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SAES 2009 — « Essai(s) »

Le luth en Écosse, essai d’intégration à la vie musicale européenne

The Lute in Scotland — Keeping in Touch with European Musical Life
Jacques Tranier
p. 147-162

Résumés

Bien que située aux confins septentrionaux de l’Europe, l’Écosse fut toujours impliquée dans les affaires et tumultes politiques de l’Europe. Concernant la musique, la cour écossaise au xvie siècle demeura ouverte aux influences continentales, particulièrement celles exercées par la France. Le luth, instrument universel en Europe, s’imposait comme l’instrument aristocratique par excellence. Au sein de l’énorme répertoire composé pour cet instrument, les manuscrits écossais pour luth reflètent assez fidèlement la destinée politique et culturelle du pays, laquelle différait peu de ce qui se passait sur le continent jusqu’en 1603. Lorsque la cour de Jacques VI quitta le pays cette année-là, elle laissa un vide culturel que l’aristocratie du cru tenta de remplir en prolongeant la vie de cour centrée sur la poésie et la musique où le luth jouait un grand rôle. Les six manuscrits qui nous sont parvenus en témoignent. Une fois la cour installée à Londres, la musique écossaise traditionnelle pour violon mise en tablature pour luth fit son apparition dans quelques manuscrits, le roi et son entourage ne fournissant plus de modèle à imiter dans les châteaux et manoirs. Nous avons donc hérité d’un répertoire absolument unique dans la riche histoire du luth.

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Texte intégral

1Le répertoire écossais pour luth prouve que l’Écosse, en dépit de son éloignement géographique, resta au diapason de la vie culturelle continentale. Le contenu des six manuscrits pour luth datant du xviie siècle reflète la nature des liens culturels que tissait l’Écosse et les circonstances historiques déterminant l’histoire musicale du pays, d’une part la vieille alliance conclue avec la France pendant la guerre de cent ans et d’autre part, le départ définitif de la cour écossaise pour Londres en 1603.

2La quantité de musique destinée au luth est un indice probant du statut dont jouit cet instrument incontournable dans un pays donné, et du degré d’implication musicale de ce pays dans la vie musicale en Occident. Dans l’Europe des xvie et xviie siècles, les morceaux à succès traversent constamment les frontières et connaissent nombre d’avatars. Ainsi l’origine des pièces figurant dans les manuscrits écossais nous renseignera-t-elle sur le degré d’ouverture et d’intégration à l’Europe culturelle. En Écosse, la pratique du luth manifeste un assez grand degré d’indépendance vis-à-vis de la florissante école de luth anglaise, laquelle honnit parfois les luthistes français, alors que l’Écosse les accueille à bras ouverts, cultivant assidûment des liens avec la France.

  • 1 On trouve encore périodiquement des manuscrits inédits venant ajouter des pièces à un répertoire dé (...)

3Mais en quoi le luth est-il révélateur de l’activité musicale d’un pays ? Il convient ici de toucher quelques mots du contexte qui fit du luth l’instrument occidental pour lequel on a écrit le plus de musique — environ 50 000 pièces, de la Renaissance à la première moitié du xviiie siècle1. Ceci pour bien saisir en quoi le luth est l’instrument emblématique de la Renaissance, instrument dont l’importance perdura pendant tout le xviie siècle.

Le luth et sa musique en contexte

  • 2 « La nuit de mai », extrait de Les nuits (1835-1837), mai 1835.

4Lorsque Alfred de Vigny écrit « poète prends ton luth2 », formulation devenue aujourd’hui un poncif, il reprend à son compte l’écho affaibli au xixe siècle de ce que fut la renommée du luth, et surtout, l’alliance indissociable de la poésie et de la musique pendant des siècles. Tombé en désuétude dans la deuxième moitié du xviiie siècle, le luth retrouve peu à peu sa place à présent et son timbre délicat charme de nouveau l’ouïe de l’auditeur.

5À la Renaissance, le luth jouit d’un statut considérable, d’Espagne en Hongrie et d’Écosse en Sicile. On lui associe la lyre d’Apollon ou des poètes mythologiques Orphée, Arion et Amphion. La lyre d’Arion, principe de l’harmonie universelle, a des vertus magiques, capables de déplacer des pierres ou d’amadouer les bêtes féroces, car grand s’avère son pouvoir sur les âmes et la matière. Même lorsque l’emprise de la mythologie antique commence à décroître au xviie siècle, le luth, instrument aristocratique par excellence, continuera d’incarner l’idéal d’élégance et de bon goût que décrit Baltassare Castiglione dans Il libro del cortegiano publié en 1528, ouvrage qui eut une importance décisive sur les mœurs aristocratiques de l’époque, et même bien plus tard.

  • 3 Albrecht Dürer utilise le luth pour son traité des proportions De Symmetria (1538). Le luth illustr (...)
  • 4 Le mot « luth » est la déformation de l’arabe el oud (« le bois »), instrument dit « monoxyle », c’ (...)
  • 5 Pour les Arabes, le luth est l’instrument du philosophe.
  • 6 Voir, entre autres nombreuses allusions au luth, le discours d’Ulysse dans Troilus and Cressida : « (...)

