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AccueilNuméros8DossierFoucault et l’Utilitarisme

Résumés

Foucault a travaillé sur quelques textes de Bentham ; mais il ne s'est, semble-t-il, jamais prononcé sur sa propre affinité avec l’utilitarisme ou sur son rejet de l'utilitarisme, qu'il soit classique ou moderne. Quelques traits permettent de rapprocher la recherche de Foucault de l'utilitarisme : la critique du sujet et de son autonomie est au cœur de ces doctrines. Le vrai peut être pensé comme une construction de part et d'autre ; on pourrait croire que la prise en compte du plaisir est aussi un point commun. Or, il n'en est rien. Il existe chez Foucault un souci du vrai, qui est complètement absorbé par l'utile chez les utilitaristes. Quant au plaisir, il est, chez les utilitaristes, aspiré dans le sillage du bonheur -ce qui n'est pas le cas chez Foucault. Même si ce n'est pas au point où Lacan a pu en tirer parti chez Bentham, la théorie des fictions a été, en se fondant sur d'autres auteurs que Bentham, un fil rouge de la pensée de Foucault.

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Texte intégral

1On peut s’étonner que, étant donné les nombreux points de rapprochement et de convergence entre sa philosophie et quelques courants de l’utilitarisme, Foucault n’ait pas davantage cherché à s’expliquer sur ses rapports avec l’utilitarisme. On sait qu’il s’est beaucoup intéressé à Bentham dont il prend les textes pour objet d’études en ce qu’ils sont symptomatiques du panoptisme et de la surveillance ; il le tient pour une figure aussi essentielle en philosophie que celle de Kant et personne n’ignore combien le kantisme est une référence décisive chez Foucault, puisque la méthode qui est suivie dans les ouvrages fondamentaux est délibérément une méthode critique, même s’il ne s’agit plus seulement, peut-être plus du tout, du criticisme de Kant.

2Mais, alors que le lecteur de Bentham voit chez Foucault de nombreuses thèses communes, la critique des philosophies du sujet, une même façon d’envisager les valeurs comme résultant plutôt des actes que les surplombant de façon transcendante, une manière d’approcher les rapports des valeurs, des actes et de la loi au jour le jour et sans prétendre les envisager à partir de quelque originaire, un refus d’envisager la politique en termes contractualistes, un certain conséquentialisme, mais aussi, beaucoup plus finement, une manière très voisine d’envisager la notion de fiction, qui joue, dans la conception des ouvrages de Foucault, un rôle presque aussi important que dans les techniques d’argumentation de Bentham lui-même, il doit bien se rendre à l’évidence, en consultant les quatre volumes de Dits et Ecrits, que, à la différence de son contemporain et ami, Lacan, ce n’est pas à Bentham qu’il se réfère pour traiter des fictions, et que, par ailleurs, il ne cite aucun des grands utilitaristes des générations ultérieures ou, si peu quand il s’agit de Stuart Mill. Rien sur Sidgwick, rien sur Moore ; auteurs qu’il paraît ignorer, en dépit de sa culture anglo-saxonne assez exceptionnelle dans les années 60 à 80 en France où règne ce qu’on appelle la « philosophie allemande ».

  • 1  Michel Foucault, Dits et Ecrits (1954-1988), NRF Gallimard, Paris, 1994, t.IV (1980-1988), p.54, p (...)

3Lorsque Foucault se situe sur l’échiquier philosophique, ce qui lui arrive assez souvent dans les nombreuses interviews qu’il donne, c’est évidemment aux marxismes qu’il se réfère et dont il se démarque ; c’est aux phénoménologies, auxquelles il s’oppose, surtout quand elle est celle de Sartre ; c’est à la philosophie analytique, dont il n’est nullement adepte ; c’est au structuralisme, enfin, auquel il se défend d’appartenir1. Mais il ne juge pas pertinent de définir son travail par rapport à celui des utilitaristes, alors même qu’il partage avec eux ses thèmes de recherche : l’organisation sociale, la médecine, la gestion de la sexualité, l’emprisonnement et, plus généralement, la question des peines. Sans doute n’y a-t-il pas lieu, pour Foucault, de se démarquer ou de marquer son affiliation par rapport à une doctrine qui n’existe ni ne compte en France à cette époque ; toutefois il n’en dit rien non plus lorsqu’il est interrogé sur ses positions aux Etats-Unis et qu’il s’exprime en anglais.

4Nous ne dirons évidemment pas, suivant une façon assez ordinaire de tourner ce genre de difficulté, que Foucault est utilitariste sans le savoir ; on ne traite pas aussi indignement un homme d’aussi haute culture qui pouvait connaître par ses attaches anglo-saxonnes des auteurs comme Hare ou Harsanyi. La question n’en est alors que plus impérieuse et insistante : pourquoi Foucault néglige-t-il à ce point les liens évidents qui rattachent sa philosophie à celle des utilitaristes ? N’existe-t-il pas, à l’égard de celle-ci, des points de démarquage qui ont si largement contrepesé les affinités que son rapport à l’utilitarisme ne s’est jamais posé autrement que sous la forme d’une inspection critique de certaines thèses de Bentham ?

5J’en vois, pour ma part, essentiellement deux, qu’il est possible d’examiner ici. Le premier est celui qu’on pourrait appeler la question de la vérité ; le second, qui n’est pas sans rebondissement, est celui de la question du plaisir et de la douleur – question aussi cruciale pour Foucault que pour les utilitaristes.

