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Le Manuel d’économie politique de Jeremy Bentham au prisme de la traduction d’Etienne Dumont et des relectures de James Mill et de John Stuart Mill

Marco E.L Guidi

Texte intégral

  • 1  Étienne Dumont, ‘Lettre aux Rédacteurs de la Bibliothèque Britannique sur les ouvrages de Bentham’ (...)

‘Mon empressement à vous en parler peut ressembler à l’orgueil de ce bon homme de marguillier qui, entendant vanter le sermon d’un grand Prédicateur, disoit, et moi j'ai sonné la cloche.’1

  • 2  Jeremy Bentham, Rights, Representation and Reform. Nonsense upon Stilts and Other Writings on the (...)

1La publication entre 1852 et 1954 de Jeremy Bentham’s Economic Writings en trois volumes par Werner Stark a permis de dresser un premier inventaire des ouvrages que le philosophe a consacrés à l’économie politique, dont la plupart étaient demeurés jusqu’alors à l'état de manuscrit. Plus récemment, un volume des Collected Works édité par Philip Schofield, Catherine Pease-Watkin et Cyprian Blamires a mis au jour d’autres manuscrits non compris dans le recueil de Stark, que Bentham avait composés à l’époque de la Révolution française2. Même en mettant de côté les multiples critiques adressées à Stark pour les choix qu’il a opérés et pour les critères de transcriptions adoptés, on peut dire que le travail d’édition des écrits économiques de Bentham est loin d’être achevé. Nous attendons avec beaucoup d’impatience la nouvelle édition critique qui se prépare au Bentham Project de University College London, et qui s’annonce riche de nouveautés qui permettront une reconsidération critique du travail de Stark.

  • 3  Jeremy Bentham, Defence of Usury. Shewing the Impolicy of the Present Legal Restraints on the Term (...)
  • 4  En France ce texte a été traduit plusieurs fois : Apologie de l’usure, rédigée en forme de lettres (...)

2Ce chapitre se propose de contribuer à la reconstruction des textes économiques benthamiens en étudiant les vicissitudes du Manuel d’économie politique à travers ses différentes éditions. Si l’on exclut la Defence of Usury3 et ses multiples traductions4, c’est en effet sur ce court traité que repose la réputation de Bentham comme économiste tout au long du XIXe siècle et pour une bonne partie du XXe.

  • 5  Jeremy Bentham, Théorie des peines et des récompenses, rédigée en françois, d’après les manuscrits (...)

3Ce chapitre se divise en deux parties: dans la première nous allons examiner l’histoire du travail d’édition du Manuel que le pasteur genevois Étienne Dumont fait entre 1798 et 1811, date à laquelle il publie ce texte comme livre quatrième de la Théorie des récompenses5. La seconde partie étudie les modifications introduites dans la troisième édition de 1826, modifications qui dérivent de la collaboration entre Dumont et deux des principaux économistes anglais de l’époque, James et John Stuart Mill.

De la Bibliothèque Britannique à la Théorie des récompenses (1797-1811)

  • 6  Sur la vie d’Étienne Dumont cf. Jean Martin, Etienne Dumont 1759-1829. L’ami de Mirabeau, le voyag (...)

4Avant d’aborder l’histoire du Manuel il est utile de dresser un état des lieux. Ce n’est qu’en 1840 que paraît un texte autonome portant ce titre. Il s’agit du Manuel d'économie politique extrait des manuscrits de Jérémie Bentham, publié à Bruxelles chez Hauman. Le frontispice indique comme auteur de cette édition Étienne Dumont (1759-1829), le pasteur calviniste genevois ami de Bentham et auteur de la plupart des versions françaises de ses ouvrages6. Ce texte n’est cependant pas une nouveauté, car il est la reproduction fidèle – à quelques exceptions près, comme nous le verrons – du livre quatrième de la Théorie des récompenses, troisième édition, publiée en 1826 du vivant de Dumont et par la suite insérée dans le deuxième volume des Œuvres de Jérémie Bentham (1829-30).

  • 7  Pour une datation exacte des volumes des Works, voir Sadao Ikeda, Michihiro Otonashi et Tamihiro S (...)
  • 8  Dans Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., I, pp. 221-73.
  • 9  Le titre exact que Stark lui attribue est ‘Method and Leading Features of an Institute of Politica (...)

5La structure et le contenu de ce Manuel diffèrent partiellement aussi bien de la version du Manual of Political Economy insérée par John Bowring dans le troisième volume des Works of Jeremy Bentham7, que des manuscrits rédigés par Bentham lui-même et que Werner Stark, suivant des critères philologiques assez idiosyncrasiques, a rassemblés sous les titres de Manual of Political Economy (1793-95)8 et de Institute of Political Economy (1801-04)9.

  • 10  Le matériel correspondant à cet ouvrage est conservé en grande partie dans la collection Bentham à (...)
  • 11  Les manuscrits du Projet Forme ont été employés par Dumont pour composer la Vue générale d’un corp (...)

6L’histoire du Manuel pourra éclaircir les raisons de ces différences et montrer l’intérêt d’une analyse de ce texte pour une reconstruction de la pensée économique de Bentham. Ce dernier confie à Dumont un premier lot de manuscrits en 1790, à Londres. Il s’agit vraisemblablement des brouillons appartenant au lot intitulé Projet d’un corps de lois complet à l’usage d’un pays quelconque, que Bentham avait composé entre 1782 et 1787 environ, et auquel l’Introduction to the Principles of Moral and Legislation (qui avait été imprimée en 1780 et qui fut publiée en 1789) devait servir de prémisse10. Ce projet était divisé en deux parties. La première, intitulée ‘Forme’ abordait le problème de la subdivision de la loi11. La deuxième partie, intitulée ‘Matière’, contenait les principes de la législation civile et pénale et d’autres branches de la loi. Une section de cette partie était consacrée à l’analyse des lois rémunératrices, tandis que deux autres sections s’occupaient de l’économie politique et de la finance publique. Dumont lui-même explique ce qu’il a fait de ces matériaux:

  • 12  Étienne Dumont, ‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit., p. 158.

J’entrepris non une traduction de cet ouvrage, mais une interprétation qui fût, à certains égards, un abrégé, et à d’autres un commentaire. Il me parut que la méthode rigoureusement philosophique, propre à un petit nombre d’esprits exercés, n’étoit pas nécessaire pour le public ; que tous les raisonnemens pouvoient se traduire en langue vulgaire ; qu’il falloit éclaircir les propositions abstraites par des exemples, faire présumer les résultats pour entretenir l’intérêt, et se rapprocher de la méthode familière du discours.12

  • 13  Lettre d’Étienne Dumont à Jeremy Bentham, 23 avril 1796, dans Jeremy Bentham, The Correspondence o (...)
  • 14  Étienne Dumont, ‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit.
  • 15  Deux extraits de l’Introduction to the Principles of Morals and Legislation étaient parus dans la (...)

7Puis, entre 1790 et 1796, Bentham lui transmet d’autres cartons de manuscrits, parmi lesquels ceux composant le Manual of Political Economy, et peut-être d’autres fragments économiques13. Dumont traduit l’ensemble de ces textes assez vite, certainement avant le début de 1797, lorsqu’il rédige une ‘Lettre aux Rédacteurs de la Bibliothèque Britannique sur les ouvrages de Bentham’14 dans laquelle il réagit à la publication dans ce journal de deux extraits de l’Introduction to the principles of Morals and Legislation15. Voici la liste qu'il établit:

  1. Introduction aux principes de morale et de jurisprudence.

  2. Principes du Code Civil.

  3.  Principes du Code Pénal.

  4. Code Pénal.

  5. De l’organisation des Tribunaux.

  6. Traité des récompenses et des salaires.

  7. Manuel d’économie politique.

    • 16  Étienne Dumont, ‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit., p. 160.

    Divers essais. – Sur la construction et l'administration des prisons, d'après le principe panoptique. – De l'invention. – De la méthode. – Du style en matière de législation. – Des modifications dans les lois, selon les circonstances de temps et de lieu, etc.16

  • 17  ‘N° . II. Principes du Code civil ; d’après les manuscrits de J. Bentham, Esq.’, Bibliothèque Brit (...)
  • 18  ‘Cinquième Lettre de Mr. Dumont aux auteurs de la Bibliothèque Britannique, sur les manuscrits de (...)

8L’ensemble des articles publiés dans la Bibliothèque Britannique, six au total si on considère cette première lettre, se borne à quelques extraits des Principes du Code Civil17 et du Manuel18. Le premier de ces deux derniers articles contient des passages significatifs des parties introductives du Manuel et de deux chapitres sur les prêts et sur les dons de capitaux. Il continue avec une simple liste des autres chapitres et se termine par des extraits d’un chapitre sur les brevets. Le second article contient deux extraits sur la population et sur les colonies.

  • 19  Genève, Bibliothèque Publique et Universitaire, collection Dumont, Ms. (ci-après abrégé en Ms Dumo (...)
  • 20  Ms Dumont, BPU 6 ff. 2-15r. Ces parties correspondent à peu près au contenu des Traités de législa (...)
  • 21  Ms Dumont, BPU 6 ff. 20-23. Notre hypothèse de datation se base sur l’impression que cette Table s (...)

9C’est probablement à cette même période qu’appartient une Table synoptique des divers ouvrages de législation que j’ai rédigés d’après les manuscrits de Jérémy Bentham, conservée à la Bibliothèque Publique et Universitaire de Genève19. Cette table contient en effet une introduction sur le principe de l’utilité, deux sections sur les principes du code civil et sur les principes du code pénal20, enfin une section consacrée au Traité des récompenses (VI, 15 verso – 23) dont le quatrième livre, celui qui nous intéresse à présent, est intitulé Manuel d'économie politique. non achevé21. Dumont conçoit donc assez tôt l’idée de publier le Manuel comme suite de la théorie des récompenses.

10Comparant la Table synoptique avec les extraits de la Bibliothèque Britannique et le manuscrit du Manual of Political Economy tel que Stark l’a édité (cf. Table 1 en appendice) on constate que Dumont a pu consulter l’intégralité du manuscrit benthamien du Manual et en a sélectionné les parties les plus générales, laissant de côté certains chapitres plus techniques comme ceux sur les exemptions fiscales, les drawbacks et les accords de non-importation. Cependant il a déjà traduit presque l’ensemble du Manual de Bentham. On peut aussi vérifier que par rapport à l’ordre des chapitres établi par Stark, les chapitres VI et VII sur les ‘Exemptions d'impôts sur la production’ et sur les ‘Primes sur l'exportation’ sont inversés dans la Table synoptique; un ordre différent est aussi annoncé dans les extraits de la Bibliothèque Britannique à propos des chapitres sur les ‘Faveurs pour l’établissement des ouvriers étrangers’, sur la ‘Prohibition des produits des manufactures rivales’ et sur l’‘Imposition sur des importations rivales’.

  • 22  Étienne Dumont, ‘Sixième lettre’, cit., pp. 369-89.
  • 23  Ms Bentham, UC 99 f. 149v.

