mais celui qui aura nourri le plus mon regard est le peintre Jean-François Millet. Van Gogh et Salvador Dali en feront un maître. C’est son œuvre qui m’a fait comprendre à quel point les paysans étaient notre mémoire et notre élan car l’énorme masse de leur passé pèse aujourd’hui encore de tout son poids sur nos gestes, notre parole et nos choix. La singularité de Jean-François Millet a été de mêler la transformation du paysage avec les acteurs mêmes de cette transformation. Pour lui, pas de paysage sans paysans, ces créateurs de formes au croisement de l’imaginaire de l’homme et du mystère de la nature. Pour lui, les figures ne peuvent se déployer que dans le continuum de la vie. Des Glaneuses (1857) qui sont en train de sortir de l’Histoire, protestent d’en être exclues à l’image de la colère que l’interdiction du glanage suscite. Elles rejoignent ainsi Les Paysans (1844) de Balzac qui, dans le cabaret qui leur sert de « parlement du peuple », parlent du sang qui pourrait couler si ce général de maire voulait supprimer le droit de glaner. Ces femmes passent leur temps à se plier sans jamais se redresser tout à fait jusqu’à ce que leurs corps portent la marque de leurs efforts : le pli d’un travail répétitif qui fait de leurs dos et de leurs épaules des courbes de souffrance.
8Les glaneuses apparaissent au premier plan et, au second, le chantier bouillonnant de la moisson. Le ciel est chargé, la lumière est blanche. Le soleil de Millet chauffe vigoureusement les blés, les mûrit, mais ne badine pas avec les corps ni avec les tissus, il les brûle et les fait suer. L’air devient visible, le métier pénible. Le groupe des moissonneurs, vêtu de blanc, émet une vive lueur au centre du tableau. Ces ouvriers travaillent sous le contrôle d’un cavalier, visible sur la droite et dont le bras tendu semble tracer une ligne au-dessous de laquelle les dos doivent rester courbés. De leur côté, les glaneuses paraissent libres de leurs gestes, gestes que certains souhaiteraient voir disparaître définitivement. C’est une forme d’instantanéité que Jean-François Millet a passé sept ans à mettre en œuvre. Sept ans au cours desquels il a cherché la trajectoire de leur déplacement, leur nombre (deux pour un tableau intermédiaire), la chute des bras, la courbe des dos. Sept ans ponctués d’esquisses et d’œuvres intermédiaires, toutes tendues vers la construction d’un regard protestataire soucieux de nous faire voir l’invisible.
9En effet, pour lui, l’imagination ne déforme pas les images données par la perception, elle nous libère des images premières sur lesquelles elle s’appuie pour les changer. Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination n’est pas l’image mais l’imaginaire. Ainsi, il a considérablement modifié la conscience du témoin de son temps et beaucoup le considèrent comme un des pionniers de l’ethnologie. Millet a vécu la peinture comme un combat en quête d’une vérité, où le drame est enveloppé de splendeurs, contre le récit des dominants qui conçoivent les paysages sans paysans. Il célèbre la présence des producteurs de richesses, des jardiniers de la nature et par conséquent du mouvement qui secoue profondément la campagne. La probité de son geste révolte la bourgeoisie.
10Dans quelle mesure le travail de Millet a-t-il influencé votre film L’Azegado ?
11La démarche de Millet a guidé mon regard pour la réalisation de L’Azegado (tour de la montagne en occitan ou parcours raisonné). S’il a passé sept ans pour saisir les gestes des glaneuses, je pouvais bien en passer douze aux côtés des éleveurs de l’Aubrac, mettre en forme la représentation la plus fidèle au croisement de leur regard et du mien. Je voulais avec des images et des sons qui soient des outils de relevé et de construction tout à fait adaptés à saisir ce qui existe, au sens fort du terme, des objets réels et concrets singuliers, notamment tout ce qui permet d’identifier la figure du paysan et de la paysanne, ces producteurs de richesses qui nous donnent le sein de la terre.
