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Comptes rendus

Laënnec Hurbon ed., Catastrophes et environnement. Haïti, séisme du 12 janvier 2010

Paris, Éditions de l'EHESS, 2014, 271 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

Laënnec Hurbon ed., Catastrophes et environnement. Haïti, séisme du 12 janvier 2010, Paris, Éditions de l'EHESS, 2014, 271 p.

1Issu d'une conférence sur le séisme du 12 janvier 2010, ce volume étudie sous l'angle des sciences sociales la nature d'un événement traumatique. Les auteurs entendent décrire les liens spécifiques qui existent entre l'environnement et la société haïtienne dans le sillage des propositions de Philippe Descola, Bruno Latour et Ulrich Beck.

2Comment les sciences sociales peuvent-elles rendre compte de la catastrophe ? Comment un tel phénomène traduit-il des liens spécifiques tissés entre une société et son environnement ? En quoi, surtout, le tremblement de terre de 2010 a-t-il été un catalyseur des fragilités et des carences de l'ordre socio-politique haïtien ? C'est ce qu'expose Laënnec Hurbon sociologue, directeur de recherche au CNRS, professeur à l'Université de Quisqueya (Haïti), dès l'introduction du volume.

3Six textes suivent. Alice Corbet (anthropologue) étudie comment s'est opérée la gestion de la mort de masse après le séisme. Les rituels funéraires ont été sacrifiés par la force des choses dans cette situation hors-norme. Les inhumations sauvages, hâtives, les corps oubliés sous les décombres, les fosses communes, renforcent l'effroi des populations.

4Le choc est amplifié par la décision d'établir des fosses communes à Titanyen, ancien lieu des exécutions sommaires de la dictature Duvalier. L'écroulement de l'État et des pompes funèbres a privé les morts du respect que les vivants leur doivent.

5Pourquoi tant de morts ? Loin des explications des experts, les populations ont été fatalistes. Elles ont convoqué la vengeance des éléments et de Dieu, tous déchaînés contre les hommes, à la fois victimes et responsables du drame vécu.

6Edelyn Dorismond (philosophe, Paris-VIII) poursuit la réflexion en étudiant la manière d'occuper la terre à Haïti. Il s'appuie sur une lecture husserlienne où la terre est « le sol de l'expérience de tous les corps ». L'État, dit-il, n'a jamais pensé l'aménagement de l'espace. Il a perpétué un rapport personnel à la terre occupée, cultivée, hérité de la plantation coloniale. L'absence de politique globale de prévention des risques liés à l'environnement en découle.

7L'idée est développée autrement par Jean-Marie Théodat (géographe). Il étudie la structure urbaine de la capitale. Port-au-Prince, 3 millions d'habitants, s'est nourrie du flot des migrants des campagnes et d'une forte fécondité. Ville créée par les Français en 1749 dans une anse abritée, elle s'est développée sans que les pouvoirs n'agissent sur ses structures.

8Les quartiers ont surgi de manière informelle. Des lieux saints et une vie religieuse leur donnent parfois une cohésion. Les services urbains, comme le grand marché de la ville, ont émergé sans contrôle. Seul le Champ-de-Mars, occupé par les sans-logis après le tremblement de terre, est vraiment perçu comme le quartier de la nation, celui où se trouvent les bâtiments gouvernementaux.

9Rien n'a vraiment été fait pour anticiper une crise dans cette capitale. Les habitants ont seulement essayé de se prémunir contre les cyclones, les coulées de boue et les incendies.

10De fait, Raphaëlle Charlier-Donet (anthropologue) s'interroge sur ces carences en comparant Haïti à d'autres pays latino-américains et caribéens. Si l'histoire haïtienne est marquée par des tremblements de terre majeurs depuis 1751, leur mémoire en a été perdue. L'État haïtien a surtout été préoccupé par sa propre défense. Ainsi, depuis le xixe siècle, les pouvoirs ont limité l'instruction, la formation, la recherche, pour réduire les contestations. Ils ont ainsi paralysé la diffusion d'une pensée du risque environnemental.

11Certes, ajoute l'auteure, depuis les années 1980 des normes de construction antisismiques ont été définies. Toutefois, l'inertie dans leur application et l'absence de contrôle sur l'urbanisation les rendent illusoires. D'ailleurs, le ministère de l'Environnement ne date que de 1995 et son action est encore en l'enfance. Ajoutons que la pensée vaudou incite les populations à admettre leur soumission aux forces de la nature plus qu'à s'en protéger.

12Dans ce contexte, quid de la reconstruction ? Alain Gilles (professeur à Haïti) insiste sur le rendez-vous manqué avec la possibilité de recomposer l'État haïtien autour de cet enjeu. L'attitude fataliste et la fragmentation extrême de la société haïtienne ont fait avorter l'idée d'un intérêt général autour duquel construire le vivre-ensemble. D'ailleurs, la corruption accompagne la reconstruction depuis 2010 et exprime la puissance des intérêts individuels.

13Au fond, l'État est constamment pointé dans ses défaillances, ce qui est lié à sa constitution historique. Laënnec Hurbon démontre avec brio comment la dictature Duvalier (1957-1986) a achevé de désorganiser les maigres structures étatiques haïtiennes. L'obsession du pouvoir personnel et la lutte contre les opposants ont plus que tout mobilisé le tyran.

14Après sa chute, aucun gouvernement n'a redressé la situation. Bien que mis en garde contre le risque d'un séisme majeur, le pouvoir a fait la sourde oreille. La catastrophe de janvier 2010 s'inscrit dans le naufrage des institutions dans la longue durée.

15La gestion de la crise elle-même a largement été remise à des Organisations non gouvernementales et aux représentants des religions. Or, leur logique d'action n'était guère en prise avec la nature du drame. Beaucoup d'humanitaires étrangers n'avaient qu'une piètre connaissance de la société haïtienne. Quant aux religieux, certains ont dénoncé la responsabilité du culte vaudou dans le déclenchement de la colère divine, ce qui, outre les violences qui en découlèrent, enracina davantage l'idée de la fatalité de l'événement.

16L'ouvrage remplit ses promesses. Il cerne remarquablement comment le goudougoudou (tremblement de terre) de 2010 a créé les conditions pour que s'expriment dans la catastrophe, aux yeux du monde entier, l'ensemble des carences publiques, des faiblesses sociétales, des peurs les plus irrationnelles et des croyances communes.

17Enfermées dans les schémas de la débrouille, de l'informalité et d'une perception surnaturelle du mouvement de la nature, les populations ont été livrées comme jamais à leur dénuement en janvier 2010. Le fatalisme qu'elles ont exprimé n'est pas un simple état d'esprit. Il est le produit dérivé de la colonisation, d'une culture religieuse, de la soumission à des élites moins désireuses d'agir pour l'intérêt général que pour préserver leurs positions.

18Les auteurs de ce volume ont aussi déconstruit ce que la couverture médiatique avait relayé : l'idée d'une catastrophe liée à un séisme majeur en un pays très pauvre, donc incapable de faire face, à la différence de pays riches aptes à surmonter les crises, à se sécuriser.

19En somme, le cas haïtien devrait faire réfléchir. Les aléas de la nature catalysent les maux des sociétés en des catastrophes dont l'ampleur dit la difficulté à penser un intérêt général. À l'heure du global warming, le défaut d'une gouvernance mondiale efficace en matière environnementale gagnerait à être pensé à la lumière de la présente étude.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « Laënnec Hurbon ed., Catastrophes et environnement. Haïti, séisme du 12 janvier 2010 »Études rurales [En ligne], 195 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/10330 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.10330

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Auteur

Fabien Gaveau

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