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De la gestion de collection à l’analyse historique

La base de données Lartigue
Marianne Le Galliard
p. 141-152

Texte intégral

L’auteur tient à remercier Jean-Luc Uro et André Gunthert pour leurs précieux conseils.

  • 1 L’association des Amis de Jacques-Henri Lartigue ou Donation Lartigue existe depuis 1979. Créée sui (...)
  • 2 En 2003, à l’instigation de François Hers, alors directeur du département culturel de la Fondation (...)

1Depuis 2003, un long travail de recherche sur le fonds Lartigue a été effectué au sein de la Fondation Lartigue en collaboration avec l’association des Amis de Jacques-Henri Lartigue. La Fondation Lartigue, créée en 2000 suite à un legs de la dernière femme du photographe, Florette Lartigue, à la Fondation de France, s’est jointe à l’association Lartigue en vue de tisser des liens entre les deux patrimoines1. Ce projet s’est concrétisé sous la forme d’une base informatique permettant de recouper données iconographiques et historiques, adaptée du modèle développé par la Fondation Hartung-Bergman2. Cette collaboration a donné le jour à un outil inédit pour la recherche scientifique, tant dans le champ des études photographiques que dans celui de la méthodologie documentaire appliquée aux patrimoines artistiques.

  • 3 “La politique de numérisation en France”, version officielle du rapport d’étape français sur la pol (...)
  • 4 “Préparer l’entrée de la France dans la société de l’inform@tion”, programme d’action gouvernementa (...)
  • 5 Le catalogue des collections numérisées est consultable sur le site : http://numerique.culture.fr. (...)
  • 6 L’enregistrement des collections n’a pas été réalisé sous la forme d’inventaire normalisé. La descr (...)

2Depuis une dizaine d’années, la question de la numérisation patrimoniale est devenue un enjeu majeur dans la politique culturelle annoncée par le ministère de la Culture français. Le programme national de numérisation complétant les programmes des grands établissements publics gérant des collections artistiques (musées, bibliothèques, archives, monuments…) constitue un des grands chantiers commencé en 1996. Trois objectifs reviennent régulièrement dans les textes officiels : la diffusion la plus large des documents qui correspondrait à une « nouvelle géographie des savoirs3 », une meilleure conservation, enfin, une valorisation plus efficace pour la recherche. D’importantes campagnes de numérisation coordonnées au niveau national ou régional ont été entreprises pour garantir la pérennité des documents, ainsi que le développement de programmes de gestion au format XML, assurant la compatibilité des données d’un système documentaire à un autre. Baptisé “Préparer l’entrée de la France dans la société de l’inform@tion4”, cette grande entreprise nationale a d’abord privilégié les fonds iconographiques et sonores appartenant à l’État. Depuis 2000, elle concerne également les fonds des collectivités locales et rassemble différents fonds publics (archéologie, monuments historiques, musées, archives départementales, bibliothèques5). L’association Lartigue a bénéficié, elle aussi, de cette campagne, notamment pour ses albums. Devenue un enjeu communautaire avec le projet de Bibliothèque numérique européenne, la numérisation de masse passe pour la seule voie cohérente de gestion du patrimoine, allant de pair avec une véritable politique de valorisation des œuvres. Toutefois, la majorité des programmes existants se concentrent sur l’acquisition des textes, non des images. La notion de « portail de la connaissance » que l’on voit associée à cette politique ne s’applique pas à tous les patrimoines. On évite de mentionner le problème des droits patrimoniaux posé par les collections iconographiques. D’une façon assez contradictoire, il semble que les législations relatives au droit d’auteur se soient durcies en même temps qu’apparaissaient ces discours officiels (par ailleurs largement médiatisés) vantant les mérites d’une diffusion en ligne du patrimoine culturel. Cette course à la numérisation de masse dans un contexte de globalisation des patrimoines est fondamentale pour appréhender actuellement les politiques culturelles sur les collections iconographiques et les fonds d’archives nationaux. Dans un tel contexte, la création de la base de données Lartigue s’inscrit comme un outil hors normes6, “bricolé”, hybride, avant tout dédié à la recherche.