12Avec L’Azegado, rien n’était écrit, surtout pas le titre. Rien n’était prescrit, sauf suivre au plus près et sur plusieurs années la vie d’une exploitation, saisir les frictions à l’intersection de la tradition et de la modernité. Repérer les moindres signes de doute ou les éclats de joies de personnes bien vivantes, amoureuses de leur pays et de leur métier, autrement dit l’émergence des sujets dans leur espace social. Il s’agissait donc de monter le monde en film non pas tel que j’aurais aimé qu’il fût, mais tel qu’il était dans sa complexité, ses mutations, sa décomposition. Il m’a fallu trouver et travailler avec des personnes nouvelles pour mettre à l’épreuve mon regard, devant leur choix et leurs gestes. Cette approche m’a imposé de redoubler d’attention pour ne pas échouer à l’exercice de l’improvisation et pouvoir suivre, fixer et veiller à ce que peu de chose ne m’échappe sur une exploitation de moyenne montagne avec les contours d’un modèle durable de production de viande ou de lait et, si possible, une famille animée par le projet d’une transmission au fils ou à la fille.
13Si j’avais quelques attentes, j’avais aussi le souci de ne pas contourner le terrain et de tout revoir en fonction de sa vérité. C’est pour cela qu’il fallait une famille d’éleveurs qui accepte tout simplement de s’engager dans la réalisation d’un film, sans savoir vraiment ce qu’il serait. Je ne dis pas que j’ai lancé les dés, mais je peux dire que j’ai vécu quelque chose d’approchant.
14Comment avez-vous procédé pour trouver cette famille ?
15Je me suis confié à deux amis, cinéastes et universitaires toulousains, Anne-Marie Granié et Jean-Pascal Fontorbes, qui connaissaient le pays d’Aubrac pour y avoir travaillé et qui avaient, aussi, un projet de film avec un de ses éleveurs, Paul Valadié (Terroir, Territoire, Aubrac : je vais voir mes vaches, 2009). Ils m’ont donné deux contacts, le premier appel sera le bon. Au téléphone Brigitte et Jean Chardaire ne comprennent pas vraiment ce que je veux faire avec eux. Un film ? Oui, mais pourquoi ? Un doute, une question légitime, puisque je ne sais pas leur dire où nous irons et que j’ai du mal à leur expliquer que c’est d’eux et de leur vie que va dépendre le destin du film. Après une première rencontre où chacun a commencé à prendre la mesure des autres, le rendez-vous pour filmer est pris. Par un froid matin de février 2000, je me présente dans la cour de leur ferme, avec deux amis qui compléteront durablement l’équipe. Comme il n’y a personne et que, devant la ferme, je découvre une scène annonciatrice où sont couchés dans l’herbe, côte à côte, un taureau, une vache et un petit veau, je décide de la fixer. Ce sera le premier plan tourné, mais aussi le premier du film, intuition fertile. Il a l’économie de la durée que je cherchais au rythme paisible de la rumination. À la fin de cette première prise, nous avons découvert le couple, dans notre dos, qui nous observait avec une malice non dissimulée. Il s’est passé là une chose mystérieuse et décisive qui aura décidé du film. Notre manière calme, patiente peut-être, notre maladresse, mon béret… allez savoir !
16Jean nous a parlé des vaches, du taureau rongé par la vermine de l’hiver, et l’invitation est venue tout naturellement d’entrer chez eux pour prendre un café. Il n’y a pas eu de pacte écrit, seulement un désir partagé de voir ce que cela pouvait donner et qui a débouché sur une amitié complice et durable, nous permettant de travailler en confiance, dans une liberté totale. J’ai beaucoup appris de ces paysans généreux. Jean m’explique que : « Là c’est Sud et Sud, c’est pas si mal que ça, mais il nous faudrait de l’eau, là. Pour nous ! Nous sommes une région très ventée avec beaucoup d’altitude et les régions en contrebas là, par contre, ils ont du fourrage : ils sont très contents. Bon. C’est quand même heureux que ce soit comme ça parce qu’il vaut mieux que les voisins aient des fourrages et que ce ne soit pas une crise générale. Quand c’est local c’est bien moins grave ».
