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Richard Mervyn Hare, Penser en morale. Entre intuition et critique, Malik Bozzo-Rey, Jean-Pierre Cléro et Claire Wrobel, trads

Hermann, Coll. « L’avocat du diable », 2019
Vincent Aubert
Référence(s) :

Richard Mervyn Hare, Penser en morale. Entre intuition et critique, Malik Bozzo-Rey, Jean-Pierre Cléro et Claire Wrobel, trads. Hermann, Coll. « L’avocat du diable »,2019, 460 pages

Texte intégral

  • 1 L'ouvrage est longuement présenté par Jean-Pierre Cléro et sa compréhension est facilitée par de (...)
  • 2 Hare avait auparavant publié The Language of Morals (1952) et Freedom and Reason (1963). Les recu (...)

1Acteur majeur de la philosophie morale anglo-saxonne du second vingtième siècle, Richard Mervyn Hare (1919-2002) n’avait encore jamais été traduit en français. C’est désormais chose faite grâce au travail de Malik Bozzo-Rey, Jean-Pierre Cléro et Claire Wrobel1. Leur choix s’est judicieusement porté sur Moral Thinking : Its Levels, Method, and Point, ouvrage paru en 1981 et qui constitue sans doute la meilleure porte d’entrée à l’ambitieuse philosophie morale de Hare. Il s’agit en effet du premier ouvrage dans lequel cette philosophie apparaît sous sa forme finale et, si les recueils d’articles publiés ultérieurement par Hare en facilitent la lecture, ils ne la remplacent pas2.

2Penser en morale. Entre intuition et critique s’ouvre par ce que Hare identifie dans son autobiographie philosophique comme étant l’« ambition de sa vie, trouver une manière de répondre aux questions morales de manière rationnelle » (Hare 2002, 269). A l’en croire, cette ambition était déjà la sienne lorsqu’il était étudiant à Oxford et qu’il était insatisfait tant par l’émotivisme qui était en vogue à l’époque que par l’intuitionnisme dont il avait pris la place. Hare reconnaissait aux émotivistes d’avoir compris que les jugements moraux ne font pas que décrire le monde mais il n’était pas prêt à renoncer à l’idée que la réflexion morale puisse être une activité rationnelle. Comment conserver cette idée sans ramener la réflexion morale vers la découverte de faits irréductiblement moraux ?

  • 3 Deux précisions sont ici de rigueur. Premièrement, Hare ne prétend pas fournir de « canons du rai (...)
  • 4 Au sujet de l'objectivité et de la vérité, cf. (Hare 1997, 134) et (Hare 1999, chap 1). Au sujet (...)

3En un mot, la réponse de Hare est que « nous sommes rationnels (…) si nous faisons usage des faits [non-moraux] disponibles et si nous raisonnons en accord avec les exigences logiques engendrées par les concepts que nous utilisons dans les questions que nous nous posons » (p. 395). C’est bien le minimum mais comment croire que nous pourrions résoudre nos conflits moraux avec si peu ? La thèse certainement la plus provocante de Hare est que, si nous respections parfaitement ces exigences, celles-ci « contraindraient si étroitement nos évaluations morales qu’en pratique nous n’aurions d’autres choix que de nous accorder sur les mêmes » (p. 83)3. Certains jugements moraux seraient en conséquence vrais ou, du moins, objectifs, non pas dans le sens qu’ils correspondraient avec des faits moraux mais dans le sens kantien qu’ils recevraient l’assentiment de tout penseur rationnel. Est-ce à dire que l’impératif catégorique kantien donne la réponse aux questions morales ? Hare répondrait que le penseur rationnel aboutirait aux évaluations morales données par une version de l’utilitarisme préférentiel (p. 80, 131, 330) mais il ajouterait que Kant aurait pu (voire aurait dû) être un tel utilitariste4. A supposer que Hare ait raison, on serait fondé à dire avec Singer (1988, 147) que le travail accompli dans Penser en morale « doit être considéré comme le résultat le plus important de l’éthique récente, peut-être même comme le point culminant de toute la philosophie morale occidentale ».