11Une ligne plus épaisse vers la fin de la Table 1 sépare les textes appartenant au lot du Manual of Political Economy d’autres fragments traduits ou rédigés par Dumont. Ceux-ci se divisent en deux catégories. Ceux que Dumont déclare avoir traduit de Bentham (les chapitres XII et XIV de la Table synoptique), mais qu’il ne publie pas, et deux ‘extraits’ publiés dans la Bibliothèque Britannique sur la population et sur les colonies, mais qu’il ne déclare pas avoir traduits lorsqu’il rédige la Table. La question se pose de savoir si Dumont a composé ces deux chapitres sur la base d’un ou plusieurs originaux benthamiens, ou s’il s'agit d’essais ‘à la mode de Bentham’ rédigés par Dumont lui-même. Nous ne pouvons formuler d’hypothèses que sur les deux extraits sur la population et sur les colonies que Dumont publie en version à peu près intégrale22. Comme nous avons indiqué dans la Table 1, des marginalia en français d’un texte correspondant à ce chapitre se trouvent parmi les papiers de Bentham conservés à l’University College de Londres. Il s’agit du matériel appartenant au Projet d’un corps complet de législation des années 1780. Dumont a donc eu entre les mains le texte intégral de ce dernier et l’a utilisé pour élargir le domaine thématique du Manuel à un sujet que Bentham n’avait pas examiné dans ce dernier. Il y a apparemment une seule note de l’original que Dumont a omise dans son adaptation: elle concernait les Grecs et les Romains et avait comme thème ‘Exposition d’enfans justifiée’23 : une preuve de la prudence du pasteur genevois dans la présentation des aspects les plus redoutables de la pensée de Bentham.

  • 24  Étienne Dumont, ‘Sixième lettre’, cit., p. 386.
  • 25  Dans Jeremy Bentham, Rights, Representation and Reform, cit., pp. 289-315.

12Quant à l’extrait sur les colonies, il est divisé en deux parties, la première, rédigée dans le style typiquement benthamien de questions/réponses, traite des questions économiques, tandis que la deuxième se concentre sur des questions ‘de justice et d’humanité’24. Il est facile de voir dans la partie principale de ce chapitre une traduction et adaptation d’un texte que Bentham avait imprimé en 1793 sans le publier (la première publication date de 1830): Emancipate your Colonies! Addressed to the National Convention of France A° 1793, shewing the uselessness and mischievousness of Distant Dependencies to an European State25.

13Ces deux derniers extraits sont donc effectivement extraits d’originaux de Bentham. Ils n'appartenaient pas au Manual, mais Dumont les rédige sur la base de manuscrits ou de publications de Bentham, pour compléter sa présentation des thèmes principaux dont Bentham économiste s’était occupé dans les années précédentes.

  • 26  Étienne Dumont, ‘Cinquième lettre’, cit., p. 118.
  • 27  James Mill, Commerce Defended. An Answer to the Arguments by which Mr. Spence, Mr. Cobbett, and Ot (...)

14Des extraits significatifs du Manuel d’économie politique sont donc déjà rendus publics en 1798. Dans les lettres à Bentham citées ci-dessous Dumont raconte d’ailleurs plusieurs fois que les articles de la Bibliothèque Britannique sont souvent cités et font connaître les œuvres de Bentham dans les milieux intellectuels français et anglais. En particulier le principe à la base de l’analyse de Bentham, que ‘le commerce est limité par le capital’26 – et qui peut être considéré comme la base de la loi des débouchés – est donc dans le domaine public avant la publication du Traité d’économie politique de Jean-Baptiste Say (1801) et de Commerce Defended de James Mill (1808)27.

  • 28  Voir la lettre de Dumont à Bentham, 8 janvier 1798, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jer (...)
  • 29  Voir la lettre de Bentham à Dumont, 28 ou 29 juin 1798, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol.  (...)
  • 30  Voir la lettre de Bentham à Dumont, 23 octobre 1801, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 6, (...)
  • 31  Pour des détails concernant la publication chez Bossange à Paris, voir la lettre de Dumont à Benth (...)

15Après la publication des articles de la Bibliothèque Britannique Dumont continue à travailler à la rédaction et à la mise en forme des manuscrits benthamiens sur le code civil et sur le code pénal28. Suivent ceux sur la déclaration des droits de l’homme29, sur le panoptique30 et sur d’autres sujets. Puis, en 1802, il publie les Traités de législation civile et pénale (1802)31, qui ne comprennent que les parties sur les principes de morale et de législation, les principes du code civil et pénal, le panoptique et d’autres matériaux provenant du Projet (forme). Les parties correspondant aux points 5 à 7 de la liste contenue dans la Bibliothèque Britannique, que nous avons citée ci-dessus, sont renvoyées à une autre date.

  • 32  Lettre de Bentham à Dumont, 22 mars 1804, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, cit., pp. 2 (...)
  • 33  Ms Dumont, BPU 50 ff. 30-439. Une version de ce texte retraduit en anglais a été publié par Stark (...)
  • 34  Ms Dumont, BPU 51 ff. 72-139. Comme pour le précédent, Stark en a publié une version anglaise (Jer (...)
  • 35  Ms Dumont, BPU 51 ff. 144-216.
  • 36  Voir par exemple les notes désespérées en marge des manuscrits Ms Dumont BPU 50 f. 31 et suivantes (...)

16Cependant, en 1804, de retour de Saint-Pétersbourg, Dumont semble décidé à insérer dans l’édition russe des Traités commandée par Mikhail Speranski – le conseiller du Tzar Alexandre I – quelques textes d’économie politique32. En réalité, à plusieurs reprises entre 1802 et 1804, Dumont avait travaillé à la traduction d’autres manuscrits benthamiens, parfois très épais, comme Sur les prix et sur la hausse des prix33, ainsi que d’autres comme De la balance du commerce34et une Analyse d’économie politique qui semble correspondre à une traduction de parties du texte correspondant à Institute35. Il est possible que ce travail ait été lié au projet de l’édition russe, mais que la difficulté que Dumont a éprouvé à interpréter ces manuscrits et à leur donner une cohérence36 l’ait décidé à les mettre de côté au profit des extraits du Manual qui lui paraissaient plus fiables. Bentham lui écrit en effet le 22 mars 1804 :

  • 37  Voir la lettre de Bentham à Dumont, 22 mars 1804, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, cit (...)

If what appeared to you paradoxes, are either erroneous or insufficiently supported, that is a sufficient reason for not sending them. As to further elucidations, you will agree with me that it would be Daemoniacal policy to quit a work almost finished for another little more than begun.37

  • 38  Bentham sait que la publication du premier volume a eu lieu fin juillet 1805 (lettre de Bentham à (...)

17En tout cas l’édition russe en trois volumes, traduite par Mikhail Mikhailov, est publiée en 1805-1811. Elle contient en effet quelques pages consacrées à l’économie politique sur lesquelles il sera intéressant d’enquêter38.

  • 39  Voir lettre de Dumont à Bentham, 12 janvier 1809, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jerem (...)
  • 40  Edmund Burke, ‘Speech on Presenting to the House of Commons a Plan for the Better Security of the (...)

18En 1809, enfin, Dumont est de nouveau à l’œuvre pour continuer le travail d’édition des manuscrits benthamiens, en particulier ceux sur la théorie des peines légales et sur la théorie des récompenses, ainsi que de l’ensemble des textes économiques qu’il a traduits entre 1795 et 1804, en vue de les rassembler dans des mélanges construits sur le modèle des Traités de 180239. Nous savons en effet que l’idée de considérer l’économie politique comme une suite naturelle de la théorie des récompenses a probablement été conçue assez tôt, et il faut ajouter qu’elle correspond à une double justification théorique: d’un côté la théorie des récompenses, qui contient entre autre une analyse des salaires et des incitations économiques, est en quelque sorte une théorie de l’économie publique, telle que la concevait par exemple à l’époque Edmund Burke40. L’économie politique représente donc traditionnellement l’aspect complémentaire de l’art du gouvernement, celle qui concerne la réglementation des échanges et la finance publique. L’ensemble de ces vues doit être soumis à une analyse critique guidée en dernier ressort par le principe de l’utilité dans son double statut de principe positif (l’analyse hédoniste de l’action humaine) et de principe normatif (l’éthique utilitariste).

  • 41  ‘Théorie des récompenses’, dans Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 135-36, voir Ms Bentham, UC 1 (...)
  • 42  ‘Théorie des récompenses’, Œuvres, cit., III, pp. 147-48.
  • 43  ‘Théorie des récompenses’, Œuvres, cit., III, pp. 161-64.
  • 44  ‘Théorie des récompenses’, Œuvres, cit., III, p. 199.

19C’est à propos de cette révision critique qu’apparaît le deuxième volet de la relation théorique entre la théorie des récompenses et l’économie politique de Bentham. Il s’agit de la notion d’‘union de l’intérêt avec le devoir’, associée à l’examen des ‘lois qui s’exécutent d’elles mêmes’, dont il est question dans le chapitre IV du livre premier de la Théorie des récompenses41. En résumant beaucoup, dès le début de sa carrière Bentham est à la recherche des incitations qui font se coïncider le devoir d’un agent, privé ou public, avec son intérêt personnel. Chaque fois que ces incitations peuvent être appliquées, l’individu se fait spontanément promoteur de l’utilité générale sans que la loi intervienne avec des contrôles et des moyens de coercition. Il s’agit donc d’un principe de minimisation du rôle de l’État aussi bien en termes de coût économique (coût de coordination) que de coût psychologique (entrave à la liberté). Or, l’économie politique révèle bel et bien l’existence d’une série de mécanismes sociaux qui s’exécutent d’eux-mêmes, en ce sens qu’ils encouragent l’individu à travailler à l’intérêt général tout en poursuivant son intérêt particulier. Les ‘récompenses naturelles’ se substituent en ce cas aux ‘récompenses factices’ que le gouvernement devrait instituer et l’intervention de l’État devient superflue42. La justification de la liberté de concurrence que Bentham donne dans le chapitre XV du livre premier de la Théorie des récompenses43 dérive de ce constat et représente le trait d’union entre la théorie des récompenses et l’économie politique, comme Dumont lui-même l’explique dans l’introduction au livre quatrième44.

  • 45  Voir Piero Sraffa, ‘Note on “Notes on Bentham”’, cit., p. 261.
  • 46  Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, p. 17.

20L’ensemble de ces considérations nous conduit à formuler une hypothèse: Dumont a probablement eu l’intention d’insérer les matériaux appartenant au lot originaire du Manual of Political Economy, tel qu’il avait été partiellement publié dans la Bibliothèque Britannique, avec les autres matériaux auxquels il a travaillé. Peut-être veut-il aussi faire entrer dans les mélanges auxquels il travaille le choix de textes qu’il avait préparé en 1804 en vue de l’édition russe. Il est aussi possible qu’il conçoive à un certain moment un projet plus vaste, celui d’agrandir la partie économique de sa publication avec des textes comme Sur les prix et De la balance du commerce. Ce que nous savons en tous cas, c’est qu’au beau milieu de son travail d’édition, et plus précisément le 25 décembre 1810, Dumont soumet à Ricardo, par l’intermédiaire de James Mill, le manuscrit Sur les prix qu’il avait traduit auparavant. Il veut savoir s’il est publiable, si les idées qu’il contient revêtent un intérêt quelconque à la lumière des développements récents de l’économie politique, dont Ricardo s’est fait le héraut45. Stark émet l’hypothèse que le renouveau d’intérêt pour Sur les prix ait été lié à la reprise de la bullion controversy en Grande-Bretagne46. Cette interprétation est peu vraisemblable, du moins comme explication des intentions premières de Dumont.