  • 7 La base de données est définie en droit français comme « un recueil d’œuvres, de données ou d’autre (...)
  • 8 Le moteur Tango est un outil d’exportation de données en XML qui génère des modèles de pages. La ba (...)
  • 9 L’inventaire du fonds d’archives d’André Kertész (donné en 1984 à l’ex-Patrimoine photographique et (...)
  • 10 On peut noter, par exemple, le travail d’Annie Clautres sur l’appareil critique de l’œuvre de Hans (...)

3L’originalité de la base de données7 Lartigue tient au fait qu’elle est spécifique et personnalisée au fonds Lartigue et qu’elle se développe en rapport étroit avec la lecture qui en est faite. Son autre particularité est que le chercheur/archiviste maîtrise la construction de la base, laquelle fonctionne à partir d’un moteur de recherche8 qui croise toutes les bases entre elles, chacune étant interrogeable et autonome. L’ensemble peut comporter autant de bases possibles : banque d’images, correspondance, argus de presse, bibliographie, journal… Enfin, si l’on peut parler de véritable outil de valorisation scientifique d’un patrimoine artistique, c’est grâce à son architecture web, en arborescence, qui croise le fonds iconographique et les documents d’archives. Certaines grandes institutions tendent actuellement vers ce type de système, mais dans la plupart des établissements privés ou publics qui gèrent des fonds volumineux, il est souvent question de séparer les données par département : photothèque et archives. Le grand travail du chercheur en France est ensuite d’établir les liens entre les deux, car très souvent les archives ne sont pas traitées (ce qui était le cas à l’association Lartigue, cas majoritaire)9. Ces liens multiples (images-journal, images-expositions-argus de presse…) et aisément modifiables en font ainsi un véritable outil pour les chercheurs, un système dédié à la recherche10 permettant de dégager de nouvelles problématiques sur le fonds.

  • 11 Jusqu’en 2004, l’association a partagé sa banque d’images avec l’ex-Patrimoine photographique. Cell (...)
  • 12 Il est important de noter que ce travail laborieux s’est fait aussi rapidement grâce à l’utilisatio (...)
  • 13 La Fondation Hartung-Bergman utilise ce programme dans la salle d’exposition : l’écran présente en (...)

4La base de données Lartigue s’est constituée à partir des 130 albums photo, soit 14 000 pages environ (composées par Lartigue, comportant entre une et plus de trente images contrecollées). Ces pages d’album, toutes numérisées en 1998 et 2000, constituent le « tronc commun » auquel les autres documents vont pouvoir se rattacher. À ce jour, la base contient les 14 300 notices de l’ancienne banque d’images unitaires de l’association11, dont 3 500 possèdent une image numérisée, 3 250 pages numérisées du journal tapuscrit de 1910 à 1986, les 1 500 pages de carnets numérisées de 1911 à 1921. Depuis trois ans, ont été saisis 3 500 noms complétés par une fiche biographique dans la base nom, 2 700 pièces de correspondance et 3 200 événements biographiques12. Actuellement, huit bases sont disponibles sous deux entités : la banque d’images (pages d’album, images unitaires, peinture et registre) et les archives (correspondance, journal, exposition et bibliographie). L’accès aux images peut se faire soit par les données iconographiques (albums), soit par les données historiques (journal, carnet, note, correspondance). L’évolution à l’intérieur du site est elle aussi variable, elle peut s’effectuer sous deux formes : la requête pointue en vue d’obtenir des données précises (consultation rapide et fléchée), ou alors le parcours en arborescence, dans lequel à partir d’une image ou d’une donnée (date, lieu), on accède à d’autres images accompagnées ou non d’informations provenant des archives (sorte de flux aléatoire qui brasse et véhicule en continu un grand nombre de données d’origines différentes). Celui-ci peut être très utile dans le cas d’une recherche un peu floue, non définie, qui requiert un visionnage large et multiple. L’affichage peut être lui aussi facilement et rapidement modifié. Il est en effet possible de programmer un type d’affichage en fonction d’une demande précise, il est même possible de programmer l’affichage dans le temps, ce qui s’avère assez intéressant dans le cadre d’une présentation dès que l’on a affaire à un très grand nombre d’images13. La grande souplesse technique de la base permet ainsi tout type de mise en forme, de programmation, d’affichage. Elle constitue un véritable outil de création : la configuration d’expositions virtuelles, par exemple, avec la possibilité de mettre en parallèle des documents, des données très diverses : peinture, photographies, dessins, notes, lettres, articles de presse, et de retracer l’historique de la recherche par des conservateurs, critiques. On peut imaginer qu’elle devienne, plus tard, un nouveau moyen de montrer des archives, de façon lisible et ludique, par l’intermédiaire de projections dans le cadre d’une exposition.

