Conclusions
Résumés
D’extraction noble ou modeste, on se fait comédien par dépit ou par infortune, le plus souvent contre la volonté de la famille, à moins d’être issu d’une famille d’artistes. Deux carrières résument les propos développés dans le livre. Celle de Saint-Preux, faite d’errance, de banqueroutes et de dettes, et celle de Berville, qui reflète l’amertume d’un homme de haute extraction résigné à sa condition d’acteur, courant ici et là au gré des contrats. Le comédien se situe en marge de la société, déchiré qu’il est entre les exigences de la cour et celles de la ville, alors même que l’Ancien Régime lui est plutôt favorable et trouve dans le théâtre l’une des expressions artistiques les plus achevées. Il demeure atypique et hérétique, alors qu’il véhicule la rencontre des groupes sociaux et la foi dans un nouvel humanisme. Mais son image est liée à celle des privilégiés qui l’ont soutenu et protégé, et comme eux, il finira en prison dès qu’une société sera confrontée à la rupture interne, au désordre, à la révolution.
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Mots-clés :
XVIIIe siècle, comédien, conditions sociales, histoire du théâtre, Saint-Preux (né Antoine Auvray), Berville (Bonamy Nicolas-Noël, dit)Keywords:
18th century, actor, social conditions, theatre history, Saint-Preux (né Antoine Auvray), Berville (Bonamy Nicolas-Noël, dit)Texte intégral
1Au cours de cette étude, nous avons tenté de dégager les contours les plus approchants possibles du comédien itinérant. Certes, il demeure de nombreuses zones d’ombre et notre « portrait-robot » est encore loin d’être parfaitement ressemblant. Pourtant, les documents réunis offrent une esquisse sans doute assez proche de la réalité. Si les clichés sur le comédien ont la vie dure, c’est peut-être parce qu’ils ont un fond de vérité. D’extraction noble ou modeste, on se fait comédien par dépit ou par infortune, le plus souvent contre la volonté de la famille. À moins d’être issu d’une lignée de comédiens, on n’embrasse la profession que pour échapper à une disgrâce, à un revers de fortune, voire à des faits de mœurs.
2Si l’on est parfois fixé sur l’origine sociale des acteurs, on ignore généralement tout de leur apprentissage et de leurs débuts. Ceux qui les racontent ont une fâcheuse tendance à enjoliver le passé et aiment à faire croire qu’ils sont passés par les plus grands maîtres. Pieux mensonges qui les conduisent pourtant inévitablement dans les troupes de campagne et ne leur épargnent pas les vicissitudes de la route. Éternellement fascinés par Paris, les acteurs de province se satisfont peu de leur parti. Dès leurs débuts, ils sont confinés dans un même rôle leur vie durant et n’ont de cesse d’améliorer leurs conditions de vie, voire de survie.
3L’entreprise théâtrale connaît des améliorations progressives au cours du xviiie siècle, mais il n’en va pas nécessairement de même pour la situation du comédien itinérant, que le siècle suivant traitera semblablement. Aujourd’hui encore, peut-on dire qu’un acteur ait de brillantes perspectives au sortir des études ?
4Deux carrières résument parfaitement les propos que nous avons développés tout au long de ce livre : celle de Saint-Preux est faite d’errance, de banqueroutes et de dettes laissées derrière lui. Celle de Berville reflète l’amertume d’un homme de haute extraction résigné à sa condition d’acteur. Courant ici et là au gré des contrats, ils parcourent les routes et tentent de vendre au mieux leurs maigres talents, qu’un directeur peu consciencieux est toujours prêt à exploiter.
- 1 Les éléments de biographie sont reconstitués à partir des pièces suivantes : AEB, Manuscrits divers (...)
- 2 Philippe-Gabriel Diacre, dit Rozeli, était né à Paris en 1734. Sa première épouse, Anne Berger, mou (...)
5Saint-Preux, né Antoine Auvray vers 1745, débute à Bruxelles en 1768 sous le nom de Latour1. Le 31 juillet, une dispute éclate entre lui et le comédien Philippe-Gabriel Diacre, dit Rozeli2. Voici la version des faits selon Auvray :
- 3 B pour « bardache », sodomite.
