1Alors qu’avec l’avènement d’un « monde sans frontières » (Ōmae, 1999) qui a vu se multiplier des alliances régionales — ALÉNA, MECOSUR, ASÉAN — dont l’exemple le plus abouti est l’Union européenne et son organisation supranationale, l’on aurait pu penser à un affaiblissement des mouvements nationalistes, l’inverse s’est produit. On note en effet, depuis quelques années, un « retour des nations » (Barbier, 2018) et l’Europe n’échappe pas à cette tendance avec un essor très marqué de mouvements nationalistes. De la Corse, au Pays basque, en passant par l’Écosse et la Catalogne, plusieurs régions aspirent à davantage d’autonomie politique (Delanty, 2022 ; Walker, 2019 ; Elias, 2009).
2En Écosse, ce phénomène a pris une forme extrême en 2014 avec l’organisation d’un référendum sur son indépendance vis-à-vis du Royaume‑Uni. Le 18 septembre 2014, les Écossais ont donc dû répondre à la question suivante : « Should Scotland be an independent country? » Cette question a provoqué une étrange impression de déjà‑vu de l’autre côté de l’Atlantique. En effet, si le débat autour de l’indépendance de l’Écosse a culminé pour la première fois en 2014 avec l’organisation d’un référendum sur la question de son indépendance, le Québec connaît bien ce genre de débat pour avoir été lui‑même au centre de deux référendums sur sa souveraineté en 1980 et en 1995.
3Étant toutes deux des minorités nationales souhaitant obtenir un certain degré d’autonomie ou d’indépendance, au sein d’un pays britannique ou anglophone avec lequel elles ont entretenu des relations tendues, voire conflictuelles, la province francophone canadienne et la nation écossaise partagent un certain nombre de points communs dans leurs ambitions nationalistes. Dès lors, un rapprochement entre ces deux « nations sans État » paraît intéressant (Leruez, 1983).
- 1 La composante linguistique est moins marquée en Écosse où le gaélique est parlé par seulement 57 00 (...)
4Une telle approche n’est cependant pas nouvelle. De nombreux chercheurs se sont déjà attachés à comparer ces deux mouvements nationalistes (Keating, 2001 ; Hamilton, 2004 ; McEwen, 2006) pour souligner notamment une différence fondamentale entre « l’assise ethnique et linguistique » du nationalisme québécois, un nationalisme fondé avant tout sur « la protection identitaire et culturelle » et un nationalisme écossais véhiculant « une dimension civique plus prononcée ». Bien qu’à première vue similaires, les deux nationalismes se structurent donc autour de vecteurs de la « distinction identitaire » qui sont différents : d’une part, la langue et culture, au Québec, et la décentralisation et les institutions, d’autre part, en Écosse (Keating, 1997, p. 246‑247). Par ailleurs, James Kennedy met en évidence une autre différence significative : comme elle ne se définit pas par la langue1, l’Écosse ne connaît pas de « menace existentielle » comme cela a pu être le cas du Québec (Kennedy, dans Fortier, 2014) qui a fait de la défense de la langue française l’un des fers de lance du mouvement nationaliste (Martel & Pâquet, 2010).
5Il existe également une différence de cadre entre la Grande‑Bretagne, qui est un État unitaire et le Canada qui est une confédération, un État fédéral (Gagnon, 2014b). Même si un processus de dévolution des pouvoirs s’est mis en place en Écosse — et au pays de Galles — à partir de 1999 en réponse aux ambitions autonomistes de ces deux nations (Finding et coll., 2011), le fédéralisme canadien est l’un des plus décentralisé au monde, donnant ainsi aux provinces un pouvoir extrêmement important (Vergniolle de Chantal, 2005, p. 44). De même, l’inclusion dans leur cadre respectif s’est historiquement faite par des modalités différentes : une conquête violente dans le cas du Québec contre une union volontaire pour ce qui est de l’Écosse.
6Si des différences culturelles et politiques existent entre ces deux mouvements, ils partagent toutefois une même solidarité transnationale qui se manifeste par des connexions variées et nombreuses qui dépassent même la sphère purement politique (Béland & Lecours, 2010, p. 91).
7À l’occasion du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, cette solidarité s’est manifestée par la couverture médiatique dont il a fait l’objet dans la presse québécoise. Cette dernière s’est en effet montrée très prolixe sur le sujet et s’est aventurée à de nombreux parallèles et comparaisons.