  • 5 Hare consacre le chapitre 7 de Penser en morale au problème de la « comparaison interpersonnelle (...)

4Afin de présenter l’argumentation de Hare, considérons un docteur en mesure de prolonger de quelques mois la vie d’un patient atteint d’une maladie mortelle incurable. Le docteur préfère avec la force F1 prolonger la vie du patient mais celui-ci préfère avec la force F2 > F1 que le docteur le laisse mourir5. A supposer que personne d’autre ne soit affecté par sa décision, que doit faire le docteur ?

5Un partisan de l’utilitarisme préférentiel dépassera le conflit interpersonnel entre la préférence du docteur et celle de son patient en considérant la force de ces préférences et il conclura que le docteur ne doit pas prolonger la vie du patient.

6Hare part quant à lui de la logique du concept moral apparaissant dans la question posée, une logique qu’il déduit d’une analyse du sens commun des concepts moraux qu’il appelle le « prescriptivisme universel ».

  • 6 En toute rigueur, Hare est ici conduit à une simplification dont il n'est pas satisfait : « nous (...)

7Premièrement, les jugements moraux sont universalisables dans le sens « qu’ils supposent des jugements identiques concernant tous les cas identiques dans leurs propriétés universelles » (p. 225) c’est-à-dire dans leurs propriétés que l’on peut spécifier sans mentionner le moindre individu (Hare 1997, 23). Ainsi, si le docteur soutient qu’il doit prolonger la vie de son patient, cela l’engage à accepter le jugement universel que la vie d’un patient doit être prolongée s’il se trouve exactement dans la même situation que son patient et, notamment, s’il possède la préférence de celui-ci6.

8Deuxièmement, les jugements moraux sont des prescriptions et Hare entend notamment par là qu’ils « sont l’expression de préférences ou de désirs au sens large » (p. 341-342). Afin d’accepter ce qui est maintenant devenu une prescription universelle, le docteur doit plus précisément être en mesure de « la concilier avec la somme totale » de ses préférences – il lui faut « préférer, tout compte fait, qu’elle soit (universellement) respectée plutôt qu’elle ne le soit pas » (p. 397).

  • 7 Bien que le nom donné par Gibbard nous semble être le plus utilisé, on rencontre également ceux d (...)

9Troisièmement, la rationalité exige non seulement que nous respections la logique des concepts moraux mais également que « nous formions nos jugements moraux à la lumière des faits » (p. 196). Le docteur rationnel réfléchira donc à la prescription universelle en sachant que, s’il se trouvait dans la situation de son patient, il y préfèrerait avec la force F2 qu’on le laisse mourir. Hare soutient alors que le docteur ne peut pas savoir cela sans acquérir dans la situation actuelle une préférence de force F2 qu’on le laisse mourir dans le cas où il serait dans la situation de son patient. On parle après Gibbard (1988, 60) du « Conditional Reflection Principle », Hare en fait une « vérité conceptuelle » (p. 206 & 400) et il en déduit que le docteur fait maintenant face à un conflit intrapersonnel entre sa préférence conditionnelle acquise de force F2 et sa préférence initiale de force F1<F27. Il en conclut alors que comme

la première de ces préférences l’emporte sur la seconde, le docteur acceptera la prescription universelle que, dans de tels cas, il faut autoriser le patient à mourir, plutôt que celle qui prescrit que le patient doit être maintenu en vie à tout prix. Car la seconde de ces prescriptions perturbe l’équilibre des préférences du médecin lui-même. (p. 332)

10On retrouve donc le verdict de l’utilitarisme préférentiel et Hare y voit une illustration d’un résultat tout à fait général. Si la situation était plus complexe et que d’autres personnes étaient affectées, le docteur rationnel acquerrait autant d’autres préférences conditionnelles et la résultante de l’ensemble de ses préférences serait toujours en faveur de l’option que l’utilitarisme préférentiel sélectionnerait.