Dimanche 31e du mois de Juillet je vois au bal public un masque déguisé avec une robbe de chambre du magazin de la Comédie, un chapeau de voyage qui deux jours avant avoit servi à joüer un petit maître, et une tournure à laquelle on ne sauroit se méprendre. Je lui dis à l’oreille : Eh ! bonsoir seigr Rozely ! C’étoit bien lui-même, mais il n’en voulut point convenir. Comme moitié de ceux qui composent un bal se déguise pour intriguer l’autre moitié, cette autre moitié a droit à son tour d’inquietter les masques qu’elle croit reconnoître ; et j’usai de mon droit. J’engageai trois personnes à le suivre et à lui faire avoüer qu’il étoit Rozely. Je vis bien qu’il chargeoit de coups de poing ces personnes-là, mais je n’imaginois pas qu’il feroit un exemple de moi pour être auteur d’une plaisanterie bien ordinaire […].
Il me traite d’insolent, et du même tems je reçois un souflet et l’appelle B....3 On me retient il se sauve et le combat finit faute de combattans.
6Mis aux arrêts par le duc d’Ursel, Auvray et Rozeli se verront imposer le silence par le Tribunal aulique, « à peine d’être châtiés suivant toute la rigueur des Lois ».
7Le 5 novembre 1768, Auvray fait baptiser à Bruxelles sa fille Marie-Eugénie ; la marraine est Eugénie D’Hannetaire. Avec son épouse, Marie Flandinet, il passe les saisons 1770-1771 à 1772-1773 à Montpellier, puis il joue à Rennes en 1774 et à Lille l’année suivante. Auguste Raparlier, directeur du Théâtre de Lille, le sous-paie et refuse de lui accorder une avance sur ses appointements. Pour honorer ses nombreux créanciers, Saint-Preux n’a d’autre choix que de s’engager dans la troupe de Namur, où Raparlier le poursuit pour rupture de contrat. Le comédien est incarcéré à la Conciergerie de Namur le 13 janvier 1776, en attente du procès. C’est de là qu’il écrit un mémoire destiné à sa défense en justice :
Eclaircissement sur l’état de mes affaires
Victime d’une banqueroute considerable à Rennes en Bretagne il y a quinze mois, étant resté sans place pendant trois autres mois, et ayant par conséquent un vif interêt de prendre le premier engagement que je trouverois, je contractai à Paris à Pâques dernier avec Raparlier Directeur des Spectacles de Lille. Il n’ignoroit pas que je n’étois point à l’aise, et étoit bien sûr que j’aimerois mieux gagner peu dans une troupe du second ordre, que d’avoir de plus gros apps dans une petite troupe ambulante, dans la crainte que cela ne nuisît à ma reputation. Aussi profita-t’il de l’un et de l’autre pour me donner un tiers d’apps de moins que je ne gagne ordinairement.
8Saint-Preux demande à Vitzthumb de lui envoyer un contrat d’engagement fictif afin d’être libéré et d’avoir « droit à une garde-robe ». « Je suis enfermé dans une espéce de cachot, écrit-il, où je ne puis voir personne. On m’a tout saisi sans restriction. Effets, Bijoux, linge même, tout m’a été ravi. » Dans la lettre qu’il adresse au directeur du Théâtre de Bruxelles, il évoque son métier, ses rôles et ses errances :
Monsieur,
Vous m’avez paru disposé en ma faveur : c’est ce qui m’enhardit à vous demander une grace. En vain j’ai tenté tous les moyens imaginables pour me tirer d’ici, mes Détenteurs ont juré de ne me relâcher que quand un Directeur répondroit pour moi. Si vous voulez m’accorder un Engagement pour la campagne prochaine, je verrai la fin de mes chagrins.
Lorsque vous avez eu la complaisance de m’envoyer l’engagement que j’ai en mains, je n’ai point fait de remarques sur l’employ parce qu’au fond, il étoit très indifférent que ce fût pour les Prs Rôles, pour les Peres Nobles, ou pour les Comiques. Mais maintenant si j’ai le bonheur de vous être utile, je pourrois déranger le plan de votre entreprise en vous laissant ignorer quel est l’employ que j’ai tenu depuis que je suis au spectacle.