  • 47  David Ricardo, ‘Notes on Bentham’, dans The Works and Correspondence of David Ricardo, cit., III, (...)
  • 48  Sur ce point, voir Marco E.L. Guidi, ‘“Shall the Blind Lead Those Who Can See?” Bentham’s Theory o (...)
  • 49  Dumont remarque dans l’introduction de l’ouvrage : ‘Ce n’est pas sans défiance que je donne ici ce (...)

21Cependant les commentaires assez tranchants de Ricardo en 1810 – publiés par la suite par Sraffa47 – découragent Dumont. Ricardo confirme l’opinion déjà formulée par Dumont selon laquelle Sur les prix est un ouvrage contradictoire, et que les thèses hétérodoxes sur les effets réels de la création de papier-monnaie par le système bancaire qu’il contient48 ne résistent pas à la critique sévère du bullionisme ricardien. Dumont abandonne donc l’idée de publier ces textes et revient à un plan d’édition plus modeste, qui comprend la théorie des peines et des récompenses et les textes traduits avant 1797, savamment enrichis d’extraits tirés des autres traductions. La dernière colonne de la Table 1 (en appendice) nous montre les principaux changements introduits par rapport aux documents précédents. Sans entrer dans les détails, Dumont ajoute ici et là des passages de textes correspondant à Institute, trois pages contenant un résumé de Sur les prix probablement envoyées par Bentham lui-même49, ainsi que des matériaux provenant des manuscrits des années 1780 précédemment non utilisés. Ces matériaux forment en particulier deux chapitres finaux assez composites, qui d’ailleurs répètent des concepts déjà développés dans les parties précédentes du livre.

  • 50  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 213-24.
  • 51  Jeremy Bentham, ‘Manual of Political Economy’, édité par John Bowring et Richard Smith, dans The W (...)

22L’analyse de ce texte pourrait donc s’avérer très utile en vue d’une nouvelle édition critique des écrits économiques de Bentham. En effet, considérant par exemple le chapitre VIII sur la ‘Prohibition des manufactures rivales’, on a la nette sensation qu’il s’agit de la traduction fidèle d’un original benthamien dont une partie a été déplacée ou perdue. En effet ce chapitre est beaucoup plus long et complet que les chapitres 13 et 14 de l’édition Stark du Manual auxquels il correspond. Il est divisé en deux parties: la première parle des effets ‘nuls’ de cette mesure; la seconde des effets ‘nuisibles’50. Or, ces deux effets sont annoncés dans le paragraphe d’ouverture aussi bien dans la version anglaise que dans la version française. Il est donc vraisemblable qu’il existait un original du chapitre dans lequel l’intégralité de ce raisonnement était développée. Une confirmation vient de l’édition Bowring, dans laquelle le texte est semblable à celui du Manuel, bien qu’il soit séparé en deux paragraphes distincts51.

  • 52  Jeremy Bentham, ‘Manual of Political Economy’, cit., pp. 65-68.
  • 53  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 214-15.
  • 54  Jeremy Bentham, ‘Defence of a Maximum’, in Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 247-3 (...)

23Le chapitre IX sur la ‘Fixation du prix des denrées’ n’appartient ni au lot du Manual ni à celui de Institute. Il est aussi absent de la Table, donc contrairement au précédent il est peu probable qu’il appartienne au manuscrit original du Manual. Le chapitre de ce dernier consacré aux agenda concernant la subsistance discute les primes sur l’exportation des denrées et les magasins publics comme moyens pour garantir la sûreté de la subsistance52. Nous n’avons pas su identifier la source dans les manuscrits de Bentham, mais les arguments développés dans ce chapitre son très cohérents et modernes. Dumont discute en général les effets des contraintes supérieures et inférieures au prix, faisant dans le premier cas l’exemple du maximum sur le denrées, dont les effets sont la baisse de la qualité et le rationnement, et dans le second cas l’exemple des boissons alcoolisées, pour lesquelles il recommande un impôt plutôt que la fixation du prix. Plus intéressant est l’exemple du salaire minimum, dont l’effet est de créer du chômage53. Il est à remarquer que les thèses de ce chapitre sont bien plus orthodoxes que celles de Defence of a Maximum, où Bentham avait admis l’efficacité d’un prix maximum comme moyen pour combattre la spéculation54.

24Quant au chapitre X sur les conséquences des impôts sur la production et l’échange, nous sommes en face d’un autre chapitre cohérent qui semble appartenir au lot originaire du Manual ou à quelques manuscrits antérieurs intégrés au texte principal par Dumont. De ce chapitre non plus aucun original n’a été repéré par Stark lors de la préparation de son édition du Manual.

  • 55  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 217, n. 1.

25Dans une note ajoutée au chapitre XI sur la population – par ailleurs identique à celui de 1798 publié dans la Bibliothèque Britannique – Dumont revendique la priorité de Bentham sur Malthus concernant la loi de la population, affirmant que, comme on a montré ci-dessus, ‘cet ouvrage était antérieur au sien de bien des années’ et que Dumont l’ignorait encore lorsqu’il en publia des extraits dans cette même année 1798 dont date la première édition anonyme de l’Essay on the Principle of Population. ‘Si M. Malthus l’avait connu, il l’aurait cité comme une preuve de plus que son principe sur la population n’était pas un paradoxe nouveau.’55

  • 56  Une lettre de Bentham à Dumont du 8 juin 1811 discute probablement les modification à apporter à c (...)
  • 57  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 226. Des Addenda au Manuel d’économie politique conservées dan (...)
  • 58  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 220-21, 228.

26Le chapitre sur les colonies56 et le chapitre XIII sur les ‘Moyens d’accroissement de la richesse’ contiennent, comme on a déjà dit, un mélange de textes appartenant aux années 1780 et des parties nouvelles qui dérivent de Sur les prix57 et du matériel correspondant à Institute58. Ces passages introduisent dans le Manuel des thèmes nouveaux, comme l'idée hétérodoxe par rapport aux principes ricardiens des effets réels de la création de papier-monnaie par les banques, d’un côté, et de l’autre l’analyse des effets de l’introduction des machines sur l’emploi, un thème qui semble par contre évoquer les positions de Ricardo.

27Enfin, le chapitre XIV sur les lois contre l’usure reprend des manuscrits des années 1780 qui précèdent la Défense de l’usure, ce qui montre que Bentham était déjà sensible au problème lorsque, en Russie chez son frère, il prit l’occasion d'une nouvelle lue dans les journaux à propos d’une hausse du taux légal d’intérêt proposée au parlement britannique, pour écrire son premier ouvrage économique.

28En conclusion, les extraits de la Bibliothèque Britannique et le Manuel publié en 1811 nous offrent une série de textes dont l’original est encore à reconstituer ou qui peut avoir été perdu, et qui nous font connaître d’autres aspects de la pensée économique de Bentham. Par contre, si on compare le livre de 1811 avec la Table on peut remarquer qu’une partie des manuscrits traduits par Dumont a été écartée au moment de la publication de la Théorie des peines et des récompenses. La seule source pour en identifier le contenu reste donc le résumé contenu dans la Table.

De Ricardo aux deux Mill: les notes à la troisième édition du Manuel (1826)

  • 59  Chez Bossange et Masson à Paris.
  • 60  Parue chez Bossange frères à Paris.

29Une deuxième édition de la Théorie des peines et des récompenses paraît en 181659 sans aucun changement remarquable. C’est par contre la troisième édition de 1825-2660 qui contient des nouveautés précisément dans la partie qui nous intéresse. Un ‘Avertissement sur cette nouvelle édition’ placé au début du livre quatrième de la Théorie des récompenses annonce en effet des notes réunies à la fin du livre, dans lesquelles on trouve une série de commentaires et de critiques au texte principal ainsi que des références à Jean-Baptiste Say, David Ricardo et James Mill. Dumont explique qu’elles se sont avérées nécessaires pour mettre à jour l’ancien texte par rapport à l’évolution de l’économie politique dans les premières décennies du XIXe siècle :

  • 61  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 203.

L’économie politique a été depuis quinze ans dans une marche progressive. Les circonstances extraordinaires où l’Europe s’est trouvée ont mis tous les principes de cette science à une forte épreuve ; et trente années de révolution ont valu des siècles aux pensées. Il s’est trouvé en Angleterre un second Adam Smith qui a placé dans un nouveau jour les découvertes du philosophe écossais, mais qui a aussi démontré quelques erreurs dans sa doctrine, et qui a créé une nouvelle théorie sur la rente, sur le profit et sur les principes des valeurs échangeables. J’ai dû ajouter quelques notes, non dans le but de développer ces grandes vérités, mais pour tenir les lecteurs en garde contre deux ou trois passages du texte qui auraient pu les induire en erreur ; et j’ai été surpris qu’il y eût si peu de changements à faire pour porter cet ouvrage au niveau actuel de la science. Je renvoie pour les éclaircissements ultérieurs aux Éléments d'économie politique de M. Mill, qui sont considérés en Angleterre comme le manuel des économistes.61

  • 62  Pour la correspondance entre Ricardo et Dumont voir The Works and Correspondence of David Ricardo, (...)
  • 63  James Mill, Elements of Political Economy, Baldwin, Cradock & Joy, London 1821; réimprimé dans Jam (...)

30La référence à Ricardo comme le nouveau phare de la science économique est bien évidente. Il faut d'ailleurs se rappeler que Dumont avait rencontré plusieurs fois Ricardo grâce à son amitié avec Bentham et Mill62, et nous avons déjà examiné l'épisode des notes que Ricardo avait rédigé sur le manuscrit Sur les prix. Cependant, Ricardo était décédé en 1823, et il semblait naturel à ce moment de renvoyer aux Elements of Political Economy de James Mill (1821)63 comme texte de référence.

31Cependant la citation de Mill avait une autre raison d’être. En effet, Mill envoie le 5 février 1825 la lettre suivante à Dumont:

My dear Friend

I saw your letter to the Patriarch yesterday, in which you desire him to remind me of my promise, relative to the Polit. Econ. of your Rewards and Punishments.

The notes which I send you were all written, & had been postponed for some days for want of time to write this accompanying letter.

Long ago I looked over that part of the work to which they refer, with a view to compliance with your request. And at first there appeared to me so little, that was not perfectly correct, of what was there touched upon, that I thought of telling you only this, – that there was nothing which in my opinion it was worth while to alter. Afterwards, it occurred to me, that a few useful notes might be appended, containing such of the important doctrines as were most apt to be overlooked on the Continent; & that the circulation of your work would tend greatly to their diffusion. In that view they have been written, or rather dictated, for I preached them to John in the evenings to save my eyes, which latterly have been subject to inflammation. You will therefore take as much or as little of them as you please. & if you adopt any thing, dress it in your own fashion. You will see that they are in the form of suggestions to you, not in that of things to be inserted.