11Supposons à présent que l’utilitarisme préférentiel soit bien le résultat de ce que Hare appelle la « pensée critique » qui « consiste à faire un choix sous les contraintes imposées par les propriétés logiques des concepts moraux et par les faits non-moraux, et par rien d’autre » (p. 128). Est-ce à dire que nous devons en toutes circonstances pratiquer le calcul utilitariste ?

12Comme la plupart des utilitaristes, Hare répond par la négative, attendu que nous sommes loin d’être ce qu’il appelle un archange, « un être doté de pouvoirs de pensée surhumains, d’une connaissance surhumaine et dépourvu de faiblesses humaines » (p. 133). L’information dont nous disposons ainsi que nos capacités de la traiter sont limitées et nous sommes enclins au stress ainsi qu’à être biaisés par notre intérêt personnel. En conséquence, le principe utilitariste, s’il fournit bien le critère de la moralité, n’est pas une procédure de décision adaptée à la plupart des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Dans ces circonstances, la pensée critique doit céder la place à ce que Hare appelle la « pensée intuitive » dont la « fonction » est de « fournir une approximation du résultat » auquel un archange parviendrait

pour ceux qui ne parviennent pas à penser comme des archanges dans une occasion bien précise. Si nous souhaitons garantir la plus grande conformité possible à ce qu’un archange déciderait, il nous faut essayer d’implanter en nous-mêmes et chez ceux sur lesquels nous avons une influence un ensemble de dispositions, de motivations, d’intuitions, de principes prima facie (quel que soit le nom qu’on leur donne) qui produiront un tel effet. (p. 137)

  • 8 Telle est la raison pour laquelle Hare ne souhaite pas parler de « rules of thumbs » (p. 125-126) (...)

13Certains principes prima facie seront alors communs à tous tandis que d’autres seront propres aux individus ou à certains rôles comme celui de médecin ou d’avocat (p. 374) et tous seront « associés (...) à des dispositions et des sentiments très fermes et profonds » (p. 126)8. La lecture réductionniste faite par Hare de la notion d’intuition étant ce qu’elle est, les personnes auront fortement l’intuition qu’elles doivent toujours respecter ces principes mais Hare estime possible qu’elles gardent à l’esprit que « dans certains cas particuliers, on peut y déroger » attendu qu’ils peuvent aller « à l’encontre des prescriptions d’une pensée morale angélique » (p. 153). Idéalement, les personnes disposeront de « principes prima facie méthodologiques qui (…) disent quand se lancer dans la pensée critique et quand s’en abstenir » (p. 144).

  • 9 Hare traite ces différentes questions dans les chapitres 8, 9 et 11 de Penser en morale.
  • 10 En conséquence, « si votre contradicteur modèle l’exemple de telle sorte que la réponse utilita (...)

14Muni de cette distinction entre les niveaux critiques et intuitifs de la pensée morale, Hare défend enfin l’utilitarisme contre l’objection selon laquelle il aurait des implications contre-intuitives. Ce faisant, il examine plusieurs objections classiques comme : ne doit-on pas davantage être concerné par le bien de nos proches que par celui des autres ? Ne doit-on pas moduler la considération accordée aux désirs des personnes en fonction de leur contenu, pensons par exemple à des désirs semblables à ceux du Marquis de Sade ? Ne doit-on pas respecter tel principe de justice distributive et n’avons-nous pas tel droit ? Certains actes requis par l’utilitarisme ne doivent-ils pas être considérés comme étant surérogatoires ? Enfin, quid de ces circonstances concevables dans lesquelles l’utilitarisme enjoint de commettre le meurtre de personnes innocentes ?9 Hare ne s’occupe alors pas de réfuter l’idée que nos intuitions montreraient que l’utilitarisme se fourvoie sur telle question. Il a déjà soutenu que la version de l’utilitarisme de l’acte qui a ses faveurs ne se fourvoie pas et, indépendamment, que les intuitions ne sont d’aucune utilité pour celui qui souhaite répondre rationnellement aux questions morales10. Son objectif est ailleurs : convaincre que l’utilitarisme (1) ne rompt avec les intuitions morales populaires que dans des cas extraordinaires, (2) prescrit l’inculcation de ces intuitions et, ce faisant, (3) met l’intuition à sa place i.e. comprend qu’elle est du ressort du niveau intuitif de la pensée morale. Comme il le dit ailleurs :

  • 11 Dans Penser en morale, cf. p. 90, 127 et 175.