6Le luth, symbole de l’harmonie universelle, est l’instrument résumant à lui seul l’esprit de la Renaissance, époque encore en partie empreinte de cosmologie médiévale avec sa symbolique et son système de correspondances complexes : la géométrie du luth ainsi que ses proportions font l’objet de savantes études de géométrie3 ; de ses origines arabes4 il conserve aussi en Occident tout un substrat métaphysique, avec les associations liées à son timbre et sa forme, l’unissant à l’ordre cosmique5 ; ainsi ceux qui l’ouient tombent-ils sous son charme ; le luth passe pour avoir sur l’âme et les « humeurs » une influence quasi magique ; de nombreux tableaux d’époque montrent le luth entre les mains de courtisanes, ou de femmes tout en partie dénudées signifiant symboliquement son grand pouvoir de séduction, encore que ce mode de représentation ne soit pas exclusif (cf. annexe 1) ; sous le pinceau des artistes, de tous les instruments, le luth est celui incarnant le plus souvent la musique et en particulier le sens de l’ouïe dont il se fait volontiers l’allégorie ; symboliquement, la dextérité du luthiste se compare aux capacités indispensables à tout bon gouvernant pour établir des accords durables et des traités efficaces. Qu’un souverain pratique le luth devient dans pareil contexte un puissant symbole. Un grand de ce monde voyage avec ses luthistes attitrés, gage de prestige. À l’inverse, le symbole de la corde de luth cassée ou désaccordée figure la rupture de l’équilibre du monde6.

  • 7 Des inventaires d’ateliers de familles de luthiers célèbres (les Frei et les Tieffenbrücker) montre (...)

7Des bourgeois aussi s’essaient au luth. Ainsi se crée un marché justifiant pléthore de musique imprimée, et réimprimée, dont des méthodes de luth. Les luthiers vendent des instruments à tous les prix, importent, exportent, revendent des instruments d’occasion pour satisfaire la demande7.

8L’abondante littérature imprimée n’exclut pas du reste la compilation manuscrite de pièces par des amateurs, à une époque ou l’oralité reste prépondérante, et les livres, chers. Enfin, le système de notation dit « tablature » indiquant où poser les doigts sur la touche dispense de déchiffrer des notes et permet de transposer automatiquement une pièce en changeant simplement d’instrument (cf. annexe 2).

Le luth en Écosse

  • 8 La tablature est un système de notation musicale qui permet au musicien de déchiffrer directement l (...)

9Les seules sources de musique pour luth en Écosse consistent en manuscrits compilés par des amateurs aristocratiques. Il faut attendre la fin du xviie siècle pour voir apparaître en Écosse les premiers ouvrages de musique imprimée. Ceci contraste avec la pléthore de publications sur le continent : sans doute n’existait-il pas un public d’amateurs suffisant, en dehors de la cour, pour justifier l’édition de recueils de musique pour luth8.

  • 9 Cf. annexe 2.

10Les six manuscrits écossais (cf. annexe 3) couvrent l’ensemble du xviie siècle jusqu’en 1700 : ils regroupent 160 airs traditionnels écossais, soit 40 % du total, représentant environ 400 pièces. Ces manuscrits portent en général le nom du compilateur9. Détail symptomatique, ces compilateurs ont parfois eu des liens directs avec le continent, notamment la France : Robert Gordon of Straloch, compléta ses études à Paris ; John Skene of Halyards étudia le droit à Paris et fut ambassadeur d’Écosse aux Pays-Bas en 1591 ; un des tomes du Panmure est le recueil d’un élève écossais à Paris du luthiste René de Mésangeau. Le manuscrit Wemyss, lui, illustre la manière dont au milieu du xviie siècle de jeunes aristocrates écossais cultivés composaient des sortes d’aide-mémoire, pour un instrument accordé selon les « accords nouveaux » caractéristiques des premières décennies du luth baroque français. Quant au Balcarres daté de 1700, il offre en autres pièces une riche collection d’airs populaires au tournant du xviiie siècle, les originaux étant pour violon. Ces pièces populaires signalent l’épuisement des sources musicales d’origine aristocratique et le déclin amorcé du luth.

11Les manuscrits écossais pour luth reflètent parfaitement son évolution et son accord, d’abord Renaissance en quartes (ou « vieil ton »), puis « accords nouveaux », dans les premières décennies du xviie siècle, période transitoire où les compositeurs français essaient de nouvelles manières d’accorder l’instrument, puis enfin accord baroque en tierces (accord à vide de  mineur, à la tonalité plutôt mélancolique). Outre les pièces importées, ils renferment nombre de morceaux d’inspiration traditionnelle compilés par des aristocrates du cru. Ceci est conforme à la pratique des xvie et xviie siècles, qui voit une circulation plus fréquente qu’on ne le croit entre airs savants et airs populaires, même si la culture aristocratique feint de dédaigner ces derniers.