[…]

Adieu my dear friend, & believe we are most affectionately Yours

  • 64  Ms Dumont, BPU 76 ff. 23-24.

J. Mill64

  • 65  Ms Dumont, BPU 50 ff. 20-29. La lettre suivante témoigne de la réception du pli (lettre de James M (...)
  • 66  Nous trouvons cette information dans une lettre de Bentham à Dumont, 14 décembre 1824, dans Jeremy (...)

32Les notes que cette lettre annonce ont été heureusement conservées65. Il s’agit de dix grandes feuilles remplies recto verso, contenant une série de remarques avec des renvois à un texte non spécifié, mais dans lequel il est facile de reconnaître la première édition de la Théorie des peines et des récompenses (1811). Elles sont en effet de la main du jeune John Stuart, avec des corrections de son père. Elles ont été écrites entre le 25 novembre 1824, date de la requête de Dumont66, et la date de la lettre citée ci-dessus, le 5 février 1825, plus probablement quelques jours avant cette dernière date.

33Une partie des notes correspond effectivement à celles que Dumont ajoute à la troisième édition (cf. Table 2). Donc Dumont utilise le manuscrit des deux Mill sans en dévoiler la source, respectant ainsi à moitié la demande de Mill de ne pas le publier en tant que tel. Il ne fait cependant pas beaucoup d'effort pour l’intégrer véritablement dans son texte en éliminant ou en révisant les passages obsolètes. Il en résulte une série de notes ajoutées à la version de 1811 et placées à la fin du texte.

Table 2. Les notes de Mill et celles de Dumont

  • 67  Les pages de cette colonne sont celles mentionnées dans le manuscrit et se réfèrent à la première (...)
  • 68  Les pages de cette colonne se réfèrent à la troisième édition de la Théorie des récompenses (1825- (...)

Notes de Mill

Sujet

Notes de Dumont

Différences

A, p. 25667

Sources de la richesse

B, p. 262

Rôle du gouvernement

(a) p. 20668

Quelques coupes

C, p. 263

Subsistance et défense

(b) p. 206

Quelques coupes

D, p. 279

Primes sur la production

E, p. 286

Primes sur l'exportation

(c) p. 212

Aucune

F, p. 291

Restrictions au commerce

G, p. 294

Valeurs et prix

(d) p. 214

Coupes et «excuses»

H, p. 300

Effets des impôts

(e) p. 216

Coupes importantes

I, p. 303

Encouragements à l'exportation

(f) p. 217

Complètement différente

K, p. 312

Population

Partiellement intégrée dans le texte principal

L, p. 317

Colonies

M, p. 339

Monnaie

(g) p. 226

Coupes importantes

N, p. 240

Agriculture et rente

(h) p. 227

Quelques coupes

O, p. 242

Loi des débouchés

(*) p. 227

Paragraphe remplacé dans le texte

34Quant au contenu de ces notes, deux d’entre elles (A et D) pointent des contradictions logiques dans l’analyse de Bentham. Les notes B et C ne font que souligner les raisons utilitaristes en faveur d’une réduction au minimum de l’intervention de l’État dans le marché: évitant toute raison dogmatique, elles soulignent que l’interférence du gouvernement peut être admise pour les actions ‘other-regarding’ seulement en cas de faillite du marché, lorsque l’intérêt de l’agent est en opposition à l’intérêt de la société. Mais puisque l’économie politique démontre que l’intérêt des propriétaires des capitaux est toujours en harmonie avec l’intérêt de la société, aucune intervention n’est nécessaire pour modifier l’allocation des capitaux entre les différents emplois. Bentham s’était déclaré d'accord en principe, mais suivant Smith il avait admis qu’il pouvait y avoir des exceptions lorsque la subsistance et la défense étaient en question. Il avait donc soutenu l’utilité des greniers publics et du maintien de la marine marchande.

35Les notes E, F, H et I analysent la théorie ricardienne du commerce international, basée sur la notion de coûts comparés qui était étrangère aussi bien à Smith qu’à Bentham. Leur conclusion est que cette théorie renforce les raisons contraires au protectionnisme.

36La note G sur la valeur est très intéressante et mérite d’être considérée plus attentivement. La note se réfère au chapitre X, où Bentham, discutant la question de la fixation du prix, avait affirmé:

  • 69  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 214.

Antérieurement à la loi, la denrée était vendue à ce qu’on appelle (pour abréger) le prix moyen, c'est-à-dire qu’il s’était renfermé entre certaines limites, I° par la concurrence entre les vendeurs et les acheteurs; et 2° par une autre concurrence entre le profit de la branche de commerce en question, et celui des autres branches auxquelles le commerçant peut trouver de l’avantage à transférer son capital.69

37Ce passage montre que tout le raisonnement de Bentham se fonde sur une théorie de la valeur basée sur la loi de la demande et de l’offre, renforcée par une notion sophistiquée de mobilité du capital à la recherche du meilleur rendement. C’est sur cette base – synthétisée dans la maxime que ‘le commerce est limité par le capital’ – que Bentham écarte toute forme de protectionnisme. S’il y a une dette de Ricardo (et de James Mill) envers Bentham, elle peut être trouvée dans cette analyse du rôle moteur du capital dans la détermination de l’équilibre économique.

38Or, Mill trouve qu’une telle analyse de la valeur néglige un aspect essentiel mis en évidence par Ricardo: la référence au coût de production comme base du prix naturel. En le faisant remarquer à Dumont, Mill montre cependant qu’il y a une relation étroite entre l’offre et la demande et le coût de production:

The proposition stated in the text is correct, but somewhat vague, and does not go to the bottom of the subject. It is true that the prix moyen of a commodity is regulated, partly by the competition of sellers & purchasers, partly by the comparative profit of the particular business in question & of other businesses. The real regulator of value, however, will more distinctly appear, if the steps be traced, by which any deviation from the prix moyen is checked & corrected.

The value of a commodity depends, in the first instance, upon demand and supply, or, to use the language of the text, upon the competition of sellers & purchasers. An increase of demand, without a corresponding increase of supply, raises the value; an increase of supply without a corresponding increase of demand, lowers it.

It being admitted, however, that value depends upon the proportion between the demand & the supply, the question still remains, what determines that proportion? It is determined by the cost of production; it is the cost of production, which proportions the supply to the demand. Should there be an increase of demand, without an increased cost of production, the price rises, the profits of the producers are raised above the profits of other producers, an increased capital is drawn into that employment, the supply is increased, & the price falls, until it is barely sufficient to repay the cost of production with the ordinary profit. Should there be a diminution of demand, the cost of production remaining the same, the price falls; the profits in that employment fall below the ordinary rate; a portion of capital is withdrawn to other employments, until the supply has been reduced in the same proportion as the demand, when the price rises to what it was before.

The value of a commodity, therefore, depends upon demand & supply, in the first instance; but fluctuations in demand & supply being only temporary unless accompanied by a variation in productive costs, they can only have a temporary effect on value, and the prix moyen therefore depends upon cost of production, & upon cost and production only.

  • 70  Ms Dumont, BPU 50 f. 25.

See, for further explanations, in the section on exchangeable value in Mill’s Elements of Political Economy.70

  • 71  Je reprends ici l’interprétation de Samuel Hollander, Classical Economics, Basil Blackwell, Oxford (...)

39Ce commentaire est intéressant si on le place dans le contexte du débat sur la valeur qui avait occupé les années précédentes, entre Ricardo, Malthus, Mill et Jean-Baptiste Say. Il exprime parfaitement le ‘canon ricardien’ ou ‘classique’ en soulignant le rôle central du coût de production, mais aussi en articulant la relation entre offre et demande et coût en une manière à laquelle Ricardo aurait lui-même souscrit: c’est au prix de marché déterminé par la proportion entre l’offre et la demande et aux mouvements des capitaux que l’équilibre du marché est confié, et ce sont ces mouvements qui expliquent pourquoi le prix converge à long terme sur le coût de production71.

  • 72  Ms Dumont, BPU 50 f. 29.
  • 73  Sur cette controverse, voir Samuel Hollander, J.-B. Say and the Classical Canon, cit., chapitre 7.

40Venons-en aux autres notes. La note K répète les arguments malthusiens sur la population, que Dumont avait en partie déjà intégrés dans le texte de 1811 avec la note que nous avons examinée dans la première partie de ce papier. La note L ne juge pas que les colonies constituent une bonne solution pour la surpopulation. La note M ne pouvait pas manquer, car elle démonte point par point le passage sur les effets du crédit que Dumont avait ajouté au chapitre XIII, et qui reprenait le texte de Sur les prix auquel avaient été adressées les critiques de Ricardo. La note N critique la doctrine smithienne de la supériorité de l’agriculture sur les autres secteurs productifs, que Bentham avait fait sienne, en en profitant pour exposer la doctrine ricardienne de la rente. Enfin, la note O critique l’autre doctrine smithienne de la supériorité du commerce intérieur sur le commerce extérieur et sur le commerce de fret. Elle n’est rien d'autre qu’une rigoureuse réaffirmation de la loi des débouchés, dont le mérite est entièrement attribué ‘to the chapter « Des Débouchés » in M. Say’s excellent Traité d'économie politique’72 (ce qui est remarquable venant de la plume de Mill, après tant d'années de polémiques avec l'économiste français)73.

  • 74  Cf. John Stuart Mill, ‘Exchangeable Value’, The Traveller, 6 December 1822, p. 3; et 13 December, (...)
  • 75  Cf. John Stuart Mill, ‘War Expenditure’, Westminster Review, 2, July 1824, pp. 27-48; réimprimé da (...)
  • 76  James Mill avait d’ailleurs pratiqué avec son fils l’exercice consistant à lui donner un texte à l (...)

41La question qui se pose à présent est de connaître le rôle respectif de James et John Stuart Mill dans la rédaction de ces notes. Si l’on prête attention à la lettre du 25 février 1825 citée ci-dessus, James semble laisser entendre entre les lignes un rôle en quelque sorte actif de son fils. D’ailleurs il est peu croyable que John se soit prêté à une simple fonction de scribe occasionnée par l’inflammation aux yeux de son père, si on pense d’un côté à sa précocité intellectuelle et de l’autre à l’action pédagogique incessante qui avait caractérisé le rapport du père avec son fils. John avait à l’époque dix-neuf ans, et avait déjà été l’auteur d’articles à contenu économique publiés dans le Traveller74 et dans la Westminster Review75. Même si l’Autobiography de John ne mentionne pas cet épisode, la scène que nous imaginons figure James Mill – qui avait décidé en un premier temps de laisser tomber l’affaire – demandant à son fils de lire le texte de Bentham-Dumont et de signaler les passages controversés, puis l’interrogeant sur la manière de formuler les critiques, enfin discutant ces dernières avec lui et lui demandant de les mettre par écrit, les corrigeant après les avoir relues. Si les choses ne se sont pas passées exactement de cette manière, il est difficile cependant d’écarter toute forme d’interaction76. La formulation des commentaires à Bentham serait donc l’œuvre conjointe des deux personnages, ou plutôt de John sous la houlette de son père.

