Navigation – Plan du site

AccueilNuméros194Altérités, inégalités et mobilité...La fabrique des mondes insulaires

Altérités, inégalités et mobilités au sud-ouest de l’océan Indien

La fabrique des mondes insulaires

Altérités, inégalités et mobilités au sud-ouest de l’océan Indien
Laurent Berger et Sophie Blanchy

Texte intégral

  • 1 Madagascar et Maurice sont aujourd’hui les îles les plus peuplées, avec, respectivement, 23 et 1,3 (...)

1Il y a quarante ans déjà, Paul Ottino [1974] soulignait l’intérêt heuristique que présente pour l’anthropologie, l’histoire, la géographie, la sociologie et l’archéologie le fait d’étudier ensemble le sud de l’océan Indien occidental, appréhendé comme « aire culturelle » et « domaine de recherche » à part entière. Les archipels des Comores (Anjouan, Mohéli, Ngazidja, Mayotte), des Mascareignes (La Réunion, Maurice, Rodrigues) et des Seychelles (Mahé, Praslin, La Digue...) constituent, avec Madagascar, un ensemble régional unique. Celui-ci est en effet le seul creuset civilisationnel afro-eurasiatique, forgé dans l’un des derniers endroits habités de la planète, à la croisée des influences bantoue, arabo-persane, austronésienne, indienne et occidentale1.

2Véritable carrefour aux confins de plusieurs foyers civilisationnels continentaux, en marge du couloir swahili, de la voie sabéenne et des routes transocéaniques, les îles de Madagascar et des Comores, dès les viie et viiie siècles, auxquelles se sont jointes Maurice et La Réunion, à partir du xviie siècle, puis Rodrigues et Les Seychelles, au xviiie siècle, ont été peuplées par des flux et reflux migratoires depuis les agglomérations portuaires de l’océan Indien, dans le cadre du commerce de longue distance associé à la traite esclavagiste [Filliot 1974 ; Campbell 2000 ; Médard et al. 2003]. Aussi ces « sociétés du littoral » [Pearson 2006] et ces « cultures de frange » [Ottino 1974] ont-elles donné naissance à toute une gamme de formations politiques (des bandes de chasseurs-cueilleurs aux empires) enchâssées les unes dans les autres, où la stratification et la hiérarchisation des populations composites et mobiles ont revêtu un enjeu majeur du point de vue de leur adaptation à un environnement écologique, de leur spécialisation dans une division régionale du travail et de leur assujettissement à une forme de pouvoir souverain.

3L’unification contemporaine de ces îles au sein d’États métropolitains (départements français de Mayotte et de La Réunion) et d’États postcoloniaux insulaires (République de Madagascar) ou pluri-insulaires (Union des Comores, République des Seychelles, République de Maurice) n’a fait que complexifier cette problématique de la différenciation et de la mise en relation de populations transplantées, implantées, mélangées, et, en définitive, regroupées en « communautés de pratiques », inégalitaires par leurs savoirs, leurs pouvoirs, leurs richesses et prestiges respectifs, voire supérieures les unes aux autres en fonction de leurs attributions statutaires et de leurs origines reconnues.

Îles et archipels de l’océan Indien occidental

Îles et archipels de l’océan Indien occidental

Une aire d’acculturationen marge de l’Afro-Eurasie

4Si ces îles et archipels représentent une unité géopolitique où priment la synchronisation et l’interdépendance de leurs trajectoires, leur peuplement et leur développement tiennent aussi aux relations pluriséculaires que ces espaces ont entretenues avec les pourtours de l’océan Indien, à l’ouest (la mer Rouge, le golfe Persique, les fleuves du Limpopo et du Zambèze, les îles swahili : Zanzibar, Kilwa, Pemba, Mafia, Pate), comme à l’est (l’Inde du Gujarat, du Sind et de la côte de Malabar ; l’Indonésie de Sumatra et Java, de l’archipel de Riau, de Sulawesi et de Bornéo).

5Aussi ces mondes insulaires ne forment-ils pas une « aire culturelle » au sens diffusionniste du terme : le sud-ouest de l’océan Indien n’est pas une zone géographique de propagation concentrique (Kulturkreise) de techniques de transport (à l’image des boutres et pirogues à balancier [Parkin et Barnes 2002]) – encore moins de technologies (textile, céramique, métallurgie, rituel, architecture, agriculture, élevage) – à partir d’un foyer central de peuplement dont on pourrait cartographier les diffusions d’une île à l’autre en fonction de l’adaptabilité au climat, à la faune, à la flore et à la topographie, sur la base des migrations, des échanges commerciaux, des alliances matrimoniales et diplomatiques, des conquêtes guerrières ou des prosélytismes religieux historiquement recensés. Il est significatif, par exemple, qu’en dépit d’un endémisme insulaire exceptionnel, les principales espèces animales et végétales domestiquées aient été importées d’Afrique orientale (zébu, chèvre, sorgho, pois bambara, ananas) et d’Indonésie (riz, cocotier, grande igname, safran, canne à sucre, poule, porc) [Beaujard 2011 ; Boivin et al. 2013].

  • 2 J’emploie ce terme à la suite de Thomas Eriksen [2007] pour désigner le travail d’appropriation, d’ (...)

6Ces mondes indianocéaniques semblent donc, au contraire, faire partie intégrante de ce que l’on pourrait appeler une « aire d’acculturation », c’est-à-dire une zone d’interface où prévalent les brassages de populations d’origines diverses qui circulent ou sont déplacées au sein de chaque île et d’une île à l’autre, et où, par conséquent, prédomine la créolisation2 de transferts culturels de sources multiples, par assimilation, syncrétisme ou rejet des emprunts au gré des contacts échelonnés dans le temps.

  • 3 Voir E. Alpers [2014 : 10] : « The idea of an Indian Ocean littoral serves as a means to ensure tha (...)
  • 4 Durant l’été austral, les voyages depuis Zanzibar et la côte somalienne le long de l’Arabie et de l (...)

7L’unité de cet espace insulaire se fonde en premier lieu sur des conditions climatiques et géographiques communes, aménageant, par la navigation hauturière et le cabotage, jusqu’à l’avènement aux xixe et xxe siècles des bateaux à vapeur, des routes carrossables et des lignes aériennes et maritimes par container, la trame et le rythme des échanges avec l’outre-mer [Chaudhuri 1985 ; Pearson 2003 ; Sheriff 2010]. Appartenant au même bassin cyclonique, soumis à un climat tropical alternant saisons sèches (hiver austral de mai à octobre) et saisons humides (été austral de novembre à avril), ces îles et archipels volcaniques, à l’exception des terres granitiques et coralliennes des Seychelles, présentent une variété d’écosystèmes et de microclimats induite par leur relief modulant le régime des alizés sud-ouest et nord-est. Les vents de mousson associés aux courants marins ont de la sorte contribué à la démarcation spatiale et à l’articulation temporelle des étendues terrestres et maritimes (littoral, foreland, umland, hinterland)3, tant sur le plan des cycles productifs nécessaires à la vie matérielle (nourriture, fibres végétales, combustibles, matériaux de construction) que sur celui des trajets nautiques possibles et des mouillages contraints dans les baies et les embouchures fluviales4.

8L’unité de ces mondes insulaires se fonde en second lieu sur la position marginale puis périphérique que leurs populations occupent dans les réseaux d’échange et la division interrégionale du travail mise en place à travers l’exportation, par leurs élites, d’une main-d’œuvre servile, de denrées alimentaires (riz, sucre, bétail) et de matières premières (bois, minéraux, résines aromatiques) en vue d’obtenir, jusqu’au xixe siècle, tissus, perles, métaux précieux, céramiques et armes [Beaujard 2012].

9Un exemple historique illustre cet entrelacement des fondements écologique et géopolitique de cette zone insulaire de navigation. Les razzias menées, au tournant du xviiie siècle, aux Comores et sur les côtes africaines, par les royaumes malgaches betsimisaraka, sakalava et antankaraña, eurent lieu chaque année au début de l’été austral, une fois leurs flottilles de 400 à 500 pirogues regroupées au nord-ouest de la Grande Île, jusqu’à ce que ces expéditions soient stoppées par la Royal Navy et une flotte omanaise à la fin des guerres napoléoniennes [Hébert 1983 ; Alpers 2009].

10Ces razzias démarrèrent en 1792, à la mort du sultan d’Anjouan, après qu’une faction des élites de Mutsamudu, intégrée à la diaspora swahili, eut fait appel à un chef betsimisaraka et ses guerriers pour qu’ils viennent dénouer le conflit dynastique de succession [Ratsivalaka 1995]. Ce chef malgache avait lui-même été intronisé par les Français au principal comptoir de traite de la côte orientale (Foulpointe) d’où étaient acheminés esclaves, riz et bétail vers Les Mascareignes, dont l’économie de plantation (sucre, coton, tabac) était en pleine expansion depuis que ces îles étaient devenues les ports de relâche des escadres et corsaires contrant les intérêts géopolitiques britanniques. Or, ces marchands swahili étaient entrés en contact avec ce chef malgache après avoir décidé d’ouvrir une route commerciale entre les ports du nord-ouest et de la côte est de Madagascar, remontant le fleuve Sofia, et ce dans le but de contourner les intermédiaires malgaches du littoral occidental et des Hautes Terres qui monopolisaient les itinéraires habituels de la traite.

  • 5 Gwyn Campbell [2005 : 75, 221] évalue pour le XIXe siècle à 400 000 le nombre d’esclaves africains (...)

11Cette stratégie dérivait d’un changement majeur d’orientation des flux d’esclaves dans le sud-ouest de l’océan Indien après la guerre des Amériques [Allen 2008] : par leur demande exponentielle, Les Mascareignes avaient contribué à diminuer très fortement les exportations sur la côte occidentale malgache au profit d’une importation croissante de cafres africains destinés aux navires de leurs négociants qui fréquentaient la façade orientale. Alors que les Hautes Terres malgaches avaient été jusqu’ici le principal réservoir d’une main-d’œuvre servile exportée vers les mondes créole et swahili, un État s’y était érigé dans les années 1780, qui protégeait les communautés paysannes des déportations mercantiles et les mobilisait pour les grands travaux d’aménagement des marais et des fonds de vallée en terrains de riziculture irriguée. Dans le même temps, ses traitants avaient obtenu le contrôle des sources d’approvisionnement en Malgaches rétifs au nouveau pouvoir souverain et en cafres transportés, depuis le sultanat d’Oman et les cités-États swahili, par les marchands arabes, indiens et swahili à destination des Mascareignes mais aussi de cet empire merina naissant [Larson 2001]5.

12C’est par conséquent à l’échelle de cet espace insulaire que certains marchands anjouanais prirent l’initiative de contourner l’oligopole des royaumes malgaches sakalava et merina afin de convoyer eux-mêmes leurs esclaves africains sur la côte orientale malgache pour en obtenir un meilleur prix auprès des négriers français.

13L’intégration régionale de ces îles est donc ancienne, tout comme leur (dé)peuplement est étroitement lié aux modalités de circulation et de mobilisation de la main-d’œuvre et des citoyens/sujets organisées séparément ou conjointement par les diasporas hadrami [Freitag et Clarence-Smith 1997 ; Ho 2006], swahili [Horton et Middleton 2000], créole [Esoavelomandroso 1980 ; Allen 1983 ; Larson 2009], banian, bhojpuri, bohra et khodja [Blanchy 1995 ; Eisenlohr 2006 ; Gay 2009] ; par les colonies de plantation des Seychelles et des Mascareignes [Benedict 1980 ; Gerbeau 2005 ; Vaughan 2005 ; Stanziani 2013] ; par les cités-États swahili, comoriennes et malgaches [Sheperd 1980 ; Allibert 1984 ; Radimilahy 1998 ; Vernet 2009 ; Blanchy 2013] ; par les empires maritimes européens et zanzibarite [Cooper 1977 ; Sheriff 1987 ; Allen 2010 ; Stanziani 2014] ; et par les chefferies et États malgaches [Bloch 1980 ; Cabanes 1982 ; Feeley-Harnik 1991 ; Rakoto et Mangalaza 2000 ; Campbell 2005 ; Ellis 2007]. C’est en effet une constante de leur colonisation et de leur peuplement, associés à l’agriculture, au pastoralisme et à la métallurgie du fer, que de s’être fondés et développés sur ces bases alors même que leur découverte et les traces d’une présence humaine étaient bien antérieures.

Développements insulaires et expansion de l’islam (viie-xve siècle)

14La préhistoire de ces îles atteste en effet de l’occupation 2 000 ans avant J.-C. d’abris sous roche au nord de Madagascar (Vohémar, Andavakoera) par des chasseurs-cueilleurs nomades, lesquels façonnaient, avec de l’obsidienne extraite à plus de 200 kilomètres de ces campements, des outils en pierre semblables à ceux qui étaient fabriqués alors en Afrique australe et orientale ainsi qu’en Arabie et Asie du Sud [Dewar et al. 2013]. Dans un autre registre, au IIe millénaire, Les Mascareignes et Les Seychelles étaient ponctuellement visitées par des équipages arabes, européens et austronésiens quand ce n’était pas la piraterie occidentale, chassée des Antilles, ou des mutins français, bannis de la colonie malgache de Fort-Dauphin, qui y séjournaient ou y faisaient escale pour se ravitailler.

15Il existe ainsi pour toutes ces îles une entrée similaire dans l’histoire : les premiers habitants, cultivateurs, commerçants et forgerons, ne s’installent qu’avec esclaves, serviteurs ou dépendants en plus grand nombre qu’eux. Au nord-est de Madagascar s’implantent ainsi, au viie siècle, des navigateurs et marchands malais issus de l’empire hindouisé de Srîwijaya, accompagnés d’une trentaine de femmes originaires de Bornéo et de Sulawesi, probablement de condition servile [Adelaar 2009 ; Graeber 2013]. Les Comores, fondées au viiie siècle, deviennent vraisemblablement des escales où sont entreposés les esclaves africains en attente de convoiement vers la péninsule Arabique, la Perse, l’Inde et l’Asie du Sud-Est, ces colonies satellites fonctionnant alors comme « têtes de pont » des agglomérations swahili et sumatraises [Allibert 1994]. La Réunion se peuple véritablement à la fin du xviie siècle grâce à l’arrivée de flibustiers, de Bretons et de Normands, lesquels s’appuient sur les esclaves transportés par la Compagnie orientale des Indes depuis Madagascar, le Mozambique, Les Comores et les comptoirs de l’Inde. Maurice prend son essor au début du xviiie après le départ des Hollandais, sur des bases similaires à celles de La Réunion, nonobstant la présence d’esclaves marrons déjà réfugiés dans le sud de l’île [Toussaint 1972], tandis que la garnison française transférée au milieu de ce même siècle à Rodrigues cohabite avec les quelques Blancs métropolitains et colons créoles de La Réunion, auxquels s’ajoutent des malabar libres et des esclaves africains et malgaches [Jauzé 2011]. Enfin, une minorité de planteurs de coton venus des Mascareignes s’établit aux Seychelles à la fin du xviiie siècle avec ses esclaves africains [Benedict 1970].