12Le nombre et la variété des sources d’inspiration écossaises n’a rien d’étonnant. Ce sont les circonstances historiques et politiques qui éclairent ce phénomène.

Une présence attestée depuis longtemps, en lien avec le continent

  • 10 Comme, par exemple, un plafond au château de Crathes dans le Kincardineshire, illustrant les neuf m (...)
  • 11 Thomas of Ercyldoune (1219-1299) ; Richard Holland, Book of the Howlate, c. 1450 ; Gawain Douglass (...)

13La pratique du luth en Écosse se trouve attestée dès le xiiie siècle, étant probablement plus ancienne encore. Tous les instruments médiévaux à vent ou à cordes pratiqués sur le continent se retrouvent en Écosse. Au xvie siècle le luth y est fermement établi, comme dans le reste de l’Europe. L’iconographie10 et maints poèmes mentionnant le luth dès le Moyen Âge attestent l’importance de l’instrument dans la vie musicale écossaise11.

  • 12 Les comptes royaux (« Household Accounts ») tenus par les Lords High Treasurers couvrant les xve et (...)
  • 13 Il joua d’ailleurs de la harpe en l’honneur de sa femme le jour de son mariage. William Bellenden é (...)
  • 14 R. Phillips, introduction à Music for the Lute in Scotland, Kinmore Music, Shillinghill, Temple, Éc (...)

14Les rois écossais avaient leurs luthistes attitrés ou « lutars », quand ils ne touchaient pas eux-mêmes du luth12. Jacques VI en jouait, ainsi que de la harpe, s’il faut en croire l’érudit écossais contemporain William Bellenden13. Le luthiste et musicologue écossais Robert Philips (alias Robert MacKilop) estime aujourd’hui qu’on ne trouvait jamais moins de quatre luthistes à la cour écossaise. Jacques IV achète un luth en 149614. En 1503 il épouse l’Anglaise Margaret Tudor qui amène avec elle ses quatre musiciens, dont deux luthistes (on considère alors les musiciens comme des domestiques, tenus de suivre leur maître dans ses déplacements).

15Les liens commerciaux qu’entretient l’Écosse avec les Flandres influent sur la vie musicale nationale, sans doute accélérées par le mariage de Jacques II avec la fille d’un duc de Guelderland en 1449. De 1473 à 1512 la cour écossaise envoie dans les Flandres des luthistes pour qu’ils perfectionnent leur art dans le pays alors considéré comme le modèle absolu en matière musicale. La pièce du manuscrit écossais Rowallan intitulée « Sybit Saint Nicklas » (déformation de « Sweet Saint Nicolas », folios 8 et 9) est d’inspiration manifestement flamande quant au style, évoquant par exemple le luthiste d’origine française établie en Flandres Nicolas Vallet (1586-1642).

  • 15 Ibid., p. 10.
  • 16 Ibid., p. 8.
  • 17 On peut voir à la Scottish National Portrait Gallery un portrait inachevé de Rizzio jouant du luth, (...)

16L’influence française va se faire sentir pendant un siècle sur le luth écossais avec le mariage de Jacques V en 1537 avec Madeleine de France, fille de François Ier, puis, à la mort prématurée de cette dernière, à Marie de Guise. Il est très probable que celle-ci ait amené quelques luthistes de sa suite en Écosse. L’instrument préféré de Jacques V était le luth et quand il accède au trône en 1526, un de ses premiers actes consiste à en commander un pour 2 £, un autre 5 ans plus tard et un troisième en 153815. Son prédécesseur Jacques IV avait d’ailleurs payé 6 shillings et 8 pence pour un luth en 149616. La cour écossaise se trouve dominée par des musiciens italiens et français au milieu du xvie siècle. Ceci n’est pas sans poser d’ailleurs quelques problèmes dans le contexte européen lié à la Réforme : on connaît le sort réservé par des nobles protestants écossais au secrétaire particulier de Mary Stuart, David Rizzio, soupçonné d’être un agent papiste œuvrant au renversement du protestantisme, au demeurant bon luthiste et objet de la jalousie de Lord Darnley, époux de Marie Stuart17.

  • 18 Son précepteur de français Buchanan et la bibliothèque de sa mère riche en poètes français contempo (...)
  • 19 Henry George Farmer, Music in Medieval Scotland, Londres, 1930, p. 21.

17Les échanges musicaux entre Écosse et France sont attestés dès la fin du Moyen Âge : au xve siècle Charles VII emploie un ménétrier de court écossais18, John Fary, et plus tard Henri IV aura deux luthistes écossais, Charles et James Hedington, qu’il appréciera particulièrement19. Dans les années 1580 les « Branles d’Écosse » sont la coqueluche de la cour française, alors que cette danse en rond villageoise se pratiquant à la campagne comme à la cour de France connaît un grand succès en Écosse sous le nom de « French brawl ».

  • 20 Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme (1540-1614), chroniqueur de la Renaissance, se rendit en (...)
  • 21 R. Phillips, op. cit., p. 10.

