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Monika Fludernik, Metaphors of Confinement: the Prison in Fact, Fiction and Fantasy

Oxford University Press, 2019
Claire Wrobel
Référence(s) :

Monika Fludernik, Metaphors of Confinement: the Prison in Fact, Fiction and Fantasy, Oxford University Press, 2019, 804 pages. ISBN 978-0-19-884090-9

Texte intégral

1Dans les grandes études d’histoire carcérale qui ont fait date dans les années 1980-1990 (Surveiller et punir de Michel Foucault [1975], A Just Measure of Pain: The Penitentiary in the Industrial Revolution, 1750-1850 de Michael Ignatieff [1978] ou encore The Fabrication of Virtue: British Prison Architecture, 1750-1840 de Robin Evans [1982]), le projet panoptique de Jeremy Bentham occupe une place centrale, marquant le passage de la prison de l’ancien temps (lieu de passage, de brassage, de contamination) au pénitencier (où le quotidien est régimenté à l’extrême). Dans le champ de la critique littéraire, cette historiographie a inspiré à la même époque des analyses (John Bender, Imagining the Penitentiary : Fiction and the Architecture of Mind in Eigheenth-Century England de John Bender [1987] ou The Novel and the Police de D.A. Miller [1988]) dans lesquelles le Panoptique permet d’appréhender la question du point de vue et du discours.

2Metaphors of Confinement se distingue de cette tradition en relativisant la centralité du Panoptique et plus généralement du pénitencier. Ce positionnement tient à son objet d’étude (l’imaginaire carcéral tel qu’il se manifeste dans les métaphores plus que la prison comme cadre spatial) et à l’amplitude de la période historique traitée (du Moyen Age à l’époque contemporaine). L’une des conclusions de l’ouvrage est que, au niveau des représentations, le pénitencier n’instaure pas de rupture fondamentale. L’auteure constate au contraire une grande continuité dans les tropes et topoi carcéraux. Selon elle, les prisons littéraires ne reflètent pas les pratiques d’incarcération qui leur sont contemporaines (l’hypothèse mimétique est donc écartée) mais s’inscrivent dans une tradition de représentations qu’elle s’attache à mettre au jour. Le livre part du constat de l’omniprésence du carcéral dans la littérature mais aussi dans le monde et pose que maintenir une distinction stricte entre imaginaire et réalité ne permet pas d’en rendre compte.

3Plus précisément, les métaphores (entendues au sens large puisque le terme inclut aussi les comparaisons, synecdoques et métonymies) sont étudiées dans des contextes littéraires (roman mais aussi poésie et théâtre dans une sphère anglophone incluant la littérature postcoloniale) et non-littéraires. Loin d’être réduites à des fonctions ornementales, les métaphores remplissent ici des fonctions cognitives. Le champ d’investigation exclut les représentations filmiques et la détention en camps. Il s’agit d’identifier à la fois comment le domaine carcéral est représenté et ce qui est évoqué au moyen d’images carcérales, d’où un certain nombre de structures en chiasme (par exemple « le monde comme prison » et « la prison comme monde »). Le livre ne se présente pas sous une forme téléologique mais plus comme une cartographie de réseaux métaphoriques, s’appuyant sur des lectures très précises des textes. L’auteure revendique le modèle du « bricolage » (ou de « juxtaposition créative », xiii). Les textes sont regroupés au sein de neuf chapitres thématiques en fonction du type de métaphore qu’ils illustrent. Les aspects idéologiques de ces discours et représentations sont pris en considération : le livre replace les réseaux métaphoriques dans les débats historiques et contemporains sur la politique pénale et pointe les enjeux éthiques de notre rapport – médiatisé par l’art mais pas uniquement – à la prison. L’imaginaire carcéral s’élabore à partir des échanges entre images culturelles (les prisons étant des « hétérotopies », elles sont par définition source d’angoisses, de fantasmes, de projections mais rarement connues d’expérience) et représentations littéraires. Il est à la fois un « site idéologique » et un lieu de « projection psychologique » (59).

4L’approche élaborée par l’auteure combine la méthodologie de plusieurs de ses centres d’intérêt, notamment la stylistique (et en particulier la théorie des métaphores) et le champ « droit et littérature ». Elle s’appuie sur des micro-lectures textuelles dont l’échelle va à l’encontre de celle des grands récits historiographiques évoqués plus haut. Ses interprétations s’appuient également sur des analyses menées à partir de bases de données (English and American Literature, British National Corpus ainsi que les archives du Guardian) dont les conclusions sont présentées dans des tableaux en appendice entre les pages 646 et 690 .

5Le livre est susceptible d’intéresser différents publics : les spécialistes de littérature anglophone, de théorie de la métaphore, de droit et littérature ou toute personne désireuse d’en savoir plus sur les prisons dans la littérature. Il constitue une somme impressionnante qui s’étend sur plus de de 600 pages, avec une bibliographie très complète d’une cinquantaine de pages. Une lecture linéaire n’étant peut-être pas la plus efficace, l’auteure suggère d’utiliser les index (de sujets et de noms) pour cibler auteurs, périodes ou thèmes. Tous les chapitres, à l’exception du cinquième, se terminent par une conclusion qui peut également guider le lecteur dans ses choix.

