Navigation – Plan du site

AccueilNuméros49-2Comptes rendusColum McCann, Diane Foley, Americ...

Comptes rendus

Colum McCann, Diane Foley, American Mother

Bertrand Cardin
p. 155-157
Référence(s) :

Colum McCann, Diane Foley, American Mother, Londres, Bloomsbury, 2024, 240 p. ; traduction française : American Mother, Clément Baude (trad.), Paris, Belfond, 2024, 197 p.

Texte intégral

1En Europe, rares sont ceux qui se souviennent du nom de James Foley, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis, où tout le monde sait qui il est. James Foley est un journaliste freelance, un courageux reporter de guerre, animé d’un désir de dénoncer des injustices en Irak, en Afghanistan, en Libye où il est enlevé pendant six semaines en 2011 avant d’être libéré et de témoigner de sa captivité.

2L’année suivante, en 2012, alors qu’il couvre la guerre en Syrie, il est kidnappé par des terroristes de Daech, torturé, séquestré avec des Européens pendant presque deux ans, durant lesquels ses ravisseurs menacent de le tuer si les bombardements américains au nord de la Syrie ne cessent pas. En août 2014, James Foley est finalement assassiné. Sa mort dans le désert est véritablement mise en scène : l’exécution par décapitation fait l’objet d’un enregistrement vidéo diffusé sur Internet qui fait le tour du monde. C’est par ce biais que ses parents apprennent la mort de leur fils : Twitter relaie une vidéo où James, à genoux à côté de l’un de ses ravisseurs, est forcé de prononcer un « message à l’Amérique » rédigé par les djihadistes, après quoi il est exécuté sous l’œil de la caméra. Son corps tombe à plat ventre dans le sable. L’homme en noir qui lui a tranché la gorge pose la tête coupée sur son dos. Les parents de James voient ces images et ont la confirmation par l’agence de presse qui l’emploie qu’il ne s’agit pas d’un montage, mais que leur fils a bien été assassiné.

3Bien sûr, dans tout le monde occidental, cette vidéo a un retentissement considérable. Comme tous les Américains, Colum McCann, écrivain irlandais vivant à New York depuis trente ans, apprend ces événements et découvre par hasard, parmi les nombreuses images de James Foley diffusées par les médias, une photo prise alors que le jeune homme était sur le terrain en Syrie. On le voit assis dans un bunker, vêtu d’un gilet pare-balles, tout entier absorbé par la lecture d’un roman… précisément signé Colum McCann. Il s’agit en effet de Let the Great World Spin (2009). L’écrivain est étonné, mais aussi flatté et, au fil du temps, hanté par cette image.

4Six ans plus tard (2020), Colum McCann rencontre Diane Foley, la mère de James. Ils parlent beaucoup de cette terrible expérience, de la vie de James, garçon drôle, généreux, attachant, mais que tout le monde a tendance à oublier au fil du temps, ce qu’elle déplore. Ils sympathisent à tel point que lorsque l’un des assassins de son fils, Alexanda Kotey, est arrêté, transféré aux États-Unis où il plaide coupable et doit être jugé, Diane manifeste l’envie de le rencontrer pour lui parler. Son mari, lui, ne veut pas aller voir l’assassin de son fils. Alors, elle propose à McCann de l’accompagner. « Ce sujet est venu me chercher », dit-il.

5C’est ainsi que Colum McCann écrit American Mother, en collaboration avec Diane Foley. Dans son ouvrage précédent, Apeirogon, il raconte une histoire vraie, le deuil de deux pères, l’un Israélien, l’autre Palestinien, qui ont chacun perdu une fille dans le conflit, et qui, unis dans une douleur commune, finissent par tisser des liens d’amitié. La proposition que lui fait Diane Foley le place de nouveau du côté d’un parent meurtri, souffrant, dans un tourbillon d’émotions où se mêlent colère, désir de vengeance d’une part, et écoute, compassion, aspiration au pardon, d’autre part.