- 2 Le corpus est composé de 31 articles publiés entre le 25 août et le 23 septembre 2014 dans trois qu (...)
8Aussi, à partir d’une revue de presse effectuée le mois précédent le référendum dans trois quotidiens québécois2, cet article cherche à analyser le traitement quelque peu instrumentalisé qui a été fait outre-Atlantique de ce sujet que d’aucuns qualifient d’« historique » pour l’Écosse.
9Il s’agira donc de voir comment cet événement a été perçu et interprété à travers le prisme de la situation — voire de l’expérience — québécoise. Après un bref retour sur ces deux mouvements nationalistes, nous verrons que ce qui se présente comme analyse comparative du référendum écossais est très vite remplacé par une véritable récupération politique.
10Considéré comme « l’une des forces politiques les plus puissantes du xxe siècle » (Heater & Berridge, 1993, p. 103), le nationalisme a émergé avec la Révolution française et avec l’idéal de la superposition de trois réalités : l’État, la nation et le territoire. Ce modèle de l’État-nation a ainsi établi un lien intrinsèque fort entre l’existence d’un pays, le pouvoir qu’il exerce sur un territoire donné, délimité par des frontières précises, et l’existence d’une identité territoriale, un lien commun qui unit les membres du peuple, de la nation, vivant sur ce territoire, au sein de ses frontières. Ce modèle est ainsi devenu « mythomoteur » du nationalisme des xixe et xxe siècles, se diffusant à travers l’Europe, puis à travers le monde (Anderson, 1997, p. 25).
11Toutefois, ce modèle ne couvre pas toutes les situations et l’on retrouve des cas aussi divers que variés où les trois éléments susmentionnés ne coïncident pas. Il existe ainsi des cas de nations sans État — Catalogne, Écosse, Corse, Québec —, des nations qui se trouvent à cheval sur plusieurs États — à l’instar des Kurdes ou des Basques — et, par conséquent des États multinationaux — tels que le Canada, le Royaume‑Uni ou même les États‑Unis, lorsque l’on pense aux Premières Nations (Kassem et coll., 2012, p. 42).
12Au‑delà de la diversité des situations, le nationalisme peut également prendre plusieurs formes. Il peut être civique ou ethnique, selon que le lien qui unit les membres de la nation sont des liens raciaux ou ethniques ou bien une allégeance commune aux institutions et aux valeurs d’un État (ibid., p. 43). Il peut également être majoritaire (pro‑state) ou minoritaire (anti‑state), le premier étant le nationalisme « officiel » ou « banal » qui unifie un peuple et légitime l’État alors que le second conteste la légitimité de l’État (ibid., p. 44). Au‑delà de cette dichotomie simplificatrice, il existe également des nationalismes « de survivance », « de reconnaissance » ainsi que des « nationalismes national-populistes » (Dufour, 2019). À cette diversité des formes correspond également une diversité des « processus de formation identitaire » qui suggère que « la fabrication collective des identités nationales n’est pas un moule unique […] mais une série de déclinaisons de l’“âme nationale” » (Thiesse, 2001, p. 13‑14). Si le phénomène de nationalisme semble simple de prime abord, derrière cette étiquette se cache en réalité une complexité insoupçonnée.
13Dans les deux cas qui nous intéressent ici — l’Écosse et le Québec — nous avons affaire à deux nationalismes minoritaires qui remettent en question la légitimité d’un État — respectivement le Royaume‑Uni et le Canada. Toutefois, les deux situations sont quelque peu différentes. Si jusqu’en 1707 et son « union volontaire » avec la Couronne britannique, l’Écosse était, à l’origine, un royaume indépendant — se décrivant comme l’une « des plus anciennes nations européennes » (Duclos, 2014, p. 9 et 14) —, il n’en est pas de même pour le Québec qui n’a jamais été un pays indépendant mais une colonie française, puis anglaise, à partir de 1763, avant de s’unir avec d’autres colonies britanniques pour devenir le dominion du Canada en 1867. Aussi, au Québec, un « nationalisme de survivance » a été promu pendant près de 200 ans, de 1763 aux années 1960 par l’Église catholique. Ce pouvoir « hégémonique » a en effet façonné une identité canadienne française structurée par la langue française, le catholicisme et la ruralité dont il fallait assurer la survie en raison de sa position isolée, sur un continent dominé par des populations anglophones (Dufour, 2023). Ensuite, avec la Révolution tranquille que connaît le Québec dans les années 1960, la province canadienne se modernise, s’affranchit du pouvoir de l’Église et prend son avenir en main vis-à-vis de la majorité anglophone. Un nationalisme cette fois‑ci québécois voit ainsi le jour (Balthazar, 1992, p. 649‑650). S’il s’agit d’un « nationalisme de libération nationale », la création du Parti québécois (PQ) en 1968 contribue très vite à sa transformation en « nationalisme en quête d’état » (Dufour, 2023). C’est d’ailleurs les succès électoraux du PQ qui conduiront aux deux référendums de 1980 et 1995 sur la souveraineté du Québec, dont le plus récent voit le « Non » l’emporter à une très courte majorité.