Un peuplement bantou et austronésien distinct de l’essor swahili

16Le peuplement et le développement historique de ces îles s’est d’emblée effectué à partir des agglomérations fondées sur le littoral et les rives fluviales, en lien avec les réseaux d’échange de l’océan Indien, contrairement à ce qui s’est passé pour les archipels swahili issus de la rencontre de populations continentales bantoues avec des marchands, des navigateurs et des groupes religieux dissidents, musulmans, arabes et persans [Pouwells 1987]. Islamisées pour certaines dès le viiie siècle (Shanga), les localités côtières swahili ne devinrent en effet qu’au xie siècle des archipels urbains cosmopolites au mode de vie maritime et commercial tournant le dos au continent africain [Fleisher et al. 2015]. À l’opposé, le sud-ouest de l’océan Indien a très rapidement formé une région maritime insulaire.

17On retrouve ainsi, dès les ixe et xe siècles, la culture matérielle Dembeni (du nom d’un site côtier de Mayotte) dans l’ensemble des villages de pêcheurs et des petites échelles commerciales du nord de Madagascar et des Comores : poterie africaine à incisions triangulaires, poterie austronésienne décorée d’impressions de coquillages, céramique chinoise, cornaline indienne, fioles en verre égyptiennes et jarres du golfe Persique attestent de la circulation régionale de marchandises acquises par la production à l’exportation de fer, de carapaces de tortue, de cristal de roche et de chloritoschiste extraits du sous-sol malgache [Allibert 1984]. Au cours de cette période, Madagascar connaît une transformation de son couvert végétal due à la pratique de l’essartage et au développement de l’élevage bovin sur la côte ouest (introduit d’Afrique à Nosy Be au ixe siècle) ainsi qu’au défrichement des savanes et des forêts sur les Hautes Terres et la côte est, consécutif à l’extension de la riziculture sèche sur brûlis importée du Kalimantan [Beaujard 2003].

  • 6 6.?Les langues swahili et comorienne ne se séparent qu’au IXe siècle. Les éléments bantous du malga (...)

18La présence conjuguée de Bantous et d’Austronésiens d’origines diverses est alors le fruit d’un double mouvement d’expansion : celui de l’islam et des empires musulmans en Égypte, dans la péninsule Arabique et le golfe Persique ; celui de la Chine Tang et de l’empire malais hindouisé de Srîwijaya dans le détroit de Malacca. D’un côté, les marchands ibadites d’Oman et les Kharedjites de Basra, installés à Lamu, Zanzibar, Mafia et Pemba, cherchent à contrôler le commerce de l’or du Limpopo et du Zambèze, tout comme celui de l’ivoire et des esclaves, grâce aux relations clientélistes qu’ils entretiennent avec les tribus, chefferies et cités du littoral et de l’hinterland dont les populations se projettent occasionnellement jusqu’aux Comores et à Madagascar6. De l’autre, les pirates et marchands austronésiens multiplient les incursions et les colonies sur la route transocéanique jusqu’aux Comores, avec des raids périodiques sur les côtes africaines, pour y livrer leurs épices, céramiques et aromates et rapporter du fer, de l’ivoire et des esclaves jusqu’en Inde et en Chine [Beaujard 2012].

Islamisation swahili et indonésienne

19L’essor, au xe siècle, de l’islam chiite dans l’Égypte fatimide et la Mésopotamie-Perse buyide induit une islamisation politique de la côte swahili, des Comores et du nord-ouest de Madagascar, forçant les marchands ibadites à se replier plus au sud sur Kilwa. Des musulmans de l’archipel de Lamu et de Pemba qui se réclameront d’une ascendance shirazi pour maintenir leur statut face à des arrivées ultérieures constituent une première élite swahili dans les agglomérations de Sima et Domoni à Anjouan, où leurs représentants épousent les filles des doyens villageois (mafani), distribuent les textiles manufacturés de Lamu, construisent des mosquées dès le xie siècle et fondent ainsi, aux Comores, les premières cités (midji) qui dominent les communautés de paysans païens et les repoussent progressivement à l’intérieur des terres escarpées où les rejoignent les premières communautés de marrons [Robineau 1966 ; Pouwells 1984 ; Wright 1992 ; Horton et Middleton 2000].

20Au-delà des céramiques identiques, l’architecture et l’organisation de ces cités présentent certaines similitudes avec Mahilaka, première ville malgache dans le prolongement du couloir swahili, en plein développement au xie siècle grâce à ses exportations d’or, de riz et d’étoffes en raphia. Mahilaka abrite, dans son enceinte en pierre fortifiée, mosquées, maisons de patriciens, réservoirs d’eau et ateliers de forgerons, joailliers et potiers, répartis en quartiers spécialisés. Des bourgades en matériau végétal, habitées par des agriculteurs, éleveurs et pêcheurs « païens » et « sombres de peau », constituent, en réseau autour de Nosy Be, l’umland de la cité. L’hinterland est composé de tribus, pour certaines, clientes et alliées de la cité au sens où elles sont susceptibles de lui fournir appui militaire, main-d’œuvre, denrées alimentaires et esclaves en échange de biens de prestige (perles, textile, bijoux) [Radimilahy 1998 ; Beaujard 2012]. L’ascension de Mahilaka a coïncidé, à Madagascar, avec l’installation au sud, dans l’Androy, d’éleveurs bantous originaires du Limpopo et du Zambèze, avec la colonisation rurale des Hautes Terres par la culture de marais (taro, riz) – période fiekena –, et avec l’implantation au sud-est, dans la vallée de la Matataña et aux embouchures du pays tanôsy, d’agglomérations villageoises en relation avec ces Hautes Terres [Dewar et Wright 1993].

21La montée en puissance, entre les xie et xive siècles, des échelles commerciales dans l’archipel comorien et sur le littoral malgache est concomitante de l’apogée du Grand Zimbabwe et de la cité-État swahili de Kilwa, laquelle contrôle, sous influence ibadite et indienne, le commerce de l’or depuis Sofala. Elle correspond surtout au second mouvement de swahilisation des côtes africaines, avec l’émergence d’élites patriciennes organisant la pêche en haute mer et le commerce transocéanique entre les différentes cités-États portuaires à l’architecture de pierre [Fleisher et al. 2015]. En raison des nombreuses vagues migratoires qui s’amalgament ou se repoussent les unes les autres, cette montée en puissance s’accompagne d’un déplacement de la ligne de partage des sphères d’influence swahili et austronésienne des Comores vers Madagascar, progressivement polarisée entre ses façades occidentale et orientale.

  • 7 La dispersion de ces immigrants tout le long de la côte orientale donnera à chaque lieu d’implantat (...)

22D’une part, l’expansion de l’islam dans l’océan Indien a multiplié les diasporas sunnite, chiite et ibadite, lesquelles se livrent une lutte continue sur la côte swahili et aux Comores pour le contrôle des routes commerciales et la réorganisation des formations politiques dans le sens de leurs projets marchands et gouvernementaux. D’autre part, la vigueur, jusqu’au xiiie siècle, de l’hindouisme et du bouddhisme en Asie du Sud et du Sud-Est a favorisé l’implantation à Ceylan et sur les côtes indiennes de colonies indonésiennes de marins et de marchands tout en introduisant dans la ville portuaire cosmopolite d’Aden et sur la côte swahili méridionale les diasporas hindoue et jaïniste originaires du Sind, du Gujarat et de Cambaye. D’où une recrudescence des alliances et des conflits entre ces élites et leur participation alternée au développement des régimes côtiers de l’océan Indien occidental [Beaujard 2012]. Ainsi en va-t-il, dès le xiiie siècle, de l’arrivée aux Comores, échelonnée sur plus de deux siècles, de Swahili shirazi dont le prosélytisme conduit à l’augmentation de la taille des mosquées en pierre [Wright 1992]. Ainsi voit-on transiter par le nord de Madagascar des Anjoaty ignorant l’écriture arabe tout en se revendiquant de l’Arabie sunnite, lesquels descendent le long de la côte orientale pour s’installer aux embouchures fluviales. Ainsi en va-t-il, à la même époque, de l’implantation à Mayotte et sur la côte est malgache de groupes austronésiens zavaka et zafiraminia 77, indianisés et islamisés, originaires de Sumatra et de Java, qui fondent les nouvelles échelles commerciales de Vohémar et de Bemanevika, en relation monétaire avec Mahilaka. Ainsi en est-il, au xive siècle, de l’accostage au nord-est de Madagascar d’Andriana marqués par le royaume concentrique javanais de Mojopahit et qui remontent vers les Hautes Terres pour y développer une riziculture humide et de nouvelles formes de souveraineté [Ellis et Randrianja 2010].

23Ces vagues migratoires et exploratrices ne conservent pas de relations diasporiques avec les pays d’origine et impliquent donc des conflits guerriers et des alliances matrimoniales et rituelles avec les populations déjà en place, dans le but de fonder des organisations politiques inédites (à l’instar du mariage du père d’Andriamanelo, prince andriana civilisateur des Hautes Terres, avec la reine vazimba Rafohy).

24Il en va tout autrement au xve siècle de la fondation, par la diaspora swahili, des cités-États antalaotra de Kingany et de Langany au nord-ouest de Madagascar et des royaumes comoriens. Ces arrivées correspondent en effet à une fréquentation accrue de navires swahili, indiens et arabo-persans pour ravitailler les villes portuaires de l’Afrique orientale jusqu’à Aden, où la main-d’œuvre servile est ensuite réexportée vers les sultanats du Gujarat, du Deccan et du Bengale.

25Les projets politiques et religieux de cette diaspora sont en phase alors avec l’ascendance hégémonique des cités-États swahili sunnites septentrionales (Malindi, Mombasa, Mogadiscio) sur Kilwa, plus directement affectée par le déclin et l’éclatement du Grand Zimbabwe. L’urbanisation et les constructions architecturales aux Comores connaissent de fait un nouvel essor (édification de mosquées en bord de mer, plus petites et décorées) qui matérialise la capacité des élites musulmanes à unifier territorialement des cités et des chefferies (fani, bedja) sous l’autorité d’un roi du pays (mfaume wa ntsi à Ngazidja) établi sur le littoral. Ces élites parviennent à leurs fins en contrôlant la traite esclavagiste, en imposant l’endogamie au sein des réseaux diasporiques et des élites insulaires et en monopolisant la transmission du savoir et de l’écrit ainsi que l’élevage bovin, utilisé pour ritualiser l’exercice du pouvoir et l’expression des hiérarchies à travers le partage cérémoniel de la viande [Blanchy 2004]. Un processus similaire de swahilisation est à l’œuvre au nord-ouest de Madagascar, où Langany, la plus riche et la plus développée des échelles commerciales « maures », contrôlée à distance par Malindi et Mombasa, est chaque année visitée par des caravanes provenant des Hautes Terres et apportant bœufs, riz et esclaves [Vérin 1975].

26À la suite des arrivées austronésiennes, les Hautes Terres malgaches, quant à elles, connaissent une forte croissance démographique qui se traduit par la fortification d’agglomérations dans l’orbite de sommets habités par les élites guerrières rattachées à une mosaïque de chefferies et de communautés villageoises agricoles en conflit les unes contre les autres [Wright 2007].

Étatisation insulaire et intégration au capitalisme (xvie-xxe siècle)

27C’est au xvie siècle, lors de cette bipartition de la Grande Île entre une façade occidentale polarisée au nord par les cités-États swahili et une côte orientale animée par l’essor de puissantes chefferies aristocratiques malgaches (antemoro, tanôsy), que les caravelles portugaises font irruption. En détruisant Kilwa et les cités-États hostiles à leur installation, les Portugais poussent certaines élites chérifiennes à émigrer aux Comores et à fonder un sultanat à Anjouan, auquel se rattachent temporairement, par le biais d’alliances matrimoniales, Mohéli et Mayotte, tandis que Ngazidja reste soumise aux guerres que se livrent ses vingt royaumes [Newitt 1983]. Néanmoins, c’est leur absence de contrôle véritable des réseaux commerciaux transocéaniques qui encourage l’émigration dans le monde swahili de familles indiennes marchandes et de savants religieux, négociants et leaders politiques sunnites chaféites, originaires de l’Hadramaout.

  • 8 L’existence d’une garde prétorienne et de pratiques d’accompagnement funéraire, ainsi que l’envoi d (...)

28D’accès facile et riches en eau potable, Anjouan et Mohéli deviennent des escales de ravitaillement cosmopolites, et leurs élites marchandes se transforment en courtiers qui achètent à Madagascar les vivres et esclaves qu’ils revendent sur place. Si ces îles renforcent ainsi leurs liens avec le Yémen et l’archipel de Lamu, le nord-ouest de Madagascar voit son processus de swahilisation stoppé à la fin du xvie siècle par les pillages et destructions répétés des échelles commerciales antalaotra commis par les Portugais. Ces destructions visent notamment à briser le blocus commercial initié par la diaspora swahili pour soutenir les expéditions navales de l’Empire ottoman lancées sur la côte orientale africaine par Mir Ali Bey [Pearson 1998]. L’abandon de Langany et le repli antalaotra dans la baie de Majunga permettent ainsi au royaume malgache de Tingimaro, confiné jusqu’alors dans l’hinterland, de se développer comme « port of trade » dans la baie de Nosy Be et de devenir, jusqu’à son effondrement au milieu du xviie siècle, le premier early state de la Grande Île, décrit par le père jésuite Mariano comme la plus riche, la plus puissante et la mieux gouvernée de toutes les formations politiques malgaches8.

  • 9 Ces groupes ne pratiquent pas trois des cinq piliers de l’islam : la prière (salat), l’aumône (zaka (...)

29L’irruption des Portugais dans l’océan Indien, avec la prise, en 1511, de Malacca en Asie du Sud-Est, met par ailleurs un coup d’arrêt aux arrivées austronésiennes (Vohémar passe ainsi sous le contrôle des « Maures » de Malindi). Cependant, les Portugais n’interviennent pas dans la fondation et l’ascension des royaumes du sud, du centre et de l’est de Madagascar, qui ouvre, dans toute l’île, une période intense de migrations, de brassages de populations et de recompositions politiques. Des groupes de commerçants et d’artisans islamisés9, porteurs des manuscrits arabico-malgaches (sorabe), arrivés au sud-est à la fin du xve siècle, en provenance de Mayotte et de Vohémar, avec des esclaves et un clan aristocratique shona du Zambèze (kazimambo), repoussent les Zafiraminia plus au sud, à Fort-Dauphin, dans ce qui deviendra le royaume tanôsy, tandis qu’eux-mêmes s’installent parmi la population locale à l’embouchure du fleuve Matataña pour y bâtir, au début du xvie siècle, le royaume antemoro [Beaujard 1994].

30Ces deux chefferies aristocratiques inaugurent l’ère des royautés sacrées et divines à Madagascar en leur octroyant un socle organisationnel, cosmologique et rituel commun, toujours d’actualité. Sont mis en place un être souverain hors clan associé à des regalia (conque, tambours, palais, reliques, étoffes rouges et blanches), la hiérarchisation statutaire des groupes de descendance nobles et roturiers, distincts des esclaves sans ancêtres, les cérémonies collectives (circoncision, fête du bain, funérailles), le privilège aristocratique de l’acte sacrificiel (égorgement du zébu) et de la transmission/accumulation rituelle d’une puissance énergétique sacrée (hasina), une nomenclature des qualités sensibles (pur/impur, frais/humide, dur/tendre, imputrescible/putrescible, lumineux/sombre), l’utilisation ritualisée d’éléments fondamentaux (zébu, riz, kaolin, miel, eau, ficus, liliacées, chevelure, métaux précieux, calendrier luno-solaire) et l’intervention du devin-guérisseur (ombiasy, moasy) versé dans la géomancie, l’écriture et l’astrologie zodiacale [Ottino 1986 ; Beaujard 2012].