1. La question de la vérité

  • 2  Après avoir souligné que ses livres, et particulièrement l’Histoire de la folie, fonctionnent comm (...)
  • 3  A la question directe qui lui est posée dans Dits et Ecrits, IV, p. 726, « La vérité n’est donc pa (...)
  • 4 « J’espère que la vérité de mes livres est dans l’avenir ». Foucault défendait auparavant l’idée d’ (...)
  • 5  Dans un entretien avec F. Ewald paru en mai 1984, sous le titre « le souci de la vérité » dans le (...)
  • 6 « Mon problème n’est pas d’étudier l’histoire des idées dans leur évolution, mais plutôt de voir en (...)

6Commençons par la question de la vérité. Même si Foucault admet que la philosophie de notre temps n’a pas à remplir une autre tâche que celle de faire varier les perspectives sur quelque domaine choisi d’expérience, même s’il reconnaît qu’elle est profondément une expérimentation susceptible de changer le point de vue théorique et les dispositions pratiques de son lecteur2, il n’entend toutefois pas que le savoir qu’elle met en œuvre soit une simple construction, qui n’aurait cure de la vérité ou qui traiterait la vérité comme un effet très secondaire et presque pernicieux des méthodes du connaître3. Les hypothèses qu’il s’autorise et dont il attend de l’avenir qu’elles ouvrent des perspectives qui n’étaient pas avant elles4, n’en sont pas moins conçues classiquement comme des recherches de vérité5. Simplement, il ne faut pas demander à Foucault de garantir le discours philosophique qu’il tient par des documents à la façon dont l’historien pourrait le faire6.

  • 7  Les fameuses trois séries selon lesquelles il comprend lui-même les axes de son travail : « exclus (...)

7Les attaques qu’il a pu recevoir sur ce front ratent leur cible, puisque, comme il l’a dit et répété invariablement, son propos est celui d’identifier les conditions de possibilité d’un savoir qui, souvent en rupture avec les connaissances précédentes, se met à faire autorité. Ces conditions de possibilité ne sont pas à chercher, comme chez Kant, du côté d’un sujet transcendantal qui unifierait les concepts essentiels pour penser un secteur d’expérience : la folie, devenue objet de science, l’enfermement comme remède général à la délinquance, la sexualité et le désir comme objet de savoir7 ; mais elles tiennent à l’inspection des circonstances sociales, historiques, économiques, qui ont rendu possible une nouvelle façon d’appréhender ces faits, ces phénomènes, ces événements.

  • 8 « Les personnes qui me lisent, en particulier celles qui apprécient ce que je fais, me disent souve (...)

8Il faut, pour que les postulats, les axiomes, les croyances, les plus fondamentaux d’une science puissent jouer pleinement leur rôle et que cette science puisse apparaître dans son développement nécessaire, des conditions contingentes, touchant les comportements, les façons de penser, d’opiner, de légiférer, d’instituer, qu’il appartient au philosophe de dévoiler ou de construire. On peut hésiter sur le terme d’autant que Foucault admet très bien que l’activité critique qui est la sienne dans ses œuvres majeures en est une de fiction, qu’il n’entend pas plus que Bentham ou que Lacan, de façon négative – les fictions ne sont pas toutes fallacieuses –, mais qu’il comprend et articule comme des produits du fingere, de l’élaboration. Les fictions que Foucault constitue en philosophe pour répondre aux conditions de possibilité ne peuvent pas directement être confrontées à des faits, quand bien même elles auraient des effets de réel et pourraient toujours être ramenées à des faits8.

  • 9  J. Lacan, Le Séminaire, livre XVI [1968-1969], texte établi par Jacques-Alain Miller, Le Seuil, Pa (...)

9Car il faut prendre garde et c’est bien là où Foucault se démarque tant des audaces de Lacan que d’une ontologie de style utilitariste : sa démarche transcendantale le conduit toujours à dire les conditions d’une situation historique dûment observée, fût-ce à travers des documents, ces conditions n’étant tout de même pas sans signification empirique ; ce qui crée les ambiguïtés à l’égard des historiens ou à l’égard de ceux qui se réclament de l’histoire. Or le savoir lacanien ne se soucie pas de dire la vérité, comme si cette vérité l’aimantait, ou comme si elle pouvait devenir quelque propriété de ce savoir ; la vérité ne dit d’ailleurs même pas la vérité lorsque, en quelque prosopopée elle se met à parler en son nom9. La prétendue récolte du vrai n’a rien à voir avec le travail inlassable, jamais achevé du savoir, qui n’établit rien sans remettre en question cet établissement même.

  • 10  Lacan dit, à quelques pages de différence, dans le Séminaire XVI, qu’ « il y a quelque part une vé (...)

10D’une certaine façon, le savoir tourne le dos à la vérité10 ; et c’est bien aussi ce à quoi on assiste dans les ontologies utilitaristes. L’ontologie est une obsession utilitariste depuis la première génération benthamienne jusqu’à celle de Richard M. Hare ; son étrangeté tient en ceci et l’on voit bien alors que le constructivisme est sa limite indépassable : s’il s’agit de calculer le bonheur du plus grand nombre, ce bonheur étant conçu comme une somme, ou du moins comme une organisation de plaisirs et de douleurs, il faut se donner un certain nombre de commensurabilités, celle de ce qu’un centre affectif appelle un plaisir avec ce qu’un autre centre affectif appelle du même nom, celle d’un plaisir futur avec un plaisir présent ou passé, celle d’un plaisir proche avec un plaisir plus lointain et quelques autres commensurabilités encore.