5Sous la direction de la Fondation de France, l’inventaire du fonds d’archives légué par Florette Lartigue a débuté en septembre 2003. Les pages d’album étant toutes numérisées, il semblait plus pertinent de créer des liens archives-images vers les pages d’album, dont le contenu est beaucoup plus riche : assemblage par Lartigue, légendes avec les détails des noms, lieux, dates, etc. Un premier répertoire de noms propres a été réalisé, tenant compte de la multitude des surnoms dans l’œuvre de Lartigue. Des recherches sur chaque personnalité (nom de jeune fille, lien avec Lartigue…) à partir du Who’s Who, des documents de l’époque et des arbres généalogiques constitués par la famille Lartigue ont aidé à l’enrichissement de la base. Celle-ci comporte environ 3 500 fiches biographiques. Quand on parcourt la base, chaque personnalité peut ainsi être documentée par sa fiche, qu’elle soit représentée sur une image unitaire, sur une page d’album, l’auteur ou le destinataire d’un courrier, évoquée dans une lettre, associée à un événement de la vie de Lartigue.

6Avant de procéder à l’indexation des pages d’album, travail qui n’avait jamais été réalisé par l’association, il a semblé judicieux de créer une base à partir d’une analyse au quotidien du journal écrit par Lartigue de 1910 à sa mort en 1986. À partir du tapuscrit, la base propose un déroulé jour après jour de la vie du photographe, accompagné d’une indexation sommaire (vacances, naissance, mariage…), la possibilité d’accéder au descriptif d’une journée ou d’une période, des liens vers les personnalités associées à un événement biographique particulier, et surtout vers les pages d’album se rapportant à l’événement décrit (3 200 événements sur la période 1910-1949). On peut y accéder à partir d’une date, d’une personnalité (en lien avec la base nom), sous forme de menus déroulants, à partir des thèmes, lieux, villes, régions ou d’un champ en texte libre pour tout type de requête. Chaque requête peut être croisée avec une autre (« 1922 » et « spectacle », par exemple, on obtient alors le détail de tous les spectacles auxquels Lartigue a participé en 1922). Un même événement indexé peut ainsi être lié à une page d’album, une page de journal ou à une page de carnet (nombreux croquis en lien vers les photographies). Certaines années ont été abondamment documentées, par exemple l’année 1911 (déroulé de 346 fiches) qui offre un descriptif au jour le jour de la vie de Lartigue.

  • 14 Les exemples restituent un aperçu des écrans d’affichage.
  • 15 Les archives sont régulièrement traitées de la sorte quand les fonds sont volumineux. C’est le cas (...)

7À partir d’un écran correspondant par exemple aux événements biographiques de l’année 191714(fig. 4), il est possible d’entrer dans le détail, de la page d’album, de la page de journal ou du carnet, et ainsi de poursuivre la circulation dans l’une ou l’autre collection documentaire répertoriée. Chaque page (note, lettre, carte postale, journal) est indexée et donc interrogeable. Le chercheur n’est alors plus confronté à un lot d’archives15, mais à une pièce unique dont l’accès peut être immédiat, facilitant ainsi une recherche pointue et détaillée.