  • 77  Voir James Mill, Selected Economic Writings, cit., pp. 188-89. Je dois cette remarque sur le style (...)
  • 78  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., p. 33.

42Quels sont les minces indices qu’on peut alléguer en faveur de cette interprétation ? D’abord le style des notes est peu rigoureux et parfois emphatique, ce qui contraste avec la sécheresse que Mac Culloch reprochait parfois à James Mill77. En deuxième lieu, le contenu des notes ne semble pas être la simple application des arguments avancés dans les Elements of Political Economy, comme on s’y attendrait de la main de James Mill. Plusieurs fois l’auteur semble connecter de façon directe et originale les thèses de Ricardo, Malthus et Say, comme c’est le cas dans l’analyse de la valeur que nous avons mentionnée. La relation établie entre l’offre et la demande et le coût de production ne suit pas l’hypothèse d’une simple économie d’échange basée sur la loi des débouchés qu’on trouve dans les Elements, mais se base sur les mouvements des capitaux dans la perspective ricardienne. C’est le même critère que John Stuart Mill adopte dans les écrits de la même époque78.

  • 79  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 3-6 et 23-43.
  • 80  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 68-69.
  • 81  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 71-123.
  • 82  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 42 et 65-66.
  • 83  ‘Of the Laws of Interchange between Nations; and the Distribution of the Gains of Commerce among t (...)

43Il s’agit cependant d'indices assez faibles, James Mill pouvait souscrire à tout ce qui est affirmé dans ces notes. Ce qui peut faire pencher la balance vers John ne peut être alors que l’ensemble des sujets analysés dans ces notes. Plusieurs d’entre eux sont en effet au cœur des articles que John a écrits à la même période. Comme on a déjà dit, la note G sur la valeur rappelle en effet la polémique avec Robert Torrens de 1822 et celle contre Malthus de janvier 182579. La note H sur les effets des impôts sur le commerce international est presque la paraphrase d’un passage de l’article ‘The Corn Laws’ de la même année80. La note M sur la monnaie rappelle des passages de l’article ‘Paper Currency and Commercial Distress’ de 182681. Il faut ajouter que cette note ne fait aucune mention du manuscrit Sur les prix que pourtant James Mill connaissait très bien. La note N sur la rente foncière cache à peine les polémiques de John Mill contre Malthus sur la vexata quaestio de la rente comme partie ou moins du coût de production82. La Note O sur la loi des débouchés contient des échos de la polémique contre Malthus sur l’encombrement général du marché, commencée avec l’article ‘War Expenditure’ de 1824 et continuée dans l’article de janvier 1825. Pour terminer, la note K sur la population et les nombreuses (et répétitives) notes sur les avantages de la spécialisation dans le commerce international révèlent l’un des intérêts les plus constants de John Stuart Mill dans cette même période. Cet intérêt le conduit, comme on sait, à rédiger le premier des Essays on Some Unsettled Questions on Political Economy, composé au début des années 183083.

44À propos de ce dernier groupe de notes, on peut ajouter les deux remarques suivantes:

  • 84  John Stuart Mill, Autobiography, cit., pp. 124-25 et John Stuart Mill, ‘Essays on Some Unsettled Q (...)

451. Ce manuscrit tombe entre la deuxième (1824) et la troisième (1826) édition des Elements de James Mill. Dans son Autobiography et dans les Essays on Some Unsettled Questions on Political Economy, John Mill se vante plusieurs fois d’avoir persuadé son père de corriger l'erreur qu’il avait faite dans l’examen de la doctrine des coûts comparés, lorsqu’il avait compté deux fois l’épargne de frais de production engendrée par la spécialisation internationale de la production, puisqu’il l’avait attribuée en même temps à l’une et à l’autre nation. Nous savons que la solution correcte consiste à considérer cet avantage comme unique et à en étudier la répartition entre les deux nations84. Or ces notes, bien qu’elles n’analysent jamais la condition des deux partenaires commerciaux, ne contiennent jamais cette erreur. Il est bien possible au contraire que la réflexion de John sur ce thème ait débuté en écrivant ces notes.

462. Dans la note H nous trouvons un passage qui pourrait être lu comme une anticipation de l'un des résultats les plus intéressants du premier essai des Unsettled Questions.

  • 85  Ms Dumont, BPU 50 f. 25.

Suppose that a government imposes a duty on an article which is habitually exported to another country. If the exportation be not diminished, the duty is a clear gain; but if it be greatly diminished, or entirely cut off, it occasions a positive loss.85

  • 86  John Stuart Mill, Essays on Economics and Society, cit., pp. 245 et suivantes.

47Dans son essai de 1844 Mill soutiendra en effet qu’un droit d’importation peut dans certaines circonstances et selon son niveau créer un avantage commercial pour la nation qui l’impose, sans diminuer le montant de l’échange86. Cette circonstance n’est d’ailleurs pas considérée dans les Elements.

48Quant aux possibles analogies dans la structure du discours, l’article ne contient aucune preuve éclatante, comme par exemple des phrases exactement identiques. Cependant nous pouvons comparer à titre d’exemple un passage de la note N avec un passage de l’article ‘The Quarterly Review on Political Economy’ et pointer les analogies :

Note N, Ms Dumont, BPU 50 ff. 28-29

‘The Quarterly Review on Political Economy’, 1825, p. 42.

The author has hastily adopted the doctrine of Adam Smith, that agriculture is the most productive of all employments of capital, an error which the modern discoveries in political economy have corrected.

Other employments, it is said, yield no more than the ordinary profits of stock; agriculture yields not only profit, but rent: therefore agriculture is more productive than other employments.

To understand the fallacy of this doctrine, it is necessary to consider what is the nature of rent.

[…]

Rent, therefore, is not a proof of the superior productiveness of agriculture over other employments, but of continually decreasing productiveness. Rent is the effect of a high price of corn: this high price is occasioned by the limited fertility of the soil, in consequence of which every additional quantity of corn, is produced at an augmented cost.

How is it possible to say whether agriculture, or manufactures, be most productive of wealth? unless it is pretended to determine whether food or clothing be most essential to the happiness of man. But manufacturing capital, it seems, yields no more than the ordinary profits of stock; while agricultural capital yields not only profits but rent. True; but rent (if Mr. Malthus’s explanation of it be correct) is the effect, not of the greater fertility of the soil, but of the unequal fertility of different soils; not of the superior productiveness of agricultural, over every other capital, but of the unequal productiveness of one agricultural capital and another. So far is rent from being a proof of the superior productiveness of agriculture, that rent is highest when the productiveness of agricultural capital is the least; and when the productiveness is greatest, that is, when none but the best land is in cultivation, and when the return to capital from that land is at its highest, there is no rent at all.

49Cet exemple révèle en effet des analogies logiques, sémantiques et stylistiques (l’usage des italiques, par exemple) entre les notes sur le texte de Bentham et les écrits contemporains de John Stuart Mill.

50Nous nous arrêtons là, car on peut alléguer, contre cette interprétation, que James Mill ne mentionne à aucun moment à son ami Dumont la participation de son fils. Il est vrai aussi qu’il aurait pu sembler indélicat de la part de James de faire savoir à son ami genevois qu’il avait délégué à son fils l’analyse du texte benthamien ou qu’il avait transformé ce travail en exercice pédagogique, comme s’il n’avait éprouvé aucun intérêt direct dans cette lecture. Et il est vrai aussi que James n’avait pas l’habitude d’exalter les vertus intellectuelles de son fils. Il est cependant impossible de trancher la question dans un sens ou dans l'autre.

51Il nous reste à faire quelques considérations sur l'utilisation que Dumont fait de ce manuscrit. Nous avons vu qu’il le transforme en notes ajoutées au texte, les traduisant et résumant non sans remaniements. Il en écarte aussi certaines qu’il considérait soit moins importantes soit difficilement intégrables dans le texte à cause de la différence trop marquée d’opinions. Les critères adoptés dans cette réutilisation peuvent donc être résumés comme suit :

  1. moderniser le texte économique de Bentham à la lumière du ‘canon classique’, tout en en minimisant les différences ;

  2. sauvegarder la spécificité de l’approche économique de Bentham, centrée sur l’analyse utilitariste du rôle du gouvernement ;

  3. sauvegarder certains apports originaux de Bentham à l’analyse économique, comme sa théorie des effets réels de la création bancaire de monnaie.

  • 87  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 217-19.

52Certes, le résultat de cette opération est loin d’être cohérent. La sensation du lecteur est celle d’un collage rendu encore plus incompréhensible par le refus de déclarer la source et l’auteur des notes ajoutées. Prenons le cas des remarques de Mill sur la population. Dumont, au lieu d’ajouter une note à la fin du texte, insère un passage de Mill dans la note sur Malthus qu’il avait déjà intégrée dans l’édition de 1811. Le résultat est frappant : le raisonnement commence par l'argument qu’il est inutile d’encourager la croissance de la population, considérée en soi comme un fait positif. Il continue dans la note qui affirme que la misère dérive de l’inévitable croissance de la population, et se termine expliquant que les causes qui ralentissent la population, comme le célibat et l'émigration, ne sont pas à craindre87...

53Quant à la théorie du commerce international, Dumont évite la plupart des passages qui mettent en question la théorie benthamienne selon laquelle l’effet du protectionnisme sur le montant du commerce international est un jeu à somme nulle, alors que pour les deux Mill et pour Ricardo la non spécialisation de chaque pays entraînait une perte de revenu. La critique de la théorie monétaire benthamienne est aussi accueillie avec quelques réticences, car d’un côté Dumont sauvegarde le texte de Bentham, et de l’autre il renvoie aux Elements, dans lesquels le point de vue bullioniste orthodoxe est exposé sans nuances.

Épilogue

54Nous arrivons ainsi à l’édition du Manuel d’économie politique que l’éditeur Hauman publie en 1840. Celle-ci ne comprend pas l'introduction de Dumont au quatrième livre de la Théorie des récompenses, dans laquelle une explication de l’origine de ce texte était du moins ébauchée. Le manuel semble maintenant une simple traduction d’un texte anglais de Bentham et l’‘Avertissement’ que nous avons cité semble à présent de la main de ce dernier. L'alignement de Bentham sur l’économie politique ricardienne est ainsi accompli. Bentham joue le rôle de chef de l’école utilitariste en morale et en politique, tandis que sur le plan économique il se soumet au magistère de Ricardo et de James Mill.

  • 88  Francesco Ferrara, ‘Introduzione. Ragguaglio biografico e critico sugli autori, le cui opere son c (...)