11Il s’agit non pas de se demander si elles sont, ou si l’intersubjectivité est bien ce qu’elle doit être pour que l’on puisse faire les calculs de bonheur et d’intérêt, mais, à l’inverse, de construire l’intersubjectivité, la temporalité, la spatialité qui conviennent. L’ontologie ne se rend dès lors plus dépendante de l’histoire comme Foucault a pu en faire les frais lors de la réception d’un certain nombre de ses œuvres dont la destination fut mal comprise, en raison –il faut le dire- d’une ambiguïté. Freud, dont l’œuvre fut l’occasion, pour Foucault, de tergiversations, avait écrit des Constructions en analyse qui permettaient de prendre très au sérieux que toute mémoire est une fausse mémoire, et qu’il importait peu que les constructions de l’analyse rencontrassent le réel autrement que par morceaux. La plupart des utilitaristes est paradoxalement, mais incontestablement, plus proche de l’épistémologie freudienne des Constructions que Foucault.

  • 11 Foucault désigne Paul Veyne comme étant « de ceux, assez rares aujourd’hui, qui acceptent d’affront (...)
  • 12 Foucault prend explicitement le contre-pied de ce que « croient la plupart des gens : lorsqu’on leu (...)
  • 13  J. Bentham, Introduction aux principes de morale et de législation, Vrin, Paris, 2011, p.28-29, no (...)

12Sur la question du vrai, Foucault paraît, sinon paralysé, du moins embarrassé par la dénonciation husserlienne de l’historicisme dans laquelle il risque à tout moment de tomber en écrivant son « histoire de la vérité » qui est au cœur du projet11, et par la mise en garde husserlienne à l’encontre de la notion de fiction. Comment pourrait-on, sans s’installer dans un dangereux et inconfortable porte-à-faux, traiter le vrai comme un événement contingent, sinon arbitraire, en prétendant, tandis qu’on le fait, à un dépassement de cette contingence ? Foucault insiste pour dire que la vérité reste la vérité, quand bien même il l’aurait fait apparaître comme un effet de pouvoir12. Alors que, assumant tranquillement son historicisme et son fictionnalisme, l’utilitarisme n’a nullement craint de traiter la vérité comme détermination de l’utilité, ou plutôt les vérités comme autant de types de déterminations de l’utilité, et s’offre même la liberté, par la bouche de Bentham, de se poser la question – qui n’a sans doute pas la réponse aussi facile qu’elle en a l’air- de savoir s’il est utile de consulter et d’appliquer le principe d’utilité13.

  • 14  C’est sans doute en réminiscence du « mighty queer sort of personage in the abstract, as slippery (...)

13Mais ce n’est pas seulement en raison de son attitude à l’égard de cette étrange sorte de personnage qu’est la vérité – comme l’appellent conjointement Bentham et Lacan14 – que Foucault se démarque de l’utilitarisme : il croit pouvoir le faire encore sur le terrain qui aurait pu les rendre les plus complices, celui du plaisir et de la douleur.

II. La question du plaisir et de la douleur

  • 15  Dits et Ecrits, I, p.614-615. L’allusion à Lacan est assez claire.
  • 16  « Le plaisir me paraît être une conduite très difficile. […] Parce que je pense que c’est très dif (...)
  • 17  Dits et Ecrits, IV, p. 738.
  • 18  Dits et Ecrits, IV, p. 739.

14Cette complicité était pourtant bien partie puisque, contre les philosophies du désir qui fleurissent de son temps et qui s’accommodent fort bien d’une négation délibérée des plaisirs15, Foucault plaide pour les plaisirs, pour les plaisirs les plus aigus, les plus inouïs16, jusqu’à faire l’apologie des drogues, des bonnes drogues17, ce qui ne laisse pas de nous amuser quand on connaît la critique foucaldienne du panhygiéisme des temps contemporains. En tout cas, par sa défense et illustration des plaisirs, par son appel à de nouveaux plaisirs18, Foucault conteste par avance les utilitarismes qui, abandonnant le plaisir à une prétendue réfutation et aspirant à dépasser l’hédonisme benthamien pour adopter des positions prétendument modernes qui ne considéreraient plus le plaisir et la douleur comme d’ultimes réquisits de nos façons de sentir et de nos pratiques puisqu’elles voudraient se situer au-delà du principe de plaisir, se sont tournés de préférence vers le désir. Par son hédonisme, Foucault montre parfaitement les dangers d’une prétendue amélioration de l’utilitarisme en le pensant à partir du désir.

  • 19  Bentham connaissait ce sens qu’il cite dans la longue note du début du chapitre II de l’Introducti (...)
  • 20  Dits et Ecrits, IV, p.558.

15Mais Foucault n’en devient pas utilitariste pour autant. Pas seulement parce que, à la différence de Bentham, il entend faire une place à l’ascétisme, entendu au sens grec d’ « exercice »19, et par delà le rejet benthamien, le reprendre au compte des techniques de soi20 ; mais pour une autre raison encore. En effet, à la différence des utilitaristes, même quand ils prennent encore le plaisir au sérieux si je puis dire, Foucault ne songe nullement, sous le nom d’éthique, à maximiser les plaisirs par rapport aux douleurs, et sous le nom de philosophie à justifier le bien-fondé de cette maximisation.