Immédiatement après mes débuts d’essay faits à Bruxelles, il y a sept ans et demi, j’ai été engagé pour tenir en chef le Pr Employ à Grenoble, l’année suivante pour le tenir en partage avec Dalainville à Marseille et depuis je n’ai point changé. Il est vrai que comme je ne suis pas infiniment marqué, j’ai toujours joué volontiers les jeunes Prs dans les piéces où il n’y avoit qu’un rôle, tels que Darviane &c. mais je ne fais point de seconds rôles si ce n’est quelques uns que j’ai appris pour faire plaisir à Monsieur de Voltaire lorsque Le Kain est allé il y a quatre ans, lui donner neuf représentations.
9Saint-Preux est enfin libéré le 23 août 1776 et, après avoir rempli des seconds rôles à Bruxelles durant quelques mois, conformément au contrat qui le lie à Vitzthumb, il obtient un nouvel engagement dans la troupe de Namur, dirigée par Nicolas Hébert, dans laquelle se trouve notamment Fabre d’Églantine. « Mr Aufresne étoit ici quand je suis arrivé et commençoit ses débuts qui sont finis hier. Je ne commence les miens que d’aujourd’huy. »
10Le 16 février 1778, il débute à Maastricht par les rôles du Glorieux de Destouches et du Pygmalion de Rousseau. Il y reste jusqu’à la clôture de la saison le 11 avril. Du 13 mai au 27 juin 1778, il fait partie de la troupe de Lezaack à Liège, qui va donner des représentations à Spa durant l’été. Le 6 juillet 1779, il débute à la Comédie-Italienne et tente un second début le 4 février 1780 :
Le sieur St. Preux est l’Acteur qui a débuté hier par Dorante de la Coquette fixée. Il paroît réunir une grande intelligence à beaucoup d’habitude de la scene. Il ne lui est pas échappé un seul mot à contre-sens, & il a obtenu & mérité des applaudissemens en plusieurs endroits de son rôle. Cependant on a semblé desirer qu’il mit plus de moëlleux dans ses attitudes & dans sa diction, que dans certains passages, il donnât plus de rapidité à son débit, qui sans cela paroîtroit un peu lourd ; enfin qu’il se défit du défaut, devenu trop fréquent sur nos Théâtres, de bégayer certains mots. Cette maniere de dire n’ajoute rien au naturel & détruit tout le charme qui résulte de l’harmonie des vers.
11Le 20 août 1782, il débute à la Comédie-Française sous le nom d’Auvray. Il ne sera pas reçu :
Le Sr Auvrai, qui a débuté avant-hier à ce Théâtre dans les rôles du Glorieux & du Babillard, a eu dans tous les deux beaucoup de succès. Un physique avantageux, de l’intelligence, de la noblesse, un jeu consommé à peu de chose près, voilà ce qui a mérité à cet Acteur des applaudissemens universels. On lui a cependant reproché quelques gestes monotones ; & sa sortie à la fin du second Acte du Glorieux, a semblé trop chargée, défaut qu’il n’a eu qu’à cette seule occasion. Du reste, on ne peut que regretter qu’il ait paru un peu tard sur la Scène Françoise, & désirer qu’on fasse jouir le Public d’un talent qu’il a si bien accueilli.
12On le rencontre ensuite jouant les pères nobles, rois et grands raisonneurs à Lille durant la saison 1785-1786, puis à Paris au Théâtre de Monsieur en 1789. Il sera remercié en avril 1790. Il passe la saison 1792-1793 au Théâtre du Palais et devient directeur du Théâtre de l’Égalité l’année suivante.
13Le 25 octobre 1794, il épouse à Paris la comédienne et fille de comédiens Jeanne-Josèphe-Victoire Hédoux, qui meurt à Anvers le 7 juin 1807, où Auvray joue encore.
14Sous le Comité de salut public, Auvray s’engagera dans l’armée républicaine pour combattre l’Italie. Il donnera une dernière représentation à Lille le 23 décembre 1820.
15Vie mouvementée et carrière sinueuse, ce comédien en marge de la société passe son temps à essayer de s’y intégrer. Homme cultivé – son écriture et son orthographe en témoignent – empreint d’une certaine modestie, il restera toute sa vie un acteur de second ordre, incapable de surmonter ses ennuis financiers et de satisfaire ses créanciers.