18Le luth est l’instrument de cour préféré que pratique Mary Queen of Scots, élevée en France, dont le secrétaire particulier, l’Italien David Rizzio, est aussi luthiste et chanteur. D’après De Brantôme20, Mary chante fort bien et s’accompagne elle-même au luth. Au baptême de Jacques VI, c’est John Hume, luthiste principal de Mary, qui est chargé d’organiser toute une semaine de musique et de « masques », c’est-à-dire de spectacles mêlant danse, musique, chant et poésie autour de thèmes symboliques21. Il est peu probable que le luth n’ait pas figuré en bonne place dans pareilles réjouissances.

  • 22 En 1537, le poète Ronsard, en tant que page de Madeleine de France, fit partie de la suite accompag (...)
  • 23 Au nouvel an marquant le passage de 1583 à 1584 fut organisé le couronnement du roi-poète et poète- (...)

19Le luth anglais influence relativement peu l’Écosse, alors tournée vers les Flandres, l’Italie et surtout la France. À cette dernière les luthistes écossais empruntent certains genres, la Courante, le Branle. D’autres danses venues de France vont influencer le répertoire pour luth écossais : pavanes, gaillardes, canaries, sarabandes, allemandes, bergamasques : elle figurent en bonne place dans les manuscrits. Le luth supplante la harpe cordée de boyau des Lowlands sous le règne de Mary. Il n’est sans doute pas fortuit que le fils d’une reine élevée en France, Jacques VI, lui-même poète et grand amateur de poésie française22, soit tombé dans sa jeunesse sous l’influence de d’Aubigny, Duke of Lennox, parent catholique d’origine française qui parvint à exercer un grand ascendant sur la cour d’Écosse, jusqu’à ce que les seigneurs protestants soustraient le jeune Jacques VI à l’influence de d’Aubigny et défassent militairement ce dernier en 1582. En fait, il semble que ce soit d’Aubigny qui ait ouvert l’esprit du roi aux subtilités de la vie spirituelle de cour, avec ses joutes intellectuelles et poétiques. Jacques VI créa en 1583 le « Castalian Band », cercle de poètes et musiciens s’appliquant à imiter en Écosse leurs homologues italiens et français. Jamais le luth ne connut période aussi propice avec un tel mécène des arts littéraires et musicaux, que les poètes thuriféraires à la cour assimilaient dans leurs vers au dieu Apollon23.

20Jacques VI fut le dernier souverain écossais à favoriser le jeu du luth et l’accueil de musiciens continentaux. Sous son impulsion, la poésie galante célébrant l’amour et les joies charnelles de la vie fleurit : le luth ne pouvait qu’en être le compagnon obligé, capable qu’il était de tenir les voix inférieures dans une chanson à quatre ou cinq parties, ou de doubler les chanteurs.

21La cour inspire alors la pratique musicale chez les aristocrates du pays, au point qu’une fois la cour partie, il se trouvera encore nombre d’amateurs pour perpétuer une certaine vie musicale et poétique mais cette fois en l’absence du centre de gravité qu’avait été la cour. À partir de 1603, le départ de celle-ci pour Londres crée un grand vide musical en Écosse, car c’est elle qui donnait le ton dans les châteaux des seigneurs. Les amateurs de musique continuèrent à emprunter au continent mais se tournèrent de plus en plus vers le répertoire des générations précédentes ou de la musique traditionnelle, sorte de repli sur le fonds culturel national. Une « Gaillarde » du manuscrit Rowallan nous renvoie tout droit au style musical de la Renaissance, alors que nous sommes au début du xviie siècle. C’est en partie à cet épuisement de la vie musicale de cour en Écosse que l’on doit de voir figurer dans les manuscrits tant de morceaux traditionnels. Tout se passe comme si la culture populaire reprenait une partie de ses droits.

22Les luthistes écossais avaient importé le style de composition typique du luth français au xviie siècle, le « style brisé », consistant à utiliser les accords de manière mélodique en les « étirant » horizontalement. Tel est le cas, par exemple, d’une « Courante », genre musical très prisé au xviie siècle, figurant dans le manuscrit Wemyss : elle illustre la courante à la française, avec ses divers rythmes pointés, ses cadences caractéristiques du baroque naissant, et surtout, ses accords brisés (cf. annexe 4). De même que la poésie écossaise en Scots à la cour de Jacques VI se nourrissait de l’exemple français sans pour autant renoncer à ses idiotismes traditionnels (les vers allitératifs, par exemple) cette courante témoigne de l’alliance remarquable d’une structure formelle à la française servant de cadre à une mélodie aux accents on ne peut plus écossais : on y voit l’ouverture à la culture musicale continentale venant se greffer sur un substrat musical autochtone.

  • 24 Le mouvement inverse a aussi existé ; il en est ainsi de la musette dite « de cour » et de la vièle (...)
  • 25 Ainsi de la pièce intitulée « General Lelly’s Goodnight » (manuscrit Wemyss) : le « Goodnight » est (...)