16Quand on se met à calculer ainsi sur les plaisirs et sur les douleurs, que ce soit pour les ordonner, comme Moore, ou pour les additionner et retrancher, comme Bentham (qui, soit dit en passant, n’est tout de même que fort rarement passé à l’acte du calcul), et que l’on pense par là faire œuvre éthique, on se trompe, non pas parce que les plaisirs et les douleurs ne se laissent pas compter et ordonner, comme Bergson le reprochera aux utilitaristes, mais parce qu’on rate une question plus fondamentale. Sans doute Bentham a-t-il vu que, sous les prétendues passions, se symbolisaient, c’est-à-dire se comptaient, des plaisirs et des douleurs ; mais il n’a pas compris que son classement des plaisirs et des douleurs, leur mise en forme sous l’allure de tables, loin d’être l’éthique même, supposait l’éthique ou du moins la question éthique.

  • 21  Dits et Ecrits, IV, p.544.

17Ainsi, lorsque Bentham fait le partage des plaisirs, il présuppose l’éthique au lieu de la fonder ; or, dit Foucault dans un superbe article sur Usage des plaisirs et techniques de soi, de novembre 1983, « il m’a semblé que la question qui devait servir de fil conducteur était celle-ci : comment, pourquoi et sous quelles formes l’activité sexuelle a-t-elle été constituée comme domaine moral ? »21. Autrement dit, il y a une question préalable à la quantification et à ce qui la rend possible, c’est de savoir pourquoi les plaisirs et les douleurs que l’on met dans la balance à des fins éthiques sont devenus éthiques, sont entrés dans le champ de l’éthique, sans se contenter de le constater voire de le justifier.

  • 22  Dits et Ecrits, IV, p.544.

Et, après tout, c’est bien cela la tâche d’une histoire de la pensée – par opposition à l’histoire des comportements ou des représentations – : définir les conditions dans lesquelles l’être humain « problématise » ce qu’il est, ce qu’il fait et le monde dans lequel il vit.22

  • 23  Une autre formulation du même problème apparaît en ces termes : « Il serait intéressant de voir co (...)

18Il en irait de même pour la question des châtiments : le problème éthique du châtiment n’est pas, aux yeux de Foucault, de savoir comment il faut penser les plaisirs, les peines, les individus, les corps, les esprits, les institutions, pour rendre les délits entre eux, les délits et les peines, les peines entre elles, commensurables ; il est, plus fondamentalement : à quelles conditions de telles commensurabilités sont-elles apparues comme allant de soi ? Ce qui est une tout autre question, d’allure inévitablement plus « historique », quoiqu’elle ne le soit pas au sens immédiatement empirique que les historiens donnent à ce terme. La question qui prend l’utilitarisme au piège est de savoir par quelle configuration historique – reconstruite, il est vrai, par fiction autant que par documents – des plaisirs bien calculés ou bien quantifiés ont pu apparaître comme éthiques, c’est-à-dire comme valant pour des biens.23

III. Utilité et Utilitarisme

  • 24  L’œuvre de Foucault est tramée par ce genre de renversements. Ainsi renverse-t-il la question wébé (...)
  • 25  On sait que la Critique de la raison pratique commence par la prétention de résoudre un jeu de pro (...)

19Mais par cette question inverse, dont Foucault a généralement l’art24, suivant en cela Kant qui s’attaquait aussi à la philosophie morale en posant des problèmes inverses25, même s’il ne savait pas les résoudre, se sort-il aussi clairement de l’utilitarisme qu’il le paraît ? En apparence oui, puisque, à propos de chaque plaisir et de chaque douleur que l’utilitariste classique cherche à calculer, Foucault prend, à chaque fois, un temps d’avance en demandant comment ce plaisir, cette douleur et les activités qui en dépendent font l’objet d’une préoccupation morale. Toutefois, si l’on y regarde de plus près, on pourrait se demander si, loin de faire voler en éclats l’utilitarisme, comme il le paraît d’abord, Foucault ne se met pas tout autant en position de le confirmer ou de le conforter ?

  • 26  « This use of ‘right’, as denoting what is good as a means, whether or not it be also good as an e (...)

20La manière dont Foucault traite des plaisirs et des douleurs en se demandant, un cran au-delà de leur quantification, comment ils sont devenus éthiques, ressemble fort à celle dont G. Moore, que Foucault ne cite jamais, peut-être par ignorance, critique ce qu’il appelle le point de vue naturaliste en éthique, qui consiste à se contenter de positions axiomatiques comme de faits, alors qu’il s’agit précisément de ce qui doit être mis en question. Dans ses divers ouvrages, mais particulièrement dans The Elements of Ethics, Moore montre que la question éthique est régulièrement escamotée par les moralistes, car le problème éthique n’est pas de travailler sur un plaisir considéré comme éthique ou pas, mais bien à l’inverse de se demander pourquoi ce plaisir est éthique, ce qui fait qu’il l’est ou qu’on le tient pour tel, de préférence à l’amour, à la rationalité du devoir ou à l’exécution de tel ou tel office26. Sans doute l’inversion de Foucault prend-elle, en assumant une certaine contingence, une « tonalité historique » très différente de la question de Moore ; mais l’une comme l’autre ont à peu près le même effet de paralysie sur les attitudes, affects, valeurs qu’elles soumettent à ce renversement de point de vue.