8En ce qui concerne la correspondance, dépouillée et classée suivant un rangement matériel par catégorie, 2 700 documents (cartes postales, lettres) ont été analysés et saisis. Ceux-ci sont interrogeables par date, auteur, destinataire, contenu, personnalités évoquées et lieux. Aucune pièce n’a encore été numérisée. L’identification du fonds va permettre de sélectionner les documents les plus pertinents du fonds.

9Les 130 albums (environ 14 000 pages) ont été rassemblés sous leur forme originale, en double page. L’indexation des pages d’album (près de 3 600 à ce jour de 1870 à 1915) a été définie en collaboration avec l’association Lartigue. La banque d’images (pages d’album) est actuellement enrichie par la Fondation Lartigue, contrairement aux images unitaires qui continuent d’être traitées par l’association. Récemment, la Fondation Lartigue a transféré et ainsi juxtaposé les données de l’ancienne banque d’images unitaires de l’association à l’indexation des pages d’album, conservant ainsi une trace de leur ancien système et surtout confrontant deux types différents de méthodologie documentaire.

  • 16 Les lieux, qui se retrouvent dans les albums, le journal, la correspondance sont décrits en détail  (...)

10Dans l’ensemble, à partir d’un nom, on a accès à une fiche biographique, aux pages d’album, aux événements biographiques (lien journal et pages d’album) et à la correspondance (en auteur, destinataire et personnes évoquées). À partir d’une date, d’un lieu16 s’affichent les pages d’album sous différentes formes : en double page (affichage proche d’une consultation “réelle”), en moyen format avec des détails d’indexation, en étiquette, sous forme de vrac qui permet de visualiser rapidement une forte production (fig. 6), les événements biographiques, qui complètent une page d’album ou comblent les “blancs” entre les pages, le journal, les carnets, la correspondance, les expositions, la bibliographie et la peinture.

11L’exemple ci-dessous affiche la production artistique de 1921 (non exhaustive), les événements biographiques et la correspondance liés à cette même année (aperçu). Là encore, l’affichage n’est jamais “fermé” : le basculement peut se faire à partir des images, des thèmes d’indexation des événements biographiques, des pages de journal (vers la page suivante du journal)…

  • 17 Notons aussi que les données sont exportables sur n’importe quel système. Rien ne se perd…

12Première réalisation de ce type dans le champ de l’histoire de la photographie, la base développée par la Fondation Lartigue constitue une mise en valeur effective du patrimoine artistique lié à Lartigue. Tout en protégeant la mémoire de l’œuvre17 (les dégradations sont minimisées car la manipulation des originaux se limite au strict nécessaire), elle multiplie les axes de travail, engage des questionnements sur un contexte historique, la réception critique d’une œuvre et sur ses transformations au sein de la culture con­temporaine. Les domaines scientifiques qui pourraient être intéressés par cet outil semblent assez emblématiques de la diversité des types de recherche qu’elle propose : la sociologie, l’histoire, l’histoire de la photographie, la littérature.

  • 18 Cette question est abordée dans le livre de Kevin Moore, Jacques-Henri Lartique: The Invention of a (...)
  • 19 Un travail est actuellement mené par la biographe Carolyn Burke sur les rapports entre Lartigue et (...)