- 4 Les éléments de biographie sont reconstitués à partir des pièces suivantes : AEB, Manuscrits divers (...)
- 5 Nantes, Archives municipales, registre de la paroisse Saint-Nicolas.
- 6 Joseph Patras (il ne signe jamais « Patrat », ni aucun membre de sa famille) était né à Arles le 7 (...)
16La carrière de Berville s’apparente, quant à elle, au stéréotype du comédien bien né désireux d’échapper à la monotonie de sa condition et qui apprend, à son corps défendant, l’insécurité de la vie errante4. Issu d’une ancienne famille noble originaire d’Italie, Nicolas-Noël Bonamy, dit Berville, est né à Nantes le 25 décembre 17455. Vers 1780, il épouse l’actrice munichoise Marie-Claire-Thérèse Spiess, veuve de Thomas Patras, frère de Joseph Patras, comédien et auteur dramatique prolifique qui finit ses jours comme secrétaire du Théâtre de l’Odéon6. Berville est à Toulouse en 1776, d’où il manque un engagement pour la Prusse que lui a ravi un autre acteur. Il dirige ensuite le théâtre de Saint-Germain-en-Laye et est engagé à Bruxelles en 1783 ; sa femme y joue également un an plus tard.
17En janvier 1785, il adresse au ministre plénipotentiaire, le comte de Belgiojoso, la lettre suivante :
Si votre Excellence daignait me le permettre, je pourrais avoir l’honneur de lui donner des preuves que je suis issu des Préciosi Bonamici (mon nom véritable), famille noble & ancienne dont quelques uns ont été au service de Malthe. Un Préciosi Bonamici qui éxiste encore était secrétaire d’état & sur-intendant des finances de feu Dom Emmanuel Pinto, en son vivant Grand-Maître de l’ordre de Malthe. Depuis près de deux siècles une branche de cette famille s’est établie en France dans la province de Bretagne. Plusieurs y ont rempli avec distinction et particulierement à Nantes (ma patrie) des places & des charges honorables dans le service militaire & dans la magistrature. Dans la derniere guerre un de mes freres aide de camp de Monsieur le Marquis de St Simon l’un de nos Généraux en Amérique, s’est distingué à l’attaque de New-Yorck et a été élevé au grade de Colonel avec la croix de St Louis.
Pour moi, faute d’expérience et de fortune, j’ai embrassé très jeune la profession du théatre ; toute ma famille s’est soulevée contre moi sans retour, cela devait être ; & depuis ce tems je suis obligé de continuer cet état-cy par nécessité. Je puis, Monseigneur, me réclamer auprès de votre Excellence de la recommandation de Monseigr le Maréchal-Duc de Noailles Gouverneur de St Germain-en Laye où j’étais cy-devant Directeur du spectacle. Pendant la derniere guerre d’Allemagne, mon épouse & moi nous avons joué la Comédie à Vienne & nous y avons été souvent honorés de l’Auguste présence de sa Majesté l’Empereur et de la présence du Prince de Ligne. Nous avons ensuite été désignés pour donner nos soins, à Laxembourg, aux Spectacles que jouaient elles mêmes leurs Excellences Monsieur le Comte de Cobenzel Mesdames les Comtesses Clary, Asfeld & autres personnes de distinction qui nous ont honorés de leur protection & de leurs bienfaits. Mon épouse née à Munich de parens honnêtes au service de la Cour et protégée de sa souveraine, est honorée des bontés de son Excellence Monsieur le Comte de Terring-Seefeld, Commandeur de l’ordre de Malthe & de Madame la Comtesse sa sœur premiere Dame de Clé de S.A.S. Madame l’Electrice Douairiere de Bavière qui font élever sous leurs yeux et par leurs soins deux filles fruits légitimes de mon épouse […].
Mon épouse n’a pris ici que par circonstance un engagement pour jouer les grandes coquettes et les premiers rôles qui ne sont pas marqués au coin de la jeunesse ; elle a presque toujours joué ainsi qu’à Vienne, à Lyon, à Toulouse et à Lille les emplois de Reines, Meres nobles & Caractères dans lesquels on l’a toujours trouvée mieux placée que dans les premiers rôles. Il y a quelques mois que nous fûmes recherchés pour le Spectacle de Marseille par le frere de mon épouse qui en est Régisseur ; & cet engagement considérable nous eût parfaitement convenu si des circonstances impérieuses nous eussent condamnés au malheur de nous éloigner de Bruxelles.