17La voix est chaude, directe, avec une articulation qui éclaire le sens des mots, en désignant ce qui est essentiel dans les relations aux autres. Les voix de Jean et de Brigitte sont de celles qui invitent au dialogue en inversant les rôles des pratiques documentaires dominantes par des questions fréquentes qui me placent dans une conversation franche où je vis concrètement et intensément l’idée des anciens pour qui la parole, par la communication et la coopération qu’elle permet, est nourricière, source de prospérité, de connaissance et d’humilité. Elle fonde ainsi un groupe ou plus précisément un esprit d’équipe pour un projet commun comme le nôtre, celui de faire un film, témoin d’une condition paysanne inquiète, mais vivante.
18Quelle a été votre approche pour filmer ce quotidien ?
19D’emblée, Brigitte et Jean ont mis au jour, avec leur franc-parler, leur pensée étonnante, profonde, nuancée qui se situe entre deux langues, l’occitan et le français ou à leur croisement, comme entre l’azegado et le plateau des mille et une sources.
20Une manière d’abolir la distance et de nous placer dans les espaces intimes, du toucher, du travail, de l’agacement, de la colère, des repas et de nous libérer de toutes négociations préalables. Il me revient d’improviser la place de la caméra sans interrompre ni modifier le continuum de la vie dans lequel nous sommes invités par Jean et Brigitte. Si ce n’est le cinéma des processus, c’est quelque chose d’approchant où rien n’est stable et où tout peut être possible si la pertinence des regards l’impose.
21Si l’enveloppe d’un vent violent, froid et sec, risque de masquer la voix, alors, comme le conseille Marcel Pagnol, il ne faut pas effacer ce moment où le son, en désignant au mieux son site originel, aura raison. C’est le cas d’une scène sur le plateau, près des vaches où, dans une bourrasque, Jean cueille d’un geste fin et élégant la plante emblématique de l’Aubrac, le sistre, pour en faire partager le parfum à Brigitte avec les mots de celui qui connaît son milieu et le ton de celui qui aime sa femme au point de partager avec elle les offrandes de la nature.
22Jamais le temps, l’urgence ni le travail n’empêchent l’homme ni la femme de parler. Aussi, à moi de savoir anticiper, improviser pour saisir le fragment choisi, avant qu’il ne s’échappe. Ainsi va la vie sans aucune possibilité de refaire la prise. Il y a bien des gestes qui se reproduisent dans la journée, dans la semaine, dans le mois ou dans l’année, mais les éleveurs n’y parlent pas vraiment de la même manière. Ils ont changé, mon regard a changé, ce qui est parti est réellement parti. Je ne sais pas si j’ai suivi, sans le savoir, les conseils d’André Breton, il faut aimer d’abord, il sera temps, ensuite, de s’interroger sur ce qu’on aime, mais j’ai l’impression qu’il s’est produit une chose similaire. En effet, lorsqu’ils nous ont observés faire notre premier relevé, tout m’a plu de suite, comme un coup de foudre. Progressivement, je me suis interrogé sur ce qui me liait vraiment à Jean et à Brigitte, sans que jamais le sentiment ne s’altère. Pourtant la qualité de leur accueil garde encore une part de mystère qui n’a pas manqué d’intriguer le marchand de bestiaux : « Moi, j’ai mis des années à rentrer chez Jeannot ! Bon, aujourd’hui, on a des rapports de commerce, d’amitié, j’y suis arrivé. Vous, vous êtes rentrés là, c’est bien, mais je ne sais pas comment vous avez fait… »
23Qui peut savoir ? Et si ce n’était pas plutôt eux qui nous avaient choisis dans le moment singulier d’une envie d’être autrement et de changer leur rapport au monde, afin de communiquer leur condition de gens de la terre et de transmettre leur héritage ? Jean nous explique que : « Petit à petit, eh bien, les campagnes se vident… et puis la vie devient pas plus intéressante avec cette affaire, vous savez. Quand vous êtes tout seul sur une commune, ça veut dire que les écoles ferment, ça veut dire que petit à petit tout se déglingue et vous vous retrouvez tout seul là. Alors que jusque-là il faisait bon vivre chez nous. » En tout cas, si on me demandait pourquoi nous en sommes arrivés à vivre le film dans une telle confiance, je répondrais à la manière de Montaigne, parce que c’était eux, parce que c’était nous.