23Le répertoire pour luth d’après 1603 est toujours constitué d’emprunts contemporains à l’étranger, de pièces héritées d’époques antérieures, déjà passées de mode ; mais on voit émerger un répertoire natif très typé, unique dans l’histoire du luth, qui tire sa substance du fonds musical gaélique dont les originaux sont pour harpe écossaise ou violon (ce dernier à partir du milieu du xviie siècle). Et, comme sur le continent, ce répertoire adapte une partie de la tradition populaire à l’instrument de cour24. On voit figurer dans les manuscrits (Straloch, Skene, Wemyss, Rowallan, Balcarres) des morceaux aux noms évocateurs de la culture populaire : Gallua Tom, Corne Yards, Grein Greus ye Rasses, I long for thy Virginitie, etc. Apparaissent des genres spécifiquement écossais, comme la danse ternaire nommée Lilt, des pièces relevant du genre appelé Port, à l’atmosphère plutôt nostalgique, des « marches » (Marches). Cette musique reprend les trois genres musicaux traditionnels en Écosse, « notes of noy » (musique de tristesse), « notes of joy », et « notes of sleep »25. Qu’ils soient enlevés ou lents, ces morceaux consistent en une mélodie et une basse à fonction essentiellement rythmique (fournir un appui sur les temps forts). Les parties intermédiaires sont inexistantes, contrairement à la musique savante pour luth, dont la conduite simultanée de différentes voix est l’une des difficultés majeures à la Renaissance. La musique savante pour luth baroque s’éloigne de la complexe polyphonie Renaissance, pour se réduire à une seule voix accompagnée, mais elle peut offrir des mouvements de basse harmoniques, contrairement aux pièces écossaises pour luth plus proches de la rythmique héritée de la danse, laquelle n’autorise guère les subtilités contrapuntiques. La transcription pour luth de morceaux traditionnels dépendait en bonne part des compétences musicales des compilateurs, et surtout, de leur maîtrise de l’instrument. De ce point de vue, on observe une grande inégalité d’un manuscrit à l’autre, parfois au sein d’un même manuscrit.

L’Écosse dans le concert des nations

24Le répertoire pour luth en Écosse est loin d’atteindre le degré d’excellence de la musique savante sur le continent, l’essentiel de ce répertoire-là étant constitué d’emprunts ou d’importations (manuscrits Panmure, Wemyss, Balcarres). Pourtant, il témoigne d’un alignement de l’aristocratie écossaise sur les mœurs et l’éducation de sa contrepartie continentale, en ce que le luth et sa musique font partie de l’éducation idéale de tout noble qui se respecte. Une fois le roi-mécène parti à Londres, ce type d’éducation se prolongera tant bien que mal jusqu’à la fin du xviie siècle : à titre d’exemple, la jeune Lady Margaret Wemyss, décédée prématurément à l’âge de dix-neuf ans, consigna les poèmes de sa composition et les pièces pour luth qu’elle appréciait dans le manuscrit portant son nom.

  • 26 Moyennant quoi ses pièces pour solo ou duo de luth ont été heureusement préservées pour la postérit (...)
  • 27 De fait, la notion d’artiste ou d’imprimeur « indépendant » est récente. Sous l’Ancien Régime, tout (...)
  • 28 Quelques exemples de cette pratique multiséculaire : Il t’appartient loz et honneur, glorifiant Die (...)
  • 29 En des temps où la mémoire des individus se trouvait très sollicitée, les airs connus, que l’on ava (...)

25L’Écosse, contrairement au continent, n’a pas vu s’épanouir de musique imprimée pour luth aux xvie et xviie siècles. Peut-être le marché ne justifiait-il pas la coûteuse impression de tablatures nécessitant des caractères spéciaux. Elle a cependant marqué son indépendance musicale par rapport à l’Angleterre, dont elle a pour l’essentiel ignoré l’influence, bien que l’Angleterre représentât une des principales écoles de luth européenne, avec une production particulièrement riche. Le répertoire pour luth écossais semble quelque peu modeste comparé au continent, mais la Réforme, hostile à la musique profane, fit probablement des ravages. On ne saura jamais si des manuscrits pour luth furent brûlés, ni, peut-être, combien d’instruments — on considérait le luth, ne l’oublions pas, comme le symbole même de la séduction des sens ! L’excellent compositeur de la Renaissance écossaise Robert Johnson (1500-1560) fuit le zèle des réformés écossais pour se mettre au service de Henri VIII26. Le compositeur écossais contemporain James MacMillan prétend que la Réforme tua l’inspiration musicale en Écosse et que le départ de la cour en 1603 porta un second coup fatal en privant le pays des indispensables mécènes aristocratiques ou royaux sans lesquels la vie artistique de l’époque ne pouvait guère prospérer27. De fait, la musique et la poésie célébrant les sens et l’amour sous Jacques VI s’accordaient peu avec le rigorisme des réformés. Ceux-ci ne se firent pas faute de convertir des airs profanes à plusieurs voix ou au luth en « parodies » (contrafacta), au sens musicologique du terme : comme sur le continent, ils substituèrent à des paroles jugées impies ou futiles des textes à caractère pieux, édifiant, tout en conservant la musique originale28 ; les mauvaises langues y verraient sans doute le principe d’économie puritain fustigeant le gaspillage, mais en fait, il s’agissait bel et bien pour les réformés de reprendre les choses en main en expurgeant des productions culturelles tout élément susceptible de détourner les fidèles du culte quotidien dû au Créateur. Qui plus est, la parodie reflétait une pratique fort courante aux xvie et xviie siècles, avec la réutilisation fréquente de mélodies connues auxquelles on adaptait de nouveaux textes29.