L’intuition a une place importante dans la pensée morale, bien qu’elle ne soit pas une cour d’appel ultime comme le pensent les intuitionnistes. Et la majeure part de ce qu’ils disent est correct en ce qui concerne le niveau intuitif de la pensée morale. (Hare 1997, 128)11

  • 12 Cf. p. 262, 266, 268, 273 et 285 au sujet du domaine de l'intuition.

15Pour Hare, nos intuitions sont le fruit de notre éducation (p. 128, 262) et elles constituent des outils que les êtres humains, en raison de leurs limites cognitives et de leurs autres faiblesses, ont adopté pour se guider dans des situations courantes (p. 153). Cela ne signifie pas qu’elles le fassent correctement – et il revient ultimement à la pensée critique et, partant, à l’utilitarisme préférentiel de déterminer si c’est le cas – mais elles n’ont en tout cas pas vocation à nous guider dans des situations (très) inhabituelles12. Il n’y aurait dès lors pas lieu de les convoquer lorsqu’on discute une situation de ce type et dans laquelle l’utilitarisme enjoindrait par exemple de commettre le meurtre d’une personne innocente. L’utilitariste que Hare appelle de ses vœux aurait l’intuition que l’acte est immoral mais il comprendrait également que cette intuition n’est pas faite pour le guider dans ce genre de cas.

  • 13 Cf. (Seanor & Fotion 1988) pour la contribution de la plupart d'entre eux, suivie des réponses de (...)
  • 14 Cf. (De Lazari-Radek & Singer 2014 & 2017) pour la première critique et (Carson 1986) pour la sec (...)

16Dès sa sortie, Penser en morale fut reconnu comme un livre important et les principaux philosophes moraux anglo-saxons de l’époque éprouvèrent le besoin de le discuter13. La « preuve » de l’utilitarisme focalisa l’attention et, si Carson (1993, 305) exagère peut-être lorsqu’il dit qu’à sa connaissance « personne (à part Hare lui-même) ne pense que l’argument fonctionne », il n’en reste pas moins que Hare ne parvint pas à convaincre ses contemporains. Voici peut-être les trois principales critiques qui lui furent adressées14 :

17(1) Le langage moral semble nous permettre de nous engager envers un idéal qui soit indépendant de nos désirs. Quand bien même cela ne serait pas le cas et que l’analyse de ce langage que propose Hare ainsi que l’argument qu’il en tire seraient corrects, on pourrait toujours abandonner ce langage au profit d’un langage permettant de poser d’autres questions, par exemple celles qui intéressent un partisan du réalisme moral ou du cognitivisme non-naturaliste et non-métaphysique défendu par Parfit (2011).

18(2) Le « Conditional Reflection Principle » serait faux car on pourrait savoir ou pleinement se représenter à soi-même ce que cela fait de se trouver dans la situation de ceux que nos actions affectent sans avoir les préférences conditionnelles requises par l’argumentation de Hare.

19(3) L’argument de Hare ne fonctionnerait au mieux que dans des cas bilatéraux comme celui que nous avons présenté (et ceux que Hare considère). A supposer que plusieurs personnes soient affectées par l’action du docteur, les préférences qu’il acquerrait en s’imaginant à leur place ne joindraient pas leurs forces et devraient affronter une à une sa préférence initiale.

20Quoi qu’il en soit, Penser en morale constitue une des défenses les plus sophistiquées de l’utilitarisme qui ait été proposée et il est le bienvenu dans un monde francophone toujours empreint de tant de préjugés à l’égard de cette théorie. On ne peut également que le recommander au lecteur cherchant, non pas une présentation charitable de l’intuitionnisme, mais (la confrontation avec) une puissante alternative à cette approche.

