Alexandra Céalis, Malaise agricole et politiques territoriales. Quelles réalités, quelles adéquations ? Étude à partir du cas du canton de Nocé, siège du parc naturel régional du Perche
Alexandra Céalis, Malaise agricole et politiques territoriales. Quelles réalités, quelles adéquations ? Étude à partir du cas du canton de Nocé, siège du parc naturel régional du Perche, Paris, L’Harmattan, 2016, 202 p.
Texte intégral
- 1 Le Feader est le Fonds européen agricole pour le développement rural.
- 2 Le Leader (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale) est un programme européen (...)
1Alexandra Céalis analyse les relations complexes entre les agriculteurs, la politique du Pays du Perche ornais (PPO), qui articule 111 communes de l’Orne, et celle du parc naturel du Perche (PNP), structure à cheval sur deux départements et deux régions administratives. Ces deux entités disposent de moyens d’action liés à l’État et à l’Union européenne (Feader1, Leader2). Les pratiques contractuelles entre l’État, les régions, les instances locales amplifient la complexité de la gestion territoriale. Elles supposent l’écoute des acteurs concernés mais les faits ne témoignent que rarement d’une définition vraiment large et conjointe des orientations retenues.
2L’auteur commence par étudier la façon dont les instances officielles documentent les difficultés psychosociologiques, familiales et économiques des agriculteurs. Elle enrichit son analyse documentaire par des rencontres dans des réunions syndicales, des associations, des fermes ou lors d’événements ponctuels. Le travail mené par Alexandra Céalis consiste à questionner les politiques mises en œuvre au sein du territoire du PNP à partir du ressenti du monde agricole, dans sa diversité.
3Le territoire du Perche « historique » couvre aujourd’hui cinq départements mais ne correspond pas à celui du PNP, ce que déplorent ses administrateurs et l’écomusée du Perche, qui en ont une vision plus étendue. Ici, les mutations de l’agriculture se sont accrues sous l’effet de la Politique agricole commune (PAC). La céréaliculture progresse et l’élevage recule. Le mouvement s’accompagne de remembrements, d’arrachages de haies et du développement de techniques productivistes. Le retour des labours, comme il en existait au XIXe siècle, accroît l’inquiétude des éleveurs, dont les difficultés sont aujourd’hui très fortes.
4De son côté, le PNP doit préserver le paysage qui est associé à un élevage « traditionnel ». Toutefois, il s’agit d’une tradition plus affirmée que définie. En effet, le Perche s’était convertie à l’élevage dans la seconde moitié du XIXe siècle. Avec la préservation d’un paysage, beaucoup craignent le blocage de l’activité et la sanctuarisation d’une région pour séduire des acteurs extérieurs.
5À l’inquiétude sur la gestion développée par le PNP s’ajoutent les effets de l’explosion des structures administratives agissant sur le territoire. L’auteure insiste, à juste titre, sur le caractère illisible d’un enchevêtrement administratif, complexifié ces dernières années au nom, paradoxalement, de l’efficacité de l’action publique.
6Communes, cantons, communautés de communes, départements, régions, État, bassins de vie, syndicats intercommunaux, offices de développement, de promotion, agences en tout genre s’entrecroisent et déroutent les populations, sans compter le Pays (créé par la loi de février 1995) et le PNP. Les outils européens comme le Feader et le programme Leader complètent la PAC. La gestion de l’ensemble suppose des ententes autour d’axes de développement dont la définition passe formellement par une politique contractuelle.
7Les populations locales se perdent dans cet imbroglio dont les responsables et les interlocuteurs sont souvent impossibles à identifier. La seule structure parlante est le Pays. Or, au nom de la redistribution des compétences, son action auprès des agriculteurs a largement été déléguée au Parc, qui est perçu comme une entité contraignante. Ses interventions dans la gestion des paysages et des ressources sont mal reçues par les agriculteurs, pourtant présentés comme les principaux acteurs de l’entretien des espaces ruraux.
8Le « ras-le-bol » s’exprime dans ce milieu qui doit répondre à trop d’attentes et de règles alors que l’activité économique est par avance sous pression de marchés très concurrentiels. La PAC impose des orientations qui desservent une partie des exploitants mais sa puissance est telle qu’il est difficile de ne pas s’y plier. La filière bio dénonce de son côté les orientations productivistes et leurs effets néfastes sur l’emploi et l’environnement.