24L’ultime preuve de la qualité de notre relation s’est manifestée à l’occasion de la projection du dernier pré-montage, dans la salle de cinéma de l’École supérieure d’audiovisuel de l’Université de Toulouse-Le Mirail (aujourd’hui Toulouse Jean-Jaurès), où ils ont définitivement donné leur accord pour que vive ce film, en l’état. Là, ils m’ont offert un livre qu’ils ont eux-mêmes réalisé, qui en dit long sur leur regard d’humanistes et d’humoristes et sur notre complicité. Dès la première page, je suis en photo, la caméra en mains, les écouteurs sur les oreilles, avec le titre éloquent « Un paysan venu de la ville ». La suite est de la même veine : « il y a plus de 10 ans déjà… il frappait à notre porte et nous l’avons accueilli comme un ami, c’était Guy Chapouillié… de printemps en automnes, d’hivers en étés… il nous a regardés doucement, de l’infiniment petit à l’infiniment grand… il n’a rien oublié… »
25Quelle distance avez-vous instaurée pour être proche en évitant d’être intrusif ?
26Dans cette expérience, j’ai eu la confirmation que l’on se transforme au contact prolongé des autres et par l’expérience de leur regard. Si le film est le fruit d’une expérience intellectuelle, il résulte avant tout d’une singulière expérience humaine, vécue au cœur des contradictions fertiles qui caractérisent la rencontre avec d’autres univers culturels et sociaux. Les gens de l’équipe sont devenus d’autres gens grâce à d’autres gens, les éleveurs.
Fig. 1. Brigitte regardant l’écran de la caméra, le 12 janvier 2012, dans la cuisine de la ferme des Chardaire (Le Puech, Curières, Aveyron).
G. Chapouillié
27D’ailleurs, les éleveurs l’ont bien observé et parfaitement écrit, j’ai filmé doucement. J’aime beaucoup cette formule, car elle contient le tâtonnement, la tendresse, la patience et la rigueur pour ne pas brusquer les choses. La délicatesse me fait penser à celle des archéologues qui, strate après strate, cherchent à ne pas séparer ce que l’histoire a uni. En outre, comme le temps change, le paysage aussi, et que les gestes varient tout au long de l’année, j’ai voulu marquer les saisons et penser le film en quatre temps. Il n’était pas question d’une présence quotidienne, lourde pour les éleveurs et impossible pour l’équipe, mais d’un programme partagé, fait de va-et-vient fréquents en fonction de mes choix et de la décision des éleveurs de nous inviter à ne pas manquer tel ou tel événement comme la mort du cochon, les vêlages, un mariage ou la fabrication du fromage.
28Combien de temps avez-vous consacré à ce film ?
29C’est un processus qui a duré quatorze ans dont douze de tournage et deux de banc de montage, grâce à l’engagement, sans failles, des éleveurs et de l’équipe qui a su improviser, choisir, par l’échange d’un simple coup d’œil, l’événement ou le geste singulier. Avec Hubert Guipouy (caméraman) à l’image et Pierre Voyard puis Dominique Bricard à la prise de son, nous avons formé une bande aux relations éprouvées, soucieuse de converger. Cela fonctionnait à la manière d’un collectif aux ressorts capables de réveiller toute conscience et toute imagination endormies. Il faut dire que quatorze ans c’est le temps d’une réelle odyssée avec ses bonheurs, mais aussi ses vents contraires et ses écueils qui ont éprouvé et transformé l’équipe en un corps unique aux mains multiples, monstrueux mais harmonieux, sachant agir sans jamais se disloquer, même dans les pires moments. Je me souviens, notamment d’une nuit avec tempête de neige violente, sur les routes de l’Aubrac, où nous avons perdu le sens de l’orientation.