14Pour ce qui est de l’Écosse, si sa reconnaissance comme nation n’a jamais été remise en question depuis l’Acte d’Union de 1707 (Duclos, 2014, p. 12), le nationalisme écossais s’est développé avant tout comme un mouvement identitaire avant d’envisager l’autonomie et l’indépendance, de façon graduelle, au fil du xxe siècle. Il veille avant tout à la défense des intérêts de l’Écosse sans pour autant se revendiquer d’un « mouvement de libération nationale qui résulterait d’un sentiment d’oppression du peuple écossais par le peuple anglais » (ibid., p. 13), comme ce fut le cas au Québec dans les années 1960. Ce sont les années Thatcher (1979‑1990) qui constituent une sorte de catalyse au mouvement indépendantiste. Face à ce qu’ils considèrent être un « déficit démocratique » (Duclos, 2017, p. 51) et une union qui ne leur est plus aussi bénéfique que par le passé (Duclos, 2014, p. 13), les Écossais soutiennent de plus en plus l’idée d’un parlement local. C’est ce qu’ils obtiennent en 1999 avec la mise en place d’une dévolution des pouvoirs sous Tony Blair, mais l’arrivée des conservateurs de David Cameron au pouvoir, pousse le Scottish National Party à demander davantage, c’est-à-dire un référendum sur l’indépendance de l’Écosse, « au nom de la démocratie » (ibid., p. 14), qui aura lieu le 14 septembre 2014.
15Les semaines, voire les mois qui ont précédé le référendum, ont vu une profusion d’articles dans la presse québécoise, des articles qui ont ravivé les souvenirs, douloureux pour certains, exaltants pour d’autres, qu’avaient provoqués les deux autres référendums ayant eu lieu dans la Belle Province en 1980 et 1995.
16Unanimement, tous les quotidiens reconnaissent l’importance du référendum. Dans un article au titre évocateur, « Oui ou Non… l’Écosse va changer », le quotidien La Presse de Montréal parle d’« une longue aventure » (Boivert, 2014b). Pour La Presse canadienne, il s’agit d’une « journée historique » (Fortin-Gauthier, 2014), tout comme pour Le Devoir qui parle également d’un « moment historique » (Fortier, 2014a). Dans un autre article du même quotidien, Marco Fortier présente « Les Écossais face à leur destin » (Fortier, 2014c). En janvier 2012, lors de l’annonce de la tenue du référendum, Le Devoir était même allé jusqu’à qualifier cet événement de « décision la plus importante de leur histoire » (Rioux, 2012). Même le quotidien anglophone montréalais The Gazette, qui offre un traitement plutôt factuel de l’événement dans tous ses articles, parle du fait que « the Scots will make history this Thursday » (Mennie, 2014a).
17On remarque donc un intérêt particulier pour cet événement considéré comme majeur dans l’histoire écossaise. Cependant, au‑delà de cet intérêt, le référendum écossais fait revivre le débat — les espoirs de certains et les craintes d’autres — autour du référendum de 1995 et les comparaisons se multiplient dans la presse québécoise.
18Dans la majorité des articles, on remarque qu’un parallèle est fait entre les deux situations. En effet, très peu d’articles ne parlent que du référendum écossais. Au contraire, la couverture médiatique de cet événement apparaît comme l’occasion pour la presse québécoise de ressortir le dossier du/des référendum(s) organisés au Québec.
19Par ailleurs, ce parallèle se double parfois d’une véritable affinité, voire d’une identification, comme le suggère aussi bien Le Devoir, qui souligne le fait que « les Canadiens comprennent probablement mieux que quiconque ce que vivent leurs cousins britanniques ces jours‑ci » (Buzetti, 2014), que La Presse, qui, à la veille du référendum écossais, souhaite « Bon courage, dear friends » aux Écossais (Gagnon, 2014b). On voit donc s’instaurer une certaine affinité, voire une identification amicale comme si on avait affaire à une cause commune. Cause commune qui voit émerger une « même effervescence démocratique » que celle qui a eu lieu en 1980 et en 1995 au Québec (Descôteaux, 2014). À partir de là, les comparaisons se multiplient.