13À partir de la base, plusieurs études peuvent être envisagées, notamment sur la haute bourgeoisie du début du xxe siècle, afin de comprendre ses valeurs, ses convenances, ses habitudes, ses lieux et ses loisirs, ou encore sur la construction de la femme moderne du début du siècle à Paris. Il faudrait alors déterminer les codes des élégantes des années 1910, la représentation des actrices jusqu’au portrait de la femme des années 1930 incarnée par Renée Perle (une autre manière de poser, une plus grande liberté des modes vestimentaires, souplesse du corps désormais athlétique, dénudé, hâlé). Les documents du journal où Lartigue décrit ses relations avec sa première femme, Madeleine Messager, la correspondance et les témoignages de Dani Lartigue fournissent aussi une importante documentation sur les liens familiaux au début du xxe siècle. Il existe aussi une très large part du fonds qui décrit la famille et ses liens durant la Première Guerre mondiale (correspondance abondante entre Lartigue et sa mère) et surtout le conflit vu “hors champ” par un jeune bourgeois. Le fonds constitue une mine de renseignements sur le monde du spectacle de l’entre-deux-guerres : sur ses stars et sur les lieux de spectacle (album, journal), sur les mondanités des années 1910 et 1920 (ses villégiatures, ses couturiers, ses rendez-vous) ainsi que sur le milieu du sport au début du xxe siècle ou sur les grandes inventions de la Belle Époque (les grandes rencontres automobiles et aéronautiques). En littérature, des études consacrées au journal intime pourraient se développer à partir des multiples versions du tapuscrit en comparaison avec le journal manuscrit et les notes du carnet. En histoire de la photographie, on peut évoquer la question de la photographie instantanée en rapport avec les films de Lartigue (étude du mouvement) ou le photoreportage : les élégantes au Bois, les événements sportifs et mondains (album, publications, croquis par Lartigue, notes dans les carnets sur ses diverses lectures de magazines illustrés), sur la paternité photographique et picturale de Lartigue, sur la construction du mythe de l’artiste par lui-même et par la critique (argus de presse, films documentaires, enregistrements sonores), sur la dimension génétique de l’œuvre ou encore sur le contexte de la photographie à New York dans les années 1960 et la politique culturelle de John Szarkowski au sein du MoMA18 (analyse de l’argus de presse, de la correspondance, du journal en 1963-1964). À partir de ces notes dans le journal et la correspondance et de l’argus de presse, un projet de recherche pourrait aussi être mené sur la photographie politique et institutionnalisée en France et ses mécanismes dans les années 1970 : photographie présidentielle et reconnaissance en France de Lartigue. Dans un domaine moins valorisé en histoire de la photographie, Lartigue et son influence sur la photographie de mode pourrait faire l’objet d’un travail d’étude à travers sa correspondance avec Avedon19 et Hiro (publications, correspondance, journal, pages d’album). Une approche contemporaine de l’œuvre de Lartigue reste à être menée (étude comparée de sa réception critique maintenant et dans les années 1960, analyse des cas de diffusion : télévision, littérature, magazine, produit).

  • 20 C’est un fonctionnement généralement adopté. On le trouve par exemple appliqué au fonds de la Fonda (...)
  • 21 La base de la Fondation Hartung-Bergman conserve, par exemple, un historique des sélections d’image (...)
  • 22 Association des Amis de Jacques-Henri Lartigue, 10, rue du Parc-Royal, 75003 Paris.
  • 23 Loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société d (...)