Empire sakalava et sultanats comoriens

31Les dynasties régnantes et les groupes nobles de ces royaumes se scindent en lignées dont certaines essaiment vers le centre méridional (betsileo, tañala) et le sud-ouest (masikoro) et s’unissent, au milieu du xvie siècle, à des clans autochtones, à des familles de devins-guérisseurs et/ou à des étrangers fraîchement arrivés des côtes africaines. Ces lignées cherchent à fonder de nouvelles dynasties conquérantes, capables de regrouper et d’assujettir, par la force armée, par l’innovation technologique, rituelle et institutionnelle et par l’alliance matrimoniale et diplomatique, les multiples populations rencontrées sur leur parcours [Kent 1970]. La plus célèbre d’entre elles, les Maroseraña, verra, tout au long du xviie siècle, ses descendants bâtir, depuis le sud-ouest, une succession de royaumes méridionaux (antandroy, mahafaly, bara), orientaux (tesaka) et occidentaux (sakalava) et, par le même mouvement, rejeter dans les marges écologiques de leurs frontières territoriales tous les groupes réfractaires à leur souveraineté (à l’image des « chasseurs-cueilleurs mikea » réfugiés dans la forêt [Tucker 2003], des « pêcheurs vezo » sur le littoral côtier [Astuti 1995], des « agro-pasteurs sur brûlis tsimihety » dans la montagne [Wilson 1992] et des « éleveurs karembola » dans le bush semi-aride [Middleton 2001]).

32L’exemple sakalava est, à cet égard, emblématique : le déploiement, à partir des années 1630, de cet empire dans les plaines et savanes de la façade occidentale jusqu’à la cité-État antalaotra de la baie de Majunga repose sur la synergie d’une dynamique endogène et d’une conjoncture régionale singulières mais, à maints égards, typiques.

33Sur le plan intérieur, l’élevage bovin extensif est le socle des relations maritales, rituelles, productives et clientélistes entre et au sein des groupes de descendance [Lombard 1988]. Le culte de possession par les ancêtres royaux (tromba) et le culte des reliques royales (dady) constituent la religion de cet « État segmentaire » [Lambek 2002]. L’esclavagisme est essentiel à la reproduction d’une caste de serviteurs royaux (razañ’olo) qui s’intercale entre la lignée dynastique et les groupes nobles et roturiers pour former une garde prétorienne et administrer le palais princier (doany), les tombeaux royaux (mahabo), les rituels monarchiques et les champs et troupeaux royaux [Feeley-Harnik 1982].

  • 10 Parmi ces divers groupes se trouvent des esclaves affranchis, des immigrés swahili et des pasteurs (...)

34Sur le plan conjoncturel, l’implantation, au xviie siècle, de nombreuses populations d’Afrique australe, centrale et orientale sur la côte occidentale malgache ainsi que les expéditions commerciales et colonisatrices des Hollandais, Anglais et Français sont concomitantes du déclin de l’empire ibérique et de l’apogée de l’archipel swahili de Lamu. L’origine métisse de la dynastie Maroseraña, conduite en partie par un aristocrate devin-guérisseur descendant du royaume antemoro, et représentée par son utilisation rituelle et ornementale d’une grande quantité d’or apportée par navire par l’un de ses ancêtres originaires du Mozambique, a d’autant plus contribué à sa domination des 65 tribus et clans intégrés au cours de sa marche impériale10 que plus d’un tiers d’entre eux provenait d’une province côtière bantoue septentrionale tombée en guerre civile après qu’un jésuite portugais eut convaincu son roi d’évangéliser son peuple et d’abandonner ses cultes de reliques et de possession lignagers. Les Mashukulumba du Zambèze (Shona), menés par le fils rebelle de ce roi, associés à d’anciens Cafres de Malindi, fournissent aux Sakalava leurs guerriers les plus nombreux et expérimentés [Kent 1970]. Mais le ralliement et l’assujettissement de ces populations composites sont aussi motivés par les razzias et la réduction en esclavage des groupes récalcitrants, lesquels sont vendus aux équipages néerlandais, anglais, arabes et swahili en échange de pièces d’or, d’argent et de biens de prestige. On estime ainsi qu’au xviie siècle entre 2 000 et 4 000 esclaves sont exportés annuellement de Madagascar, dont la moitié depuis la cité-État antalaotra de la baie de Majunga [Vernet 2009].

35Ce n’est pas un hasard si l’élevage bovin extensif, la religion d’État (en l’occurrence l’islam) et l’esclavagisme sont aussi, à la même époque, les trois piliers de l’archipel des Comores. Mohéli et Anjouan sont fréquentées par les navires des Compagnies des Indes et par les boutres arabes et swahili pour être ravitaillées en bétail, produits agricoles et esclaves. Le port de Fomboni est administré, pour le compte du sultan d’Anjouan, par un schabandar, et ce sur le modèle indien. L’administration étatique se développe : les lignages royaux sont assistés de conseils de notables et de vizirs ; des cadis représentent l’administration sur le territoire. La fréquentation accrue des navires entraîne l’extension du contrôle, par les élites musulmanes urbaines, de l’umland, qu’elles font transformer par leurs dépendants et esclaves en pâturages et cultures de rente.

36Se multiplient par ailleurs les rivalités dynastiques au sein de ces élites et les conflits entre ces cités, en parallèle des relations de protection et de proximité qu’elles tissent, au xviiie siècle, avec les équipages, néerlandais à Mayotte, anglais à Anjouan, en s’appropriant leur culture matérielle, leur étiquette sociale et leur langue pour mieux les convaincre de les aider militairement à mater les révoltes des paysans et des esclaves [Prestholdt 2008]. L’ère des « sultans batailleurs » voit ainsi le jour sur fond de razzias entre cités et îles voisines, destinées à compléter le nombre des esclaves réclamé par les négriers ou nécessaire aux récoltes [Newitt 1983]. L’isolement relatif de Ngazidja va alors de pair avec le maintien d’un régime matrilinéaire de succession dynastique tempéré par le mariage des princesses aux sharif (descendants du prophète) tandis que les autres îles combinent l’héritage agnatique du pouvoir politique et la transmission des « maisons » en lignée utérine, à l’image des Créoles arabes intégrés, en ville, aux descendants des Shirazi Al Maduwa qui constituent l’élite patrilinéaire et endogame des makabaila à Anjouan [Blanchy 2004]. La pratique conjuguée de la polygamie et de la résidence matrilocale assure à ces commerçants, mariés dans plusieurs cités, une insertion dans les réseaux d’affaires locaux au gré de leurs déplacements professionnels, tout comme le Grand mariage entre cousins patrilatéraux garantit l’existence d’un système de crédit commercial au sein des familles étendues qui permet de se lancer dans le commerce de longue distance [Ottenheimer 1991].

37Cette conjoncture est, pour une large part, consécutive au déclin de l’empire ibérique : l’injection, grâce à la production des mines d’argent américaines, de liquidités monétaires dans les circuits commerciaux de l’océan Indien a permis aux banquiers banyan de Surat et à la diaspora indienne d’Afrique orientale de faire fructifier cet argent dans un réseau de crédit reliant Madagascar, Les Comores, l’Arabie et l’Inde. Ce qui, à leur tour, leur a permis d’investir dans l’armement de navires arabes et swahili spécialisés dans la traite esclavagiste. Les négociants swahili, arabes et hadrami de l’archipel de Lamu monopolisent ainsi, en concubines, soldats, pêcheurs de perles, domestiques, artisans, marins, dockers et cultivateurs, l’approvisionnement de l’Arabie, du golfe Persique, des cités-États swahili et des confettis de l’empire ibérique [Ellis 2009].

Variantes du processus d’étatisation

38Ce modèle de cités-États comoriennes et d’appareils d’État malgaches ponctionnant les populations des formations politiques rivales ou bien entretenant, à leurs marges, intrigues et conflits entre tribus et chefferies pourvoyeuses de captifs se consolide et se diversifie au tournant du xviie siècle avec l’introduction systématique, dans les termes de l’échange avec les puissances régionales émergentes, des armes à feu et d’une aide technique correspondant au transfert de compétences militaires, commerciales, industrielles, urbanistes, diplomatiques et/ou religieuses.

39L’État segmentaire du Boina est ainsi fondé, par le fils du souverain sakalava, sur la prise de la cité-État antalaotra du nord-ouest de l’île, avec l’aide de deux équipages européens mercenaires appartenant au magnat new-yorkais qui finançait la piraterie occidentale chassée des Caraïbes et venue aux Seychelles, à La Réunion, aux Comores, sur l’île Sainte-Marie et au nord-est de Madagascar – arrivée qui précipite la disparition des anciennes échelles commerciales malgaches [Deschamps 1972 ; Kneitz 2014].

  • 11 Les politiques matrimoniales revêtent alors une importance majeure : le roi sakalava du Boina marie (...)
  • 12 Guerres attisées par la multiplication des ports de traite : chaque année, 10 000 mousquets sont im (...)

40De même, la confédération betsimisaraka sera, jusqu’au milieu du xviiie siècle, un empire en pleine ascension sur la côte orientale malgache, qui parviendra, sous le règne de Ratsimilaho, à monopoliser la traite des esclaves, les armes et les munitions grâce à ses alliances privilégiées avec les négociants et les pirates de La Réunion mais aussi avec l’empire sakalava édifié autour de la ville islamisée de Majunga, remplaçant l’ancienne cité-État antalaotra. Il faut dire que Ratsimilaho est à la fois le gendre du souverain sakalava, formé au côté de son beau-père, et le fils métis du pirate Thomas White, éduqué dans une université anglaise et rentré à Madagascar pour établir, sur la côte orientale, la dynastie créole des Zanamalata (enfants de mulâtres) [Ellis 2007] !11 Si la mort de Ratsimilaho et l’éradication de la piraterie livreront, dans la seconde moitié du xviiie siècle, la côte est malgache à l’anarchie politique et aux guerres tribales12, une variante du processus d’étatisation se mettra en place au cours du « long xixe siècle » sur les Hautes Terres. Celle-ci implique la fixation au sol des populations regroupées en localités administrées grâce au développement d’une riziculture irriguée qui s’appuie sur un ingénieux système de barrages, digues, réservoirs et canaux [Kottak 1977 ; Berg 1981 ; Bloch 1989 ; Wright 2007].

41La réunification politique de l’Imerina, entre 1778 et 1809, assurée par Andrianampoinimerina, a ainsi pour particularité d’impliquer les groupes de descendance aux grands travaux d’aménagement hydraulique, de taxer et codifier leur appropriation des terres nouvellement irriguées, d’organiser les campagnes militaires en fonction de leur calendrier rizicole et, surtout, d’encourager la construction de grands caveaux familiaux en pierre associés à des pratiques funéraires requérant le réinvestissement des profits monétaires issus de la traite et le rassemblement unitaire des groupes de descendance [Bloch 1971 ; Larson 2001]. Pour le reste, le modèle d’étatisation demeure le même : l’esclavagisme pour obtenir armes, munitions, serviteurs et travailleurs agricoles [Bloch 1989 ; Larson 2000] ; la reprise, orchestrée à l’échelle du royaume, des rituels des groupes de descendance (kabary, manasina, circoncision) [Bloch 1986 ; Berg 1988] ; le mariage des sœurs, nièces et filles du souverain à des alliés diplomatiques (en l’occurrence l’empire sakalava) ; le transfert de l’aide technique, ici le mercenariat (La Bigorne avec ses soldats européens et betsimisaraka dans l’Ankova) et l’instruction d’Andrianampoinimerina à l’École des fils de chefs de l’île Maurice, où ce dernier acquerra, entre 1770 et 1772, une vision géopolitique régionale des flux d’esclaves [Ratsivalaka 1995].

  • 13 L’esclavage est officiellement aboli en 1835 à Maurice, en 1846 à Mayotte, en 1848 à La Réunion, en (...)

42Les règnes de ses successeurs s’inscrivent dans la continuité de ce modèle, mais à l’échelle d’un empire merina désireux de s’étendre, à l’ère de la « Pax Britannica », à tout Madagascar. Au xixe siècle, après la colonisation de l’Inde, l’océan Indien passe en effet progressivement du statut de « mer islamique » à celui de « lac britannique » [Alpers 2014]. Dans un premier temps, l’esclavage productif se développe, parallèlement à l’économie de plantation, aussi bien aux Mascareignes (110 000 esclaves importés entre 1767 et 1810 [Filliot 1974]), aux Seychelles, aux Comores, dans les baies de Majunga et de Nosy Be et sur la côte orientale créole malgache que dans les archipels de Lamu et Zanzibar. Ces deux derniers archipels, par exemple, exportent dattes, huile de palme, sucre et clous de girofle sous l’égide de l’empire maritime omanais allié aux Britanniques par le rôle central qu’y joue la diaspora capitaliste indienne implantée à Masqat et Zanzibar. Cependant, tout au long du xixe siècle, le mouvement abolitionniste contraint ces îles à faire évoluer leurs régimes de travail et de servitude, et ce à des rythmes différents13.

43Dans le cas de Madagascar, cela se traduit dès 1820 par un traité signé entre le souverain merina et le gouverneur britannique de l’île Maurice cédée par les Français avec Les Seychelles depuis la fin des guerres napoléoniennes. En échange de l’arrêt de toute exportation d’esclaves depuis la Grande Île, les Anglais s’engagent à dédommager financièrement le « Royaume malgache », à professionnaliser et équiper son armée, à transcrire sa langue en alphabet latin, à scolariser sa population, à former son administration et développer sa proto-industrie (cotonnades, armement) grâce à l’envoi, dans les Hautes Terres, d’instructeurs militaires, d’artisans et de missionnaires protestants de la London Missionary Society.

44Le fils d’Andrianampoinimerina se lance dans une série de campagnes militaires aux quatre coins de l’île pour conquérir et soumettre les formations politiques rivales et prendre le contrôle des villes portuaires, occidentales et orientales, dans lesquelles il installe garnisons fortifiées et services douaniers. Sa mort précoce portera cependant au pouvoir l’oligarchie roturière et la petite noblesse de cour alliées à sa veuve. Ces dernières conduisent une politique mercantile et clientéliste systématisant le portage servile et les corvées royales (fanompoana) dans l’administration, la proto-industrie et l’armée grâce à la présence d’esclaves agricoles et de serviteurs domestiques dans chaque maisonnée des Hautes Terres [Bloch 1980]. L’empire merina en expansion chasse les missionnaires anglais pour les remplacer par des mercenaires français (cité ouvrière de Jean Laborde), réintroduit les plantations maraîchères esclavagistes sur le littoral en partenariat avec le colonat réunionnais et les diasporas swahili et indienne, et combat l’évangélisation, jusqu’à la conversion royale au protestantisme dans les années 1860, en inventant une religion d’État néo-traditionnelle [Raison-Jourde 1991 ; Campbell 2005].