6Les lecteurs s’intéressant à Jeremy Bentham et à l’utilitarisme se tourneront en particulier vers l’introduction (où l’auteure confronte aux prisons contemporaines certains aspects de la théorie foucaldienne, notamment l’association entre discipline et surveillance, le postulat de l’intériorisation des normes et la question de la réforme), le chapitre 6 (qui aborde les questions éthiques et politiques), le chapitre 7 (qui traite de la question du travail dans les nouveaux pénitenciers) et le chapitre 9 (qui étudie la métaphore panoptique dans la littérature). L’auteure remet en cause « l’orthodoxie panoptique » (19) en soulignant l’importance donnée au travail dans les Postscripts sur ce projet, l’échec du panoptisme à fonctionner dans la réalité et les écarts entre le fonctionnement de la prison-modèle de Bentham et celui des établissements qui ont effectivement été construits. Selon elle, Foucault lui-même fait un usage métaphorique du panoptique, au sein d’une stratégie esthétique, pour évoquer la discipline et la surveillance pénitentiaires.

7L’auteure note que le panoptique est devenu une « ressource métaphorique » (21) pour la critique littéraire après sa popularisation par Foucault et qu’il est devenue un « emblème » (542) sous la plume de ce dernier. Un des exemples littéraires les plus frappants du point de vue du panoptisme est un chapitre du roman Nights at the Circus, d’Angela Carter. La critique part habituellement du principe que le bâtiment identifié par Carter comme un Panoptique (un pénitencier construit au dix-neuvième siècle en Sibérie par une comtesse qui a tué son mari et entend obtenir son salut en surveillant d’autres meurtrières supposément poussées sur la voie du repentir par la détention) correspond en effet au modèle de Bentham ou au moins à celui de Foucault. Cependant, l’auteure relève que dans cette variation littéraire, une entorse est faite à un des mécanismes fondamentaux du Panoptique, selon lequel les prisonniers ne sont pas censés savoir qui occupe la tour centrale, ni même si elle est occupée. Les prisonnières de la Comtesse peuvent en effet l’observer depuis leurs cellules, si bien que le regard et l’hostilité qui l’accompagne sont réciproques. La Comtesse est tout autant punie que ses détenues et son propre dispositif finit d’ailleurs par se retourner contre elle. Carter transforme ainsi la dystopie panoptique imaginée par la Comtesse en utopie féministe. Pour aller plus loin, on pourrait souligner le fait, souvent ignoré par la critique, que la surveillance dans le Panoptique de Bentham n’avait pas vocation à être unilatérale. Comme le rappelle Janet Semple dans Bentham’s Prison, cinq niveaux de surveillance devaient être exercés : les prisonniers sont surveillés par les autorités ; le gouverneur surveille les gardiens ; les gardiens surveillent les gardes ; les prisonniers se surveillent mutuellement ; et la structure dans son ensemble est ouverte au public. L’idée d’exposer les surveillants aux regards n’était donc pas exclue du Panoptique benthamien, bien au contraire. C’est d’ailleurs sans doute en plaçant son Panoptique au cœur de la steppe sibérienne, à l’abri des regards et des visites, que Carter s’éloigne le plus du modèle benthamien.

8L’auteure évite l’écueil du recours abusif et approximatif à la métaphore panoptique dès lors qu’il est question de regard (gaze), de surveillance et/ou de pénitencier dans son traitement du roman Affinity de Sarah Waters. Elle fait la distinction entre ce qui relève de la surveillance et ce qui relève de l’espionnage ou du complot, d’une part, et entre le pénitencier de Millbank et le modèle panoptique, d’autre part. Bentham se voit parfois attribuer la paternité du pénitencier de Millbank, ce qui est ironique - car celui-ci a été érigé à l’endroit-même où il espérait faire construire son Panoptique - et constitue une source de confusion car, comme le rappellent par exemple les artistes et architectes Fran Cottell et Marianne Mueller dans Bentham and the Arts (UCL Press, 2020), ni le plan de Millbank ni son fonctionnement ne correspondaient au projet benthamien. L’auteure fait donc un usage modéré de la métaphore panoptique en littérature, ce qui pose en creux la question de son extension et des conditions de sa pertinence en littérature, qui ne se limite pas aux romans ayant le milieu carcéral pour cadre.

9L’étude du panoptisme en littérature, et notamment dans le roman néo-victorien, permet à l’auteure d’introduire la question du genre dans la discussion. Si les métaphores carcérales sont monnaie courante pour évoquer le quotidien des femmes et ce au moins depuis Mary Wollstonecraft, le genre n’apparaît nulle part dans Surveiller et punir. Les féministes n’ont d’ailleurs pas manqué de pointer le fait que le sujet moderne était limité à un generic he. Le genre n’est qu’une des nombreuses perspectives adoptées dans un ouvrage très riche et documenté qui impressionne par sa rigueur et son envergure, qui constitue une ressource documentaire très utile et permet de s’interroger sur l’ambivalence de notre rapport aux prisons, ambivalence problématisée dès la couverture, qui reproduit une grille en bambou, dont les entrelacs évoquent des barreaux mais constituent aussi un objet esthétique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Wrobel, « Monika Fludernik, Metaphors of Confinement: the Prison in Fact, Fiction and Fantasy »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 19 | 2021, mis en ligne le 30 janvier 2021, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/9059 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.9059

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Auteur

Claire Wrobel

Université Panthéon-Assas

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