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Bibliographie

Carson T. L., « Hare’s Defense of Utilitarianism », Philosophical Studies, vol. 50, No. 1 (1986)

Carson T. L., « Hare on Utilitarianism and Intuitive Morality », Erkenntnis, vol. 39, No. 3 (1993)

De Lazari-Radek K. & Singer P., The Point of View of the Universe: Sidgwick and Contemporary Ethics, (Oxford, Oxford University Press, 2014)

De Lazari-Radek K. & Singer P, Utilitarianism: A Very Short Introduction, (Oxford, Oxford University Press, 2017)

Hare R. M., « Universalizability and the summing of desires: Reply to Ingmar Persson », Theoria, vol. 55, No. 3 (1989)

Hare R. M., Sorting Out Ethics, (Oxford, Oxford University Press, 1997)

Hare R. M., Objective Prescriptions, And Other Essays, (Oxford, Oxford University Press, 1999)

Hare R. M., « A Philosophical Autobiography », Utilitas, vol. 14, No. 3 (2002)

Gibbard A., « Hare’s Analysis of ’Ought’ and its Implications », Seanor D. & Fotion N. (Eds.), Hare and critics: Essays on Moral Thinking, (Oxford, Oxford University Press, 1988)

Parfit D., On What Matters: Volume Two, (Oxford, Oxford University Press, 2011)

Persson I., « Universalizability and the summing of desires », Theoria, vol. 55, No. 3 (1989)

Rabinowicz W. & Strömberg B., « What if I were in his shoes ? On Hare’s argument for preference utilitarianism », Theoria, vol. 62, No. 1-2 (1996)

Rabinowicz W., « Preference Utilitarianism by Way of Preference Change? », Grune-Yanoff T. & Hansson S. O. (Eds.), Preference Change: Approaches from Philosophy, Economics and Psychology, (New York, Springer, 2009)

Ross W. D., The Right and the Good, (Oxford, Oxford University Press, 1930)

Seanor D. & Fotion N. (Eds.), Hare and Critics: Essays on Moral Thinking, (Oxford, Oxford University Press, 1988)

Singer P., « Reasoning towards Utilitarianism », Seanor D. & Fotion N. (Eds.), Hare and Critics: Essays on Moral Thinking, (Oxford, Oxford University Press, 1988)

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Notes

1 L'ouvrage est longuement présenté par Jean-Pierre Cléro et sa compréhension est facilitée par de nombreuses notes ajoutées par les traducteurs.

2 Hare avait auparavant publié The Language of Morals (1952) et Freedom and Reason (1963). Les recueils d'articles consacrés à ce que Hare appelle la « théorie éthique » sont Essays in Ethical Theory (1989), Sorting Out Ethics (1997) et Objective Prescriptions, And Other Essays (1999). Hare s'est également intéressé à l'éthique appliquée tout au long de sa carrière particulièrement féconde - (Hare 1997, 167-182) indique près de deux cents publications. Cf. ses Essays on Political Morality (1989), Essays on Religion and Education (1992) ainsi que ses Essays on Bioethics (1993).

3 Deux précisions sont ici de rigueur. Premièrement, Hare ne prétend pas fournir de « canons du raisonnement moral » pour « les cas où les intérêts des autres ne sont pas affectés » (p. 146). Deuxièmement, son « système de raisonnement moral laisse ouverte la possibilité de l’amoralisme » (p. 350). Ainsi, quelqu'un peut très bien s'abstenir d'utiliser « des termes moraux en les prenant dans le sens et avec les propriétés logiques » que Hare leur attribue ou bien en utiliser « et pourtant ne porter, en les utilisant, aucun jugement moral à part des jugements d’indifférence. Pourvu qu’il ne se contredise pas en le faisant, nous n’avons pas le pouvoir logique de le porter à faire autrement » (p. 348). Dans le chapitre 11 et tout en niant qu'il soit toujours dans notre intérêt prudentiel de faire ce que nous devons faire, Hare s'efforce tout de même de « réconcilier la moralité avec la prudence dans le monde tel que nous le connaissons » – comme il le dit, « il n'y a pas d'anneau de Gygès » (p. 357-358). Il soutient alors notamment que, s'il devait élever un enfant dans l'intérêt de celui-ci, il le ferait « selon des principes moraux prima facie exactement du même type que ceux qui seraient sélectionnés par l’archange utilitariste de l’acte » (p. 358).