55C’est en tout cas ce que pense Francesco Ferrara, qui en 1854 traduit en italien le Manuel d’économie politique, lorsqu’il affirme dans son introduction que ‘dans le petit traité d’économie politique, que M. Dumont a rédigé d’après les manuscrits de Bentham, l’on pourra voir quelle estime le chef de l’école utilitariste avait pour le petit ouvrage de Mill.’88

56Sans répéter ce que nous avons déjà dit analysant les couches successives du Manuel nous nous limitons ici à réaffirmer l’importance de ce texte pour reconstruire l’évolution de la pensée économique de Bentham, importance qui n’a pas cessé après la publication par Werner Stark des manuscrits économiques du philosophe anglais car, comme nous l’avons vu, celle-ci laisse toujours en suspens la question de la classification et de la datation de certains manuscrits. Afin de recomposer le puzzle de ce texte il est nécessaire d’analyser attentivement les papiers de Bentham et ceux de Dumont. C’est un travail que je n’ai qu’ébauché dans cet article, et que la nouvelle édition des écrits économiques de Bentham qui se prépare au sein du Bentham Project pourra sans doute terminer.

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Annexe

Table 1. Une comparaison des différentes éditions du Manuel d'économie politique

Manual of Political Economy (1793-95) – Stark’s edition

Table synoptique des divers ouvrages de législation que j’ai rédigé d’après les manuscrits de Jérém. Bentham – Manuel d’économie politique, non-achevé, Ms Dumont BPU 6 ff. 20-23 (1797-98?)

‘Extraits du Manuel d’économie politique de Mr. Bentham’, Bibliothèque Britannique, VII (1798)

Livre quatrième de la Théorie des récompenses (1811)

1. Introduction

Préface

[1.] Préface (différente)

Préface (plus ample que la précédente)

2. Fundamental principles

Ch. I. Principes fondamentaux

[2.] Définitions, Principe fondamental

Ch. I. Notions préliminaires

3. Modes of operating in the power of government in the pursuit of the ends of political economy

Ch. II. Suite. Principes

[4. Of the limit set to the operation of government by the dependence of trade on capital.]

Ch. II. Que l'industrie est limitée par le capital

[5. Of the] regard due to subsisting interests, or dangers to be guarded against in a change.

[6.] Loans of capital

Ch. III. Prêt de Capital par le gouvernement aux individus

[3.] Prêt de capital

Ch. III. Prêt de capital

[7. Gifts of money and in kind; gratuitous loans

Ch. IV. Dons de Capital

[4.] Dons de capital, ou capital prêté sans intérêt

Ch. IV. Dons de capital

[8.] Of bounties on production

Ch. V. Des primes sur la production

[5.] Primes ou gratifications pour la production

Ch. V. Des primes sur la production

[9.] Bounties on exportation

Ch. VI. Exemptions d’impôts sur la production

[6.] Primes pour l’exportation

Ch. VI. Des exemptions d’impôts sur la production

[10.] Exemptions from taxes and other burthens on production

Ch. VII. Primes sur l’exportation

Ch. VII. Primes sur l’exportation

[11.] Drawbacks on exportation

Ch. VIII. Retrait, ou retour du droit sur l’exportation ... [non-achevé]

[12.] Premiums for the immigration of foreign workmen [and for the] importation of foreign arts

Ch. XIII. Premiums pour l’immigration d’artistes étrangers89

[9.] Faveurs pour l’établissement des ouvriers étrangers

[13.] Prohibition of rival branches of industry, i.e. of the production of rival manufactures

Ch. IX. Prohibition des productions des manufactures rivales

[8.] Prohibition des produits des manufactures rivales

[14.] Prohibition of rival imports

Ch. VIII. Prohibition des manufactures rivales90

[15.] Taxation of rival branches of home manufacture

[16.] Taxation of rival imports

Ch. X. Impôt sur des importations rivales

[7.] Imposition sur des importations rivales

[17.] Non-importation agreements

[18.] Treaties obtaining from a foreign nation encouragements in favour of our own exports to that nation

Ch. XI. Traités obtenant d’une nation étrangère des avantages en faveur de nos exportations chez elle

[10.] Traités pour obtenir des avantages en faveur de nos exportations

[19.] Of patents or exclusive privileges for inventions and the expediency of granting them

91

[11.  privilèges exclusifs dans les inventions pour les arts et les sciences]

[cette section se trouve déplacée à la fin du chapitre XIII]

[20.] What [is] to be done in respect of security in point of subsistence

Ch. IX. Fixation du prix des denrées92

Ch. XII. Impôts = leurs conséquences sur l’industrie et sur le commerce

Ch. X. Impôts. Leurs conséquences sur l’industrie et sur le commerce

Ch. XIV. Mystères éclaircis par le principe que le commerce est subordonné au capital93

[12.] De la population94

Ch. XI. De la population

[13.] Sur les colonies95

Ch. XII. Des colonies96

Ch. XIII. Des moyens d'accroissement de la richesse97

Ch. XIV. Abolition du taux fixe de l'intérêt dans les entreprises commerciales98

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Notes

1  Étienne Dumont, ‘Lettre aux Rédacteurs de la Bibliothèque Britannique sur les ouvrages de Bentham’, Bibliothèque Britannique, section Littérature, 5(2), juin 1797, p. 156.

2  Jeremy Bentham, Rights, Representation and Reform. Nonsense upon Stilts and Other Writings on the French Revolution, Clarendon Press, Oxford 2002.

3  Jeremy Bentham, Defence of Usury. Shewing the Impolicy of the Present Legal Restraints on the Terms of Pecuniary Bargains. To which is Added a Letter to Adam Smith on the Discouragements Opposed by the above Restraints to the Progress of Inventive Industry, T. Payne & Son, London 1787 (reproduit dans Jeremy Bentham, Economic Writings, edited by Werner Stark, 3 vols, Allen & Unwin, London 1952-54, I, pp. 123-207). En 1790, l’édition de 1787 est réimprimée par le même éditeur sans la nouvelle préface que Bentham avait préparée (voir Jeremy Bentham, Economic Writings, I, pp. 191-94). Une troisième édition – à laquelle est ajoutée la deuxième édition de A Protest against Law Taxes (1ère édition, P. Byrne, Dublin 1793) – paraît à Londres en 1816, suivie d’une quatrième, identique à la précédente, en 1818. Une édition pirate est imprimée à Dublin chez D. Williams en 1788. Cette édition est mentionnée par Bentham dans la Préface inachevée de 1790 (Jeremy Bentham, Economic Writings, I, p. 191). Dans les Works publiés par John Bowring la Defence se trouve dans le vol. III. Une édition américaine parait en 1796 à Philadelphie chez Matthew Carey. Deux nouvelles éditions voient le jour en 1837 (à Albany, chez Croswell, Van Benthusyen and Burt, et à New York, chez Theodore Foster), à l’époque d’un débat acharné sur les thèses de Bentham.

4  En France ce texte a été traduit plusieurs fois : Apologie de l’usure, rédigée en forme de lettres, adressées à un ami, traduit de l’anglais de M. Jérémy Bentham, Lejay fils, Paris 1790 ; Lettres sur la liberté du taux de l’intérêt de l’argent, par M. Jérémie Bentham, traduites de l’anglais, Grégoire, Paris 1790 ; Défense de l’usure, ou Lettres sur les inconvénients des lois, qui fixent le taux de l’intérêt de l’argent, par Jérémie Bentham, traduit de l’anglais sur la 4e édition (par Saint-Amand Bazard) ; suivi d’un Mémoire sur les prêts d’argent, par Turgot, et précédé́ d’une introduction contenant une dissertation sur le prêt à̀ intérêt, Malher et compagnie, Paris 1828. C’est cette édition que l’éditeur Hauman de Bruxelles inclut dans le troisième volume des Œuvres de Jérémie Bentham (1829-30). Les Lettres de 1790 sont publiées ensuite dans le vol. 15 de la ‘Collection des principaux économistes’, Guillaumin, Paris 1848.
La traduction espagnole dérive de l’édition française de Saint-Amand Bazard et est publiée à Paris la même année que cette dernière : Defensa de la usura, ó Cartas sobre los inconvenientes de las leyes que fijan la tasa del interes del dinero, par Jeremias Bentham, con una memoria sobre los prestamos de dinero por Turgot, traducidas del francès por Don J. E., 3, boulevard Saint-Martin, Paris 1828.
Quant à l’Allemagne, une traduction paraît assez vite, en 1788 : Vertheidigung des Wuchers, worin die Unzuträglichkeit der gegenwärtigen Einschränkungen der Bedingungen beim Geldverkehr bewiesen wird. In einer reihe von Briefen an einem Freund. Nebst einem Briefe an d. Adam Smith Esq. über die Hindernisse, die durch die obengenannten Einschränkungen dem fort Gauge der Industrie in den Weg gelegt werden, Deutsch hrsg. von Johann August Eberhard, J.J. Gebauer, Halle 1788.

5  Jeremy Bentham, Théorie des peines et des récompenses, rédigée en françois, d’après les manuscrits, par M. Ét. Dumont, 2 vols, de l’Imprimerie de Vogel et Schultze, Londres 1811.

6  Sur la vie d’Étienne Dumont cf. Jean Martin, Etienne Dumont 1759-1829. L’ami de Mirabeau, le voyageur, le patriote genevois, Aux Éditions de la Baconnière, Neuchatel 1942 ; Bernard Gagnebin, ‘Jeremy Bentham et Etienne Dumont’, dans Jeremy Bentham. Bicentenary Celebrations, University of London, London 1948; Charles Blount, ‘Bentham, Dumont and Mirabeau. An Historical Revision’, University of Birmigham Historical Journal, 3, 1952, pp. 153-67. Une nouvelle étude sur la ve de Dumont et sur ses rapports avec Bentham est celle de Cyprian Blamires, The French Revolution and the Creation of Benthamism, Palgrave Macmillan, Basinstoke 2008, chapitres 3 à 6.

7  Pour une datation exacte des volumes des Works, voir Sadao Ikeda, Michihiro Otonashi et Tamihiro Shigemori, eds, A Bibliographical Catalogue of the Works of Jeremy Bentham, Chuo University, Tokyo 1989.

8  Dans Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., I, pp. 221-73.

9  Le titre exact que Stark lui attribue est ‘Method and Leading Features of an Institute of Political Economy (Including Finance) Considered not only as a Science but as an Art’, dans Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 301-80.

10  Le matériel correspondant à cet ouvrage est conservé en grande partie dans la collection Bentham à University College London (ci-après abrégé en Ms Bentham), UC 33 et 99. Étienne Dumont l’a utilisé pour la composition des Traités de législation civile et pénale, 3 vols, Bossange, Paris 1802, et de la Théorie des peines et des récompenses, rédigée en françois, d’après les manuscrits, par M. Ét. Dumont, 2 vols., de l’Imprimerie de Vogel et Schultze, Londres 1811. Voir L.J. Hume, Bentham and Bureaucracy, Cambridge University Press, Cambridge 1981, pp. 89-90.

11  Les manuscrits du Projet Forme ont été employés par Dumont pour composer la Vue générale d’un corps complet de législation, et De la promulgation des lois. Cf. Œuvres de Jérémie Bentham, 3 vols, Hauman, Bruxelles 1829-30,I, pp. 265-301, 303-70.

12  Étienne Dumont, ‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit., p. 158.