26Quoi qu’il en soit, ce qui nous reste des manuscrits pour luth écossais constitue un répertoire absolument unique, au style tout aussi typé qu’inimitable, si l’on fait abstraction des pièces « importées » du continent. Ils sont la preuve manifeste que l’Écosse eut la volonté de participer au « concert des nations », dans tous les sens de l’expression, et de perpétuer l’intérêt aristocratique pour la musique de luth aussi longtemps que la chose fut possible après 1603.

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Bibliographie

1. Contexte

A. Sites internet

<http://www.standingstones.com/scotlute.html>

<http://www.standingstones.com/scotem.html>

<http://www.standingstones.com/scotfolk.html>

<http://www.delcamp.net/auteurs/fr/1_renaissance/anonyme_fr.html>

Manuscrits :

<http://www.standingstones.com/lutemss.html#Straloch>

<http://www.standingstones.com/lutemss.html#rowallan>

<http://www.standingstones.com/lutemss.html#skene>

<http://www.standingstones.com/lutemss.html#balcarres>

B. Articles spécialisés

Gill Donald, « The Skene Mandore manuscript », The Lute Society Journal, vol. XXVIII, 1988, p. 15-32.

Spring Matthew, « The Lady Margaret Wemyss Manuscript », The Lute Society Journal, vol. XXVII, 1987, p. 5-29.

, « The Balcarres Manuscript », The Lute Society Journal, vol. XXXII, 1992, p. 2-45.

Ward John M., « The Lute books of Trinity College », The Lute Society Journal, vol. X, 1968, p. 15-32.

, « The fourth Dublin Lute Book », The Lute Society Journal, vol. XI, 1969, p. 28-46.

C. Ouvrages

Farmer Henry George, Music in Medieval Scotland, Londres, 1930.

Shire Helena Mennie, Song, Dance and Poetry of the Court of Scotland under James VI, Cambridge University Press, 1969.


2. Partitions

Cripps Wayne, The Rowallan Manuscript, Fort Worth (USA), Lyre Music Publications, coll. « Renaissance Lute Music », 1995.

McFarlane Ronn, Highland King, vol. 2, Mel Bay Publications, 2003 (44 pièces des manuscrits Rowallan, Wemyss et Balcarres, tablature et notation moderne).

Music of Scotland, 1500–1700, sous la direction de Kenneth Elliott, paroles compilées par Helena Mennie Shire, coll. « Musica Britannica », tome XV, Londres, Steiner & Bell, 1957.

Philips Peter (alias Robert MacKilop), Music for the Lute in Scotland, Temple, Kinmore Music, 1995 (20 pièces extraites des manuscrits Jane Pickering, Rowallan, Straloch et Wemyss).


3. Discographie

Lindberg Jacob, Lute Music from Scotland and France, BIS BIS-CD 201 (33 pièces écossaises et françaises des manuscrits J. Pickering, Straloch, Rowallen, Wemyss, Panmure et Balcarres, et des pièces publiées en France), luth Renaissance à 10 chœurs et luth baroque français à 11 chœurs.

McFarlane Ronn, The Scottish Lute, Dorian Recordings DOR 901-29 (56 pièces des manuscrits Jane Pickering, Straloch, Rowallen et Skene), luth Renaissance à 8 chœurs et mandore à 5 chœurs.

O’Dette Paul, Robin is to the Greenwood Gone, Nonesuch 9 79123-2 (6 pièces écossaises du manuscrit Rowallan et des pièces anglaises élisabéthaines), luth Renaissance à 6 et 8 chœurs.

The Rowallan Consort, Notes of Noy, Notes of Joy, Temple Records COMD 2058, 1994. R. Phillips (luth Renaissance à 8 chœurs), W. Taylor (harpe écossaise), M. Lawson et P. Rendall (voix). Pièces du manuscrit Straloch, de Robert Johnson, pièces vocales des manuscrits Wode Part-Book (1630-1665) et Commonplace Book (1562-1615).

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Annexe

Annexe 1 : le luth comme instrument de la séduction

Micheli Parrasio (1516-1578), La joueuse de luth (Budapest).

Simon Vouet (1590-1649), Joueuse de luth, vue de dos.

Giuseppe Crespi (1675-1747), Jeune femme accordant son luth.

Van Mieris l’aîné (1658), Scène de lupanar
(au mur, au fond, un luth, symbole sexuel courant).