6Bien sûr, la colère de Diane Foley se porte sur les terroristes barbares de l’État islamique, mais aussi sur les autorités politiques américaines parce qu’elle ne comprend pas pourquoi les otages européens ont tous été libérés, alors que les Américains ont été assassinés les uns après les autres. Contrairement à la France, à l’Espagne ou au Danemark, les États-Unis refusent par principe de payer une rançon, ce qui serait, d’après eux, une manière de céder au chantage des terroristes et risquerait de susciter de nouvelles prises d’otages. Alors que la famille Foley envisage de récolter des fonds pour libérer les Américains détenus là-bas, le gouvernement fédéral lui signifie qu’elle encourt des poursuites judiciaires si elle prend des initiatives contraires à celles de l’administration Obama. Pour Diane Foley, il est incompréhensible que la libération des otages ne soit pas une priorité pour un gouvernement de pays démocratique. Elle est déçue par le président Obama qui ne lui téléphone que deux jours après la mort de son fils pour lui dire à quel point il est désolé de ce qui s’est passé. Juste après, elle le voit rire à la télévision lors d’une partie de golf à Martha’s Vineyard ; c’est le mois d’août, le président est en vacances… Le coup de fil du pape François, en revanche, et la compassion dont il témoigne, la touchent beaucoup.

7Dans le tribunal de Virginie, en l’observant face à Alexanda Kotey, Colum McCann perçoit en Diane Foley une femme exceptionnelle, une mère-courage capable de voir l’humanité de l’homme qui a tué son fils. Au bout de plusieurs rencontres, elle parvient à faire pleurer le terroriste. La dernière fois qu’ils se voient, l’année dernière, il lui serre la main, geste qui lui est interdit en tant que musulman radical : en effet, il ne peut avoir un contact physique qu’avec sa mère, sa femme ou sa fille. Ce geste signifie qu’il voit en elle la mère de tous. Quelques jours plus tard, il lui écrit pour lui signifier que sa détention à perpétuité lui laisse beaucoup de temps pour réfléchir et prendre du recul, qu’il a fait partie d’une organisation qui a ses torts. Il y exprime ses regrets, présente ses excuses pour ce que la famille de James a dû endurer et lui demande pardon.

8Alexanda Kotey a grandi à Londres. Il était citoyen britannique. Son père, ghanéen, est mort lorsqu’il avait deux ans. Il a été élevé par une mère grecque, a vite basculé dans le trafic de drogue, connu la dérive, puis s’est converti à l’islam, a rejoint le groupe État islamique et s’est engagé dans la guerre au Moyen-Orient. Au tribunal, il peut se montrer arrogant, manipulateur, insupportable, mais parfois aussi touchant, humain, intéressant. Il a 40 ans aujourd’hui et va passer le reste de ses jours dans une prison du Colorado.

9Diane Foley, elle, est une femme américaine de 73 ans, épouse de médecin, mère de cinq enfants, fervente catholique, qui puise sa force dans le recueillement et la prière. Dès sa première rencontre avec McCann, elle exprime le souhait d’apporter un peu de réconfort au monde, et tous deux considèrent que l’acte même de raconter une histoire comme celle-ci peut être source de réconfort. C’est une manière d’agir, tout comme Diane Foley a agi en créant une fondation à la mémoire de son fils pour venir en aide aux otages américains et soutenir leurs familles. Elle fait tout ce qu’elle peut et pense avoir retrouvé la paix aujourd’hui.

10American Mother est un texte très fort, d’autant plus fort qu’il relate des faits réels, dont les protagonistes ne sont pas des personnages de fiction, mais des personnes. De toute façon, pour McCann, la distinction entre fiction et réalité n’a plus de sens aujourd’hui. Cet ouvrage tente d’apporter des réponses à des questions telles que : comment rester debout face à l’horreur ? Comment regarder dans les yeux celui qui vous a enlevé ce que vous aviez de plus précieux ? Peut-on pardonner à l’assassin d’un de ses proches ? Comment garder espoir dans un contexte si violent ? American Mother de Colum McCann et Diane Foley est un livre puissant, bouleversant. La mère de James fait montre d’une noblesse, une grandeur d’âme qui force le respect et l’admiration. Il s’agit là d’une belle leçon d’humanité, de dignité, de magnanimité.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Bertrand Cardin, « Colum McCann, Diane Foley, American Mother »Études irlandaises, 49-2 | 2024, 155-157.

Référence électronique

Bertrand Cardin, « Colum McCann, Diane Foley, American Mother »Études irlandaises [En ligne], 49-2 | 2024, mis en ligne le 08 novembre 2024, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesirlandaises/19005 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12nwx

Haut de page

Auteur

Bertrand Cardin

Université de Caen Normandie

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search