13  Lettre d’Étienne Dumont à Jeremy Bentham, 23 avril 1796, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 5, January 1794 to December 1797, edited by Alexander Taylor Milne, The Athlone Press, London 1981, pp. 200-1. Le dossier principal (Ms Bentham, UC 17 ff. 13-279, fragments divers) correspond au Manual publié par Stark.

14  Étienne Dumont, ‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit.

15  Deux extraits de l’Introduction to the Principles of Morals and Legislation étaient parus dans la Bibliothèque Britannique avant les six articles cités (‘Introduction to the principles &c. Introduction aux principes de Morale & de Législation, par Jérémie Bentham, de Lincoln’s-Inn Esq, in 4°. pages 335’, Bibliothèque Britannique, série Littérature 3(3), novembre 1796, pp. 265-83 ; ‘Introduction to the principles &c. Introduction aux principes de Morale & de Législation, par Jérémie Bentham, de Lincoln’s-Inn Esq, in 4°. pages 335 (Dernier Extrait)’, Bibliothèque Britannique, 3(2), octobre 1796, pp. 137-50). Cependant ces articles ne sont pas de la main de Dumont. Le deuxième d’entre eux se termine par une prise de distance nette vis-à-vis de Bentham : ‘L’extrait qu’on vient de lire n’est pas fait, nous l’avouons, pour intéresser un grand nombre de lecteurs ; nous l’avons destiné plutôt à donner l’idée d’un genre particulier à certains moralistes Anglais, & un peu ressemblant à celui que le célèbre Professeur de Koenisberg, Kant, a mis à la mode en Allemagne. Nous doutons que ce genre prît en France.’, p. 283. Dumont d’ailleurs, dans sa première intervention, se déclare surpris de l’attention consacrée à Bentham par la revue genevoise : ‘J’ai été surpris de trouver dans la Bibliothèque Britannique les extraits d’un livre qui date de plusieurs années, mais qui n’étant presque point connu, même en Angleterre, auroit pu facilement vous échapper.’ (‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit., p. 155). Sa décision de faire connaître mieux l’œuvre de Bentham découle précisément de ce constat (voir Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 5, cit., p. 200). Sur les traductions françaises de l’Introduction voir le très intéressant article d’Emmanuelle De Champs, ‘An introduction to utilitarianism : early French translations of Bentham’s Introduction to the principles of morals and legislation’, dans Ann Thomson, Simon Burrows, Edmond Dziembowski et Sophie Audidière, Cultural transfers : France and Britain in the long eighteenth century, Oxford : SVEC 2010 : 04, p. 269-283.

16  Étienne Dumont, ‘Lettre aux rédacteurs de la Bibliothèque Britannique’, cit., p. 160.

17  ‘N° . II. Principes du Code civil ; d’après les manuscrits de J. Bentham, Esq.’, Bibliothèque Britannique, section Littérature, 5(3), juillet 1797, pp. 277-302 ; ‘N° . III. Principes du Code civil ; d’après les manuscrits de J. Bentham, Esq. (Second Extrait.)’, 6(1), septembre 1797, pp. 3-25 ; ‘N° . IV. Principes du Code civil ; d’après les manuscrits de J. Bentham, Esq. (Troisième Extrait.)’, 6(3), novembre 1797, pp. 281-306.

18  ‘Cinquième Lettre de Mr. Dumont aux auteurs de la Bibliothèque Britannique, sur les manuscrits de J. Bentham, Esq.’, Bibliothèque Britannique, section Littérature, 7(2), février 1798, pp. 105-33 ; ‘Sixième Lettre de Mr. Dumont aux Auteurs de la Bibliothèque Britannique ; sur les manuscrits de J. Bentham, Esq. – Suite du Manuel d’Economie politique’, 7(4), avril 1798, pp. 369-89.

19  Genève, Bibliothèque Publique et Universitaire, collection Dumont, Ms. (ci-après abrégé en Ms Dumont, BPU) 6 ff. 2-23.

20  Ms Dumont, BPU 6 ff. 2-15r. Ces parties correspondent à peu près au contenu des Traités de législation civile et pénale.

21  Ms Dumont, BPU 6 ff. 20-23. Notre hypothèse de datation se base sur l’impression que cette Table synoptique ne contient pas encore l’ensemble des textes que Dumont va traduire dans les deux premières décennies du XIXe siècle, mais qu’il s’agit à peu près des extraits qui paraissent dans la Bibliothèque Britannique. Elle est donc très probablement rédigée soit juste avant la publication des extraits de 1797-1798, soit juste après, en tout cas avant 1800-1801, lorsque Dumont travaille à la publication des Traités de législation civile et pénale. Cette impression est renforcée par le constat que la synthèse du Manuel contenue dans cette table est la plus fidèle à l’original benthamien du Manual of Political Economy de l’édition Stark (1793-95) que toutes les versions successives que nous connaissons.

22  Étienne Dumont, ‘Sixième lettre’, cit., pp. 369-89.

23  Ms Bentham, UC 99 f. 149v.

24  Étienne Dumont, ‘Sixième lettre’, cit., p. 386.

25  Dans Jeremy Bentham, Rights, Representation and Reform, cit., pp. 289-315.

26  Étienne Dumont, ‘Cinquième lettre’, cit., p. 118.

27  James Mill, Commerce Defended. An Answer to the Arguments by which Mr. Spence, Mr. Cobbett, and Others Have Attempted to Prove that Commerce is not a Source of National Wealth. C. and R. Baldwin, London 1808; réimprimé in James Mill, Selected Economic Writings, edited by Donald Winch, Oliver and Boyd, London 1966.

28  Voir la lettre de Dumont à Bentham, 8 janvier 1798, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 6, January 1798 to December 1801, edited by John R. Dinwiddy, Clarendon Press, Oxford 1984, p. 3, et la lettre de Bentham à Dumont, 23 août 1801, ibid., pp. 440-41.

29  Voir la lettre de Bentham à Dumont, 28 ou 29 juin 1798, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 6, cit., pp. 49-50 ; lettre de Bentham à Dumont, 5 avril 1799, ibid., p. 142.

30  Voir la lettre de Bentham à Dumont, 23 octobre 1801, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 6, cit., p. 449.

31  Pour des détails concernant la publication chez Bossange à Paris, voir la lettre de Dumont à Bentham, 23 décembre 1801, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 6, cit., pp. 465-67 ; lettre de Bentham à Dumont, 12 janvier 1802, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 7, January 1802 to December 1808, edited by John R. Dinwiddy, Clarendon Press, Oxford 1988, pp. 3-5 ; lettre de Bentham à Dumont, 15 janvier 1802, ibid., pp. 5-7 ; lettre de Bentham à Dumont, 16 février 1802, ibid. pp. 9-11 ; lettre de Dumont à Bentham, 23 décembre 1801, ibid., pp. 11-13. Les livres sont finalement publiés en avril. Voir la lettre de Bentham à Dumont, 16 avril 1802, ibid., pp. 14-15.

32  Lettre de Bentham à Dumont, 22 mars 1804, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, cit., pp. 262-63 et lettre de M. Speranski à Dumont, 10 octobre 1804, Ms Dumont, BPU 33-34 ff. 217-220.

33  Ms Dumont, BPU 50 ff. 30-439. Une version de ce texte retraduit en anglais a été publié par Stark (Jeremy Bentham, Economic Writings,cit., III, pp. 61-216).

34  Ms Dumont, BPU 51 ff. 72-139. Comme pour le précédent, Stark en a publié une version anglaise (Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 217-46).

35  Ms Dumont, BPU 51 ff. 144-216.

36  Voir par exemple les notes désespérées en marge des manuscrits Ms Dumont BPU 50 f. 31 et suivantes, 168, 193, 356 (cette note est reproduite par Stark dans Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, p. 16) et BPU 51 f. 291v.

37  Voir la lettre de Bentham à Dumont, 22 mars 1804, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, cit., p. 262. La même lettre continue en mentionnant une ‘concise view’ des théories monétaires de Bentham que ce dernier promet d’envoyer à Dumont. C’est probablement la synthèse insérée dans Institute (Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 312-17). Si notre interprétation est exacte, cela voudrait dire que le gros de la traduction de Sur les prix et des autres textes mentionnés a été fait avant 1804. Sur ce sujet, voir aussi PieroSraffa, ‘Note on “Notes on Bentham”’, dans The Works and Correspondence of David Ricardo, Cambridge University Press, Cambridge 1951, III, pp. 261-66 et l’introduction de Stark dans Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 16-17.

38  Bentham sait que la publication du premier volume a eu lieu fin juillet 1805 (lettre de Bentham à Dumont, 16-17 juillet 1805, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, cit., pp. 308-9. Sur l’histoire de cette publication – intitulée Razsuzhdenie o grazhdanskom i ugolovnom zakonopolozhenii. S predvaritel’nym izlozheniem nachalzakonopolozheniia i vseobshchego nachertaniia polnoi knigi zakonovm i s prisovokupleniem opyta o vliianii vremeni i mesta otnositel’no zakonov – et sur les passages consacrés à l’économie politique (vol. 1, pp. 479-93), voir la note établie par John Dinwiddy, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, p. 366 n. 15.

39  Voir lettre de Dumont à Bentham, 12 janvier 1809, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 8, January 1809 to December 1816, edited by John R. Dinwiddy, Clarendon Press, Oxford 1988, p. 3 et lettre de Bentham à Dumont, 11 juillet 1809, ibid., pp. 35-37.

40  Edmund Burke, ‘Speech on Presenting to the House of Commons a Plan for the Better Security of the Independence of Parliament and the Oeconomical Reformation of the Civil and Other Establishments, 11 February 1780’, dans The Writings and Speeches of Edmund Burke, vol. 3, Party, Parliament, and the American War 1774-1780, edited by W.M. Elofson et J.A. Woods, Clarendon Press, Oxford 1996.

41  ‘Théorie des récompenses’, dans Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 135-36, voir Ms Bentham, UC 142 ff. 49-50.

42  ‘Théorie des récompenses’, Œuvres, cit., III, pp. 147-48.

43  ‘Théorie des récompenses’, Œuvres, cit., III, pp. 161-64.

44  ‘Théorie des récompenses’, Œuvres, cit., III, p. 199.

45  Voir Piero Sraffa, ‘Note on “Notes on Bentham”’, cit., p. 261.

46  Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, p. 17.

47  David Ricardo, ‘Notes on Bentham’, dans The Works and Correspondence of David Ricardo, cit., III, pp. 267-341.

48  Sur ce point, voir Marco E.L. Guidi, ‘“Shall the Blind Lead Those Who Can See?” Bentham’s Theory of Political Economy’, dans Donald Moggridge, ed., Perspectives on the History of Economic Thought, vol. 3, Classicals, Marxians and Neo-Classicals, Edward Elgar, Aldershot 1990, pp. 10-28.

49  Dumont remarque dans l’introduction de l’ouvrage : ‘Ce n’est pas sans défiance que je donne ici ce faible extrait d’un très grand ouvrage MS de M. Bentham sur les prix et sur les causes de la hausse des prix’, Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 226. Voir aussi la lettre de Bentham à Dumont, 22 mars 1804, dans Jeremy Bentham, Correspondence, vol. 7, cit., pp. 262-63.