4 Au sujet de l'objectivité et de la vérité, cf. (Hare 1997, 134) et (Hare 1999, chap 1). Au sujet de Kant, Cf. (Hare 1997, chap. 8) et p. 141 de Penser en morale : « un kantien aux idées claires et un utilitariste aux idées claires tomberaient d’accord ».

5 Hare consacre le chapitre 7 de Penser en morale au problème de la « comparaison interpersonnelle des degrés ou des forces de préférence » (p. 238). Pour une critique, cf. (Carson 1986).

6 En toute rigueur, Hare est ici conduit à une simplification dont il n'est pas satisfait : « nous devons présupposer, quand nous en venons à universaliser nos prescriptions, comme l’exige la moralité, que nous n’avons à considérer que les prescriptions et préférences des autres que ceux-ci retiendraient s’ils étaient toujours prudents » dans un sens qu'il définit auparavant en disant que nous sommes prudents lorsque nous avons « toujours (…) maintenant une préférence dominante (...) que la satisfaction de nos préférences maintenant pour maintenant et alors pour alors soit maximisée » (p. 221-222).

7 Bien que le nom donné par Gibbard nous semble être le plus utilisé, on rencontre également ceux de « principle of hypothetical self-endorsement » (Persson 1989, 161) et de « Principle of Conditional Self-Endorsement » (Rabinowicz & Strömberg 1996, 97). Hare défend également ce principe en réfléchissant sur la notion d'identité personnelle (§ 5.4).

8 Telle est la raison pour laquelle Hare ne souhaite pas parler de « rules of thumbs » (p. 125-126). Parler de principes prima facie n'est toutefois pas très heureux car cette notion introduite par Ross (1930) renvoie à ce qu'on qualifie de plus en plus de principes pro tanto « qui conservent leur poids et leur validité même dans les cas où ils sont dominés par d'autres considérations morales » (Rabinowicz 2009, 16).

9 Hare traite ces différentes questions dans les chapitres 8, 9 et 11 de Penser en morale.

10 En conséquence, « si votre contradicteur modèle l’exemple de telle sorte que la réponse utilitariste est que le meurtre soit la bonne solution, alors c’est la réponse qu’il obtiendra. » (p. 266-267). Au sujet de la critique de l'intuitionnisme faite par Hare cf. par exemple p. 90.

11 Dans Penser en morale, cf. p. 90, 127 et 175.

12 Cf. p. 262, 266, 268, 273 et 285 au sujet du domaine de l'intuition.

13 Cf. (Seanor & Fotion 1988) pour la contribution de la plupart d'entre eux, suivie des réponses de Hare.

14 Cf. (De Lazari-Radek & Singer 2014 & 2017) pour la première critique et (Carson 1986) pour la seconde. Cf. (Rabinowicz 2009) au sujet de la troisième critique et des réponses qu'il est possible de lui apporter quitte à rompre partiellement avec Hare. Cf. (Hare 1989) pour la réponse de Hare à une version de cette critique faite par (Persson 1989).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Vincent Aubert, « Richard Mervyn Hare, Penser en morale. Entre intuition et critique, Malik Bozzo-Rey, Jean-Pierre Cléro et Claire Wrobel, trads »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 19 | 2021, mis en ligne le 30 janvier 2021, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/8510 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.8510

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Auteur

Vincent Aubert

ETHICS – EA 7446 Université Catholique de Lille.

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Droits d’auteur

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