Annexe 2 : la tablature pour luth

Tablature et police de tablature pour le luth

Manuscript Balcarres (1700), folio 45.


Tablature « française » (la plus communément employée).

Chacune des six lignes représente l’un des six « chœurs » (doubles cordes) du luth. Celle du haut représente la chanterelle ou corde la plus aiguë, en général simple.

Les lettres de a à n indiquent à quelles cases (ou « frettes ») mettre les doigts. Les frettes sont des morceaux de boyau attachés autour du manche pour obtenir les différentes notes :

– a = corde à vide ;
– b = première frette ;
– c = seconde frette (le c ressemble à la lettre r) ;
– d = troisième frette (s’inspire de la lettre grecque δ), etc.

Les basses sonnant à vide sont représentées par la lettre a sous les six lignes, puis par plusieurs barres obliques au fur et à mesure que l’on descend :

– a sous la sixième ligne = septième chœur ;
– / a = huitième chœur ;
– // a = neuvième chœur ;
– /// a = dixième chœur ;
     … Et sur un luth baroque ayant jusqu’à 13 chœurs :
     – 4 sous la sixième ligne = onzième chœur ;
     – 5 sous la sixième ligne = douzième chœur ;
     – 6 sous la sixième ligne = treizième chœur.


Tablature de luth moderne

Folio 17 du manuscrit Rowallan.
(Éd. The Rowallan Manuscript, coll. « Renaissance Lute Music », Lyre Music Publications, Fort Worth [USA], p. 14.)


La durée des notes peut être représentée par les hampes traditionnelles :


Annexe 3 : les 6 manuscrits écossais pour luth


Annexe 4 : importation en Écosse du « style brisé » caractéristique du luth baroque français

A. Harmonie et accords verticaux

B. Même harmonie traitée de manière mélodique en accords « brisés »

Extrait d’une Courante du manuscrit Wemyss (1643-1648).

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Notes

1 On trouve encore périodiquement des manuscrits inédits venant ajouter des pièces à un répertoire déjà pléthorique.

2 « La nuit de mai », extrait de Les nuits (1835-1837), mai 1835.

3 Albrecht Dürer utilise le luth pour son traité des proportions De Symmetria (1538). Le luth illustre les sciences du « quadrivium » médiéval (sciences des nombres = mathématiques, astronomie, musique et géométrie). C’est le luth encore qui sert aux travaux sur le tempérament (cf. Zarlino [1517-1590], Istitutioni harmoniche, 1558) et le tempérament égal, utilisé aujourd’hui) ; l’imbrication de cercles, base de la forme donnée au luth, sert aux démonstrations en géométrie ; les motifs des rosaces de luth sont chargées de symboles.

4 Le mot « luth » est la déformation de l’arabe el oud (« le bois »), instrument dit « monoxyle », c’est-à-dire dont la caisse était à l’origine creusée dans un morceau de bois, avant d’être constituée de lattes assemblées champ contre champ.

5 Pour les Arabes, le luth est l’instrument du philosophe.

6 Voir, entre autres nombreuses allusions au luth, le discours d’Ulysse dans Troilus and Cressida : « Untune that string, and hark, what discord follows » (acte I, scène 3).

7 Des inventaires d’ateliers de familles de luthiers célèbres (les Frei et les Tieffenbrücker) montrent que la sous-traitance d’éléments destinés au luth (chevilles, rosaces, côtes), en provenance de Füssen en Allemagne, est chose courante, de proportion industrielle, faisant la part belle à l’assemblage. Lyon compte pas moins de six facteurs de luth, dont un membre de la famille Frei, chez qui on trouve 350 luths terminés et des centaines en cours ; un inventaire dressé chez les Tieffenbrücker en 1621 montre 400 luths faits, 200 en cours ainsi que le matériau pour 1 000 autres. On cite aussi l’exemple d’un luthier parisien qui reçut une commande de 200 luths en une seule fois…

8 La tablature est un système de notation musicale qui permet au musicien de déchiffrer directement la musique sur l’instrument sans recourir à un chiffrage des hauteurs de son : « une partition de doigtés », en quelque sorte (cf. annexe 1).

9 Cf. annexe 2.

10 Comme, par exemple, un plafond au château de Crathes dans le Kincardineshire, illustrant les neuf muses, dont sept jouent d’un instrument, incluant un luth.

11 Thomas of Ercyldoune (1219-1299) ; Richard Holland, Book of the Howlate, c. 1450 ; Gawain Douglass (mort en 1522), Palice of Honour ; Alexander Hume (1556-1609) ; Burel, The Queenies Entry, 1590.

12 Les comptes royaux (« Household Accounts ») tenus par les Lords High Treasurers couvrant les xve et xvie siècles font état de tous les dons faits en espèces ou nature aux musiciens, dont des luthistes nommément cités.