  • 27 : « I do not wish you to misunderstand the place I assign to the fallacy [celle que nous venons d’e (...)
  • 28  Elles mettent en question la validité des preuves, mais non pas la « vérité » des résultats. De ma (...)

21Toutefois Moore ne s’empêchait nullement, par sa question, pourtant redoutable pour toutes les éthiques quelles qu’elles soient, y compris l’utilitarisme, d’adopter, pour son propre compte, des positions utilitaristes, sans que l’on ait nettement vu pourquoi celles-ci surpassaient les autres positions par quelque réponse supérieure qui eût été donnée au grand éthicien qui posait la question fondamentale27. On voit par là que les inversions sont en éthique moins redoutables qu’elles en ont l’air et qu’elles permettent simplement de ne pas prendre pour argent comptant l’équivalence des trajets, direct et opposé28. Ainsi, la question qui paraît renverser l’utilitarisme en lui demandant ses droits « historiques » permettait sans doute à Foucault de gagner des degrés de liberté à son égard, mais certainement pas de le disqualifier radicalement.

  • 29 Dits et Ecrits, IV, p.544.

22Je note ici, avant de conclure, que, outre la ressemblance de son geste fondamental avec celui de Moore, Foucault partageait, peut-être sans le savoir, avec l’auteur de l’Ethics, une autre idée : celle de la très grande diversité des biens, de la très grande polysémie des éthiques autant que des morales d’ailleurs ; et même de ce qu’on tient pour éthique et morale : sont-elles des codes ou des règles de conduite ? Des rapports individuels ou collectifs à ces codes ? Des rapports réels ? Des rapports attendus ? Dans le même article que nous avons cité, Foucault montre qu’on aurait grand tort de « méconnaître que le souci éthique concernant [par exemple] la conduite sexuelle n’est pas toujours, dans son intensité et dans ses formes, en relation directe avec le système des interdits ; [qu’] il arrive souvent que la préoccupation morale soit forte là où, précisément, il n’y a ni obligation ni prohibition »29. Le souci éthique revêt des formes extrêmement diverses, qui ne sauraient se réduire à la seule considération de l’interdit.

IV. Conclusions

23Je tire deux conclusions du précédent ensemble de remarques.

24La première est que l’on ne voit guère Foucault se servir efficacement de l’utilité, que ce soit comme notion ou comme principe. Les hommes ne travaillent guère pour l’utile et ne sont pas enclins à devoir ou à vouloir le faire. Foucault attache trop de prix à la diversité pour la réduire ou aspirer à la ramener à un principe unique, promût-il une notion vague. Mais, même sous la forme plus précise qu’a failli lui donner le « second Bentham », l’utilité entendue comme bonheur ne pouvait guère rallier Foucault à sa cause ; l’hédonisme du plaisir le plus intense a-t-il quelque chose à voir avec le bonheur utilitariste ? Comment entre-t-il dans les calculs et même entre-t-il dans les calculs ? S’il le fait, ce qui, à la lettre, n’est pas impossible, les calculs ne seront probablement pas en faveur des positions foucaldiennes.

25Il en est, de ce plaisir extrême dont parle Foucault, de celui qui vaudrait que l’on meure pour lui, comme de la vie infiniment heureuse promise par la religion chrétienne et qui vient fausser toutes les équations ou inéquations de l’espérance en ce qu’elle les renverse trop facilement en sa faveur et compromet les commensurabilités ordinaires. « Là où l’infini est en jeu, il n’y a point à balancer : il faut tout donner » ; cette position, qui n’est évidemment pas sans rapport avec les calculs utilitaristes, lesquels sont aussi des calculs d’espérance, les fausse néanmoins radicalement, car loin de justifier l’infini, ils ne fonctionnent plus dès que l’infini entre en ligne de compte.

  • 30  « Distance, aspect, origine », in Critique, n° 198, nov. 1963, p.931-945. On peut lire aussi cet a (...)
  • 31  Il paraît bien s’en être rendu compte, quoiqu’il ne dise pas grand-chose de cet effet « paralysant (...)

26La seconde est beaucoup plus problématique et touche au rapport susceptible d’exister entre la philosophie transcendantale telle que la pratique Foucault, qui se trouve, qu’il le veuille ou non, rabattue sur l’histoire, et une théorie des fictions. Foucault n’a-t-il pas, en l’historicisant, utilisé qu’une très petite partie de la notion de fiction, laquelle est pourtant analysée dans des termes très proches de ceux de Bentham, même s’il n’est pas question directement de Bentham dans les articles de Critique qui en traitent30 ? N’a-t-il pas, en lui assignant un point de fuite dans le passé, rendu cette notion impropre à un plein usage pratique31 ?

  • 32  « Mon livre [Les mots et les choses] est une pure et simple fiction : c’est un roman, mais ce n’es (...)
  • 33  « Figure opposée à l’imagination qui ouvre le fantasme au cœur même des choses, le fictif habite l (...)