30Nous avons filmé cette virée sous la neige non pas pour dramatiser le travail de l’équipe, mais pour fixer un signe apparemment déroutant et déconcertant de la nature et souligner que les catastrophes ordinaires, petites ou grandes, sont des manifestations les plus naturelles, puisque tout est dans un flux continuel sur la terre où rien n’y garde une forme constante. Je conduisais, Hubert filmait plein cadre, à ma demande, et Dominique, l’oreille collée au son, élargissait l’image par le son étouffé de la voiture mêlé au silence étendu et profond de cette tempête de neige qui recouvrait les maisons de flocons sans bruit. Pendant ce temps, dans les étables, loin de toute hibernation, dans un travail répétitif de soins et de foin aux animaux, sans oublier la tétée des veaux, les éleveurs s’activaient pour maintenir en état les vaches dans la chaleur d’une poussière d’hiver.
Fig. 2. Vache et son veau, ferme des Chardaire (Le Puech, Curières, Aveyron).
G. Chapouillié
31Mais le dehors nous appelle à nouveau par le son irréaliste d’une trompe qui trouble la donne. Nous filmions l’étendue neigeuse avec le village d’Aubrac à l’horizon et Dominique, le casque sur les oreilles, se tourne vers moi toute surprise pour me dire qu’elle entend une musique au loin. Je prends les écouteurs et découvre à mon tour le faible appel musical. Plus loin, nous stationnons dans le village et, à peine descendus de la voiture, c’est un éclat de trompe qui nous fait sursauter. Nous apprenons qu’il s’agit d’un Charentais qui vient se détendre là, tous les hivers, pour se refaire une santé. Nous le rencontrons et nous le filmons dans son exercice quotidien de joueur de trompe. Voici ce qu’il nous raconte : « J’ai des amis qui habitent cette maison, et je suis venu passer quelques jours dans cette contrée qui m’attire beaucoup… J’ai amené ma trompe parce que je ne m’en sépare jamais et c’est pas facile de sonner dans ce pays parce qu’il fait froid. L’air est très sec et l’instrument, le bronze, ne supporte pas le froid… »
32Cette scène sera montée car le continuum de la vie qui m’importe est celui de la profondeur faite de simultanéités ; l’imprévu n’est pas un accident et ce son singulier qui vient d’ailleurs désenclave socialement le regard et la pratique des éleveurs qui, à leur manière, ont le souci de cet ailleurs dont est fait le monde dans lequel ils vivent.
33Avez-vous rencontré d’autres habitants aux alentours ?
34Il y a aussi la factrice en voiture, le marchand de bestiaux, le vétérinaire, le fromager, l’institutrice, le maire, le curé, les amis et les voisins, tout un dispositif qui fait société. Mais ce réseau est de plus en plus fragilisé puisque le mouvement de l’exode se poursuit, lié à une politique désastreuse des gouvernements successifs, qui abandonnent le monde rural en plongeant le pays dans une crise durable et tragique. Brigitte se pose même la question de changer les choses au niveau du conseil municipal de Curières (Aveyron) : « Notre équipe s’est disloquée, y en a qui ont lâché, qui ont été des lâcheurs. Et finalement, ce sont les anciens qui ont repris la commune en mains. »
35Autrement dit, la famille Chardaire se bat. Être paysan est un combat où la logique des marchés, qui nourrit les rentiers du « turbocapitalisme » [Luttwak 1995], impose sa loi. Les paysans au travail, Jean surtout en parlant des papiers à remplir qui l’empoisonnent, ne sont pas dupes des mécanismes et des jeux de pouvoir dont ils sont les jouets. Ils sentent bien qu’ils ne travaillent plus pour eux, mais pour le capital.
36C’est de ces relations, progressivement, que la forme du film a pris les contours incertains d’un dispositif qui met en relation les paysans comme les êtres vivants d’un territoire et d’un moment — le travail, les fêtes, les rencontres — avec l’élément historique — les services publics, la transmission au fils, le marché évidemment — pour traduire la tension permanente qui les ronge. La vie du paysan est celle de l’héritier du parler et des gestes d’une société en péril. Porter l’héritage des ancêtres c’est se situer dans l’éternité, avec la vie de ceux qui nous ont précédés et l’énergie de la jeunesse, sans cesse renouvelée, comparable à celle de Régis, le fils, qui prend le relais dans cette transmission.