Dans ce tems le sieur Bursay se trouva à Paris ; il y rencontra le principal actionnaire de Marseille qui faisait la recherche pour pâque prochain d’une actrice pour l’emploi de Reines, Meres nobles & Caractères. Il jugea à propos de nous desservir auprès de cet actionnaire et nous fit manquer cet engagement lorsque nous étions sur le point de le recevoir.
18Le contrat du couple n’est pas renouvelé, mais les deux acteurs trouvent un engagement à Gand de 1785 à 1787. L’année suivante, Berville est à Genève, dans la troupe de Joseph-François Gallier, dit Saint-Gérand. Il retourne à Saint-Germain-en-Laye l’année suivante, puis entre en 1789 au Théâtre de Monsieur où il tient les rôles de raisonneurs jusqu’en 1792. Acteur de la Comédie-Française en 1799, il joue encore au Théâtre de la Porte-Saint-Martin en 1805.
- 7 Elle était née à Saint-Germain-en-Laye le 15 mars 1788.
19Retiré de la Comédie-Française sans pension, il donne des cours de déclamation rue Mazarine, tandis que sa fille Justine, comédienne elle aussi, « court le cachet de ville en ville pour donner des leçons particulières ». Elle meurt à 25 ans le 28 juillet 1813, « après une longue agonie de sept mois, sans nourriture ni médicaments »7.
20Quant à Mme Berville, elle « languit depuis plus de dix ans dans le malheur et la démence. Elle est au dernier degré de l’imbécillité, sourde et presque aveugle » et meurt le 8 juillet 1815. Aussi, totalement désespéré, Berville écrit le 7 février 1816 à la direction du théâtre :
- 8 Bicêtre (aujourd’hui sur la commune du Kremlin-Bicêtre, au sud de Paris) fut d’abord une prison, pu (...)
Enfin le moment est arrivé où vous allez pour jamais vous débarrasser de moi. Vous avez eu la générosité de me proposer de me faire entrer à Bissètre8, ou de me faire retourner à Nantes en m’en procurant les moyens […]. Bissètre ayant fait sur moi l’effet de l’annonce d’une mort ignominieuse, j’ai fait de suite toutes les dispositions relatives à mon voyage.
21Mais la direction du théâtre ne l’entend pas de cette oreille et lui répond :
Le comité croit devoir regarder comme non-avenue votre lettre du 7 de ce mois et pouvoir en conséquence faire les démarches nécessaires pour que vous entriez dans l’hospice qui a été indiqué.
22Riche ou pauvre de naissance, le comédien se débat dans les mêmes difficultés pour trouver un emploi et, même à l’ombre des grands, c’est à l’aune du talent que le public jugera. Berville aura fini aussi mal qu’il a commencé, et sa carrière, loin d’avoir été exemplaire, se terminera à l’asile à soixante ans.
23Vers la fin du siècle, le nomadisme des troupes s’amenuise dans les grandes villes, tandis qu’il continue à s’étendre dans les villes de moindre importance. En revanche, les comédiens sillonnent plus que jamais les routes individuellement, ici fuyant des troubles sociaux, là en quête de reconnaissance ou pour mieux établir une renommée acquise à Paris. C’est le début de la pratique des « tournées », qui se généralisera au xixe siècle. D’autres espèrent trouver, ailleurs qu’à Paris, une troupe dans laquelle faire carrière ou, au moins, la terminer décemment. Ceux-là perpétueront l’image du comédien modeste, obligé de négocier ses maigres talents et exposé à l’exploitation d’entrepreneurs peu scrupuleux. Dans la mesure où ces comédiens demeurent confinés à une solitude grandissante, la solidarité qui présidait au nomadisme des troupes tend à se désagréger. Les acteurs isolés sont entièrement livrés à leur sort et s’enlisent dans une errance de plus en plus grande.
- 9 J. Duvignaud, L’Acteur, op. cit., p. 117 et 131.