20D’une part, un certain nombre de similitudes entre l’Écosse et le Québec sont mis en exergue. Premièrement, certains des enjeux auxquels une Écosse potentiellement indépendante devrait faire face sont les mêmes que ceux qui avaient été soulevés pour le Québec lors du débat référendaire de 1995. C’est ce que souligne un article du Devoir pour décrire la situation écossaise et la rendre ainsi plus familière aux lecteurs québécois. Il existe, en Écosse, des craintes, vis-à-vis des pertes de revenus financiers, tout comme c’était le cas en 1995, au Québec, mais également des incertitudes concernant la répartition de la dette ou l’adhésion à une éventuelle monnaie unique. Enfin, tout comme l’une des questions qui se posait pour le Québec était une possible candidature pour intégrer les organismes internationaux ou régionaux, notamment l’OMC et l’ALENA, les mêmes questions se posent pour l’Écosse, par rapport à l’Union européenne et l’OMC (Landry, 2010).
- 3 Déjà en 2007, Tony Blair lui‑même avait utilisé l’exemple du Québec pour montrer les retombées néga (...)
21Deuxièmement, on retrouve la question économique, ou tout du moins, la question sur l’incertitude de l’avenir économique d’un éventuel pays écossais, argument phare de la campagne du « Non », Better Together, qui fait écho à la stratégie utilisée par les partisans de l’union avec le Canada en 1995. Dans ce domaine‑là, relayée par la presse soit pour la dénoncer soit pour la souligner, la rhétorique de la peur domine : on présente l’Écosse comme devant faire face à un avenir économique incertain3, synonyme de dévaluation de sa monnaie et de possible délocalisation des entreprises et des banques. C’est un parallèle que met en évidence un article de La Presse :
Vendredi, ce n’étaient plus seulement les banques qui menaçaient de déménager, mais des supermarchés qui laissaient planer une hausse des aliments en Écosse en cas de Oui. Ça rappelle 1995 et les menaces de déménagement d’usines (Bombardier) et de pertes d’emploi au Québec — Paul Martin, ministre des Finances à Ottawa, prédisait une perte d’un million d’emplois au Québec si le Oui l’emportait. (Boisvert, 2014b)
22Par ailleurs, on remarque également un parallélisme dans l’analyse sociologique du vote référendaire, comme le souligne une professeure de sociologie à l’Université de Montréal, Claire Durand. Dans une interview donnée au Devoir, cette dernière examine les derniers sondages publiés avant le référendum en septembre dernier. Elle démontre que, « comme au Québec en 1995, le Oui est surtout l’affaire des jeunes et des hommes », le « Non » étant privilégié par les Écossais nés à l’étranger. Cette répartition révèle ainsi, selon elle, des « clivages très similaires à ceux du référendum de 1995 au Québec » (Légaré-Tremblay, 2014).
23Les journalistes québécois soulignent en outre les points de convergence qui existent entre les discours prononcés par les Premiers ministres canadien et britannique — Jean Chrétien lors du référendum de 1995 et David Cameron en 2014. Ainsi, lorsqu’ils se sont rendus respectivement au Québec et en Écosse au cours des semaines précédant le vote, tous deux ont adopté des stratégies similaires. Ils ont tenté de rassurer les nationalistes qui souhaitaient se séparer en leur exprimant leur « amour » afin les garder au sein de la Confédération canadienne ou du Royaume‑Uni. Les deux leaders politiques ont déployé une stratégie rhétorique similaire (McGrath, 2014, p. 1).
24À travers toutes ces similitudes, la façon dont la presse québécoise décrit la campagne référendaire donne l’impression d’un déjà‑vu politique, ou, comme le souligne La Presse, « l’histoire des référendums du Québec et de l’Écosse se ressemble tellement qu’on a l’impression d’une sorte de parodie » (Boisvert, 2014a).
25D’autre part, au‑delà des similitudes, les divers quotidiens québécois s’attardent surtout sur les différences entre la situation québécoise et la situation écossaise qui sont soulignées au fil des articles.
