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Comptes rendus

John Victor Murra, Formations économiques et politiques du monde andin

Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Lima, Éditions de l'Institut français d'études andines, 2013, 323 p.
Fabien Gaveau

Texte intégral

John Victor Murra (avec les contributions de Maurice Godelier, Ana Maria Lorandi, José Matos Mar, Ruggiero Romano, Frank Salomon, Nathan Wachtel), Formations économiques et politiques du monde andin, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Lima, Éditions de l'Institut français d'études andines, 2013, 323 p.

1Ce volume rend hommage à John Victor Murra (1916, Odessa, Ukraine – 2006, Ithaca, États-Unis), figure majeure de l'ethnohistoire, anthropologue de renommée internationale, américaniste de premier plan, en particulier pour ses travaux sur l'empire inca, le Tanwantisuyu. En trois pages éclairantes, sa traductrice, Sophie Fisher, rapporte comment s'organisa au milieu des années 1970 son travail avec John V. Murra. Il veillait aux choix des mots justes au service d'une pensée rigoureuse.

2Aucun des 17 textes publiés, dont 10 articles de John V. Murra, ne sont inédits. Leur agencement et leur origine permettent de saisir l'homme et son œuvre, à travers ses propres travaux, des hommages au moment de son décès et des commentaires de ses apports. Ce livre guide habilement le lecteur dans une pensée, les coulisses du travail ethno-historique et l'exposé de conclusions devenues des références.

3Franck Salomon, anthropologue à l'Université du Wisconsin et ancien étudiant de John V. Murra à Cornell University, donne un portrait de son maître. Il propose également une bibliographie des travaux produits par, ou consacrés à, son professeur.

4Les textes de Nathan Wachtel (sur la réciprocité et l'État inca), de Maurice Godelier (sur la discussion des concepts empruntés au marxisme dans l'œuvre de John V. Murra), de José Matos Mar (sur les enseignements du tissage et des tissus en ethnohistoire) et de Ruggiero Romano (sur les apports de John V. Murra aux études andines) insistent sur les principaux acquis des travaux du savant. Rappelons-le, le regroupement des articles, publiées entre 1974 et 2009, éclaire fort bien l'œuvre d'un homme dont le parcours est une épopée.

5Réfugié enfant en Roumanie pour fuir la Révolution russe, puis passé en Croatie, John V. Murra est séduit par le socialisme. Au milieu des sombres années 1930, il émigre aux États-Unis. Il étudie à l'Université de Chicago. En 1936, il rejoint une Brigade internationale en Espagne. Son engagement se termine dans un camp de prisonniers en France. De retour aux États-Unis en 1939, ses opinions le rendent suspect. Il reprend ses recherches et débute une carrière d'enseignement, qui le conduit de Porto-Rico (vers 1950) à Cornell University. Après 1958, il parcourt le monde latino-américain, andin en particulier. Il anime également des séminaires en France, à Paris X-Nanterre et à l'EHESS (1975-1976).

6En 1956, il soutient sa thèse consacrée à l'organisation économique de l'État inca, écrite, faute alors d'avoir pu voyager en Amérique latine, à partir des récits des conquistadores, de leurs successeurs et de la documentation des bibliothèques. Il questionne les sources dans une optique ethnologique et ethno-historique. Ses futurs déplacements lui permettront de nourrir ses recherches sur le terrain.

7Les textes réunis explorent la structure économique et politique du monde inca. Les relations entre les ethnies, toujours vivantes à la chute de l'empire, et l'État inca, qui reconfigure les sociétés à son profit, éclairent la construction d'une autorité souveraine. Par la conquête, la coercition et l'enrôlement d'individus déplacés, les Incas se sont partout enracinés. Ils ont utilisé un système d'obligations en redistribuant les biens saisis aux peuples qu'ils soumettaient. Ils ont maintenu les rouages des communautés locales, ancrées sur des solidarités familiales, et les ont orientés vers la fourniture de denrées et d'hommes utiles à leur puissance.

8Par ailleurs, le maïs, plante sacrée des Incas, a accompagné leur expansion. Sa culture a glissé hors de sa zone d'origine, nécessitant une importante force de travail pour aménager terrasses et canaux d'irrigation. Le maïs se distingue ainsi de cultures alimentaires moins symboliques, comme la pomme de terre.

9Au-delà de cet exemple, John V. Murra explore comment les Incas ont géré leur empire par la mise en réseaux de niches écologiques très variées. Ils ont étendu ce que les peuples pré-incaïques avaient réalisé à l'échelle de leur territoire : tirer profit de la diversité des terroirs pour diversifier les productions. Les Incas sont passés maîtres dans l'art du « contrôle vertical » des « étages écologiques ».

10Les hautes-terres devenaient complémentaires des fonds de vallée, les plateaux l'étaient de la forêt, faisant vivre le monde inca. L'établissement hors de leur communauté d'appartenance de colons choisis pour leurs compétences singulières assurait la diffusion de productions loin de leur zone d'origine.

11Avec l'étude de la gestion des troupeaux dans l'Altiplano péruvien, John V. Murra démontre que l'élevage obéit à des fins économiques, alimentaires, militaires et sacrificielles. L'analyse s'inscrit dans l'étude des échanges entre les peuples de l'empire. De même, l'étude des tissus révèle leurs usages symboliques et politiques.

12Enfin, quatre textes consacrés au fonctionnement de la société inca sont republiés. L'un est consacré aux autorités ethniques du haut Huallaga. Un autre décrit un royaume aymara en 1567. Un troisième étudie le statut des serviteurs des dignitaires incas. Un dernier est consacré aux catégories de biens d'après les quipus. L'extrême codification des relations sociales y apparaît toujours.

13Au fil de son travail, John V. Murra démontre que, face à la faiblesse relative des sources issues du monde inca, les mots des conquérants portent en eux le vécu des conquis. Au-delà du fonctionnement d'une société, l'œuvre du savant dit comment un État puissant s'est bâti en conquérant des communautés, en en maintenant les structures pour s'en adjuger les ressources et en tissant entres elles des relations de dépendance. L'Inca n'avait plus qu'à coiffer l'immense édifice, bien fragilisé il est vrai quand les Espagnols lui portèrent l'estocade, en 1532-1533.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Fabien Gaveau, « John Victor Murra, Formations économiques et politiques du monde andin »Études rurales [En ligne], 195 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/10328 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.10328

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Fabien Gaveau

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