27Si l’on accepte cette limitation, qui est une réduction, force est de reconnaître que Foucault est un auteur majeur des fictions, puisque la tâche philosophique est bien d’en constituer et de donner à lire, au bout du compte, Les mots et les choses, par exemple, comme Descartes disait qu’il fallait lire sa Physique : à la façon d’une fiction entendue dans le sens de roman32. Mais s’il voit très clairement à quoi engage de philosopher par fictions, on dirait aussi qu’il s’y refuse par le souci de vérité qui l’anime : la théorie des fictions porte sur une pesée de la représentation des choses, mais elle n’est pas directement une représentation des choses33 et c’est pourquoi tout discours n’est pas, pour Foucault, comme il tend à l’être pour Bentham, un discours de fictions ; mais le discours de Foucault évite le plus possible d’être un discours de pesée des représentations et il se donne comme ayant plus directement une portée ontologique, ce qui, inévitablement, puisqu’il donnait une allure de faits à ses fictions, le rendait partiellement responsable du malentendu avec les historiens ; avec certains d’entre eux, du moins. On est tout de même toujours un peu coupable des malentendus que l’on suscite.

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Bibliographie

Bentham, Jeremy, Deontology; together with A Table of the Springs of Action; and the Article on Utilitarianism, Oxford : Oxford University Press, 1983

Bentham, Jeremy, Introduction aux principes de morale et de législation, trad. du Centre Bentham, Paris : Vrin, 2011

Foucault, Michel, Dits et Ecrits (1954-1988), t. I (1954-1969), Paris : Gallimard, 1994

Foucault, Michel, Dits et Ecrits (1954-1988), t. IV (1980-1988), Paris : Gallimard, 1994

Lacan, Jacques, Le Séminaire, livre XVI [1968-1969], texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris : Seuil, 2006

Moore, G. E. Syllabus of a course of ten lectures on The Elements of Ethics, Londres : Kenny & Co, 1898, réimpr. Temple University Press, 2004

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Notes

1  Michel Foucault, Dits et Ecrits (1954-1988), NRF Gallimard, Paris, 1994, t.IV (1980-1988), p.54, p.170.

2  Après avoir souligné que ses livres, et particulièrement l’Histoire de la folie, fonctionnent comme des expériences, Foucault a ce mot superbe : « cette expérience n’est ni vraie ni fausse. Une expérience est toujours une fiction ; c’est quelque chose qu’on se fabrique à soi-même, qui n’existe pas avant et qui se trouvera exister après. C’est cela le rapport difficile à la vérité, la façon dont cette dernière se trouve engagée dans une expérience qui n’est pas liée à elle et qui, jusqu’à un certain point, la détruit » (Dits et Ecrits, IV, p. 45).

3  A la question directe qui lui est posée dans Dits et Ecrits, IV, p. 726, « La vérité n’est donc pas une construction ? », Foucault répond par une distinction : « Cela dépend : il y a des jeux de vérité dans lesquels la vérité est une construction et d’autres dans lesquels elle ne l’est pas. On peut avoir, par exemple, un jeu de vérité qui consiste à décrire les choses de telle ou telle manière : celui qui fait une description anthropologique d’une société ne fait pas une construction, mais une description – qui a pour sa part un certain nombre de règles, historiquement changeantes, de sorte qu’on peut dire jusqu’à un certain point que c’est une construction par rapport à une autre description. Cela ne signifie pas qu’il n’y a rien en face et que tout sort de la tête de quelqu’un. De ce qu’on peut dire, par exemple, de cette transformation des jeux de vérité, certains tirent la conséquence qu’on a dit que rien n’existait – on m’a fait dire que la folie n’existait pas, alors que le problème était absolument inverse : il s’agissait de savoir comment la folie, sous les différentes définitions qu’on a pu lui donner, à un moment donné, a pu être intégrée dans un champ institutionnel qui la constituait comme maladie mentale ayant une certaine place à côté des autres maladies ». Un peu plus loin, dans la même interview, à une question qui lui demande s’il existe une vérité dans la politique, Foucault répond que, si « on ne peut pas demander à un gouvernement de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité », « il est, en revanche, possible de demander aux gouvernements une certaine vérité quant aux projets finaux, aux choix généraux de leur tactique, à un certain nombre de points particuliers de leur programme : c’est la parrhesia (la libre parole) du gouverné, qui peut, qui doit interpeller le gouvernement au nom du savoir, de l’expérience qu’il a, du fait qu’il est un citoyen, sur ce que l’autre fait, sur le sens de son action, sur les décisions qu’il a prises. » Dits et Ecrits, IV, p.733-734.

4 « J’espère que la vérité de mes livres est dans l’avenir ». Foucault défendait auparavant l’idée d’ « une vérité qui a commencé une fois le livre écrit ». Dits et Ecrits, IV, p.41.

5  Dans un entretien avec F. Ewald paru en mai 1984, sous le titre « le souci de la vérité » dans le Magazine littéraire, n° 207, Foucault précisait : « Ce que j’essaie de faire, c’est l’histoire des rapports que la pensée entretient avec la vérité. Tous ceux qui disent que, pour moi, la vérité n’existe pas, sont des esprits simplistes » (Dits et Ecrits, IV, p.669). Et, plus loin, dans le même entretien, Foucault, qui attend de la philosophie un jeu indéfini de points de vue, n’en définit pas moins la tâche qu’il poursuit comme « une élaboration de soi par soi, une transformation studieuse, une modification lente et ardue par souci constant de la vérité » (IV, p. 675). Il est clair que, si « problématisation ne veut pas dire représentation d’un objet préexistant », elle ne veut pas dire « non plus création par le discours d’un objet qui n’existe pas » (IV, p.670). Il arrive parfois à Foucault d’insister lui-même sur son classicisme : « J’utilise les méthodes les plus classiques : la démonstration ou, en tout cas, la preuve en matière historique, le renvoi à des textes, à des références, à des autorités, et la mise en rapport des idées et des faits, une proposition de schémas d’intelligibilité, de types d’explications. Il n’y a rien là d’original » (IV, p.44).