24À la fois indépendant et contrôlé, autonome et réglementé, le métier d’acteur distille des figures imaginaires, tantôt mythologiques et tantôt chevaleresques, au public qu’il fait rêver. Le comédien se situe pourtant en marge de la société, déchiré qu’il est entre les exigences de la cour et celles de la ville, alors même que l’Ancien Régime lui est plutôt favorable et trouve dans le théâtre l’une des expressions artistiques les plus achevées. Il demeure atypique et hérétique, alors qu’il véhicule la rencontre des groupes sociaux et la foi dans un nouvel humanisme9. Mais son image est indéfectiblement liée à celle des privilégiés qui l’ont soutenu et protégé, et comme eux, il finira en prison dès qu’une société sera confrontée à la rupture interne, au désordre, à la révolution.
Notes
1 Les éléments de biographie sont reconstitués à partir des pièces suivantes : AEB, Manuscrits divers 1808 (lettre du 25 mars 1776) et 3848 (lettres des 20 et 22 mars 1776, 17 et 24 août 1776, 24 janvier 1777) ; AEB, Tribunaux auliques 13bis ; AVB, registre 471 (baptêmes de la paroisse Notre-Dame du Finistère) ; Lyon, Archives municipales GG 99 ; Montpellier, Archives municipales GG 281-282 ; Bernard, op. cit., p. 220 ; A. Body, op. cit., p. 26 ; Journal de Paris des 5 février 1780 et 22 août 1782 ; L. Lefebvre, op. cit., p. 284 et 351 ; H. Lyonnet, op. cit., t. I, p. 623-624 ; J. Martiny, op. cit., p. 42 ; Nouvel almanach ambigu chantant 1786 ; L. Péricaud, op. cit., p. 20 et 86 ; Spectacles de Paris 1792.
2 Philippe-Gabriel Diacre, dit Rozeli, était né à Paris en 1734. Sa première épouse, Anne Berger, mourut à Bruxelles le 24 octobre 1766. Le 18 février 1771, il épousa en secondes noces à Bruxelles Jeanne-Louise Louis, fille du comédien François Louis. Rozeli mourut à Troyes le 2 mai 1778.
3 B pour « bardache », sodomite.
4 Les éléments de biographie sont reconstitués à partir des pièces suivantes : AEB, Manuscrits divers 3848, Notariat général de Brabant 17366 (notaire De Trez), Secrétairerie d’État et de Guerre 21332 ; Genève, Archives d’État, notaire Binet, vol. 54 ; H. Lyonnet, op. cit., t. I, p. 163 ; Nouvel almanach ambigu-chantant, Gand, Gimblet, 1784, 1785 et 1787 ; L. Péricaud, op. cit., p. 20 et 140 ; Paris, Archives de la Comédie-Française.
5 Nantes, Archives municipales, registre de la paroisse Saint-Nicolas.
6 Joseph Patras (il ne signe jamais « Patrat », ni aucun membre de sa famille) était né à Arles le 7 mai 1733, d’André Patras, musicien et machinistre de théâtre, et de Pierrette Mammer. Il mourut à Paris le 4 juin 1801. Son frère cadet, Thomas, était né à Bordeaux le 4 décembre 1736. André Patras (né à Vienne en Dauphiné le 21 août 1706) était le fils de Claude Patras, « opérateur », et de Catherine Zanoni, dont le frère, Grégoire, était montreur de marionnettes. Jacques-Gabriel Zanoni, dit Grégoire, était le demi-frère de Joseph et Thomas.
7 Elle était née à Saint-Germain-en-Laye le 15 mars 1788.
8 Bicêtre (aujourd’hui sur la commune du Kremlin-Bicêtre, au sud de Paris) fut d’abord une prison, puis un hôpital où l’on enfermait les « indésirables ».
9 J. Duvignaud, L’Acteur, op. cit., p. 117 et 131.
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Référence papier
Jean-Philippe Van Aelbrouck, « Conclusions », Études sur le XVIIIe siècle, 48 | 2020, 189-195.
Référence électronique
Jean-Philippe Van Aelbrouck, « Conclusions », Études sur le XVIIIe siècle [En ligne], 48 | 2020, mis en ligne le 01 janvier 2025, consulté le 28 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes18/2067 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/13r3t
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