Photographie 1. Fermeture de l’espace à usage exclusif des clientèles touristiques. Le Sandals Resort et sa plage privée (Sainte-Lucie)
Source : O. Dehoorne (2012).
« La violence totalitaire du mythe progressiste est la cause et l'effet de la domination du monde social et naturel, et de la dévastation de ces mêmes mondes, dont la crise est l'expression achevée. »
Michel Maffesoli, Être postmoderne (2018)
1Dans le contexte latino-américain, divers études ont souligné comment la violence se propage à travers de nombreux canaux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'État (Geertz, 2006). Guillermo O'Donnell décrit l'État de cette région comme étant étroit, réticent à reconnaître pleinement les divers secteurs sociaux et leurs revendications, les confrontant souvent à des pratiques clientélistes, voire à la violence (2008 : 37). Loïc Wacquant identifie les exclus urbains contemporains comme ceux plongés dans la misère face à l’avancée de l’économie capitaliste, malgré la croissance économique (2007 : 172).
2Le tourisme est perçu comme une voie rapide vers le progrès socio-économique en raison du flux de devises étrangères et des taux d’emploi élevés (Lumsdon et Swift, 2001 ; Duval, 2004). Cependant, les territoires touristiques sont confrontés à des problèmes de redistribution socio-économique et d’échec liés à l’indifférence de l’État à l’égard des comportements socialement incorrects, qui sont des facteurs criminogènes (Gómez Sánchez et Sánchez Hernández, 2020 ; Gómez Sánchez, 2020). Sous ces pratiques touristiques « civilisées », coexiste un monde souterrain violent et trompeur (Kempadoo, 2004 ; Gutiérrez Sanín, 2014 : 12).
3Ce numéro d'Études Caribéennes vise à explorer l'intersection entre violence et tourisme, en examinant la contradiction entre les zones « pacifiées » qui attirent des flux de population en quête de meilleurs revenus et les territoires marqués par une forte violence multidimensionnelle. On se demande si le tourisme encourage la criminalité et vice versa, dans un contexte où l’activité touristique tant à se concentre dans des zones exclusives, extrêmement sécurisées (Pattulo, 1996 ; Dehoorne et Murat, 2008).
- 1 Pour aller plus loin, voir les articles O. Dehoorne (décembre, 2013) : « Le baguage du touriste ou (...)
Photographie 2. « Au-delà de cette limite le port du bracelet est obligatoire ». Pierre et Vacances en 2007 (Martinique)1
En 2007, le club de vacances décide de « sécuriser » son territoire et de s’assurer que les autochtones ne puissent plus utiliser ses aménagements aux abords du littoral.
Source : O. Dehoorne (2013)
4Nous considérons plusieurs types de violence, notamment de genre, intrafamiliale, de classe, de race, de préférence sexuelle, symbolique, d'aporophobie et d'inégalité sociale (Aragon, 2022), en observant leur intersectionnalité. Wacquant (2007 : 129) met en garde contre l’importance de ne pas limiter la pauvreté au manque de biens matériels, soulignant l’auto-représentation comme une « anomalie sociale », qui marque une dépossession symbolique. Dans le contexte des territoires touristiques du Sud, les habitants cohabitent souvent deux mondes marqués par une violence symbolique extrême, qui se reflète dans la ségrégation spatiale et la disparité entre opulence (Dehoorne et Theng, 2015) et pauvreté (Wacquant, 2007 : 178).
5Dans ce numéro spécial de notre magazine, nous nous plongeons dans une analyse exhaustive et critique des imbrications entre tourisme, sécurité et multiples facettes de la violence en Amérique latine. À travers une sélection minutieuse de dix articles, nous abordons diverses perspectives et réalités qui soulignent la complexité de cette question dans notre région.
6Des terres arides du Mexique aux plages paradisiaques des Caraïbes, en passant par les jungles luxuriantes d'Amérique centrale et les paysages majestueux d'Amérique du Sud, les auteurs nous guident dans un voyage intellectuel qui permet de comprendre les interactions profondes entre le tourisme, les communautés localités et les dynamiques de violence qui émergent dans ce contexte.
7Horacio Almanza Alcalde nous transporte dans le nord du Mexique, où il affronte le conflit entre l'État et les communautés indigènes de la région de Chihuahua, explorant les dilemmes de résistance et d'adaptation face au projet touristique Divisadero Barrancas.
8Du point de vue de l'écotourisme Kuna au Panama de Vildan Bahar Tuncay, à la saturation touristique de l'île de San Andrés en Colombie proposée entre autres par Johannie James, les articles révèlent comment le flux touristique peut transformer les paysages et les dynamiques sociales, au point d'exacerber souvent tensions préexistantes et donnant naissance à de nouvelles formes de violence, tant physiques que symboliques.
9La violence de genre dans des destinations touristiques comme Playa del Carmen enfin proposée par Alma Ivonne Marín Marín, Ericka Cruz et Elsa Vázquez, la perception des touristes quant à la sécurité dans des destinations comme Trinité-et-Tobago présentée d'une part par le chercheur trinidadien Wendell Wallace et d'autre part par le doyen Acolla Lewis-Cameron, ou encore l'influence du tourisme sur le récit des conflits historiques au Guatemala proposé par Coralie Morand ne sont que quelques-uns des domaines d'étude que nous explorons en profondeur.
10En outre, ce dossier analyse des phénomènes émergents tels que les alliances public-privé dans le développement du tourisme et l'émergence du mégatourisme dans des destinations telles que Guanacaste, au Costa Rica, coordonné principalement par Daniel Fernández, Jimena Palma et Dylanna Rodríguez. Il explore également la dynamique complexe de marginalité et d'exclusion dans les périphéries urbaines des Caraïbes colombiennes, où violence et inégalités s'entremêlent de manière surprenante, écrit par William Álvarez, José Romero et Davide Riccardi. En bref, le texte de Mine Kojima complète de manière significative l'arc antillais en explorant les dynamiques sociopolitiques des Caraïbes néerlandaises.
Photographie 3. Lorsque la plage est publique : la réservation de l’espace grâce à la disposition de transats privés. La méthode Club-Med en Martinique (2014)
Le complexe touristique protège ses abords en disposant ses transats aux premières heures du matin sur la plage de Sainte-Anne. Les transats sont privés et ne peuvent donc pas être bougés par les populations qui ne sont pas les clients du Club-Med. L’objectif est d’installer une zone de no-man’s land entre le Club-Med et la partie de la plage fréquentée par la population locale.
Source : O. Dehoorne (2014)
11Ce numéro spécial invite nos lecteurs à réfléchir sur le tourisme au-delà des statistiques de fréquentation et des revenus économiques. Nous sommes confrontés à des questions fondamentales sur le développement durable, la justice sociale, les droits de l’homme et la préservation de l’environnement, en les croisant avec le phénomène du tourisme de masse et la violence sous ses multiples facettes, comme la sécurité.
12Nous remercions sincèrement tous les auteurs pour leur précieuse contribution à ce débat et espérons que ce numéro spécial stimulera un dialogue plus large et plus approfondi sur ces questions cruciales dans notre région.