45Le refus du roi sakalava Andriantsoly, converti à l’islam, d’abandonner son monopole local sur la traite esclavagiste importatrice et de reconnaître la souveraineté territoriale de l’empire merina sur Madagascar l’oblige à quitter la ville de Majunga avec ses partisans et sa cour de conseillers swahili et musulmans, mariés à ses proches, et à se réfugier auprès de son parent, le sultan de Mayotte, auquel il succédera en 1835. De même, les intrigues de palais visant l’aristocratie merina auront raison du nouveau gouverneur de Majunga, le général Ramanetaka, victorieux d’Andriantsoly, lequel se convertira lui aussi à l’islam et s’exilera auprès du sultan d’Anjouan avant de s’emparer de Mohéli en 1832. La transposition des conflits malgaches aux Comores entre les nouveaux sultans Andriantsoly et Ramanetaka poussera le premier à céder et vendre Mayotte aux Français après leur prise de possession de Nosy Be au milieu du xixe siècle qui faisait suite à une demande de protectorat des souverains antankaraña et sakalava bemazava aux abois, en lutte contre l’empire merina [Baré 1980].

Capitalisme marchand et abolition de l’esclavage

46Si les puissances rivales française et britannique sont influentes dans la région sur le plan politique, c’est la diaspora capitaliste indienne (khodja, bohra et banian) qui domine alors économiquement le sud-ouest de l’océan Indien et contrôle les circuits commerciaux d’une île à l’autre, ce qu’atteste la prééminence des roupies indiennes dans les transactions marchandes : à la fois dirigeants de filiales zanzibarites d’entreprises domiciliées en Inde, et armateurs, agents de change et banquiers de planteurs, d’agents commerciaux européens et de marchands merina, swahili, antalaotra et arabes, les Indiens organisent et financent le transfert d’armes et de cotonnades de Surat aux Comores et aux côtes africaines, gèrent l’importation, depuis le Mozambique, d’esclaves makhuwa et masombiky aux Mascareignes et dans les ports de Majunga et Nosy Be en échange de bétail exporté jusqu’aux Amériques, et, à partir du milieu du xixe siècle, contrôlent de surcroît le trafic des travailleurs engagés, africains et indiens [Campbell 2005].

47L’abolition définitive de l’esclavage, entre 1835 et 1848, aux Mascareignes et aux Seychelles a induit une divergence pour ce qui est du peuplement et du développement de ces archipels. Jusque-là, les investissements infrastructurels de la Compagnie française des Indes orientales, le catholicisme des colons minoritaires (entre 10 et 20 % de la population) et l’accueil chaleureux que l’on accordait aux corsaires qui pillaient la route des Indes concouraient, d’une île à l’autre, à la mise en place d’une colonie de plantation organisée autour de l’acheminement de près de 390 000 esclaves en provenance, pour la grande majorité, du centre et de la côte orientale de Madagascar, du Mozambique, de la côte swahili et de l’Inde [Allen 2008]. La lutte contre le marronnage passait par l’application du Code noir et l’assortiment stratégique, d’une plantation à l’autre, d’esclaves aux origines ethniques et géographiques différentes. Le métissage tout comme la polyandrie des esclaves étaient contraints et conditionnés par la pénurie de femmes en général, et de femmes blanches en particulier.

48Déjà singularisées par leur faible peuplement essentiellement africain, Les Seychelles et Rodrigues n’étaient pas, dans le cadre de l’Empire britannique, autorisées à contractualiser et importer des travailleurs engagés (indentured labour) originaires de l’Inde. Aux Seychelles, la concurrence du coton américain et les difficultés rencontrées pour cultiver la canne à sucre – une fois les anciens esclaves affranchis et devenus pêcheurs, artisans ou petits propriétaires terriens créoles spécialisés dans la noix de coco et l’huile de coprah – ont contribué à faire péricliter l’économie de plantation et à précipiter le départ de la majorité des colons blancs. Jusqu’au tournant du xixe siècle, l’archipel ne sera plus désormais peuplé que grâce à la libération d’esclaves africains illégalement transportés dans les navires négriers, européens et arabes, arraisonnés par la marine britannique, ou encore grâce à l’exil de personnalités politiques africaines opposées au régime colonial [Benedict 1970]. Le processus sera, en partie, similaire à Rodrigues, où les anciens esclaves recomposeront, sur un mode syncrétique, une organisation sociale créole en l’absence des maîtres et en l’absence de nouvelles migrations significatives [Gardella 1998].

49À l’inverse, La Réunion et Maurice se lancent dans l’importation massive de travailleurs engagés, originaires, dans un premier temps, de l’Inde (Pondichéry, Gujarat, Bengale, Tamil Nadu, Andra Pradesh), puis, dans un second temps, à la fin du xixe siècle, de Singapour, où, sous le patronage de la communauté chinoise d’outre-mer (baba), plus de 200 000 coolies hakka et cantonais (« Sinawa » et « Sino-Mauriciens ») transiteront en direction de l’Afrique du Sud et des Mascareignes pour travailler dans la sériciculture, les ponts et chaussées et le commerce de détail [Alpers 2014]. Si, après l’abolition, le sort réservé aux travailleurs agricoles indiens restera misérablement le même, à La Réunion pour les 120 000 malbar parqués dans les camps des grands domaines autour de leurs temples hindous, à Maurice pour les 294 000 « Indo-Mauritian » bihari, marathi, tamoul et télougou de castes différentes, restés sur les plantations une fois leur contrat terminé, le sort des colons, mulâtres et esclaves affranchis différera sensiblement d’une île à l’autre [Dumas-Champion 2008 ; Chazan-Gillig et Ramhota 2009].

50À La Réunion, les petits colons blancs (yab) sont contraints de vendre leurs terres faute de pouvoir payer les engagés et émigrent, appauvris, dans les cirques et hautes terres peu fertiles, auprès des anciennes communautés de marrons pour y vivre en vase clos d’une agriculture de subsistance [Benoist 1981]. Sur les terres basses des pourtours de l’île, les descendants de la noblesse alliés aux traitants négriers se reconvertissent, grâce aux capitaux métropolitains, en aristocratie terrienne, laquelle prendra la tête de grands domaines en expansion où seront construites des usines à sucre et autour desquels les camps de travailleurs et d’ouvriers agricoles donneront naissance à des agglomérations où vivront côte à côte descendants d’esclaves (kaf) et engagés (malbar). Les mulâtres (kreol), quant à eux, ne forment pas, dans la division sociale du travail, une catégorie à part mais sont identifiés par leur pratique religieuse catholique et leur phénotype métissé (chevelure, traits du visage, couleur de peau), incluant, de fait, nombre de descendants de sinawa, de yab, de malbar et de kaf n’ayant pas pratiqué l’endogamie communautaire [Benoist 1978].

51À Maurice, l’abondance plus grande de terres fertiles, l’absence de communautés de marrons due au manque de refuges isolés, la rareté des capitaux métropolitains et la promulgation de l’abolition lors de la suspension en Inde de l’indentured labour aboutissent au contraire à l’émergence d’une petite paysannerie et bourgeoisie exempte de colons blancs mais dépendante des marchés et intégrée au capitalisme agraire. La prise de possession par les Britanniques de « L’Isle de France » a en effet réorienté la spécialisation de l’île dans le commerce – la richesse de Port-Saint-Louis dépendait avant tout de son rôle d’entrepôt international approvisionné en denrées alimentaires par La Réunion et Madagascar – en incitant ses marchands et ses planteurs français à investir dans la monoculture sucrière exportatrice et à acquérir ou agrandir leurs domaines.

52Le « petit morcellement » des terres (1839-1849) faisant suite à l’exode rural des esclaves émancipés dans les faubourgs et agglomérations de pêcheurs consiste, pour une partie de l’aristocratie foncière (les « Franco-Mauriciens ») à démembrer ses domaines et à en revendre de nombreuses parcelles aux esclaves affranchis (kréol) désireux de s’installer à leur compte comme maraîchers. Et ce dans le but de se prémunir de la reconstitution de bandes de marrons pillards mais aussi de disposer, à proximité, d’une petite paysannerie employée de façon saisonnière, à la tâche. Seuls les mulâtres (« gens de couleur libres »), artisans habitant en ville ou vivant sur leurs propres terres, profitent de ce « petit morcellement » pour pratiquer des ventes à la découpe et s’enrichir, ou bien devenir, à leur tour, exploitants agricoles. En 1825, ils représentaient en effet plus d’un cinquième de la population du fait de l’affranchissement fréquent, depuis un demi-siècle, des concubines serviles et de leurs enfants bâtards par leurs maîtres blancs qui, dans l’impossibilité où ils étaient de les reconnaître comme héritiers, leur donnaient terre, maison et esclave à gérer et mettre en valeur [Allen 1999]. L’appartenance d’une fraction importante de « gens de couleur » à cette petite paysannerie (mulâtres et créoles) et petite bourgeoisie urbaine (mulâtres) christianisée, par opposition aux travailleurs agricoles hindous, sera ainsi instituée dans le recensement officiel de la « population générale » vis-à-vis des « Indo-Mauriciens » qui fonde la dualité de l’État colonial et son communalisme favorisant le clientélisme politique adossé aux principales communautés ethniques et religieuses officielles [Chazan-Gillig et Ramhota 2009].

Des États coloniaux à l’indépendance postcoloniale

  • 14 Entre l’annexion et la Seconde Guerre mondiale, les populations doublent, la pyramide des âges se t (...)

53Le développement des États coloniaux aux Mascareignes, aux Comores et à Madagascar après l’annexion de ces île et archipels à la fin du xixe siècle entraîne un accroissement démographique, un exode rural, parallèle à l’urbanisation, et un aménagement des territoires sur lesquels les populations sont désormais domiciliées, recensées, imposées et administrées à une échelle inconnue jusqu’alors14.

54À Madagascar, les mouvements insurrectionnels anticoloniaux (Menalamba des Hautes Terres, Sakalava du Menabe...) obligent Joseph Gallieni et ses troupes à mener une campagne de « pacification militaire » [Ellis et Randrianja 2010]. Cette campagne occasionne aussi bien l’effondrement, au sud-est, après la guerre civile en leur sein, des anciennes chefferies aristocratiques antemoro et tanôsy que le quadrillage militaire de l’île par secteurs et par cercles. Dans la continuité civile de ce quadrillage, les populations malgaches sont regroupées dans des agglomérations le long des axes routiers et ferrés construits pour relier les chefs-lieux et préfectures de chaque district et province afin que les centaines d’administrateurs coloniaux soient à même de mettre en valeur les plantations créées par le travail forcé, de recouvrer « l’impôt moralisateur », de déployer l’assistance médicale indigène et de prévenir toute forme de banditisme, d’insécurité et de nomadisme incontrôlé [Fremigacci 2014].

55La « politique des races » est alors instaurée en sus du Code de l’indigénat : dans les provinces du centre et de l’est, correspondant aux zones d’implantation anciennes de l’appareil d’État merina vaincu, une administration directe est mise en place grâce au recrutement d’anciens fonctionnaires malgaches scolarisés dans les missions protestantes des Hautes Terres ; dans les provinces du nord, du sud et de l’ouest est mise en œuvre une administration indirecte s’appuyant sur des protectorats intérieurs et des autorités coutumières assignées à résidence à proximité de la ville administrative. Près de 1 millier de souverains et de chefs malgaches sont ainsi nommés « gouverneurs indigènes » et « chefs de canton » de populations composites et regroupées au nom de leur appartenance supposée à une vingtaine d’ethnies [Baré 1980].

56Le renforcement des frontières des empires coloniaux (papiers d’identité, douanes portuaires et aéroportuaires) redéfinit par ailleurs les paramètres de la mobilité dans l’océan Indien lorsque Zanzibar, Maurice, Rodrigues et Les Seychelles se retrouvent sous domination britannique, et La Réunion, Les Comores et Madagascar, rattachées à la France. Au sein de ces empires, l’administration coloniale encadre les conditions de circulation d’une île à l’autre. Trois exemples historiques illustrent la façon dont, à Madagascar et aux Comores, l’évolution politique de ces paramètres accompagne certains changements sociaux et culturels, jusqu’à leurs indépendances respectives en 1960 et 1975.

57Le premier concerne la réislamisation du nord de Madagascar et des Comores. Les confréries soufies propagées à la fin du xixe siècle depuis la côte swahili et Ngazidja ouvrent leurs pratiques, alors que l’esclavage est officiellement aboli, aux populations rurales et périurbaines jusqu’alors tenues à l’écart des centres religieux et contribuent ainsi à leur adhésion massive à l’islam sunnite chaféite. Parallèlement, la diaspora indienne, marchande et musulmane, s’établit en nombre à Maurice (les Muslim Indo-Mauritians), à La Réunion (les Z’arab), à Nosy Be et à Majunga (les Karana) sans que ces populations, en majorité chiites, ne fassent de prosélytisme. Ces mouvements ont fait suite au déplacement à Zanzibar de la capitale busaidi de l’empire omanais, lequel désirait contrôler, par l’islamisation des routes caravanières du continent est-africain à l’aide des confréries soufies (Qadiriyya, Shadhiliyya, Rifa’iyya, Alawiyya), les sources d’approvisionnement en esclaves, ivoire et clous de girofle [Penrad 2001 ; Ahmed 2005].

  • 15 Plus de 60 000 Comoriens seront recensés comme manœuvres, dockers, cuisiniers, gardiens, policiers (...)
  • 16 Ancien botaniste du Muséum d’histoire naturelle de Paris, ce colon s’est bâti un empire commercial (...)

58Au début du xxe siècle, les Comoriens sont nombreux à migrer à leur tour dans les principales villes malgaches du centre (Tananarive, Fianarantsoa) et du nord (Majunga, Nosy Be, Diégo-Suarez), ce qui, malgré la résistance de leurs notables, entraîne l’adhésion de populations malgaches aux voies initiatiques soufies. Au nord de Madagascar, cette islamisation s’est faite sous l’égide d’un « gouverneur indigène », frère du dernier sultan des Comores, et sous la protection du roi antankaraña, avec la tolérance bienveillante de l’administration coloniale, laquelle voyait, dans les confréries, au-delà de leur potentiel subversif, le cadre d’une emprise sur une population salariée migrante et très mobile [Gueunier 1994]. Les Comores sont devenues une province de l’État colonial de Madagascar gérée avec l’aide de fonctionnaires, soldats, instituteurs et chefs de canton malgaches et dépendante administrativement et financièrement de la Grande Île. Les nouvelles générations de l’aristocratie citadine comorienne partaient ainsi se former aux carrières de la haute fonction publique à Madagascar tandis que les Comoriens les plus modestes étaient acheminés comme travailleurs engagés sur les plantations réunionnaises et malgaches15. Administrant l’archipel à partir du centre provincial de Mayotte, la France a en effet laissé les sociétés réunionnaises et métropolitaines de cultures de rente, dont celle du « sultan blanc » Humblot16 à Ngazidja, et la très célèbre Société Comores Bambao à Anjouan, s’accaparer les terres arables et capter la main-d’œuvre locale, tant à travers le travail forcé qu’à travers les emplois mal payés. Les paysans expropriés préfèrent alors s’employer à Madagascar, colonie plus développée, où les salaires sont moins bas.