37À sa manière, le film témoigne de cette éternité car il fixe la présence active de l’écrémeuse à bras qui sépare la crème du lait telle qu’elle survient dans la ligne générale d’Eisenstein. Il saisit le geste du fromager qui partage le repas avec son chien et rappelle celui de Nanouk l’esquimau du film éponyme (1922) de Robert Flaherty qui partage son repas cru avec ses chiens de traîneaux. Puis, le film saisit le regard de deux petites filles, que leur mère tient par la main, en train de ne manquer aucun des gestes de la mort du cochon, une scène proche du tableau de Jean-François Millet, Les tueurs de cochon (1867-1870). Ainsi, dans un cumul de gestes que les formes ne peuvent ignorer, la tradition n’appartient pas toujours au monde dépassé.
38Vous accordez beaucoup d’importance aux gestes et aux formes…
39J’ai la faiblesse de penser que la forme, c’est quand le fond remonte à la surface. D’abord, tout film est un regard, plus ou moins partagé, négocié même. Certes, les procédures documentaires et de fiction empruntent des itinéraires différents et selon des manières distinctes, mais un film reste une construction intellectuelle.
40L’art ou l’expression se concrétise lorsque les formes deviennent style et que tout commence par la manière de mettre en œuvre, de décider de filmer là et pas ailleurs, de choisir tel angle, telle dilatation ou telle contraction, autrement dit d’établir la distance intime ou sociale ou spectaculaire, là où se révèle la vraie nature du contact avec le réel. Le film est le fruit d’un processus de tâtonnements, de doutes et d’élucidations.
41J’ai choisi de poser mon regard à hauteur d’homme, de ne pas détourner les yeux, en vue de faire l’éloge des gestes du travail, héritage des producteurs de richesses. Des gestes qui font le fromage, soignent les bêtes, traient, plantent un arbre, fertilisent la terre et transforment le paysage sans chercher à l’épuiser. Je parle de ces hommes et de ces femmes qui foulent le sol et qui savent rentrer le troupeau avant qu’il ne piétine trop la terre humide, jusqu’à l’abîmer. Des circulations à l’estive, en long en large et en travers dans un accord parfait entre les hommes et les bêtes que le mot du titre L’Azegado résume si bien. Ma démarche relève d’une volonté de suivre le rythme d’un temps organique, face à l’accélération et contre l’ivresse de l’immédiateté qui tend à ne produire que des êtres désorganisés, sans gravité.
42Votre démarche nécessite une présence et une observation de longue haleine…
43Alors oui, pour saisir tout ça, il faut prendre son temps, recueillir la précision du geste, celui de l’aiguisage des couteaux, de la traite manuelle, de la fabrication du fromage, de la piqûre dans le cou de la vache, du vêlage, du coup de couteau qui abat le cochon, de la découpe du jambon, de la photo du mariage. C’est aussi la parole ordinaire, qui n’a pas à répondre à des questions mais qui relève simplement de la vie intérieure et qu’il faut apprendre à écouter sans l’interrompre, car il se dit là quelque chose d’important de la vie de celui ou de celle qui parle. Jamais je n’ai cherché à obtenir exclusivement des réponses à mes questions, selon des connaissances établies, mais j’ai été attentif, à la recherche d’une compréhension de l’autre, sans juger, pour faire émerger autre chose, inconnue de moi. Alors, j’ai été patient, comme le recommande le fromager lorsqu’il s’agit du rassemblement des grains du caillé, et j’ai attendu au fil du présent que s’oublie le réel.
44C’est, par exemple, le gag du parapluie nullement attendu et pourtant au rendez-vous de la patiente observation en plan fixe de la sortie et de l’entrée des invités au mariage de Cathy, l’une des deux filles de Jean et Brigitte. Il pleut à verse et les parapluies sont à l’honneur ; le marié s’emploie désespérément à en ouvrir un petit, avec des gestes imprécis qui manifestent une réelle maladresse et un vif agacement. La situation se prolonge et prête à rire ; Jean qui assiste à la scène, ironise avec gentillesse en lui disant : « Celui-là, il vaut rien. T’as pas su le piloter… Mais si, si, attend il doit être bon ! Il y a une façon… ».