6 « Mon problème n’est pas d’étudier l’histoire des idées dans leur évolution, mais plutôt de voir en dessous des idées comment ont pu apparaître tels ou tels objets comme objets possibles de connaissance. Pourquoi, par exemple, la folie est-elle devenue, à un moment donné, un objet de connaissance correspondant à un certain type de connaissance. C’est ce décalage entre les idées sur la folie et la constitution de la folie comme objet que j’ai voulu marquer en utilisant le mot ‘archéologie’ plutôt que ‘histoire’ ». Dits et Ecrits, IV, p.443.

7  Les fameuses trois séries selon lesquelles il comprend lui-même les axes de son travail : « exclusion – folie – vérité, correction – prison – vérité, comportement sexuel – aveu – vérité » (Dits et Ecrits, IV, p.657). On notera que Foucault choisit plutôt le terme de vérité que celui de savoir pour indiquer la convergence des séries.

8 « Les personnes qui me lisent, en particulier celles qui apprécient ce que je fais, me disent souvent en riant : ‘Au fond, tu sais bien que ce que tu dis n’est que fiction’. Je réponds toujours : ‘Bien sûr, il n’est pas question que ce soit autre chose que des fictions’. Si j’avais voulu, par exemple, faire l’histoire des institutions psychiatriques en Europe entre le XVIIe et le XIXe siècles, je n’aurais évidemment pas écrit un livre comme l’Histoire de la folie. Mais mon problème n’est pas de satisfaire les historiens professionnels. Mon problème est de faire moi-même, et d’inviter les autres à faire avec moi, à travers un contenu historique déterminé, une expérience de ce que nous sommes, de ce qui est non seulement notre passé mais aussi notre présent, une expérience de notre modernité telle que nous en sortions transformés ». Dits et Ecrits, IV, p.44.

9  J. Lacan, Le Séminaire, livre XVI [1968-1969], texte établi par Jacques-Alain Miller, Le Seuil, Paris, 2006 leçon du 27/XI/1968, p.55-56 ; leçon du 12/II/1969.

10  Lacan dit, à quelques pages de différence, dans le Séminaire XVI, qu’ « il y a quelque part une vérité qui ne sait pas » (leçon du 26/II/1969, p.199) et que « le savoir, c’est ce qui manque à la vérité » (leçon du 5/III/1969, p.210). On trouve, chez Lacan, une culture pure du savoir, presque sans égard à la vérité.

11 Foucault désigne Paul Veyne comme étant « de ceux, assez rares aujourd’hui, qui acceptent d’affronter le danger que porte avec elle, pour toute pensée, la question de l’histoire de la vérité ». Dits et Ecrits, IV, p. 543.

12 Foucault prend explicitement le contre-pied de ce que « croient la plupart des gens : lorsqu’on leur fait remarquer qu’il peut y avoir un rapport entre la vérité et le pouvoir, ils disent : ‘Ah bon ! Ce n’est donc pas la vérité !’ ». Or « on peut montrer que la médicalisation de la folie, c’est-à-dire l’organisation d’un savoir médical autour des individus désignés comme fous, a été liée à toute une série de processus sociaux, d’ordre économique à un moment donné, mais aussi à des institutions et à des pratiques de pouvoir. Ce fait n’entame aucunement la validité scientifique ou l’efficacité thérapeutique de la psychiatrie : il ne la garantit pas, mais il ne l’annule pas non plus » (Dits et Ecrits, IV, p.724-726). En tout cas proteste-t-il contre l’idée qu’on lui attribue d’avoir identifié savoir et pouvoir (Dits et Ecrits, IV, p. 676).

13  J. Bentham, Introduction aux principes de morale et de législation, Vrin, Paris, 2011, p.28-29, note d.

14  C’est sans doute en réminiscence du « mighty queer sort of personage in the abstract, as slippery as an eel » qu’est la « truth » (in : J. Bentham, « Hume’s virtues », in Deontology together with A Table of the Springs of Action and Article on Utilitarianism, éd. Amnon Goldworth, Clarendon Press, Oxford, 1983, p.354), que Lacan parle lui-même de « cette personne essentiellement insaisissable ». Séminaire XVI, leçon du 27/XI/1968, p.55-56.

15  Dits et Ecrits, I, p.614-615. L’allusion à Lacan est assez claire.

16  « Le plaisir me paraît être une conduite très difficile. […] Parce que je pense que c’est très difficile, et que j’ai toujours l’impression de ne pas éprouver le vrai plaisir, le plaisir complet et total ; et ce plaisir, pour moi, est lié à la mort ». Dits et Ecrits, IV, p.533.

17  Dits et Ecrits, IV, p. 738.

18  Dits et Ecrits, IV, p. 739.

19  Bentham connaissait ce sens qu’il cite dans la longue note du début du chapitre II de l’Introduction aux principes de la morale et de la législation : « Ascétisme vient d’un mot grec qui signifie exercice. Les pratiques par lesquelles les moines cherchaient à se distinguer des autres hommes s’appelaient leurs exercices. Ces exercices consistaient en autant de techniques pour se tourmenter. Par là, ils pensaient s’attirer les bonnes grâces de la Divinité » (Introduction aux principes de morale et de législation, p.33). Chez Foucault, le sens d’ascèse devient celui d’ « un exercice de soi dans la pensée » (Dits et Ecrits, IV, p.543) et non pas seulement celui d’une épreuve de la douleur, même lorsque, par masochisme, elle devient l’équivalent d’un plaisir.