59Le second exemple a trait à l’urbanisation de la Grande Île et à la fondation, au tournant du xxe siècle, de la ville créole de Diégo-Suarez par le Maréchal Joffre et ses 9 000 hommes – dont des légionnaires étrangers – chargés de bâtir une base navale dans la baie. Contrairement aux capitales royales et cités-États malgaches construites autour de leurs centres religieux et politiques (mosquée, palais royal, maisons en pierre, etc.) où vivent leurs citadins les plus nobles, Diégo-Suarez s’édifie sur un plan en damier regroupant, au sud de la ville coloniale, civile et militaire, les quartiers commerçants indiens, arabes, yéménites, chinois et somaliens, juxtaposés aux quartiers où affluent les travailleurs engagés et les esclaves affranchis qui constituent la main-d’œuvre journalière, domiciliée selon ses origines « ethniques » (antemoro, tesaka, tandroy, betsileo, saint-marienne, antankaraña, sakalava, betsimisaraka, anjouanaise). Les immigrés comoriens se regroupent également, selon leur cité, canton ou île d’origine (Bambao, Domoni, Mutsamudu, Mayotte), autour de la mosquée qu’ils construisent ensemble. Cette mosaïque ethnique urbaine s’inscrit dans la spatialisation de la division sociale du travail, alimentée par les flux migratoires encadrés par l’administration coloniale. Elle ouvre néanmoins sur le cosmopolitisme de ses habitants grâce à la vie associative, syndicale, religieuse, sportive et civique qui se développe avec les militaires et coopérants français jusque dans les années 1970.

  • 17 Selon Jean Fremigacci, la répression fera plusieurs dizaines de milliers de morts (entre 30 000 et (...)

60Le troisième exemple est relatif à l’émergence, durant l’entre-deux-guerres, de mouvements d’émancipation et de mouvements anticoloniaux dans les villes et campagnes malgaches. Ces mouvements sont en effet systématiquement animés et ralliés, au sortir des deux guerres, par des tirailleurs malgaches vétérans, de retour au pays. L’instituteur et « poilu » Jean Ralaimongo ouvre ainsi, dans les années 1920, une section de la Ligue des droits de l’Homme et milite, dans la presse et à la radio, aux côtés de communistes réunionnais et d’ouvriers et employés malgaches et comoriens, pour l’accession à la citoyenneté française des indigènes, la suppression du travail forcé et la défense des communautés villageoises victimes de spoliation foncière [Randrianja 2001]. De même, le député Raseta et son parti nationaliste MDRM est impliqué dans l’insurrection de 1947, sur la côte orientale et dans le sud des Hautes Terres, à proportion des vétérans de guerre qui l’ont encadré dans l’attaque des symboles vivants du colonialisme [Tronchon 1974]17. Le mouvement de libération nationale des Comores, dans les années 1960, est aussi le fait du retour contraint de la diaspora comorienne depuis Zanzibar, soutenue par la principale association étudiante en métropole, tout comme les luttes sociales et les mouvements estudiantins de la première génération universitaire malgache formée par de jeunes coopérants français épris de l’esprit de mai 68 aboutissent à un renouvellement des élites malgaches postcoloniales dans le creuset de l’armée, sur des bases idéologiques tiers-mondistes favorables à la nationalisation de l’appareil productif et à la malgachisation de l’enseignement scolaire [Althabe 2000]. Ces dernières sont synonymes, en réalité, de l’appropriation privée par la classe politicienne, au sommet du parti-État, des secteurs les plus lucratifs (énergie, transports, commerce, mines, banques et assurances, industries) [Galibert 2009].

Stratification et hiérarchie des populations du sud-ouest de l’océan Indien

61Si la fresque historique de cet ensemble régional insulaire atteste une unité géopolitique, elle met aussi en lumière la circulation omniprésente des idées et des biens matériels ainsi que la mobilité récurrente des personnes et des groupes. Quels que soient les mécanismes, processus, stratégies ou circonstances qui entraînent et contraignent ces formes de circulation et de mobilité, le fait est qu’elles mettent régulièrement ou occasionnellement en contact des populations aux langues, aux mœurs et à l’apparence physique différentes. Qui plus est, ces rencontres furtives, uniques, répétées, prolongées, subies ou recherchées portent en elles le différentiel de pouvoir, l’écart de richesse, la distinction de prestige et la disparité des connaissances et des savoir-faire de leurs protagonistes. Qu’ils fassent corps politique, s’affrontent, échangent ou se côtoient dans l’indifférence, ces destins croisés se figent en positions asymétriques lorsque cette mobilité est mise au service de la souveraineté et de la territorialité, du droit de tuer ou violenter impunément les autres, du droit d’extraire les ressources écologiques et de se les approprier à l’exclusion des autres.

62Seulement, pour que ces inégalités perdurent et se distribuent de façon stable au sein d’une formation politique, il faut qu’elles cessent d’être perçues comme un simple accès différencié au commandement, à l’information, aux privilèges et à la possession de biens et d’argent. Ces inégalités doivent se transmuer en indice d’une supériorité ou infériorité intrinsèques des catégories de population placées au sommet et à la base de cette répartition. Elles doivent être appréhendées non plus en tant que signes objectifs d’un positionnement le long d’une échelle ordinale ou cardinale mais en tant que qualités imaginaires imperceptibles définissant l’identité statutaire des groupes et des personnes qui les incarnent. En un mot, ces inégalités doivent cesser de refléter une stratification sociale pour constituer une hiérarchie culturelle. Ce faisant, cette hiérarchie, pour s’inculquer, gagner en légitimité et s’imposer durablement au point d’essentialiser ceux qui la présentifient, doit rompre avec les aléas des transactions quotidiennes et les fluctuations des situations inégalitaires qui mènent à la lutte des places et à la confrontation des manœuvres stratégiques et tactiques pour occuper ces positions. Une hiérarchie culturelle ne peut donc perdurer à son tour que représentée sur un plan transcendantal et atemporel, au-delà des initiatives prises pour bouleverser ces classements et subvertir cet ordre social. Autrement dit : une hiérarchie permet d’interagir avec un horizon de long terme, sur la base de rôles, de statuts et de groupes imaginaires ayant une existence phénoménale indépendante de ceux qui les jouent, les occupent et les représentent [Bloch 1986].

63Pour les Dumontiens, ce principe de hiérarchisation se réalise par l’attribution d’un degré de pureté et d’impureté en vertu de la proximité avec les divinités, les esprits et les ancêtres : ce sont ces marques religieuses de sainteté qui déterminent pour chacun l’occupation d’une place selon son rang dans la totalité fictionnelle ainsi créée [Rio et Smedal 2009]. Cependant, cette opposition tranchée entre « stratification » et « hiérarchie », la première différenciant par le pouvoir politique et économique effectif, la seconde, par le statut religieux reconnu au sein d’un ensemble ordonné, ne tient pas à l’examen des faits et occulte les rapports dialectiques entre ces deux ordres de différenciation [Bloch 1989 ; Valeri 2009]. Elle ne prend pas en compte l’existence de luttes au sein des traditions religieuses et entre ces traditions pour redéfinir les conditions d’accès au divin et à l’occulte et la nature même de ces derniers, si ce n’est à considérer une hypothétique « inversion hiérarchique des idées-valeurs » au sein des « sociétés holistes » qui en sont le théâtre. Or, à Madagascar, par exemple, la conversion au protestantisme des Hautes Terres au xixe siècle a bien renforcé les anciennes hiérarchies tout en opérant le déclassement et le reclassement de nombreux groupes nobles et roturiers merina [Raison-Jourde 1991] ; tandis que la propagation contemporaine, au nord, de mouvements réformistes chrétiens et musulmans hostiles aux pratiques funéraires ancestrales s’est appuyée sur l’adhésion de migrants, de descendants d’esclaves et de jeunes générations malgaches, salariées et urbaines, réfractaires aux idées-valeurs de l’ancestralité et de la royauté sacrée locale [Berger et Branchu 2005].

64En restreignant la hiérarchisation à la sphère religieuse, cette dichotomie en oublie par ailleurs l’existence d’autres façons d’inclure les êtres dans une totalité fictionnelle en leur imputant une prédisposition à l’interaction dérivée de leur niveau supposé de pureté et d’impureté : les « appareils idéologiques et répressifs d’État » (école, famille, administration, armée, médias, université) ont, de fait, élaboré et véhiculé une hiérarchie des « races » (peau sombre/claire, cheveux crépus/lisses) en régime d’apartheid et en régime colonial. Ainsi, le communalisme de l’État mauricien a entretenu le « malaise créole » des descendants d’esclaves malgaches et africains, maintenus dans la pauvreté, exclus de la vie politique et perçus comme inaptes au développement de leur pays. Cette marginalisation a découlé en partie de leurs métissage et hybridité culturelle contraires à la division sociale du travail ethnicisée qui a longtemps prévalu dans l’île [Boswell 2006]. La hiérarchie des « races » sous-jacente à cette stratification qui a évolué depuis s’est aujourd’hui reportée sur l’opposition centrale entre ceux qui revendiquent la pratique de leurs « langues ancestrales » (indiennes, chinoises, etc.) et ceux qui, à défaut de connaître leurs origines géographiques, ne peuvent que pratiquer la langue créole, pourtant connue de tous [Eisenlohr 2006].

65En somme, penser la stratification et la hiérarchie comme deux ordres sociaux radicalement hétérogènes et aux antipodes (sociétés individualistes/sociétés holistes) ne rend pas justice aux situations d’acculturation qui résultent de formes de circulation et de mobilité mettant en contact des personnes et des groupes porteurs d’un sens de la hiérarchie différent, souvent en décalage avec la balance conjoncturelle des ressources et des forces en présence. Qui plus est, ces brassages, notamment au sud-ouest de l’océan Indien, ont rarement pour cadre de rencontre une relation duelle et bijective entre deux foyers civilisationnels. La pluralité des hiérarchies culturelles – qui, pour certaines, sont déjà le fruit de syncrétismes – accentue l’ambiguïté ordinaire des catégories conceptuelles et l’ambivalence habituelle des manières d’identifier les oppositions pertinentes et les privilèges ou discriminations qui leur sont rattachés, a fortiori lorsque les nouvelles connaissances et savoir-faire, les nouvelles formes de prestige et sources d’enrichissement, les nouveaux modes de domination et d’assujettissement font l’objet de luttes de positionnement pour en avoir l’exclusivité, à tout le moins le contrôle.

66Étudier les formes d’altérité, d’inégalité et de mobilité dans les mondes indianocéaniques revient donc, de façon programmatique, à rechercher les propriétés et les variantes transformatives de ce que l’on pourrait appeler des « structures de différenciation », appréhendables par la genèse de leurs composantes et l’historique de leur assemblage. Cela implique de repérer les principaux ensembles organisés de relations parmi un certain nombre de positions différenciées, (in)accessibles grâce à des critères que l’enquête empirique permet de découvrir. Et cela augure de l’attention portée au fait qu’une structure de différenciation peut admettre au moins deux variantes. La première est la stratification sociale où priment les relations d’inégalité et d’égalité entre des positions occupées par des catégories de population identifiées selon leur accès à la richesse, au savoir, au pouvoir et au prestige. La seconde est la hiérarchie culturelle où priment les relations de supériorité et d’infériorité entre des positions occupées par des catégories de population opposées les unes aux autres par leurs qualités intrinsèques supposées. Tout l’intérêt qu’il y a à concevoir au sein d’une même structure de différenciation cette complémentarité de l’inégalité des avoirs (logique quantitative de possession et de privation) et de la hiérarchie des êtres (logique qualitative d’affiliation et d’exclusion) réside dans la possibilité d’interroger la réalisation située et datée de l’une de ces variantes en explicitant les conditions du passage de l’une à l’autre pour ce qu’elles transforment ou reproduisent de l’une et de l’autre dans l’abandon, le maintien, la création ou la redéfinition des positions disponibles et des critères existentiels d’accessibilité auxquels ou desquels peuvent être attachées ou détachées des qualités imaginaires essentielles.

Des structures de différenciation dans les îles de l’océan Indien

67Une des principales difficultés consiste à distinguer parmi les structures de différenciation celles qui englobent et subsument les autres pour être au fondement des divisions sociales du travail et des formations politiques. Cette difficulté est renforcée par le fait que plusieurs de ces structures « complexes » peuvent coexister sur un même territoire.

68Ainsi, à La Réunion, se sont instituées, à des époques successives, les inégalités et hiérarchies propres à la société de plantation (dépendance des kaf et malbar vis-à-vis des grands propriétaires terriens pour trouver un travail et un logement), les inégalités et hiérarchies caractéristiques de la société paysanne (avec l’autarcie des familles nucléaires et des groupes de descendance yab et marrons, contraints, après le morcellement des terres indivises, à la prolétarisation en ville) et les inégalités et hiérarchies mises en place après la départementalisation, en 1946, avec la tertiarisation et l’urbanisation de l’île (où l’émigration des cadres, professions libérales et fonctionnaires z’oreil reconstitue, aux côtés des entrepreneurs et commerçants chinois et musulmans, des enclaves similaires à la vie métropolitaine) [Benoist 1983 ; Ghasarian 1992 et 2002]. Des structures de différenciation (pré)coloniales peuvent ainsi encore organiser la spatialisation des populations dans les villes comoriennes où propriétaires terriens, pêcheurs et esclaves continuent à vivre dans des quartiers séparés et à se marier entre eux [Blanchy 2013]. Ces structures anciennes sont d’ailleurs toujours mobilisées, à l’île Maurice, dans la coloration ethnique des catégories socioprofessionnelles contemporaines.

  • 18 Fondé en partie sur des investissements directs à l’étranger depuis l’Inde, ce « grand morcellement (...)

69L’effondrement des prix mondiaux du sucre à la fin des années 1970 a été compensé, à Maurice, par une restructuration industrielle et tertiaire de l’économie insulaire autour du tourisme de luxe et des manufactures de textile dans les zones franches – implantées, pour certaines, jusqu’à Madagascar – puis, à partir des années 2000, par le développement du secteur des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) et de la finance offshore à la suite d’investissements indiens, sud-africains et hongkongais et de la domiciliation dans l’île d’entreprises multinationales cherchant à contourner les régimes fiscaux asiatiques et européens [Grégoire 2005 et 2008]. L’ancienne division ethnique du travail propre à la monoculture sucrière et corrélée à un type d’aménagement du territoire et de styles de vie religieux s’est ainsi restructurée dans ses variantes stratifiée et hiérarchique à partir des associations religieuses légales et des nouvelles entreprises [Chazan-Gillig et Ramhota 2009] mais aussi depuis les groupes de parenté, les médias (télévision, journaux, radio, cinéma), le système éducatif et les courants musicaux tel le séga créole présent aux Mascareignes et aux Seychelles (séga ravanne, maloya, séga tambour, moutia) [Benedict 1965 ; Eriksen 1998 ; Servan-Schreiber 2010]. Tandis que la majorité des travailleurs agricoles hindous et des pêcheurs et ouvriers créoles résidait en zone rurale, une minorité d’entre eux habitait en ville, occupant des postes de fonctionnaires, pour les premiers, et travaillant comme domestiques, artisans ou dockers, pour les seconds. La majorité des citadins était, au contraire, composée de mulâtres, surreprésentés parmi les cadres et professions libérales, de Chinois et d’Indiens musulmans, très actifs dans le commerce de détail et de gros, et de banquiers britanniques. La minorité des ruraux, quant à elle, comprenait tant les exploitants agricoles indiens bénéficiaires du grand morcellement (1870-1920)18 que les grands propriétaires terriens et patrons franco-mauriciens présents à la fois sur leur domaine et en ville.

