Marie-Claude Maurel, Pascal Chevalier et Guillaume Lacquement, Transfert et apprentissage du modèle Leader en Europe centrale, Paris, L'Harmattan, 2014, 288 p.

1Fruit d'une recherche collective, ce travail d'équipe se penche sur le programme européen LEADER, Liaison Entre Actions de Développement de l'Économie rurale. Fondé sur le soutien à l'initiative locale dans l'élaboration et la conduite de projets conçus par les acteurs sociaux au service du développement des zones rurales, ce programme a été pensé pour les pays de l'Ouest dans les années 1990.

2Il a été proposé aux pays de l'ancien bloc de l'Est, soucieux de se réformer après 1991 et de rejoindre l'Union européenne, après une phase transitoire destinée à établir les principes d'une démocratie libérale et représentative.

3Les auteurs de ce volume analysent comment a eu lieu le passage de cette politique publique vers les régions de l'Europe de l'Est, modelées par le centralisme socialiste et la longue interdiction des libertés. Les modalités du transfert et le concept d'apprentissage guident toute la réflexion qui empreinte surtout ses outils à la géographie, mais pas seulement.

4Deux questions sont centrales : comment s'effectue le transfert du programme ? Son utilisation produit-elle une culture commune de l'action publique, européenne, en lien avec la démocratisation des sociétés ?

5Les zones observées, Länder est-allemands, République tchèque et Hongrie, n'ont pas été concernées selon le même calendrier ni avec la même logique. En Allemagne, en effet, l'Ouest a créé, dès le milieu des années 2000, les conditions politico-administratives permettant la gestion de projets initiés localement dans les territoires ruraux. Dans les deux autres pays, les réformes institutionnelles nationales ont accompagné le développement du programme LEADER plus tardivement et sous la conduite des gouvernements.

6Trois parties structurent solidement l'ouvrage. La première étudie comment les acteurs se sont saisis du programme et comment son apprentissage a induit un changement de gouvernance en promouvant les forces locales.

7La deuxième partie expose, en deux chapitres, les modalités d'adaptation de l'outil LEADER dans les régions des nouveaux États membres de l'Union. S'y déploie, avec beaucoup de finesse, l'articulation des instances qui interviennent dans la conduite des projets, à toutes les échelles territoriales.

8La troisième partie centre davantage le propos sur le jeu des acteurs impliqués dans les projets LEADER.

9Au-delà de la qualité générale des propos et des argumentaires, appuyés sur une dense documentation, de nombreuses cartes, des tableaux, des schémas, l'ouvrage retient l'attention pour la qualité de sa discussion géographique sur les modalités de l'intégration d'un outil de conduite de projets par des sociétés diverses.

10L'apprentissage, disent les auteurs, suppose, après son élaboration, le transfert, la réception, la prise en main d'un outil par les acteurs nationaux et locaux. En Europe de l'Est, les dispositifs nationaux qui ont accompagné le programme LEADER en ont souvent infléchi ou modifié la philosophie.

11Les États ont en effet inscrit les actions LEADER dans les dispositifs ministériels prévus par leur propre politique de développement rural. L'accompagnement réglementaire a souvent réduit la marge de manœuvre des acteurs locaux alors que ce cadre européen voulait être un appui aux initiatives locales. La Hongrie en est un très bon exemple. À l'inverse, l'État fédéral allemand a soutenu la logique du partenariat aux initiatives locales dans les Länder orientaux.

12En préalable à ces actions, des responsables locaux, animateurs, managers, ont été formés à la conduite de projets. Là aussi, leur formation a obéi à des logiques variables. Elle s'est appuyée sur les traditions culturelles et politiques nationales qui ont façonné le profil des décideurs.

13Les élus ont été très actifs pour faire vivre l'instrument LEADER. Ils ont souvent recruté les animateurs des projets, définis dans l'intérêt de leur municipalité plus que dans une dynamique de coopération entre localités. Ils ont souvent vu en LEADER un complément de financement pour boucler un dossier d'intérêt communal.

14La démocratie participative qui est sous-jacente à LEADER n'a pas été partout dynamisée. Dans de nombreuses régions rurales, les habitants n'ont pas su l'existence de telles possibilités, ou ne conçoivent pas qu'ils puissent eux-mêmes porter des projets. Beaucoup vivent, par habitude, dans une culture de la soumission aux autorités en charge de la conduite des affaires.

15Enfin, l'ouvrage fait réfléchir sur les interactions entre recomposition des cadres territoriaux et conduite de projets locaux. Alors que le maillage administratif est en restructuration dans la décennie 2000, beaucoup de ruraux demeurent préoccupés par leur sort dans leur lieu de résidence. Ils perçoivent assez peu la nécessité de penser des projets à l'échelle d'une région, ce qui leur paraît une compétence des autorités publiques. Les auteurs apportent ainsi un éclairage neuf pour cerner comment fonctionne la « subsidiarité » en Europe.

16L'apport méthodologique est aussi important que la compréhension du fonctionnement concret des politiques européennes. L'œil géographique prouve son efficacité. L'analyse multiscalaire éclaire comment les politiques communautaires interagissent avec la diversité des régions de l'Union. Si, des outils communs sont proposés aux Européens, leur déploiement au sein des États membres épouse encore les particularités des cultures nationales et des conceptions du vivre-ensemble.

17Une curiosité vient enfin au lecteur : et à l'Ouest ? N'y aurait-il pas aussi une grande différence d'appréciation des instruments européens ? Dans ce cas, ce que l'ouvrage expose fort bien pourrait servir d'inspiration à de semblables études, en méthode, pour l'ensemble de l'Union.