26La première différence mise en évidence concerne la gestion bilatérale du référendum écossais puisque, dans le cadre d’une entente signée en 2012, Londres et Édimbourg ont négocié les règles du jeu, les modalités d’organisation du référendum. Les deux capitales se sont notamment mises d’accord sur deux points importants : la formulation de la question et le seuil à partir duquel le « Oui » peut l’emporter — 50 % + 1 — ce qui n’avait pas été le cas d’Ottawa en 1995. Et cette première comparaison, « n’est pas à l’avantage du gouvernement canadien », selon Vincent Marissal de La Presse (Marissal, 2014).
27La conséquence de cette première différence est donc la question elle‑même, en tout point différente à celle posée aux Québécois en 1995. À ce titre, l’ensemble des journalistes salue la forme de la question, une question claire, directe et concise. C’est ce que met en exergue, entre autres, La Presse dans un article qui fait l’« Éloge de la (vraie) clarté » en écrivant : « Notre question référendaire de 1980 comptait 119 mots. Celle de 1995, 40 mots. Les Écossais, eux, ont répondu jeudi à une question de six mots (Should Scotland be an independent country?). » (Marissal, 2014) Cette concision contraste avec la question de 1995 dont de nombreux observateurs avaient souligné la complexité : « Acceptez‑vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec, et de l’entente signée le 12 juin 1995, oui ou non ? » D’autres commentateurs mettent l’accent sur le fait que la question posée aux Écossais est une « question simple et claire » (Baillargeon, 2014), « une question courte et directe » (Descôteaux, 2014). La Presse canadienne applaudit, pour sa part, « la limpidité de la question référendaire » (Ouellet, 2014).
28Une autre différence réside dans la stratégie exclusive déployée il y a 20 ans par les souverainistes québécois, stratégie qui contraste avec le caractère « inclusif » du SNP. En effet, le nationalisme écossais est, pour Le Devoir, un « nationalisme civique [qui] a mobilisé différentes communautés culturelles en faveur de l’indépendance ». À l’inverse, l’auteur dénonce le « projet identitaire frileux et craintif de la diversité du PQ » (Leduc, 2014).
29L’impact du vote est aussi différent en Écosse et au Québec. Même si l’indépendance a été finalement rejetée par les Écossais, les résultats du référendum vont mener à une réforme constitutionnelle, avec la mise en place d’une maxi-dévolution, promise par le Premier ministre britannique, David Cameron — un transfert de pouvoir entre Westminster et Holyrood encore plus important — alors que le Québec avait rejeté ce compromis en 1995, « pariant sur la tenue d’un troisième référendum », comme le souligne non sans amertume Le Devoir (Descôteaux, 2014).
30Les différences sont donc nombreuses entre les deux situations et elles sont égrenées au fil des articles. Pour certains, ces différences ne sont que cela, des différences et toute comparaison est superflue. Le quotidien de la ville de Québec, Le Soleil, titre, par exemple, « L’Écosse n’est pas le Québec » comme pour clore d’emblée la conversation et donner à son traitement de l’événement une dimension informative et neutre (Lavoie, 2014). Toutefois, pour d’autres, en creux, à travers certaines de ces différences, on a l’impression que la presse québécoise essaie de dresser un bilan entre les deux référendums pour que, de façon ultime, le Québec s’inspire de l’expérience référendaire écossaise. On perçoit même parfois des critiques sous-jacentes dans certaines comparaisons. En fait, tous ces parallèles et ces comparaisons suggèrent que ce qui est en jeu, à travers ces articles, est, plus qu’une logique informative, une véritable récupération du référendum écossais au profit de la cause québécoise.
31Loin de naître avec le référendum, la récupération politique autour du débat référendaire écossais avait déjà commencé assez tôt lors de la visite en Écosse de l’ancienne Première ministre québécoise, en janvier 2013. Elle avait profité de son déplacement pour s’entretenir avec Alex Salmon, le Premier ministre écossais, et « dire au monde que la souveraineté était possible » (Marois, 2013). Elle souhaitait également signer une entente de coopération entre les deux « nations ». Le Devoir parlait alors d’une « complicité politique » entre les deux leaders (Rioux, 2013). Cette visite s’insérait dans une stratégie plus large du Parti québécois qui souhaitait resserrer ses liens avec le SNP. L’ancien ministre des Affaires intergouvernementales québécois, Alex Cloutier, avait notamment assisté au congrès du SNP en 2009, se réjouissant de cette « volonté de se donner un pays » (Rioux, 2013) qui animait les Écossais.