9Dans le maquis des projets portés localement, des injonctions de l’État, des ajustements par contrats, des règles du PNP, les agriculteurs déboussolés cherchent anxieusement la clarification de ce qu’ils peuvent et doivent faire. L’explosion normative et les contrôles multipliés crispent les exploitants. L’implication de l’Onema (Office national de l’eau et des milieux aquatiques), des Directions départementales des territoires et des agences environnementales s’exercent en donnant le sentiment d’une surveillance tatillonne et autoritaire, sans que les acteurs et les pratiques coutumières ne soient entendus.
10La gestion des ruisseaux, en particulier, est rendue absolument inaudible, l’Onema imposant des règles dont chacun sait intimement qu’elles portent une vision mythifiée de la nature et qu’elles paralysent des siècles de savoir-faire en matière de gestion des écosystèmes.
11Dans ce foisonnement normatif il n’existe plus de repères anciens, plus de certitude, plus de confiance en un savoir professionnel. La plupart des agriculteurs développent un stress administratif et normatif bien plus sévère encore que celui lié au marché. Les discours publics parlent d’accompagnement des acteurs, ce qui suggère leur mise en tutelle et leur caractère d’éternels mineurs. Difficile à admettre pour des agriculteurs habitués à se vouloir les « maîtres chez eux ».
12Ajoutons la multiplication des formulaires, des déclarations, des enquêtes, des demandes préalables à l’action, des règles comptables et le malaise agricole n’est plus simplement une question de prix du marché et de dépression au travail mais une question d’écriture. Le maître des champs s’est transformé en employé de bureau.
13Cela n’implique cependant pas la paralysie des agriculteurs du Perche. Des réflexions sont conduites pour saisir de nouvelles opportunités, comme les circuits courts, ou pour changer les pratiques agricoles. Toutefois, les relations ne sont pas simples entre ceux qui demeurent attachés à une agriculture conventionnelle productiviste incluse au marché et ceux qui entendent passer à une agriculture biologique ou raisonnée.
14Un renversement des valeurs est d’ailleurs à l’œuvre. Les « bons » sont désormais ceux dont les pratiques étaient jugées archaïques voilà 50 ans… Enfin, les tensions prennent aujourd’hui un nouveau visage avec la multiplication des blogs qui vilipendent ou défendent les pratiques agricoles conventionnelles. Internet donne un écho considérable à des attentes sociales, exprimées par des associations en tout genre, de défense de l’environnement, de consommateurs ou de producteurs.
15Le Perche « carte postale » des instances Pays et Parc n’est ainsi pas de nature à apaiser les agriculteurs. Séduire les touristes et attirer de nouveaux habitants sont les priorités du moment. L’invention d’un profil culturel et identitaire régional suscite le doute des habitants des lieux. Ceux qui ont le souvenir des mutations lentes mais réelles de la région deviennent souvent spectateurs d’une nouvelle mise en scène de leur univers. Le décor est planté : élevage, bocage, cheval percheron, pommiers… Les instances politiques le portent plus que les populations.
16Reste donc à inventer réellement une gouvernance qui associe les individus aux choix qui les concernent. C’est le paradoxe d’une gestion territoriale qui se présente comme libérale et contractuelle mais qui reste liée à des fonctionnements du « haut » vers le « bas » (top down). Alexandra Céalis est parvenue à faire comprendre très précisément comment l’univers normatif en est venu à ajouter du stress aux questions du quotidien. L’agriculteur est au cœur de projets territoriaux qui en viendraient presque à reléguer au second rang son activité économique, à la tête d’une entreprise agricole. Sa liberté d’action, appuyée sur les droits fonciers et les règles du fermage, est devenue un vain mot face à l’explosion normative, dont l’idée est d’abord de répondre à des attentes sociales, politiques et économiques très diverses. Aux lecteurs à s’emparer de cette étude minutieuse et fouillée qui relate fort bien ce que vivent nombre d’autres régions en tension.
Notes
1 Le Feader est le Fonds européen agricole pour le développement rural.
2 Le Leader (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale) est un programme européen destiné à soutenir des projets « pilotes » et il est financé par le Feader.
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Référence papier
Fabien Gaveau, « Alexandra Céalis, Malaise agricole et politiques territoriales. Quelles réalités, quelles adéquations ? Étude à partir du cas du canton de Nocé, siège du parc naturel régional du Perche », Études rurales, 198 | 2016, 208-210.
Référence électronique
Fabien Gaveau, « Alexandra Céalis, Malaise agricole et politiques territoriales. Quelles réalités, quelles adéquations ? Étude à partir du cas du canton de Nocé, siège du parc naturel régional du Perche », Études rurales [En ligne], 198 | 2016, mis en ligne le 22 mars 2017, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/11437 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.11437
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