70Si l’apparition de nouveaux secteurs d’emploi a multiplié le nombre et le type des statuts socioprofessionnels accessibles, et, par conséquent, les opportunités de mobilité sociale, notamment vers les postes de cadres et de professions intermédiaires, elle n’a pas pour autant supprimé le poids des affiliations ethnolinguistiques et religieuses au sommet et à la base des métiers les mieux et les moins bien rémunérés. Le principal changement a résidé dans le rôle accru et déterminant des réseaux de parenté pour redéfinir à la fois les conditions d’accès à certains types d’emploi et l’affiliation de leurs membres à certaines catégories de population hiérarchisées entre elles. Si les foyers matrifocaux des Créoles et leur parentèle bilatérale ont, en ville, permis d’activer les liens nécessaires pour migrer ou trouver un emploi modeste, ils ont aussi précipité le démembrement et la vente des terres acquises au xixe siècle. Inversement, l’endogamie des grandes parentèles franco-mauriciennes et indiennes musulmanes a servi l’accumulation des terres et du capital marchand en leur sein ainsi que la hiérarchisation des familles selon leur ancienneté et leur pedigree. Et l’exogamie des maisonnées patrilinéaires chinoises et hindoues pratiquée à l’échelle de la diaspora ou avec des maisonnées de même origine géographique et linguistique a tissé des liens de coopération favorisant la gestion commune d’entreprises agricoles et commerciales, en cheville, parfois, avec l’outre-mer.

  • 19 La migration anjouanaise a pris un tour dramatique avec la départementalisation, en 2011, de l’île (...)

71Si ces structures de différenciation peuvent être nombreuses à l’échelle d’une formation politique souveraine, elles peuvent aussi se réduire à de simples oppositions comme, aujourd’hui, à Mayotte, dans le centre administratif de rétention et les tribunaux où s’opère la démarcation entre citoyens français et Comoriens immigrés, citoyens républicains et musulmans [Blanchy et Moatty 2012]19. De même, après la construction de la base navale américaine de Diégo-Garcia, l’expropriation, sans indemnisation, et l’exil forcé des habitants de l’archipel des Chagos à Maurice et aux Seychelles a été légitimée au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste et de la sécurisation des transports pétroliers et des interventions armées au Moyen-Orient [Jeffery 2011].

72Ces structures complexes sont, par ailleurs, susceptibles de renvoyer à l’actualisation contemporaine des ordres statutaires dynastiques, nobles et roturiers – distincts des esclaves, serviteurs et parias – des anciens royaumes malgaches et comoriens [Raison-Jourde 1983 ; Blanchy 2010] mais aussi à l’ordonnancement des cités comoriennes (midji) dans ces royaumes, et des lignages, dans ces cités [Blanchy 2004]. Il était, du reste, fréquent à l’époque précoloniale, à Madagascar particulièrement, que ces structures de différenciation soient reprises et transformées d’une chefferie ou d’un État à l’autre, à la suite de migrations. Ainsi les royaumes centraux et orientaux du xviie siècle partageaint-ils tous une même division territoriale en « damiers » (vallées, rives) occupés par des groupes de descendance endogames et cognatiques et gouvernés par des élites aristocratiques exogames se mariant dans chacun de ces damiers, lesquels avaient l’interdiction de s’allier entre eux [Ottino 1974]. La projection spatiale de cette structure de différenciation obéissait à deux logiques distinctes : dans le modèle javanais (merina, betsileo), l’altitude marque la hiérarchie entre les agglomérations pour caractériser la demeure des dieux et des ancêtres tandis que le souverain réside au centre du territoire en ralliant les quatre points cardinaux ; dans le modèle sriwijayen (antemoro, tanôsy), le souverain réside à l’embouchure du fleuve où demeurent les divinités et les ancêtres alors que ses parents, considérés comme des aînés, se situent en aval du fleuve, et leurs cadets, en amont, chaque confluent abritant un site religieux royal [Beaujard 2012].

73Or, le développement des royaumes maroseraña sur la côte occidentale s’adosse à l’inversion de cette structure et à l’hybridation des deux formes de sa projection : les élites aristocratiques demeurent cognatiques mais deviennent endogames ; les groupes de descendance, désormais patrilinéaires et exogames, se territorialisent, dans chaque domaine princier, en fonction des quatre points cardinaux, autour du centre rituel (doany) où réside le parent et représentant du souverain. Ces domaines princiers sont établis à la périphérie du royaume ou à proximité de la capitale royale selon la distance généalogique qu’ils entretiennent avec la lignée dynastique, elle-même implantée en aval, à l’embouchure du fleuve [Lambek 2002].

74Il est donc très difficile de concevoir ces structures complexes indépendamment des structures élémentaires de différenciation auxquelles elles s’articulent. Dans le sud-ouest de l’océan Indien, ces dernières concernent principalement, à Madagascar, les inégalités et la hiérarchie des prérogatives rituelles des descendants de frères/fils et sœurs/filles classificatoires (zanakalahy/zanakambavy), des ancestralités (karazana) et des autochtones (tômpontany) vis-à-vis des allochtones (vahiny) [Ottino 1998]. Elles comprennent aussi les âges (aînés/cadets, vieux/jeunes), voire les classes d’âge à Ngazidja [Blanchy 2003] et à Mayotte [Lambek 1990]. Elles correspondent aux différences de sexe et de genre (masculin/féminin) étudiées plus particulièrement aux Seychelles [Benedict et Benedict 1982], dans la Grande Île [Huntington 1988 ; Bloch 1989 ; Cole 2010] et aux Comores [Blanchy 2010] ; mais aussi aux relations entre maîtres et disciples parmi les devins-guérisseurs malgaches [Beaujard 2009] ou les confréries soufies Blanchy 2000]. Ces inégalités et ces hiérarchies caractérisent, en outre, les rapports entre et au sein des « maisons » aux Comores [Blanchy 2010] et chez les Zafimaniry [Bloch 1998] et, plus généralement, les groupes de descendance, les parentèles et les maisonnées domestiques de chaque île.

Des « arènes de conversion » contemporaines

75Les contributions de sociologues, historiens et anthropologues rassemblées ici s’attellent chacune à décrire et analyser, à travers une étude de cas et par le biais d’une méthodologie d’enquête qualitative, une ou plusieurs structures de différenciation au xxe siècle caractéristiques d’une formation politique de l’océan Indien occidental. Ce faisant, deux hypothèses de travail conjointes sont explorées.

76Selon la première, il existerait des lieux spécifiques où s’opère, pour une structure de différenciation, le passage d’une variante stratifiée à une variante hiérarchique (et vice versa) et où l’une, plus que l’autre, est mobilisée dans les interactions. Ces sites d’activité sont, d’une part, les dispositifs rituels (voir les articles de Michael Lambek, Dominique Somda et Denis Regnier), d’autre part, les appareils d’État (lire les papiers de Camille Al Dabaghy, Nicolas Roinsard, Faranirina V. Rajaonah et Odile Vacher) quand ce n’est pas à l’articulation des deux que ces conditions se trouvent réunies (voir, à ce sujet, l’apport original de Sophie Blanchy). La seconde hypothèse est que ces lieux remplissent cette fonction lorsqu’ils sont connectés à des formes de circulation et de mobilité et, par conséquent, reliés à des flux : en l’occurrence, la coopération interurbaine décentralisée (Camille Al Dabaghy), les politiques publiques et les revenus de transfert métropolitains (Nicolas Roinsard), les migrations de travail et d’asile (Sophie Blanchy), la mutation et le détachement de fonctionnaires coloniaux (Faranirina V. Rajaonah et Odile Vacher), la diffusion de nouvelles techniques architecturales funéraires (Dominique Somda), l’exploration et la colonisation de terres libres (Denis Regnier) et des transferts culturels interinsulaires séculaires (Michael Lambek).

77L’idée est de considérer ces lieux d’interface comme de véritables « arènes de conversion » : diverses stratégies s’y affrontent pour transmuer réciproquement de l’altérité en inégalité dans une ou plusieurs structures de différenciation afin de faire émerger des localités à partir des mobilités qui les relient entre elles. Inversement, quand ces « arènes de conversion » sont absentes ou ne fonctionnent plus, il semble, au vu de ces études de cas, que ce soit de nouvelles formes de mobilité qui émergent à partir de ces localités figées dans l’inadéquation ou la trop forte correspondance de leurs variantes stratifiées et hiérarchiques.

78Dans son « à propos », l’économiste Philippe Norel revient sur l’opus magnum de Philippe Beaujard, Les mondes de l’océan Indien (2012), et nous offre la possibilité de remettre en perspective jusqu’au xve siècle le peuplement et le développement de l’ensemble insulaire du sud-ouest de l’océan Indien dans le cadre de l’histoire de l’Afro-Eurasie continentale et maritime. Par ce biais, il nous permet de saisir à quel point les logiques présidant aux formes de mobilité et de circulation dans ces îles et archipels échappent en partie à leurs habitants et se construisent à l’échelle interrégionale, d’un rivage à l’autre de l’océan Indien et de la Méditerranée.

79Se basant sur l’existence ancienne de transferts culturels entre Mayotte, Ngazidja et la baie malgache de Majunga, l’anthropologue Michael Lambek compare, pour sa part, leurs trois principales structures de différenciation. Il montre que, à Mayotte, c’est en se focalisant sur les transformations des rituels du cycle de vie que l’on peut appréhender la spécificité des relations d’égalité et l’absence de relations de supériorité. Les locuteurs du kibushi, regroupés en communautés villageoises, se sont montrés en effet hostiles aux principes de hiérarchie mis en scène dans le Grand mariage à Ngazidja où la circulation des dons et contre-dons agonistiques creuse les inégalités et aboutit à l’identification ordonnée des « maisons » et des personnes et familles qui vivent dans les cités. Pour cela, ces locuteurs ont transformé le dispositif rituel du Grand mariage en rites de passage lors de la naissance, de la circoncision et de l’alliance matrimoniale (arusi, shungu), sur un mode qui valorise l’égalité statutaire des personnes impliquées. Inversement, à Madagascar, l’accent a été mis, par les Sakalava, sur les cérémonies funéraires où se jouent la relation aux ancêtres royaux et la reproduction de la hiérarchie entre les membres du clan royal, les castes de serviteurs royaux et les gens du commun.

80L’anthropologue Sophie Blanchy compare l’évolution historique des structures complexes de Mayotte, Anjouan et Ngazidja. À Ngazidja, ces structures se fondent sur l’articulation, au sein des cités, des maisons matrilinéaires et du système d’âge masculin. L’auteure montre en quoi, dans ce cas, le rituel du Grand mariage concourt à la reproduction des relations d’inégalité et de supériorité entre trois groupes statutaires endogames qui, à l’exception des descendants d’esclaves, parviennent à réaliser entre eux des unions hypergamiques. Elle montre comment les migrations de travail en France (plus d’un tiers des Comoriens y vivent aujourd’hui) ont, grâce à un transfert de revenus, permis aux groupes dépendants de construire des mosquées, de réaliser entre eux des Grands mariages et de participer ainsi à la vie politique des cités. En complément de Michael Lambek, elle suggère que la départementalisation récente de Mayotte, en favorisant l’émergence d’une classe moyenne et en s’attaquant au droit personnel et familial musulman, a encouragé le développement du Grand mariage afin d’instaurer la suprématie de cette classe moyenne sur les classes populaires aux effectifs de plus en plus gonflés par l’arrivée illégale de migrants anjouanais. En contrepoint, l’exemple anjouanais vient souligner comment l’absence d’« arènes de conversion » face au poids des patrilignages sharif a pu conduire à la rigidification des hiérarchies entre ville et campagne et à l’émigration de toute une partie de la population vers Mayotte.

81C’est un cas similaire de dysfonctionnement, à Madagascar, d’une « arène de conversion » que rapporte l’anthropologue Denis Regnier pour percer les difficultés d’intégration des familles de descendants d’esclaves dans les villages betsileo. Les descendants d’hommes libres qui se désignent eux-mêmes comme des « gens propres » (olo madio) refusent systématiquement de se marier avec ceux qu’ils appellent les « gens sales » (olo maloto). Et ce alors que les uns et les autres vivent depuis un siècle dans les mêmes agglomérations et partagent un mode de vie similaire, basé sur la construction de tombeaux ancestraux, la riziculture et l’élevage de zébus. En dépit de l’adhésion successive des descendants d’hommes libres à la suppression coloniale des distinctions statutaires, au socialisme étatique et au discours égalitariste chrétien, le stigmate de la filiation servile est resté ancré dans la mémoire collective locale en raison, notamment, de l’absence de rituels de purification qui auraient dû être pratiqués lors de l’abolition de l’esclavage. Ces stratégies d’évitement matrimonial justifiées par la crainte de malédictions ancestrales conditionnent ainsi, pour nombre de ces descendants d’esclaves, le choix contraint de l’endogamie ou de la mobilité itinérante à travers l’île.

82L’anthropologue Dominique Somda, quant à elle, rend compte de l’émergence, au cours du xxe siècle, d’une nouvelle « arène de conversion » en pays tanôsy – un dispositif rituel funéraire mobilisant une architecture monumentale –, qui a considérablement modifié la lecture locale du paysage, recouvert peu à peu d’édifices matérialisant les ancêtres (pierres dressées, stèles de ciment, tombeaux ornés) alors qu’autrefois les lieux de commémoration étaient tenus secrets et restaient cachés au cœur des forêts sacrées. Cette émergence est parallèle à la disparition d’anciennes « arènes de conversion » (notamment le dispositif rituel autour des grandes maisons et des pieux cérémoniels) qui, jusqu’à l’effondrement du royaume tanôsy et l’abolition de l’esclavage, marquaient la distance et la séparation des clans hiérarchisés. Les nouveaux monuments funéraires jouent ainsi un rôle majeur dans la constitution ou reconstitution des pouvoirs de ceux qui en ont été dépourvus au xxe siècle (migrants, esclaves, rois déchus) et dans la formation d’un nouvel ordre social.

83Les trois contributions de l’historienne Faranirina V. Rajaonah et des sociologues Odile Vacher, Nicolas Roinsard et Camille Al Dabaghy présentent la façon dont certaines administrations d’État en viennent à fonctionner comme « arènes de conversion » et, surtout, l’incidence que peuvent avoir les usagers et les fonctionnaires de ces administrations sur les structures de différenciation qui en résultent. Dans le cas de la ville de Diégo-Suarez, l’objectif de coopération décentralisée auquel participe la municipalité en matière de politique d’accès à l’eau potable est en grande partie détourné et inversé par le public des usagers des bornes fontaines : alors que la mise en place, par quartiers, d’une gestion associative et payante des points d’eau collectifs vise à introduire des relations de marché inégalitaires corrélativement à l’institutionnalisation d’une forme de citoyenneté individualiste et cosmopolite au cœur de la collectivité communale, les modalités d’approvisionnement quotidien en eau aménagées par les habitants de ces quartiers (avec, notamment, l’invention d’une monnaie parallèle) visent à réintroduire une égalité d’accès à l’eau potable entre les personnes de condition statutaire équivalente au sein des communautés hiérarchisées, de type ethnique, religieux ou administratif (fokontany).