14Comme la plupart des programmes des grandes institutions publiques et privées, la base Lartigue offre les fonctionnalités d’un outil de gestion de collection, avec la mémoire des expositions ou des publications20, proposant un historique des droits d’auteur, des ventes et mouvements des œuvres (entrée comptable, administrative et juridique). Dans ce cas, l’accès aux images ne se fait qu’à partir d’une recherche multicritères avec des entrées relatives à l’indexation iconographique. Là où la base contribue véritablement à la connaissance scientifique d’un patrimoine, c’est en fournissant un accès aux images à partir de données historiques relatives aux archives, inscrivant ainsi l’œuvre dans un contexte historique, économique, politique et sociologique. Il est aussi intéressant de noter que cette base encourageant la recherche s’en nourrit également. S’ensuit alors un système d’échange d’informations, de savoir entre le chercheur qui développe la base et celui qui s’en sert pour répondre à des problématiques de recherche21. Ce principe ne peut toutefois pas s’appliquer à tous les patrimoines artistiques. La base est d’autant plus pertinente qu’elle relie les différents ensembles documentaires liés à l’œuvre d’un artiste (fonds volumineux, œuvre conséquente et diversité des documents d’archives). Sa mise en œuvre requiert également une organisation de travail particulière, où le suivi ne peut être effectué que par une équipe très réduite dans un souci de rigueur et de cohérence. Actuellement, ce type d’architecture informatique est adapté aux fonds Camille Bryen au musée des Beaux-Arts de Nantes et au fonds de la Mission photographique de la Datar à Paris. Toutes ces interfaces sont consultables en intranet, la base Lartigue étant accessible dans les locaux de l’association Lartigue22. Pour l’instant, étant donné le contexte juridique concernant le droit d’auteur en France, qui s’est renforcé depuis juin 2006 avec le vote de la loi DADVSI23, il est difficile de dire si un accès en ligne sera un jour possible.

15La loi est en ligne sur www.assemblee-nationale.fr/dossiers/031206.asp (publication au Journal officiel le 3 août 2006).

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Notes

1 L’association des Amis de Jacques-Henri Lartigue ou Donation Lartigue existe depuis 1979. Créée suite à un don du photographe au ministère de la Culture, elle a la charge d’assurer la gestion, la conservation et la diffusion du fonds, complété en 1983 et 1986, constitué d’environ 100 000 clichés réalisés depuis 1902 (plaques sur verre, vues stéréoscopiques, pellicules souples, Autochromes, diapositives couleur) ainsi que de l’exceptionnelle collection d’albums photo (des albums de famille de 1870 à 1986 soit 130 albums) et d’appareils photographiques utilisés par Lartigue. L’association possède comme archives, l’argus de presse, le journal manuscrit de 1911 à 1986 et les carnets de 1910 à 1919. L’association assure la gestion des droits de reproduction et la gestion de l’œuvre de Lartigue pour l’édition, la création, la location d’exposition et la vente de tirages de collection signés ou non signés. Les archives de la Fondation Lartigue comprennent environ 15 000 pièces de correspondance dans les deux sens (familiale, professionnelle, amicale) dont des lettres recopiées par Lartigue, des carnets de notes et de dessins de 1910 à 1918 et des pages d’agenda de 1920 à 1922, le journal tapuscrit de 1911 à 1986 (trois versions), 1 107 peintures mises en dépôt au musée de l’Isle-Adam, notes, dessins et collection personnelle de photographies de l’artiste (300 cartes-albums, 130 stéréos).

2 En 2003, à l’instigation de François Hers, alors directeur du département culturel de la Fondation de France et directeur de la Fondation Hartung-Bergman (dont il assure toujours la direction), la Fondation Lartigue s’est rapproché de la Fondation Hartung afin de mettre en œuvre un outil de gestion informatique de ses fonds avec celui de l’association Lartigue. La Fondation Hartung-Bergman, basée à Antibes, est consacrée en février 1994 comme un organisme indépendant d’utilité publique, chargé d’assurer la conservation, l’étude et le rayonnement des œuvres de Hans Hartung et Anna-Eva Bergman. Le patrimoine est là aussi très important : l’inventaire exhaustif de l’ensemble des patrimoines de la Fondation compte plus de 52 000 numéros, hors archives. La Fondation Hartung-Bergman, outre le fait d’être un médiateur (entre un héritage artistique et des historiens de l’art, des critiques, des commissaires d’exposition et des conservateurs) et un service d’expertise et d’authentification, fonctionne aussi comme un véritable centre de recherche et de rencontre en histoire de l’art (réalisation d’un catalogue raisonné, soutien et collaboration avec des chercheurs), et comme un laboratoire en sciences informatiques tout à fait novateur en France. En effet, depuis 1994, l’équipe de la Fondation Hartung-Bergman [cinq personnes gèrent régulièrement le fonctionnement et le contenu de la base : un formateur/webmaster/archiviste Jean-Luc Uro (celui qui a “pensé” cette base il y a dix ans et l’intermédiaire principal dans mon travail sur Lartigue), un programmateur, un ingénieur informatique, deux archivistes affiliés au traitement des images et numérisations] a mis au point une base de données disponible en intranet en ses locaux, comprenant un inventaire chronologique exhaustif de la production, de la diffusion (expositions, catalogues), de la réception (argus de la presse, publications) en liens croisés avec les biographies, les archives privées et professionnelles, les films, les enregistrements sonores. Au-delà de sa dimension scientifique, la base comprend des données comptables, administratives et juridiques (historique des authentifications, droits d’auteur, contrat de prêt et dépôt) et techniques (localisation des œuvres, suivi de leurs mouvements et de leur état). En ceci, la Fondation Hartung-Bergman incarne en quelque sorte une fusion de l’association Lartigue (organisation d’expositions, publications, gestion des droits d’auteur…) et de la Fondation Lartigue (enrichissement de la base à partir des archives, développement de la base de recherche).