32Cette complicité politique s’est retrouvée au cours de la semaine précédant le référendum écossais puisque c’est une véritable délégation du PQ qui a fait le déplacement pour assister au référendum écossais : Alexandre Cloutier, le délégué officiel du PQ en Écosse pour le référendum, s’y est rendu, accompagné des députés Martine Ouellet, Mathieu Traversy et Pierre-Karl Péladeau, qui, pour leur part, s’y rendaient à titre personnel (Fortin-Gauthier, 2014). Des anonymes avaient également fait le voyage pour encourager les Écossais. Dans cette optique, un groupe de Québécois a même affiché son soutien au camp du « Yes » avec une bannière : « Quebec stands with you » (Authier, 2014b) geste pour le moins critiqué par la Gazette qui titre « Quebec Sovereignists Flock to Scotland to Witness Referendum » (Authier, 2014a).
33Si les membres du PQ s’intéressent autant à ce qui se passe en Écosse, ce n’est pas seulement pour afficher leur soutien à leurs « cousins écossais » mais parce qu’ils voient également dans le référendum écossais une source potentielle d’émulation du nationalisme à l’échelle mondiale et, surtout, une source d’émulation pour le Québec en particulier.
34C’est ce que de nombreux commentateurs soulignent. Le Devoir attire notamment l’attention sur le fait que « le référendum se déroule sous haute surveillance de Québécois », notamment de la part des souverainistes qui sont « venus chercher la recette du succès de la campagne du Yes Scotland » (Fortier, 2014c). Pour Michel Frye, interviewé dans La Presse, la campagne est « riche d’enseignements pour le mouvement indépendantiste québécois » (Leduc, 2014). Le référendum écossais peut effectivement avoir un effet catalyseur pour la cause souverainiste québécoise en lui « donn[ant] des ailes » (Fortier, 2014c). La Gazette reprend un argument similaire et parle, pour sa part, du rôle « d’aimant » joué par le référendum en Écosse : « The Scottish referendum has been a magnet for the sovereignty movement. » (Authier, 2014b)
35Cependant, la récupération politique culmine à travers de nombreux articles qui présentent le référendum écossais comme un « modèle à suivre » pour le mouvement souverainiste Québécois. Cette idée transparaît dans les titres des différents quotidiens québécois : « D’Édimbourg à Québec : des leçons à tirer » (Le Devoir) (Buzetti, 2014), « Le modèle écossais » (Le Devoir) (Cornellier, 2014), « L’Écosse et nous » (Le Devoir) (David, 2014), « Scotland’s Decision – A Lesson for Quebec? » (Montreal Gazette) (Mennie, 2014c), « Scotland an Inspiration for Quebec – PQ MNA » (Gazette) (Mennie, 2014b), « Scotland, Catalonia and Some Lessons for Quebec » (Gazette) (Anonyme, 2014), « Quebec’s Stake in Scotland’s Referendum » (Gazette) (Mennie, 2014a). En matière de récupération Le Devoir et la Gazette sont beaucoup plus prolixes alors que La Presse qui se veut beaucoup plus factuelle, n’exprime ce « modèle à suivre » que dans le corps de l’un de ses articles (Marissal, 2014). À noter qu’une telle récupération n’est pas surprenante de la part du Devoir qui est connu pour avoir une ligne éditoriale proche du mouvement souverainiste.
36À partir de là, il convient de se demander en quoi l’Écosse peut servir de modèle pour le Québec. Dans ce domaine‑là, les leçons portent principalement sur deux points. Le premier concerne la formulation de la question : « S’il y a une bonne leçon à tirer, c’est que les règles doivent être admises par tout le monde et que la question soit claire. » (Buzetti, 2014) C’est également une leçon que tirent les souverainistes présents sur place : « […] des leaders souverainistes au Québec, tels que Jean-François Lisée et Bernard Drainville, avaient affirmé qu’une question claire comme celle posée aux Écossais serait bénéfique dans le contexte québécois. » (Bronskill, 2015)
- 4 Cette entente constitutionnelle n’a finalement jamais vu le jour. Au contraire, la Cour suprême bri (...)