84De même, grâce à l’utilisation de dossiers personnels et de listes électorales conservés aux Archives de la République de Madagascar, on est en mesure de comprendre comment les Créoles réunionnais venus s’installer à Tananarive, au tournant du siècle dernier, comme fonctionnaires de l’État colonial, avec l’espoir d’une rapide ascension sociale, ont été pris au « piège de l’ethnicité » : pourtant citoyens français à part entière face aux indigènes malgaches, ils se sont retrouvé nommés à des postes subalternes et précaires, stigmatisés par les métropolitains et méprisés par l’ancienne noblesse merina, mieux éduquée et plus apte à occuper des responsabilités dans l’appareil d’État. Leur marginalisation et leurs problèmes d’intégration révèlent le processus par lequel la distribution inégale de la citoyenneté dans l’État colonial a été, en milieu urbain, découplée des possibilités de revenus et de constitution de réseaux d’influence du fait de l’existence de hautes positions sociales et de rangs acquis dans l’ancien empire merina.

85Dans le même ordre d’idées, à La Réunion, le versement contemporain, par l’État métropolitain, de revenus de transfert aux familles les plus défavorisées qui subissent un chômage structurel de masse n’a fait que reproduire les inégalités de classe et maintenir dans la pauvreté les descendants d’esclaves, de petits colons blancs, de marrons et de travailleurs engagés. La reconduction d’une hiérarchie des races au sein de la division de la société réunionnaise en classes sociales s’est paradoxalement réalisée sur la base du paiement mensuel de minima sociaux, qui ont, par ailleurs, amélioré le sort et la condition des personnes. Ces minima sociaux ont néanmoins réactivé les habitus de dépendance et de gestion du temps de travail incorporés précédemment sur les plantations sucrières en ce que les familles pauvres se sont désormais senties affiliées à un État protecteur en remplacement du planteur paternaliste.

86Quelle que soit donc l’« arène de conversion » par laquelle ces études de cas décrivent et analysent les dynamiques contemporaines de ces structures de différenciation, l’articulation complémentaire de leurs variantes stratifiées et hiérarchiques en situation de contact et d’acculturation est, et demeure, au cœur de la fabrique des mondes insulaires de l’océan Indien.

Haut de page

Bibliographie

Adelaar, Alexander — 2009, « Towards an integrated theory about the Indonesian migrations to Madagascar », in P. Peregrine, I. Peiros et M. Feldman eds., Ancient human migrations. A multidisciplinary approach. Salt Lake City, University of Utah Press : 149-172.

Ahmed, Abdallah Chanfi — 2005, « Tariqa, État et enseignement islamique aux Comores. Réseaux d’hier et d’aujourd’hui », in M. Gomez-Perez ed., L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux. Paris, Karthala : 49-68.

Allen, Richard — 1983, Creoles, Indian immigrants and the restructuring of society and economy in Mauritius, 1767-1885. Urbana, University of Illinois Press. — 1999, Slaves, freedmen, and indentured laborers in colonial Mauritius. Cambridge, Cambridge University Press. — 2008, « The constant demand of the French. The Mascarene slave trade and the worlds of the Indian Ocean and Atlantic during the 18th and 19th centuries », Journal of African History 49 (1) : 43-72. — 2010, « Satisfying the “want for labouring people”. European slave trading in the Indian Ocean, 1500-1850 », Journal of World History 21 (1) : 45-73.

Allibert, Claude — 1984, Mayotte, plaque tournante et microcosme de l’océan Indien occidental. Son histoire avant 1841. Paris, Anthropos. — 1994, « Cités-États et têtes de pont dans l’archipel des Comores », Omaly sy Anio 33-36 : 115-132.

Alpers, Edward — 2009, East Africa and the Indian Ocean. Princeton, Markus Wiener. — 2014, The Indian Ocean in world history. Oxford, Oxford University Press.

Althabe, Gérard — 2000, Anthropologie politique d’une décolonisation. Paris, L’Harmattan.

Astuti, Rita — 1992, People of the sea. Identity and descent among the Vezo of Madagascar. Cambridge, Cambridge University Press.

Baré, Jean-François — 1980, Sable rouge. Une monarchie du nord-ouest malgache dans l’histoire. Paris, L’Harmattan.

Beaujard, Philippe — 1994, « Islamisés et systèmes royaux dans le sud-est de Madagascar. Les exemples Antemoro et Tañala », Omaly sy Anio 33-36 : 235-286. — 2003, « L’Afrique de l’Est, les Comores et Madagascar dans le système-monde avant le XVIe siècle », in D. Nativel et F. Rajaonah eds., Madagascar et l’Afrique. Entre identité insulaire et appartenances historiques. Paris, Karthala : 29-102. — 2009, « La place et les pratiques des devins-guérisseurs dans le sud-est de Madagascar », in D. Nativel et F. Rajaonah eds., Madagascar revisitée. En voyage avec Françoise Raison-Jourde. Paris, Karthala : 259-285. — 2011, « The first migrants to Madagascar and their introduction of plants. Linguistic and ethnological evidence », Azania : Archaeological Research in Africa 46 (2) : 169-189. — 2012, Les mondes de l’océan Indien. Tome I : De la formation de l’État au premier système-monde afro-eurasien. Tome II : L’océan Indien au cœur des globalisations de l’Ancien Monde. Paris, Armand Colin.

Benedict, Burton — 1965, Mauritius. The problems of a plural society. Londres, Pall Mall Press. — 1970, People of Seychelles. Londres, HMSO. — 1980, « Slavery and indenture in Mauritius and Seychelles », in J. Watson ed., Asian and African systems of slavery. Oxford, Basil Blackwell : 135-168.

Benedict, Burton et Marion Benedict — 1982, Men, women, and money in Seychelles. Berkeley, University of California Press.

Benoist, Jean — 1978, « Les Mascareignes. L’île Maurice, La Réunion », in J. Poirier ed., Ethnologie régionale II. Paris, Gallimard : 1 859-1 867. — 1981, « Paysans de La Réunion », Annuaire des Pays de l’océan Indien 8 : 145-241. — 1983, Un développement ambigu. Structure et changement de la société réunionnaise. St-Denis, Fondation pour la Recherche et le Développement dans l’océan Indien.

Berg, Gerald — 1981, « Riziculture and the founding of monarchy in Imerina », Journal of African History 22 (3) : 289-308. — 1988, « Sacred acquisition : Andrianampoinimerina at Ambohimanga, 1777-1790 », Journal of African History 29 (2) : 191-211.

Berger, Laurent et Olivier Branchu — 2005, « L’islam à l’épreuve de l’ancestralité dans les villes et campagnes du nord de Madagascar », in M. Gomez-Perez ed., L’islam politique au sud du Sahara. Identités, discours et enjeux. Paris, Karthala : 69-117.

Berger, Laurent et Samuel Sanchez — 2016, « The Tingimaro kingdom at the margins of Iberian globalization (16th-17th). An original state formation process in Madagascar », Journal of African History (à paraître).

Blanchy, Sophie — 1995, Karana et Banians. Les communautés commerçantes d’origine indienne à Madagascar. Paris, L’Harmattan. — 2000, « Les Darwesh aux Comores (île de Ngazidja). Systèmes de valeur et stratégie. De l’idéal islamique à la réalité sociale », in C. Allibert et N. Rajaonarimanana eds., L’Extraordinaire et le quotidien. Paris, Karthala : 217-241. — 2003, « Seul ou tous ensemble ? Dynamique des classes d’âge dans les cités de l’île de Ngazidja (Comores) », L’Homme 167-168 : 153-186. — 2004, « Cité, citoyenneté et territorialité dans l’île de Ngazidja (Comores) », Journal des Africanistes 74 (1-2) : 341-380. — 2010, Maisons des femmes, cités des hommes. Filiation, âge et pouvoir à Ngazidja (Comores). Nanterre, Société d’ethnologie. — 2013, « L’esclavage à Ngazidja (Comores). Approche ethnohistorique », in H. Médard, M.-L. Derat, T. Vernet et M.-P. Ballarin eds., Traites et esclavages en Afrique orientale et dans l’océan Indien. Paris, Karthala-CIRESC : 329-360.

Blanchy, Sophie et Yves Moatty — 2012, « Le droit local à Mayotte : une imposture ? », Droit et Société 80 : 117-139.

Bloch, Maurice — 1971, Placing the dead. Tombs, ancestral villages, and kinship organization in Madagascar. New York, Waveland Press. — 1980, « Modes of production and slavery in Madagascar. Two case studies », in J. Watson ed., Asian and African systems of slavery. Oxford, Basil Blackwell : 100-134. — 1986, From blessing to violence. History and ideology in the circumcision ritual of the Merina of Madagascar. Cambridge, Cambridge University Press. — 1989, Ritual, history, and power. Londres, Athlone Press. — 1998, How we think they think. Anthropological approaches to cognition, memory, and literacy. Boulder, Westview Press.

Boivin, Nicole, Alison Crowther, Richard Helm et Dorian Fuller — 2013, « East Africa and Madagascar in the Indian Ocean world », Journal of World Prehistory 26 : 213-281.

Boswell, Rosabelle — 2006, Le malaise créole. Ethnic identity in Mauritius. Oxford, Berghahn Books.

Cabanes, Robert — 1982, « Guerre lignagère et guerre de traite sur la côte nord-est de Madagascar aux XVIIe et XVIIIe siècles », in J. Bazin et E. Terray eds., Guerres de lignage et guerres d’États en Afrique. Paris, Éditions des Archives contemporaines : 145-186.

Campbell, Gwyn — 2000, « Regional integration in the Southwest Indian Ocean. History and prospects », in S. Evers et V. Hookoomsing eds., Globalization and the Southwest Indian Ocean. Leiden, International Institute for Asian Studies : 213-228. — 2005, An economic history of Imperial Madagascar, 1750-1895. The rise and fall of an island empire. Cambridge, Cambridge University Press.

Chaudhuri, Kirti — 1985, Trade and civilization in the Indian Ocean. An economic history from the rise of islam to 1750. Cambridge, Cambridge University Press.

Chazan-Gillig, Suzanne et Pavi Ramhota — 2009, L’hindouisme mauricien dans la mondialisation. Cultes populaires indiens et religion savante. Paris, IRD-Karthala-MGI.

Clarence-Smith, William et Ulrike Freitag eds. — 1997, Hadrami traders, scholars, and statesmen in the Indian Ocean 1750s-1960s. Leiden, Brill.

Cole, Jennifer — 2010, Sex and salvation. Imagining the future in Madagascar. Chicago, University of Chicago Press.

Cooper, Frederick — 1977, Plantation slavery on the east coast of Africa. New Haven, Yale University Press.

Dahl, Otto — 1988, « Bantu Substratum in Malagasy », Études Océan Indien 9 : 91-132.

Deschamps, Hubert — 1972, Les pirates à Madagascar aux XVIIe et XVIIIe siècles. Paris, Berger-Levrault.

Dewar, Robert et Henry Wright — 1993, « The culture history of Madagascar », Journal of World Prehistory 7 (4) : 417-466.

Dewar, Robert, Chantal Radimilahy, Henry Wright, Zenobia Jacobs, Gwendolyn Kelly et Francesco Berna — 2013, « Stone tools and foraging in northern Madagascar challenge Holocene extinction models », Proceedings of the National Academy of Sciences (USA) 110 (31) : 12 583-12 588.

Dumas-Champion, Françoise — 2008, Le mariage des cultures à l’île de La Réunion. Paris, Karthala.

Eisenlohr, Patrick — 2006, Little India. Diaspora time and ethnolinguistic belonging in Hindu Mauritius. Berkeley, University of California Press.

Ellis, Stephen — 2007, « Tom and Toakafo. The Betsimisaraka kingdom and state formation in Madagascar, 1715-1750 », Journal of African History 48 (3) : 439-455. — 2009, « The history of sovereigns in Madagascar. New light from old sources », in D. Nativel et F. Rajaonah eds., Madagascar revisitée. En voyage avec Françoise Raison-Jourde. Paris, Karthala : 405-431.

Ellis, Stephen et Solofo Randrianja — 2010, Madagascar : a short history. Chicago, Chicago University Press.

Eriksen, Thomas — 1998, Common denominators : ethnicity, nationalism and the politics of compromise in Mauritius. Oxford, Berg. — 2007, « Creolization in anthropological theory and in Mauritius », in C. Stewart ed., Creolization : history, ethnography, theory. Walnut Creek, Left Coast Press : 153-178.

Esoavelomandroso, Manassé — 1980, « The Malagasy Creoles of Tamatave in the 19th century », Diogène 111 : 50-63.

Feeley-Harnik, Gillian — 1982, « The king’s men in Madagascar. Slavery, citizenship, and Sakalava monarchy », Africa 52 (2) : 31-50. — 1991, A green estate. Restoring independence in Madagascar. Washington, Smithsonian Institution Press.

Filliot, Jean-Michel — 1974, La traite des esclaves vers les Mascareignes au XVIIIe siècle. Paris, Éditions de l’Orstom.

Fleisher, Jeffrey, Paul Lane, Adria LaViolette, Mark Horton, Edward Pollard, Erendira Quintana Morales, Thomas Vernet, Annalisa Christie et Stephanie Wynne-Jones — 2015, « When did the Swahili become maritime ? », American Anthropologist 117 (1).

Fremigacci, Jean — 2014, État, économie et société coloniale à Madagascar (1896-1940). Paris, Karthala.

Galibert, Didier — 2009, Les gens du pouvoir à Madagascar. État postcolonial, légitimités et territoires (1956-2002). Paris, Karthala.

Gardella, Alexis Maria-Angela — 1998, « The process of social formation on the island of Rodrigues, Indian Ocean ». PhD d’anthropologie, London School of Economics.

Gay, Denis — 2009, Les Bohra de Madagascar. Religion, commerce et échanges transnationaux dans la construction de l’identité ethnique. Berlin, LIT Verlag.

Gerbeau, Hubert — 2005, « L’esclavage et son ombre. L’Île Bourbon aux XIXe et XXe siècles ». Thèse de doctorat d’État, Université d’Aix-en-Provence.

Ghasarian, Christian — 1992, Honneur, chance et destin. La culture indienne à La Réunion. Paris, L’Harmattan. — 2002, « La Réunion : acculturation, créolisation et reformulations identitaires », Ethnologie française 32 (4) : 663-676.

Graeber, David — 2007, Lost people. Magic and the legacy of slavery in Madagascar. Bloomington, Indiana University Press. — 2013, « Culture as creative refusal », Cambridge Anthropology 31 (2) : 1-19.

Grégoire, Emmanuel — 2005, « Mondialisation : l’avenir incertain de l’île Maurice », Outre-Terre : Revue européenne de géopolitique 11 (2) : 529-543. — 2008, « Développement touristique et reproduction sociale à l’île Maurice », Civilisations 57 (1) : 91-106.

Gueunier, Noël — 1994, Les chemins de l’islam à Madagascar. Paris, L’Harmattan.

Hébert, Jean-Claude — 1983, « Les razzias malgaches aux îles Comores et sur la côte orientale africaine (1790-1820) », Études Océan Indien 3 : 5-60.

Ho, Engseng — 2004, The graves of Tarim. Genealogy and mobility across the Indian Ocean. Berkeley, University of California Press.

Horton, Mark et John Middleton — 2000, The Swahili. The social landscape of a mercantile society. Oxford, Blackwell.

Huntington, Richard — 1988, Gender and social structure in Madagascar. Bloomington, Indiana University Press.

Jauzé, Jean-Michel — 2011, Rodrigues : la troisième île des Mascareignes. Paris, L’Harmattan.