3 “La politique de numérisation en France”, version officielle du rapport d’étape français sur la politique de numérisation du patrimoine. En ligne sur : http://www.culture.gouv.fr/mrt/numerisation

4 “Préparer l’entrée de la France dans la société de l’inform@tion”, programme d’action gouvernemental, Premier Ministre, service d’information du gouvernement, 1997. Ce programme d’action comprend une rubrique “Numériser le patrimoine culturel français et diffuser les données culturelles sur internet”. Voir pour cela le site http://www.culture.fr

5 Le catalogue des collections numérisées est consultable sur le site : http://numerique.culture.fr. (1 125 collections dans 453 institutions sont décrites).

6 L’enregistrement des collections n’a pas été réalisé sous la forme d’inventaire normalisé. La description n’est pas non plus conforme aux normes internationales de description des archives ISAD(G) formulée par le Conseil international des archives. C’est pourquoi il est effectivement possible de parler de base “bricolée”.

7 La base de données est définie en droit français comme « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen », article L 112-3, al. 2 du CPI, issu de la loi du 1er juillet 1998.

8 Le moteur Tango est un outil d’exportation de données en XML qui génère des modèles de pages. La base de données des saisies externe est gérée indépendamment. Notons ici que le créateur informaticien ne revendique pas de droits d’auteur sur la base étant donné que le tout est géré par un logiciel qui crée lui-même les bases de données. Cette question importante de la création multimédia est étudiée dans Marie Cornu, Nathalie Mallet-Poujol, Droit, Œuvres d’art et Musées ; protection et valorisation des collections, Paris, CNRS Éditions, 2006, p. 537.

9 L’inventaire du fonds d’archives d’André Kertész (donné en 1984 à l’ex-Patrimoine photographique et désormais géré par le musée du Jeu de paume) serait toujours en cours de réalisation…

10 On peut noter, par exemple, le travail d’Annie Clautres sur l’appareil critique de l’œuvre de Hans Hartung en étroite relation avec la base de la Fondation Hartung-Bergman : Annie Clautres, Hans Hartung, les aléas d’une réception, Les Presses du réel, Dijon, 2005.

11 Jusqu’en 2004, l’association a partagé sa banque d’images avec l’ex-Patrimoine photographique. Celle-ci, relativement classique (entrées multiples : date, personnalité, thème, légende, exposition) et élaborée par le Patrimoine photographique, portait sur différents fonds iconographiques : le fonds Lartigue, celui du Patrimoine photographique (studio Harcourt, François Kollar, Sam Lévin, André Kertész…). Ainsi, l’indexation des images unitaires, réalisée à partir d’un thesaurus commun aux différents fonds inventoriés, n’était pas toujours viable quand il était question de rechercher des images correspondant à une requête déterminée. La base comportait aussi une partie pour la gestion comptable et administrative, retranscrivant l’historique des ventes de tirages.

