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Jean-Pierre Cléro, Lacan and the English Language

Malik Bozzo-Rey
Référence(s) :

Jean-Pierre Cléro, Lacan and the English Language, trans. Jacques Houis, New York, Agincourt Press, 2020, 345 pp.

Texte intégral

  • 1 Cléro Jean-Pierre, « Lacan et la langue anglaise », Essaim, 2012/2 (n° 29), p. 75-95. DOI : 10.3917 (...)

1Cet ouvrage est la traduction anglaise du texte Lacan et la langue anglaise paru aux éditions Erès en 2017. Cette remarque, qui pourrait sembler anodine, met le lecteur – qu’il soit francophone ou anglophone – face à l’enjeu même de l’ouvrage : penser les rapports d’une pensée au langage, à lalangue, tout en tentant de retranscrire dans une langue étrangère (l’anglais) une pensée profondément ancrée dans la langue (française) tout en ne cessant de faire référence à des auteurs anglais. Il renvoie à une question que Jean-Pierre Cléro avait déjà affrontée : « Notre problème est de commencer de savoir ce qui, aux yeux de Lacan, peut être dit en anglais qui ne pourrait l’être en français : qu’est-ce qui peut être structuré en anglais qui ne saurait l’être en français ? ».1 Cette question est d’autant plus frappante que l’auteur admet avoir découvert tardivement à quel point l’anglais occupait une place très importante – au même titre que l’allemand – dans les écrits lacaniens. Finalement, au-delà de la langue elle-même, l’auteur pose une question au fondement même de toute réflexion sur la traduction.

2Lacan and the English Language entend donc procéder à une étude systématique mais non exhaustive des auteurs anglais que Lacan utilise. Le livre est ainsi divisé en cinq parties. La première s’intéresse aux philosophes, la deuxième se concentre sur les questions de logique et de linguistique, la troisième insiste sur l’importance de la littérature anglaise dans l’élaboration de la pensée lacanienne, la quatrième est dédiée aux psychanalystes que Lacan va utiliser et critiquer et la dernière aborde des scientifiques qui ont permis à Lacan d’élaborer son épistémologie et de s’interroger sur les questions de méthode. Nous le voyons dès à présent, si l’auteur n’a pas visé l’exhaustivité – et il le reconnaît lui-même – force est de constater que l’ouvrage est dense et riche. Il souligne également l’importance et la variété des références anglaises utilisées par Lacan.

3Afin de mieux comprendre la démarche mise en œuvre, il est intéressant d’identifier les trois questions qui structurent la recherche et qui permettent de naviguer à travers l’ouvrage. La première cherche à comprendre les relations entre le symbolique et l’imaginaire. La deuxième s’attache à se demander dans quelle mesure la psychanalyse permet de dépasser certaines antinomies comme celles du langage et du discours ou de l’individuel et du collectif. Enfin, la dernière – et non des moindres – consiste à se demander comment le langage peut à la fois produire les concepts permettant de comprendre l’inconscient tout en étant un obstacle pour saisir ce dernier. Nous voyons bien ici à quel point le rapport à la langue est fondamental et justifie pleinement le projet même de l’ouvrage.

4Intéressons-nous maintenant à une partie spécifique au regard de l’intérêt qui est le nôtre, à savoir celle consacrée aux philosophes et plus spécifiquement à Jeremy Bentham. Le premier point tient à ce que nous pouvons apprendre de la manière dont Lacan fait usage des philosophes dans la construction de sa pensée – point qui devrait amener nombre de philosophes à interroger leur méthodologie. Jean-Pierre Cléro le souligne à plusieurs reprises : il est nécessaire de se libérer d’une approche chronologique des philosophes pour comprendre l’usage qu’en fait Lacan. Il envisage en effet chaque philosophe ou plus précisément chaque pensée philosophique non pas comme un tout qui se doit d’être cohérent et dont on peut – doit – analyser chaque évolution et imbrication mais bel et bien comme des concepts et des thèses à disposition qu’il utilise de manière instrumentale selon ses besoins. Autrement dit, d’une certaine manière, Lacan désacralise la pensée philosophique et s’affranchit d’une histoire de chaque pensée qu’il pourrait utiliser. D’une certaine manière Lacan adopte par ailleurs une approche qui relève de la philosophie analytique.

5Le chapitre dédié à Bentham souligne à quel point Lacan s’est démarqué des interprétations françaises de l’utilitarisme benthamien. En effet, il ne s’intéresse ni à l’utilitarisme en tant que tel ni au panoptique mais bel et bien à ce qui constitue la pierre angulaire de la théorie benthamienne : sa « théorie des fictions ». Lacan a ainsi tout à fait connaissance de l’ouvrage de C.K. Ogden qui a consacré ce terme. Il comprend très précocement que « la vérité a structure de fiction » ce qui le rapproche bien évidemment de la théorisation que peut en faire Bentham. Nous le disions plus haut, Lacan utilise les auteurs en relation avec l’élaboration de sa propre pensée. Ainsi, il lie la fiction benthamienne au symbolique. Le fictif benthamien devient le symbolique dans la langue lacanienne. Dès lors, Bentham « est loin de mériter le discrédit, voire le ridicule » et Lacan s’oppose ainsi à « une certaine critique philosophique ». Mais il va également plus loin en affirmant : « C’est à l’intérieur de cette opposition que vient se placer le mouvement de bascule de l’expérience freudienne ». Enfin, Lacan prolonge sa réflexion puisqu’il cherche, comme Bentham, à penser comment rendre opératoires les fictions. Bentham s’intéressait notamment au droit, Lacan à la pratique psychanalytique, en ce qui concerne par exemple la question du transfert. La relation que l’on voit se tisser entre Bentham et Lacan s’appuie sur des intérêts communs et une compréhension fine et originale de l’utilitarisme.

6La grande force de Lacan est d’avoir su identifier dès le départ à quel point l’utilitarisme benthamien devait être compris au prisme de sa théorie du langage. Prisme que n’a cessé d’explorer Jean-Pierre Cléro et que les travaux du Centre Bentham ont cherché à mettre au jour et à structurer.

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Notes

1 Cléro Jean-Pierre, « Lacan et la langue anglaise », Essaim, 2012/2 (n° 29), p. 75-95. DOI : 10.3917/ess.029.0075. URL : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-essaim-2012-2-page-75.htm

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Pour citer cet article

Référence électronique

Malik Bozzo-Rey, « Jean-Pierre Cléro, Lacan and the English Language »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 20 | 2021, mis en ligne le 18 décembre 2021, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/9514 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.9514

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Auteur

Malik Bozzo-Rey

Université Catholique de Lille

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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