20  Dits et Ecrits, IV, p.558.

21  Dits et Ecrits, IV, p.544.

22  Dits et Ecrits, IV, p.544.

23  Une autre formulation du même problème apparaît en ces termes : « Il serait intéressant de voir comment, au XVIIIe et au XIXe siècles, toute une morale de l’intérêt a été proposée et inculquée dans la classe bourgeoise ». Dits et Ecrits, IV, p.629.

24  L’œuvre de Foucault est tramée par ce genre de renversements. Ainsi renverse-t-il la question wébérienne : « Max Weber a posé cette question : si l’on veut adopter un comportement rationnel et régler son action en fonction de principes vrais, à quelle part de soi doit-on renoncer ? De quel ascétisme se paie la raison ? A quel type d’ascétisme doit-on se soumettre ? J’ai, pour ma part, posé la question inverse : comment certains types de savoir sur soi sont-ils devenus le prix à payer pour certaines formes d’interdits ? Que doit-on connaître de soi afin d’accepter le renoncement ? ». Dits et Ecrits, IV, p.784 

25  On sait que la Critique de la raison pratique commence par la prétention de résoudre un jeu de problèmes inverses, direct et indirect, qui montre immédiatement les limites de l’intervention kantienne dans le domaine de la philosophie pratique.

26  « This use of ‘right’, as denoting what is good as a means, whether or not it be also good as an end, is indeed the use to which I shall confine the word. Had Bentham been using ‘right’ in this sense, it might be perfectly consistent for him to define right as ‘conducive to the general happiness’, provided only he had also proved , or laid down as an axiom, that general happiness alone was good. For in that case he would have already defined the good as general happiness, (a position perfectly consistent, as we have seen, with the contention that good is undefinable [position de Moore lui-même]), and, since right was to be defined as ‘conducive to the good’, it would actually mean ‘conducive to general happiness’. But this method of escape from the charge of having committed the naturalistic fallacy, has been closed by Bentham himself. For his fundamental principle is, we see, that the greatest happiness of all concerned is the right and proper end of human action. He applies the word right, therefore, to the end, as such, not only to the means which are conducive to it, and, that being so, right can be no longer be defined as ‘conductive to the general happiness’, without involving the fallacy in question. » G. E. Moore, Syllabus of a course of ten lectures on The Elements of Ethics, Kenny & Co, Londres, 1898, réimpr. Temple University Press, 2004, p.26.

27 : « I do not wish you to misunderstand the place I assign to the fallacy [celle que nous venons d’esquisser]. The discovery of it does not at all refute Bentham’s contention that greatest happiness is the proper end of human action, if that be understood as an ethical proposition, as he undoubtedly intended it. That principle may be true all the same […]. Bentham might have maintained it, as Professor Sidgwick does, even if the fallacy had been pointed out to him. What I am maintaining is that the reasons which he actually gives for his ethical proposition are fallacious ones, as far as they consist in a definition of right. » G. E. Moore, Syllabus of a course of ten lectures on The Elements of Ethics, Kenny & Co, Londres, 1898, réimpr. Temple University Press, 2004, p.27

28  Elles mettent en question la validité des preuves, mais non pas la « vérité » des résultats. De manière très kantienne, Moore insiste sur cette différence et insiste sur le point que « l’affaire de l’éthique n’est pas seulement d’obtenir des résultats vrais mais aussi de leur trouver des raisons valides » (G. E. Moore, Syllabus of a course of ten lectures on The Elements of Ethics, p.28).

29 Dits et Ecrits, IV, p.544.

30  « Distance, aspect, origine », in Critique, n° 198, nov. 1963, p.931-945. On peut lire aussi cet article dans Dits et Ecrits (1954-1988), NRF Gallimard, Paris, 1994, I (1954-1969), p.272, et particulièrement la p.283. Un autre texte sur les fictions est « La pensée du dehors », in Critique, n° 229, juin 1966, p.523-546. On peut de même lire cet article dans Dits et Ecrits, I, p.518, et particulièrement la p.524 qui apparie la fiction avec la spatialité psychique.

31  Il paraît bien s’en être rendu compte, quoiqu’il ne dise pas grand-chose de cet effet « paralysant » qu’on lui a reproché, n’en retenant que l’aspect qui change le lecteur. Voir Dits et Ecrits, IV, p.47.

32  « Mon livre [Les mots et les choses] est une pure et simple fiction : c’est un roman, mais ce n’est pas moi qui l’ai inventé, c’est le rapport de notre époque et de sa configuration épistémologique à toute une masse d’énoncés ». Dits et Ecrits, I, p.591.

33  « Figure opposée à l’imagination qui ouvre le fantasme au cœur même des choses, le fictif habite l’élément vecteur qui s’efface peu à peu dans la précision centrale de l’image –simulacre rigoureux de ce qu’on peut voir, double unique. » Dits et Ecrits, I, p.283.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Pierre Cléro, « Foucault et l’Utilitarisme »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 8 | 2011, mis en ligne le 01 mai 2011, consulté le 13 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/242 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.242

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Auteur

Jean-Pierre Cléro

Professeur des universités au département de philosophie (Université de Haute Normandie)

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