12 Il est important de noter que ce travail laborieux s’est fait aussi rapidement grâce à l’utilisation de cotes simples et uniques, facilitant aussi une grande circulation entre les documents. Généralement, les lieux traitant des images et des archives se servent de cotes parlantes (longue suite de chiffres et lettres, difficilement manipulable dès qu’il est question de lier les documents entre eux), qui servent d’identifiant à l’objet. Ce système, “rassurant” (la description de l’objet est dans son identifiant), malheureusement redondant (l’objet est identifié dans sa notice et par sa cote), freine et complique l’opération de la saisie.

13 La Fondation Hartung-Bergman utilise ce programme dans la salle d’exposition : l’écran présente en continu toute la production artistique de Hartung d’une année par type d’œuvre. La base de la Fondation Hartung-Bergman donne aussi la possibilité d’afficher les toiles et les œuvres sur papier en conservant les dimensions proportionnelles, ce qui s’avère être un paramètre très intéressant dès qu’il est question, par exemple, de reconstituer une exposition mêlant dessins préparatoires et peintures.

14 Les exemples restituent un aperçu des écrans d’affichage.

15 Les archives sont régulièrement traitées de la sorte quand les fonds sont volumineux. C’est le cas aux Archives nationales, aux Archives du musée national d’Art moderne (les premières lignes des courriers et notes sont interrogeables) et, par exemple, sur la base des archives GAAEL conçue par l’INHA (En ligne : www.inha.fr/rubrique.php3?id_rubrique=66).

16 Les lieux, qui se retrouvent dans les albums, le journal, la correspondance sont décrits en détail : nom de l’hôtel/villa/restaurant/lieu de spectacle (environ 550 noms), adresse avec numéro (150 adresses), ville (350 villes), région, pays. Les chiffres correspondent aux lieux saisis jusqu’ici en sachant que le travail sur les pages d’album est en cours ainsi que l’analyse du journal.

17 Notons aussi que les données sont exportables sur n’importe quel système. Rien ne se perd…

18 Cette question est abordée dans le livre de Kevin Moore, Jacques-Henri Lartique: The Invention of an Artist, Princeton et Oxford, Princeton University Press, 2004.

19 Un travail est actuellement mené par la biographe Carolyn Burke sur les rapports entre Lartigue et Richard Avedon au cours des années 1960-1970.

20 C’est un fonctionnement généralement adopté. On le trouve par exemple appliqué au fonds de la Fondation Henri Cartier-Bresson, par la base Trace de l’ancien Patrimoine photographique, aux patrimoines des fondations étrangères : Warhol, Keith Haring, Pollock-Krasner, Henry Moore…

21 La base de la Fondation Hartung-Bergman conserve, par exemple, un historique des sélections d’images des chercheurs, conservateurs, critiques et historiens venus consulter la base.

22 Association des Amis de Jacques-Henri Lartigue, 10, rue du Parc-Royal, 75003 Paris.

23 Loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information. Le projet adopté le 30 juin 2006 par l’Assemblée nationale rejette l’exception pédagogique pour l’enseignement et la recherche pour un usage des œuvres visuelles. La loi stipule que dans le cadre de l’enseignement ou de la recherche, la représentation ou la reproduction d’œuvres est autorisée en échange d’une rémunération forfaitaire. Elle applique ici un droit contractuel limitant l’utilisation et l’exploitation des images dans un but scientifique. Cette loi s’applique bien évidemment à l’utilisation des bases de données, ce qui explique l’accès extrêmement limité à la base de données Lartigue.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marianne Le Galliard, « De la gestion de collection à l’analyse historique »Études photographiques, 19 | 2006, 141-152.

Référence électronique

Marianne Le Galliard, « De la gestion de collection à l’analyse historique »Études photographiques [En ligne], 19 | Décembre 2006, mis en ligne le 22 septembre 2008, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesphotographiques/2493

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Auteur

Marianne Le Galliard

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