45Une « façon », le mot superbe est prononcé et, d’un geste délicat, sans précipitation, il ouvre harmonieusement ledit objet. Alors, il fait le geste de l’utiliser, avec un coup d’œil à droite, un coup d’œil à gauche, pour constater les effets de son succès et s’approche de la porte pour sortir avec le geste de celui qui triomphe. Une scène qui dure et qui, pour moi, ne mérite aucune coupure. Car une chose est de s’inscrire dans la durée au tournage, une autre de décider de monter en film sans coupe. En tout cas, l’improvisation ou le choix de saisir à cet endroit les coulisses du mariage donne naissance à une gestuelle tragicomique.
46Mais, rien n’est jamais sûr puisque l’angle, le cadre et la durée font et défont le métier de cinéaste comme le démontre Maurice Pialat dans la dernière séquence de L’amour existe (1960), puisque : « la main de gloire qui ordonne et dirige, elle aussi peut implorer ; un simple changement d’angle y suffit ».
47Vous parlez beaucoup des gestes, mais qu’en est-il de la parole et de l’improvisation ?
48La réalisation d’un film ne tient finalement qu’à un fil, un changement de place, une hauteur de la caméra, un angle, un degré d’échelle, une distance, une durée, un traitement des sons, sans ignorer la part que prend une myriade d’opérateurs audiovisuels.
49C’est, par exemple, Jean Chardaire qui vient nous parler au premier plan devant l’étendue des pâturages où se déplace le troupeau, une parole libre qui s’installe dans la force de sa bouche où les hésitations et les répétitions donnent de la chair et de l’authenticité pour décrire, parler du métier, avec des mots qui n’appartiennent qu’à lui : « si les veaux s’étirent c’est qu’ils vont bien ». C’est aussi l’émergence d’une parole intégrale où le geste se mêle à la voix par des mouvements de bras qui se disjoignent comme si lui-même s’étirait. Il est sur le lieu d’une étendue de pâturages où il pratique l’azegado, le fond du relief est vert, sa chemise est rouge, le ciel est bleu, les couleurs annoncent l’alliance de tons dominants, chatoyants. Nous avons à la fois, dans le même cadre, l’espace intime de la voix qui se livre et l’espace spectaculaire de l’estive où les bêtes retrouvent un temps leur autonomie sauvage…
50Brigitte et Jean ne cessent de se parler, ils se disputent même, mais leur parole est indivisible. Aussi, lorsque Jean cueille délicatement le sistre, son geste qui se termine dans la main de Brigitte, impose que le cadre soit élargi pour les accueillir côte à côte.
51Enracinés dans l’Aubrac, Brigitte et Jean forment un couple animé par une symbiose peu ordinaire qui fonctionne entre le langage de la main, lié à la vision, et le langage du visage, lié à l’audition. Il s’agit de personnages dotés d’une intelligence critique qui m’a souvent motivé pour étendre leur présence à l’écran, tellement ils sont cinégéniques. Cependant, lorsque les plans s’étirent, l’envie peut venir de glisser progressivement vers un gros plan sur le temps, pour contempler autrement, au ralenti, et comme nous y invite Jean, lorsqu’il est milieu de son troupeau, sur le plateau vert de l’Aubrac.
52Sur ce site, Jean fait toujours preuve d’une grande précision dans ses propos. Sa douceur et son émotion devant le chantier de la traite manuelle me rappellent Les glaneuses de Millet, menacées de disparition. Je ne peux m’empêcher de rapprocher leur gestuelle de celle de ces éleveurs qui traient du bout des doigts, avec une précision, une délicatesse et une patience. C’est un fait, contrairement à certaines idées reçues, Jean a conscience de vivre sur un lieu traversé par des chemins de beauté.
53Plus loin, dans l’école du village qui ne compte plus qu’une classe, l’institutrice a l’œil sur tout et des attentions pour chacun des élèves. Une leçon m’a posé pas mal de questions sur les niveaux, la dynamique de l’imitation et le nombre d’élèves par classe, que j’ai tenté de monter dans le film où la parole de l’enseignante lie, transmet, corrige et organise l’unité de la classe.