37Le second point d’émulation concerne le rapport qui s’est instauré entre Londres et Édimbourg, un modèle à la fois pour les souverainistes et pour les fédéralistes. Selon Le Devoir, « Ce ne sont toutefois pas que les souverainistes qui peuvent s’en inspirer [de l’accord signé entre Édimbourg et Londres]. Le gouvernement fédéral et les partis fédéraux auraient intérêt à en prendre note » (Cornellier, 2014). Découle de cet accord, une possible entente constitutionnelle post-référendum, qui, à l’époque, aurait pu voir les institutions britanniques évoluer dans une direction particulière, avec l’émergence d’une fédéralisation du pays, par exemple4. Pour Le Devoir, une telle entente peut « démontrer aux Canadiens qu’il est possible de réussir une négociation constitutionnelle » (Descôteaux, 2014), ce que le Québec n’a jamais fait.
38Tout se passe donc comme si le référendum écossais était un « laboratoire de science politique » pour les mouvements indépendantistes (Macpherson, 2014a). Toutefois, le référendum n’est que la première étape de l’expérience et, dans un contexte pré‑vote, une victoire du « Oui » aurait permis de pousser l’expérience plus loin (Macpherson, 2014c).
39On s’aperçoit très vite que le résultat final de ce traitement du référendum est une récupération, une réappropriation du débat autour de l’indépendance de l’Écosse à la cause québécoise. On dépasse en effet très vite le sujet de l’Écosse et la plupart des articles deviennent presque un prétexte pour parler du mouvement souverainiste québécois, comme si ce dernier devait non seulement s’inspirer de ce qui se passe en Écosse mais également le mettre en application. La Gazette exprime cette idée par le biais de l’humour : « Is the PQ ready to scotch “sovereignty”? » (Cooper, 2014).
40Cette réappropriation est d’autant plus importante pour le Parti québécois que ce dernier se trouve dans une situation délicate : après une défaite notable aux élections d’avril 2014, le référendum écossais coïncidait avec la course à la chefferie du PQ. Aussi, comme le met en évidence Le Devoir, l’émulation atteint des niveaux jamais atteints auparavant :
Bien sûr, la déroute péquiste du 7 avril et la désintégration du Bloc québécois laissaient bien penser que le projet souverainiste était moribond, mais sait‑on jamais. À les voir se précipiter en Écosse, les souverainistes fondent clairement de grands espoirs sur les répercussions qu’une victoire du Oui pourrait avoir de ce côté‑ci de l’Atlantique. (David, 2014)
41La Gazette souligne également le capital politique que peut procurer au PQ le référendum en qualifiant ce dernier de « muse nationaliste » pour le candidat Bernard Drainville (Cooper, 2014). Le quotidien anglophone toutefois nuance la portée de cette récupération politique, dans un autre article, « A Yes Win in Scotland’s Referendum Wouldn’t Help Quebec Sovereignists » (Macpherson, 2014a), arguant que la priorité pour le PQ est avant tout sa situation politique au Québec.
- 5 Ce projet de loi prévoit par ailleurs que, dans un délai de 30 jours suivant le dépôt officiel du t (...)
42Toutefois, de façon surprenante, le parti qui opère la récupération la plus complète est le Nouveau Parti démocrate (NPD). Pour renforcer son assise électorale au Québec, qui lui avait permis de faire une percée historique en 2011, le NPD tente de séduire une certaine partie de son électorat dans la Belle Province en remettant la question constitutionnelle de la souveraineté du Québec sur le devant de son agenda politique. Contrairement aux autres partis, le parti de Tom Mulcair énonce une position claire qui, justement, s’inspire de ce qui se passe en Écosse. En janvier 2013, un député du NPD, Craig Scott, avait déposé un projet de loi, le projet C‑470 dans lequel il définit trois conditions qui, si elles sont remplies, obligerait le gouvernement canadien à négocier la tenue d’un nouveau référendum : une question claire5, un processus référendaire dénué d’« irrégularité déterminante » et une « majorité des voix validement exprimées […] en faveur de la modification proposée » — en d’autres termes, 50 % des voix (Cornellier, 2014). Deux de ces conditions sont directement tirées du contexte écossais, le NDP ayant réellement poussé l’émulation à son extrême.
43Tous ces parallèles et toutes ces comparaisons sont donc autant de signes d’un intérêt marqué pour le référendum écossais. Toutefois, ce traitement comparatif va au‑delà d’un simple traitement informatif, il s’agit pour certains journalistes d’une véritable récupération politique visant à donner un nouveau souffle à la cause souverainiste et à parfaire le projet souverainiste. Quand on sait le rôle que joue la presse dans la constitution et le maintien d’une « communauté imaginaire » (Anderson, 2002, p. 73), une telle réappropriation est d’autant plus significative.