Jeffery, Laura — 2011, Chagos islanders in Mauritius and the UK. Forced displacement and onward migration. Manchester, Manchester University Press.

Kent, Raymond — 1970, Early kingdoms in Madagascar (1500-1700). New York, Rinehart-Winston.

Kneitz, Peter — 2014, « “... with 800 men” – The foundation of the Boeny kingdom (1683-1686). A critical reconstruction of a major event in Malagasy political history », Anthropos 109 : 81-102.

Kottak, Conrad — 1977, « The process of state formation in Madagascar », American Ethnologist 4 : 136-154.

Lambek, Michael — 1990, « Exchange, time and person in Mayotte. The structure and destructuring of a cultural system », American Anthropologist 92 (3) : 647-661. — 2002, The weight of the past. Living with history in Majunga, Madagascar. New York, Palgrave Macmillan.

Larson, Pier — 2000, History and memory in the age of enslavement. Becoming Merina in Highland Madagascar, 1770-1822. Oxford, James Currey. — 2001, « Austronesian mortuary ritual in history. Transformations of secondary burial (famadihana) in Highland Madagascar », Ethnohistory 48 (1-2) : 123-155. — 2009, Ocean of letters. Language and creolization in an Indian Ocean diaspora. New York, Cambridge University Press.

Lombard, Jacques — 1988, Le royaume sakalava du Menabe. Essai d’analyse d’un système politique à Madagascar, XVIIe-XXe siècle. Paris, Éditions de l’Orstom.

Maestri, Edmond ed. — 2002, Esclavage et abolitions dans l’océan Indien (1723-1860). Systèmes esclavagistes et abolitions dans les colonies de l’océan Indien. Paris, L’Harmattan.

Médard, Henri, Marie-Laure Derat, Thomas Vernet et Marie-Pierre Ballarin eds. — 2013, Traites et esclavages en Afrique orientale et dans l’océan Indien. Paris, Karthala-CIRESC.

Middletown, Karen — 2001, « Power and meaning on the periphery of a Malagasy kingdom », Ethnohistory 48 (1-2) : 171-204.

Newitt, Malyn — 1983, « The Comoro islands in Indian Ocean trade before the 19th century », Cahiers d’études africaines 23 (1-2) : 139-165.

Ottenheimer, Martin — 1991, « Social organization and Indian Ocean long-distance trade », Zeitschrift für Ethnologie 116 : 125-134.

Ottino, Paul — 1974, Madagascar, les Comores et le sud-ouest de l’océan Indien. Tananarive, Université de Madagascar. — 1986, L’étrangère intime. Essai d’anthropologie de la civilisation de l’ancien malgache. Paris, Éditions des Archives contemporaines. — 1998, Les champs de l’ancestralité à Madagascar. Parenté, alliance et patrimoine. Paris, Karthala-Orstom.

Parkin, David et Ruth Barnes eds. — 2002, Ships and the development of maritime technology in the Indian Ocean. Londres, Routledge Curzon.

Pearson, Michael — 1998, Port cities and intruders. The Swahili coast, India, and Portugal in the early modern era. Baltimore, Johns Hopkins University Press. — 2003, The Indian Ocean. Londres, Routledge. — 2006, « Littoral society. The concept and the problems », Journal of World History 17 (4) : 353-373.

Penrad, Jean-Claude — 2001, « La Shâdhiliyya Yashrûtiyya et la Alawiyya dans l’océan Indien occidental : nouveaux matériaux comoriens », in B. Scarcia Amoretti ed., Islam in East Africa. New sources. Rome, Herder : 253-273.

Pouwells, Randall — 1984, « Oral historiography and the Shirazi of East African coast », History in Africa 11 : 237-267. — 1987, Horn and crescent. Cultural change and traditional islam on the East African coast, 800-1900. Cambridge, Cambridge University Press.

Prestholdt, Jeremy — 2008, Domesticating the world. African consumerism and the genealogies of globalization. Berkeley, University of California Press.

Radimilahy, Chantal — 1998, Mahilaka. An archaeological investigation of an early town in Northwestern Madagascar. Uppsala, Department of Archeology and Ancient History.

Raison-Jourde, Françoise ed. — 1983, Les souverains de Madagascar. L’histoire royale et ses résurgences contemporaines. Paris, Karthala. — 1991, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle. Invention d’une identité chrétienne et construction de l’État. Paris, Karthala.

Rakoto, Ignace et Eugène Mangalaza eds. — 2000, La route des esclaves. Système servile et traite d’esclaves dans l’Est malgache. Paris, L’Harmattan.

Randrianja, Solofo — 2001, Société et luttes anticoloniales à Madagascar (1896 à 1946). Paris, Karthala.

Ratsivalaka, Gilbert — 1995, « Madagascar dans le sud-ouest de l’océan Indien (1500-1824) ». Thèse de doctorat d’État, Université de Nice.

Rio, Knut et Olaf Smedal eds. — 2009, Hierarchy. Persistence and transformation in social formations. Oxford, Berghahn Books.

Robineau, Claude — 1966, Société et économie d’Anjouan. Paris, Éditions de l’Orstom.

Servan-Schreiber, Catherine — 2010, Histoire d’une musique métisse à l’île Maurice, chutney indien et séga Bollywood. Paris, Riveneuve Éditions.

Shepherd, Gill — 1980, « The Comorian and the East African slave trade », in J. Watson ed., Asian and African systems of slavery. Oxford, Basil Blackwell : 73-99.

Sheriff, Abdul — 1987, Slaves, spices and ivory in Zanzibar. Integration of an East African commercial empire into the world economy, 1770-1873. Londres, James Currey. — 2010, The dhow culture of the Indian Ocean. Cosmopolitanism, commerce and islam. New York, Columbia University Press.

Stanziani, Alessandro — 2013, « Debt, labour and bondage. English servants versus indentured immigrants on Mauritius, from the late 18th to early 20th century », in G. Campbell et A. Stanziani eds., Bonded labour and debt in the Indian Ocean world. Londres, Pickering & Chatto Publishers : 75-86. — 2014, Sailors, slaves, and immigrants. Bondage in the Indian Ocean world, 1750-1914. New York, Palgrave Macmillan.

Toussaint, Auguste — 1972, Histoire des îles Mascareignes. Paris, Berger-Levrault.

Tronchon, Jacques — 1974, L’insurrection malgache de 1947. Essai d’interprétation historique. Paris, Maspero.

Tucker, Bram — 2003, « Mikea origins : relicts or refugees », Michigan Discussions in Anthropology 14 : 193-215.

Valeri, Valerio — 2009, « Marriage, rank and politics in Hawaii », in K. Rio et Olaf Smedal eds., Hierarchy. Persistence and transformation in social formations. Oxford, Berghahn Books : 211-244.

Vaughan, Megan — 2005, Creating the creole island. Slavery in 18th Century Mauritius. Durham, Duke University Press.

Vérin, Pierre — 1975, « Les échelles anciennes du commerce sur les côtes nord de Madagascar ». Thèse de doctorat d’État, Université Paris I.

Vernet, Thomas — 2009, « Slave, trade and slavery on the Swahili coast (1500-1750) », in B.A. Mirzai, I.M. Montana et P. Lovejoy eds., Slavery, islam, and diaspora. Trenton, Africa World Press : 37-76.

Wilson, Peter — 1992, Freedom by a hair’s breadth Tsimihety in Madagascar. Ann Arbor, University of Michigan Press.

Wright, Henry — 1992, « Early islam, oceanic trade and town development on Nzwani. The Comorian Archipelago in the 11th-15th centuries, AD », Azania : Archaeological Research in Africa 27 (1) : 81-128. — 2007, Early state formation in Central Madagascar. An archaeological survey of Western Avaradrano. Ann Arbor, University of Michigan Museum of Anthropology.

 

Haut de page

Notes

1 Madagascar et Maurice sont aujourd’hui les îles les plus peuplées, avec, respectivement, 23 et 1,3 million de ressortissants ; suivent La Réunion avec 840 000 habitants, Les Comores, 740 000, Mayotte, 215 000, Les Seychelles, 90 000, et Rodrigues, 41 000.

2 J’emploie ce terme à la suite de Thomas Eriksen [2007] pour désigner le travail d’appropriation, d’interprétation, de modification et de remise en circulation des flux d’idées, d’images, de techniques et de biens convergeant en un lieu à partir de sources différentes et distantes.

3 Voir E. Alpers [2014 : 10] : « The idea of an Indian Ocean littoral serves as a means to ensure that only those areas of the surrounding land masses that are effectively connected to the Indian Ocean world are included in its history. “Foreland” designates the overseas communities with which a particular coastal settlement or town interacts, “umland” indicates the immediate mainland with which the town regularly exchanges goods and shares social relations including marriages, and “hinterland” refers to the mainland zones beyond the umland upon which that settlement draws for its exports and to which its imports are distributed. »

4 Durant l’été austral, les voyages depuis Zanzibar et la côte somalienne le long de l’Arabie et de l’Inde pour parvenir jusqu’en Indonésie sont facilités par le courant nord-équatorial tandis que le contre-courant équatorial permet de faire directement la jonction de l’Indonésie vers la façade nord-orientale de Madagascar, et de là, d’atteindre Les Comores. Durant l’hiver austral, c’est le courant nord-équatorial inversé qui rend possible les départs de l’Indonésie en direction des côtes swahili septentrionales via l’Inde et l’Arabie alors qu’une route transocéanique assure, à hauteur de Malindi, la liaison directe entre l’Afrique orientale et l’Indonésie. Dans le cadre de cette circulation alternée, la navigation à voile peut se déployer du nord au sud de la côte orientale malgache à partir de Tamatave (courant sud-équatorial), du sud au nord de la façade occidentale de la Grande Île, de son extrémité sud jusqu’au cap de Bonne-Espérance (courant des aiguilles), du nord au sud des côtes africaines méridionales et, enfin, des Comores au nord-ouest de Madagascar (Majunga et Mahilaka) ou bien à destination des côtes de l’Afrique orientale (et réciproquement dans les deux cas).

5 Gwyn Campbell [2005 : 75, 221] évalue pour le XIXe siècle à 400 000 le nombre d’esclaves africains arrivés à Madagascar et à près d’un tiers la proportion d’esclaves dans la population de l’Imerina.

6 6.?Les langues swahili et comorienne ne se séparent qu’au IXe siècle. Les éléments bantous du malgache concernent surtout la maisonnée domestique et les tâches féminines telles que la poterie [Dahl 1988].

7 La dispersion de ces immigrants tout le long de la côte orientale donnera à chaque lieu d’implantation et de métissage différentes dynasties de souche commune : les Roandrian de l’Anosy, les Antambahoaka de Mananjary, les Zafirambo du pays tañala, les Hova du pays betsileo... [Ottino 1986]

8 L’existence d’une garde prétorienne et de pratiques d’accompagnement funéraire, ainsi que l’envoi de troupes aux confins de son territoire pour y obtenir des esclaves contre des bœufs et protéger par là même ses sujets de l’asservissement, en font une royauté divine étatique qui repose sur le commerce et l’exportation d’étoffes de raphia, de bois, de riz, de bétail, de sucre, de fruits et d’esclaves. Est ainsi alimentée la capitale urbaine où se presse une cour cosmopolite de marchands musulmans et occidentaux et de hauts dignitaires du royaume, dont l’un a parcouru le monde, des rivages de l’océan Indien en passant par l’Angleterre et les Pays-Bas, après avoir été réduit en esclavage lors des guerres contre la cité-État de Langany et avoir racheté sa liberté en Europe pour revenir auprès de son oncle le roi [Berger et Sanchez 2016].

9 Ces groupes ne pratiquent pas trois des cinq piliers de l’islam : la prière (salat), l’aumône (zakat) et le pèlerinage à La Mecque (hajj).

10 Parmi ces divers groupes se trouvent des esclaves affranchis, des immigrés swahili et des pasteurs d’Afrique australe.

11 Les politiques matrimoniales revêtent alors une importance majeure : le roi sakalava du Boina marie sa fille aînée au vice-gouverneur antalaotra de la baie de Majunga, puis à deux marchands, l’un arabe de Surat, l’autre swahili de Pate, afin de renforcer ses liens avec Anjouan, tandis que sa fille cadette est donnée à Ratsimilaho, ce qui inaugure l’avènement d’une génération de leaders politiques créoles, descendants de pirates mariés à des filles de chefs tribaux du littoral côtier.

12 Guerres attisées par la multiplication des ports de traite : chaque année, 10 000 mousquets sont importés de Maurice à Fort-Dauphin [Ellis 2009]. Par ailleurs, 50 000 Malgaches seront, durant cette période, déportés aux Mascareignes [Cabanes 1982] – 72 000 au total entre 1670 et 1810 [Filliot 1974].

13 L’esclavage est officiellement aboli en 1835 à Maurice, en 1846 à Mayotte, en 1848 à La Réunion, en 1891 à Anjouan, en 1896 à Madagascar, en 1902 à Mohéli et en 1904 à Ngazidja [Maestri 2002].

14 Entre l’annexion et la Seconde Guerre mondiale, les populations doublent, la pyramide des âges se transforme (la moitié de la population a moins de 20 ans à Madagascar et aux Comores) et le taux d’urbanisation dans la Grande Île passe ainsi, en un siècle, de 3 à 30 %.

15 Plus de 60 000 Comoriens seront recensés comme manœuvres, dockers, cuisiniers, gardiens, policiers ou soldats lors de l’indépendance de Madagascar.

16 Ancien botaniste du Muséum d’histoire naturelle de Paris, ce colon s’est bâti un empire commercial à Ngazidja en obtenant la moitié des terres de l’île en échange d’une rente foncière et de l’aide qu’il apportait au sultan de Bambao, le dernier à régner dans l’île.

17 Selon Jean Fremigacci, la répression fera plusieurs dizaines de milliers de morts (entre 30 000 et 40 000) dans un pays peuplé alors de 4 millions d’habitants.

18 Fondé en partie sur des investissements directs à l’étranger depuis l’Inde, ce « grand morcellement » a fait suite à la faillite des maisons de commerce anglaises et à la restructuration des domaines sucriers qui a consisté à céder les parties les moins productives aux Indiens et à regrouper les terres restantes entre les mains d’une dizaine de familles franco-mauriciennes qui assurent encore aujourd’hui la moitié de la production contemporaine [Grégoire 2005].

19 La migration anjouanaise a pris un tour dramatique avec la départementalisation, en 2011, de l’île voisine de Mayotte placée sous un strict régime de droit commun : cette dernière abrite une population composée d’un tiers d’« étrangers » essentiellement anjouanais, relevant, en partie, du statut de « clandestins », dont les périlleuses traversées et les reconduites à la frontière ont fait naître une grave crise humanitaire et éthique.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Îles et archipels de l’océan Indien occidental
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/docannexe/image/10098/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 196k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Laurent Berger et Sophie Blanchy, « La fabrique des mondes insulaires »Études rurales [En ligne], 194 | 2014, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 22 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesrurales/10098 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesrurales.10098

Haut de page

Auteurs

Laurent Berger

Articles du même auteur

Sophie Blanchy

Articles du même auteur

  • Intégrations et exclusions [Texte intégral]
    La production différenciée des hiérarchies sociales aux Comores
    Integration and Exclusion. The Differentiated Production of Social Hierarchies in the Comoros
    Paru dans Études rurales, 194 | 2014
Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search