54Il ne faut pas se le cacher, pour être au plus près de l’événement, les cadres ne sont pas faciles à caler, les sons difficiles à fixer et l’image que l’on souhaite préserver dans la pertinence de ses origines nous échappe parfois… C’est, par exemple, le cas des tueurs de cochon qui font de l’homme à la caméra un témoin précieux, un peu dangereux certes, puisqu’il fixe ce que certains pourront juger raté ou détestable. Ils l’acceptent car ils sentent que ces images pourront en assurer la transmission. Ils font tout pour le mettre dans les meilleures conditions, sans rien perdre de leur métier, ni de leur temps. La découpe de la carcasse est le temps d’un métier où la précision chirurgicale est un art. Chaque fois que j’en parle ou que j’y pense, je revois ce moment comme une qualité singulière de cinéma, celui d’une rencontre avec la vie.
55Finalement, votre travail résulte d’un réel engagement personnel. Comment pourriez-vous le qualifier ?
56Un film n’est jamais ni une fin ni un tout, mais un regard et souvent le fruit d’une intention profonde. Un regard qui s’organise en film est une manière comme une autre de s’engager à la fois comme témoin et comme acteur. En effet, je suis bien de ce monde que je regarde et qui ne me laisse pas indifférent. Forcément inachevé ou lacunaire, ce film se révèle un chant d’amour et une protestation. Je ne sais s’il s’agit d’une catégorie de militantisme moral, une forme particulière de solidarité avec ceux qui se battent pour vivre de leur production, dans le respect de l’environnement et la quête d’un développement durable.
Fig. 3. Hubert Guipouy filmant la mort du cochon.
G. Chapouillié
Fig. 4. Jean menant les vaches dans la neige.
G. Chapouillié
57Il s’agit simplement de faire surgir le vivant d’un courant destructeur qui secoue la campagne française depuis longtemps et de rendre au peuple oublié tout ce qu’on lui doit. Jean Chardaire suit ses vaches, leur parle, les appelle par leur nom. Elles l’écoutent, le suivent dans la neige en forme de procession où il est possible d’entendre comme un chant de confiance partagée. Il appartient à ce pays, son corps et sa tête collent à la terre d’Aubrac. Il est conscient d’être un héritier qui a bonifié son héritage et souhaite le transmettre au plus vite à son fils, à une période où la reprise d’une exploitation se complique. Jean et Brigitte Chardaire forment un couple qui tient bon et, en tenant bon, c’est tout ce pays qui peut tenir bon. Pourtant, les écoles ferment, les bureaux de poste aussi, car l’exode installe lentement la désertification. De sorte que c’est une société nouvelle qui se profile, plus incertaine, qui ne permet pas à Régis, le fils, de s’installer au mieux. Mais il est décidé, il aime ce métier, la vie de sa famille et la culture qui l’entoure. Le coup de marteau puissant qui sonne à la fin du film, enfonce un piquet de clôture, qui illustre sa détermination à vivre là, sur une terre qui a façonné son corps et son esprit. Ce geste qui consacre un lieu de vie et de travail, est celui d’un résistant.
58À n’en pas douter, la force de cette famille m’a soutenu et donné les moyens nécessaires pour ne m’interroger que sur les problèmes posés par la mise en œuvre d’un film conçu comme un processus d’acquisition de connaissances. Autrement dit, ma seule ambition a été d’être un cinéaste qui lutte contre l’ignorance, pour le lien social, et qui se souvient qu’il s’est battu, à l’aide de films, aux côtés des producteurs de richesses pour promouvoir des idées de justice et de partage équitable de ces richesses. Je ne sais s’il s’agit d’un travail d’anthropologue, d’historien, de philosophe, de doctrinaire ou de simple cinéaste, mais ce qui m’a importé, c’est d’arriver à transcrire une fabuleuse expérience humaine, dans les moindres détails des gestes, des regards, des situations, avec des gens qui résistent pour vivre chez eux, là où ils se sentent utiles à la société, conscients d’être les héritiers d’un savoir et d’un savoir-faire qu’il serait tragique de perdre. Fragiles et résistants, ils sont la vie. L’expérience de ce film aura brouillé mon regard avant de le changer car, une fois de plus, sa réalisation s’est faite sur un chemin nouveau, loin de toute certitude, par le truchement de tâtonnements et d’élucidations qui ont encore montré l’étendue des possibilités qu’offre le cinéma à la pensée.