44Mais la récupération du référendum écossais ne s’arrête pas là. Au‑delà de cette réappropriation, on assiste en effet à une véritable polarisation du discours qui semble suggérer que ce qui se joue à travers le référendum écossais c’est aussi le débat autour de la souveraineté du Québec, présent de façon directe mais également en filigrane, dans de nombreux articles, notamment à la révélation du résultat.
45Tout d’abord, la réappropriation est telle que la victoire du « Non » semble être une victoire des fédéralistes canadiens. Et ces derniers n’ont pas la victoire modeste. Dans La Presse de Montréal, on trouve un parti pris pour la cause fédéraliste à travers des articles qui se réjouissent de la « défaite » et surtout de la déception des souverainistes québécois. Un article fait référence à la victoire du « Non » en titrant « La douche écossaise ». Si le journaliste qualifie les résultats de « défaite honorable » pour les nationalistes écossais, il se montre beaucoup plus critique à l’endroit des souverainistes québécois en disant que « pour les souverainistes québécois qui comptaient naïvement sur l’Écosse pour redonner un élan à leur option, c’est certainement une douche glacée » (Dubuc, 2014).
46Un autre article de La Presse de Montréal pousse l’association entre l’Écosse et le Québec encore plus loin en parlant de « troisième défaite », pour les nationalistes québécois : « Les souverainistes québécois ont vécu leur troisième référendum — par procuration celui‑là — et ont subi leur troisième défaite. » La journaliste adopte un angle très critique vis-à-vis des supporters québécois qui, selon elle, « pouss[e]nt le déni jusqu’à parler d’un second référendum » (Gagnon, 2014a).
47Le discours nationaliste est, quant à lui, beaucoup plus en retrait, après le référendum. Cependant, même si le « Non » l’a emporté, un certain optimisme persiste. C’est surtout le cas du Devoir qui, dans un article titré « Qui perd gagne », se concentre principalement sur le fait que le référendum marque la fin du statu quo pour l’Écosse et qu’il va malgré tout engendrer des changements constitutionnels. La veille, même si le quotidien nationaliste québécois avait anticipé une défaite, l’espoir demeurait et il se montrait tout autant optimiste pariant sur la tenue d’un « nouveau référendum dans 7 ans » pour l’Écosse, mais, peut‑être aussi, par association, pour le Québec… (Laforest, 2014).
48Ce qui est en jeu au‑delà de l’événement purement écossais est donc un débat qui concerne directement le Québec — et le Canada — et qui voit s’affronter nationalistes et fédéralistes dans une sorte de remake par procuration du référendum de 1995.
49Finalement, le référendum en Écosse a relancé le débat sur la souveraineté du Québec, seulement pour en montrer les doutes et les faiblesses. Certains pariaient sur une victoire du « Oui », pensant ainsi pouvoir surfer sur la vague indépendantiste qu’un tel résultat aurait pu provoquer au Québec. Mais cela n’a pas été le cas et « l’effet écossais » n’aura finalement été que de courte durée comme l’a souligné la Gazette une dizaine de jours après le référendum (Macpherson, 2014c).
50Le référendum écossais aura toutefois eu le mérite, par un processus de réappropriation, de provoquer un débat de fond sur le projet souverainiste québécois, mettant en évidence les erreurs du passé et apportant par la même occasion des conseils ou des exemples de bonne pratique pour l’avenir. Il aura aussi surtout démontré qu’il reste d’importantes tensions entre souverainistes et fédéralistes, au Québec, qui, sous couvert de commentaires et de comparaisons entre la Belle Province et l’Écosse, se font une guerre rhétorique indirecte par articles interposés.
51Mais les liens entre les deux nations dépassent la scène médiatique et sur la scène politique, indépendantistes et fédéralistes regardent eux aussi de l’autre côté de l’Atlantique. D’une part, l’ancien Premier ministre Jean Chrétien a apporté son aide à David Cameron et a conseillé le camp du « Non » (Vermot-Desroches, 2014) ; d’autre part, conscient des répercussions éventuelles que le référendum écossais pouvait avoir au Québec, le Premier ministre canadien, Stephen Harper, restait informé de la situation en Écosse (Bronskill, 2015).
52Alors que, en raison de la défaite du « Oui », l’élan escompté n’a pas eu lieu, la question de la souveraineté est passée au second plan ces dernières années, notamment par le fait que le PQ a été supplanté par la Coalition Avenir Québec en 2018 comme première force politique nationaliste.