13 Il joua d’ailleurs de la harpe en l’honneur de sa femme le jour de son mariage. William Bellenden était un érudit féru de lettres classiques (c. 1550-c. 1633). Jacques VI lui aurait octroyé une pension qui lui permit de s’établir à Paris où il enseigna à la Sorbonne et devint avocat au Parlement.

14 R. Phillips, introduction à Music for the Lute in Scotland, Kinmore Music, Shillinghill, Temple, Écosse, 1995, p. 10.

15 Ibid., p. 10.

16 Ibid., p. 8.

17 On peut voir à la Scottish National Portrait Gallery un portrait inachevé de Rizzio jouant du luth, réalisé en 1564.

18 Son précepteur de français Buchanan et la bibliothèque de sa mère riche en poètes français contemporains firent de Jacques VI un excellent connaisseur de la langue.

19 Henry George Farmer, Music in Medieval Scotland, Londres, 1930, p. 21.

20 Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme (1540-1614), chroniqueur de la Renaissance, se rendit en Écosse en 1561 dans la suite de Marie Stuart et consigna ces événements dans le livre intitulé Les Vies des Dames illustres et Vies des dames galantes, Vies des hommes illustres et grands capitaines français et Vies des hommes illustres et grands capitaines étrangers, Leyde, 1665.

21 R. Phillips, op. cit., p. 10.

22 En 1537, le poète Ronsard, en tant que page de Madeleine de France, fit partie de la suite accompagnant l’épouse française de Jacques V en Écosse, où il séjourna un certain temps, puis revint un peu plus tard. Sa présence est attestée sous le nom de « le Wandomoy » dans le registre des comptes du Lord High Treasurer.

23 Au nouvel an marquant le passage de 1583 à 1584 fut organisé le couronnement du roi-poète et poète-lauréat Jacques VI, sur le modèle du couronnement qui honora d’abord Pétrarque au xve siècle, puis d’autres poètes en Europe.

24 Le mouvement inverse a aussi existé ; il en est ainsi de la musette dite « de cour » et de la vièle à roue, instruments on ne peut plus rustiques (maints luths furent d’ailleurs reconvertis en vièles à roue) à la cour de France au xviiie siècle.

25 Ainsi de la pièce intitulée « General Lelly’s Goodnight » (manuscrit Wemyss) : le « Goodnight » est l’ancêtre Renaissance du « Tombeau » baroque à la mémoire d’une personnalité défunte, comme le duo pour luths de l’anglais Thomas Robinson intitulé « The Queene’s Goodnight » à la mémoire de la reine Elisabeth Ire.

26 Moyennant quoi ses pièces pour solo ou duo de luth ont été heureusement préservées pour la postérité.

27 De fait, la notion d’artiste ou d’imprimeur « indépendant » est récente. Sous l’Ancien Régime, tout créateur doit dédier ses œuvres à un grand de ce monde pour exercer son art ; tout imprimeur doit solliciter du roi le « privilège » d’imprimer tel ou tel livre, accordé pour une certaine durée : par exemple, Guillaume Morlaye, « iour de Leut » français, imprime son Premier livre de tabulature de leut (1552) et le second (1558) « avec privilège du Roy, pour dix ans ». Les dédicaces aux seigneurs dont on sollicite bienveillance et protection font partie de l’introduction obligée à tel ou tel recueil de pièces : ainsi, le compositeur pour vihuela (luth en forme de guitare) Esteban Daza dédie son Libro de musica en cifras para vihuela intitulado el Parnasso (1576) « al muy Illustre Señor, el Señor Licenciado Hernando de Habalos de Soto mayor del Consejo supremo », les pièces étant publiées par Diego Fernandez de Cordoua, « impreffor de fu Mageftad ».

28 Quelques exemples de cette pratique multiséculaire : Il t’appartient loz et honneur, glorifiant Dieu et son amour pour qui lutte contre le Diable, paroles de Mathieu Malingre (publié à Neufchâtel par P. de Vingle, 1533), sur la musique de Jouyssance vous donneray, de Claudin de Sermisy, texte de Clément Marot (publié par Pierre Attaignant dans le recueil Chansons nouvelles de 1528) ; ou bien encore Martin Luther a esté bien fasché de Eustorg de Beaulieu (publié dans chrestiennes réjouissance, Genève, 1546) calqué sur la chanson leste Martin menoit son porceau au marché (texte de Clément Marot, musique de Clément Janequin).
Les chansons de Claudin de Sermuisy servirent à des contrafacta en Écosse et en Allemagne.

29 En des temps où la mémoire des individus se trouvait très sollicitée, les airs connus, que l’on avait en tête, trouvaient un terrain favorable à la propagande…

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacques Tranier, « Le luth en Écosse, essai d’intégration à la vie musicale européenne »Études écossaises, 14 | 2011, 147-162.

Référence électronique

Jacques Tranier, « Le luth en Écosse, essai d’intégration à la vie musicale européenne »Études écossaises [En ligne], 14 | 2011, mis en ligne le 31 mars 2012, consulté le 14 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudesecossaises/470 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudesecossaises.470

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Auteur

Jacques Tranier

Université de Caen Basse-Normandie

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