50  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 213-24.

51  Jeremy Bentham, ‘Manual of Political Economy’, édité par John Bowring et Richard Smith, dans The Works of Jeremy Bentham, Tait, Edinburgh 1838-43; réimprimé par Russell & Russell, New York 1962, III, pp. 63-64. Les deux paragraphes, numérotés 15 et 16, appartiennent au chapitre III.

52  Jeremy Bentham, ‘Manual of Political Economy’, cit., pp. 65-68.

53  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 214-15.

54  Jeremy Bentham, ‘Defence of a Maximum’, in Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 247-302.

55  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 217, n. 1.

56  Une lettre de Bentham à Dumont du 8 juin 1811 discute probablement les modification à apporter à ce chapitre. Voir Correspondence, vol. 8, cit., pp. 165-66 et la note 3 rédigée par John Dinwiddy, ibid., p. 165.

57  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 226. Des Addenda au Manuel d’économie politique conservées dans Ms Dumont, BPU 51 ff. 244-97 témoignent du travail qui accompagne l’insertion d’un extrait de Sur les prix dans l’édition de 1811. En effet cet extrait, uni à un autre court extrait de Institute, remplace un texte précédent, qui dérivait des manuscrits des années 1780 et dont des traces survivent dans Ms Dumont, BPU 51 f. 259v et 51 f. 20v. Initialement, Dumont avait pensé conserver le texte ancien, en ajoutant une note qui mentionnerait le traité sur les prix. Cette note a deux versions, dont nous citons la plus significative : ‘Je dois avertir ici que dans un ouvrage subséquent sur les effets d’une augmentation du numéraire, soit en monnoie métallique, soit en papier-monnoie, l’auteur arrive dans ses résultats à regarder ces deux moyens d’accroître la richesse, comme n’ayant que très peu d’effet pour l’augmentation de la richesse réelle, et en ayant beaucoup sur le rehaussement des prix. Cette nouvelle masse métallique s’absorbe dans la masse générale du numéraire, et autant elle ajoute à sa quantité, autant elle diminue de sa valeur. De même toute augmentation de numéraire par du papier-monnoie produit une défalcation correspondante dans la valeur de la masse préexistante d’argent, et opère comme une taxe indirecte sur le revenu pécuniaire : taxe plus onéreuse que toutes les autres ensemble, taxe dont le bénéfice est recueilli par ceux qui émettent le papier-monnoie, et dont le fardeau tombe tout entier sur les possesseurs d’un revenu fixe. – Cet ouvrage est fort long, et je l’ai trouvé fort difficile à suivre, et je n’oserois pas entreprendre d’en donner l’extrait.’ (Ms Dumont BPU 51 f. 291v). L’effet des critiques de Ricardo se faisait encore sentir à cette époque. Cependant Dumont trouve ensuite ce courage. À propos de cette note manuscrite, Stark (Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, p. 38) interprète l’adjectif ‘subséquent’ comme indiquant une partie successive d’un même ouvrage et en déduit que Dumont déclarait ici l’intention de publier Sur les prix et De la balance du commerce comme suite du Manuel. Notre interprétation est que cet adjectif indique seulement le fait que le manuscrit Sur les prix était de quelques années postérieur à celui du Manuel.

58  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 220-21, 228.

59  Chez Bossange et Masson à Paris.

60  Parue chez Bossange frères à Paris.

61  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 203.

62  Pour la correspondance entre Ricardo et Dumont voir The Works and Correspondence of David Ricardo, cit., VI, p. 20 et X, pp. 264-80.

63  James Mill, Elements of Political Economy, Baldwin, Cradock & Joy, London 1821; réimprimé dans James Mill, Selected Economic Writings, cit.

64  Ms Dumont, BPU 76 ff. 23-24.

65  Ms Dumont, BPU 50 ff. 20-29. La lettre suivante témoigne de la réception du pli (lettre de James Mill à Dumont, 19 août 1825, Ms Dumont, BPU 76 ff. 25). Mill écrit à Dumont : ‘I am happy that Polit. Economy notes reached you in time, and that you deem them of use’. Ni Sraffa ni Stark n’ont identifié ce manuscrit. Stark (Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, p. 531) le considère comme faisant partie des notes de Ricardo publiées par Sraffa. Ce dernier reconnaît l’écriture de John Stuart Mill mais ne sait pas identifier le texte auquel les commentaires se référaient (Piero Sraffa, ‘A Note on “Notes on Bentham”’, cit., p. 265).

66  Nous trouvons cette information dans une lettre de Bentham à Dumont, 14 décembre 1824, dans Jeremy Bentham, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 12, July 1824 to June 1828, edited by Luke O’ Sullivan and Catherine Fuller, Clarendon Press, Oxford 2006, pp. 74-80. Voir aussi la lettre de James Mill à Dumont, 5 février 1825, Ms Dumont, BPU 76 ff. 23-24.

67  Les pages de cette colonne sont celles mentionnées dans le manuscrit et se réfèrent à la première édition de la Théorie des récompenses (1811). Les lettres majuscules correspondent aux renvois utilisés dans l’original.

68  Les pages de cette colonne se réfèrent à la troisième édition de la Théorie des récompenses (1825-26). Les lettres minuscules correspondent aux renvois utilisés par Dumont.

69  Œuvres de J. Bentham, cit., III, p. 214.

70  Ms Dumont, BPU 50 f. 25.

71  Je reprends ici l’interprétation de Samuel Hollander, Classical Economics, Basil Blackwell, Oxford 1987, etId., Jean-Baptiste Say and the Classical Canon in Economics. The British Connection in French Classicism, Routledge, Abingdon 2005.

72  Ms Dumont, BPU 50 f. 29.

73  Sur cette controverse, voir Samuel Hollander, J.-B. Say and the Classical Canon, cit., chapitre 7.

74  Cf. John Stuart Mill, ‘Exchangeable Value’, The Traveller, 6 December 1822, p. 3; et 13 December, p. 2; réimprimé dans John Stuart Mill, Newspaper Writings. December 1822 – July 1831, edited by Ann P. Robson et John M. Robson, Routledge and Kegan Paul and University of Toronto Press, London and Toronto 1986, pp. 3-6.

75  Cf. John Stuart Mill, ‘War Expenditure’, Westminster Review, 2, July 1824, pp. 27-48; réimprimé dans John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 1-22; ‘The Quarterly Review on Political Economy’, Westminster Review, 3, January 1825, pp. 213-32; réimprimé ibid., pp. 23-43; ‘The Corn Laws’, Westminster Review, 3, April 1825, pp. 394-420; réimprimé ibid., pp. 45-70; ‘Paper Currency and Commercial Distress’, Parliamentary Review, Session of 1826, Longman, Rees, Orme, Brown, and Green, London 1826, pp. 630-62; réimprimé ibid., pp. 71-123.

76  James Mill avait d’ailleurs pratiqué avec son fils l’exercice consistant à lui donner un texte à lire, lui demandant ensuite d’écrire des notes de commentaire (John Stuart Mill, Autobiography and Literary Essays, edited by John M. Robson and Jack Stillinger, Routledge and Kegan Paul and University of Toronto Press, London and Toronto 1981, pp. 64-67).

77  Voir James Mill, Selected Economic Writings, cit., pp. 188-89. Je dois cette remarque sur le style à Donald Winch, à qui j’avais transmis la transcription du manuscrit lors de mes premières recherches sur Dumont.

78  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., p. 33.

79  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 3-6 et 23-43.

80  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 68-69.

81  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 71-123.

82  John Stuart Mill, Newspaper Writings, cit., pp. 42 et 65-66.

83  ‘Of the Laws of Interchange between Nations; and the Distribution of the Gains of Commerce among the Countries of the Commercial World’, dans John Stuart Mill, Essays on Economics and Society, edited by John M. Robson, Routledge and Kegan Paul and University of Toronto Press, London and Toronto 1967. On sait que ce thème était à l’époque au centre du débat entre John et ses autres jeunes amis de la ‘Utilitarian Society’ qui se réunissaient chez Bentham à Queen’s Square Place, près de la maison des Mill. Voir John Stuart Mill, Autobiography, cit., pp. 122-27.

84  John Stuart Mill, Autobiography, cit., pp. 124-25 et John Stuart Mill, ‘Essays on Some Unsettled Questions on Political Economy’ (1844), dans Essays on Economics and Society, cit., pp. 229-339: p. 236. Il est connu que James Mill attribuait sa version erronée de la théorie à Ricardo, qui au contraire l’avait formulée de façon correcte. Luigi Einaudi s’était également trompé sur la question, voir ‘James Pennington or James Mill : an Early Correction of Ricardo’, Quarterly Journal of Economics, 44, 1929-30, pp. 144-61 ; et la réponse de Piero Sraffa, ‘An Alleged Correction of Ricardo’, Quarterly Journal of Economics, 44, 1929-30, pp. 539-45.

85  Ms Dumont, BPU 50 f. 25.

86  John Stuart Mill, Essays on Economics and Society, cit., pp. 245 et suivantes.

87  Œuvres de J. Bentham, cit., III, pp. 217-19.

88  Francesco Ferrara, ‘Introduzione. Ragguaglio biografico e critico sugli autori, le cui opere son contenute in questo volume’, Biblioteca dell’economista, 1ère série, 1854, vol. V, pp. v-lxiv.

89 Ce chapitre semble correspondre à un manuscrit intitulé Ch. 8. I. Primes pour attirer des ouvriers et artistes étrangers dans certaines branches de manufacture. II. Défense d'immigration faite aux ouvriers et artistes nationaux, Ms Dumont, BPU 50 ff. 471-473.

90 Ce chapitre est beaucoup plus long et complet que les chapitres 13 et 14 de l’édition Stark du Manual. La même articulation se trouve dans l’édition Bowring, pp. 63-4.

91 Un texte intitulé Ch. I. Des patentes ou privilèges pour inventions se trouve dans Ms Dumont, BPU 50 ff. 479-82.

92 Ce chapitre ne correspond pas au chapitre 20 de Manual. Des matériaux préparatoires de ce chapitre pourraient se trouver dans Ms Dumont, BPU 51 f. 288.

93 Ce chapitre semble correspondre au manuscrit intitulé Mystères éclaircis par le principe de la Subordination du Commerce au Capital, dans Ms. Dumont, BPU 50 ff. 475-477.

94 Des marginalia en français d’un texte correspondant à ce chapitre se trouvent dans Ms Bentham, UC 99 f. 149v. Il s’agit du matériel appartenant au Projet d’un corps complet de législation des années 1780. Voir aussi ‘Population – prefat; S. B.’, UC 169 f. 143 [notes marginales en français], 1785ca. Voir aussi UC 133 ff. 2-65.

95 Ce texte n’a rien à voir avec le fragment Colonies and Navy, dans Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., I, pp. 211-18. Cf. Ms. Dumont, BPU, 63 ff. 108-132.

96 La première partie de ce chapitre, ajoutée par rapport à la version de 1798, correspond à un passage de Institute of Political Economy. Cf. Jeremy Bentham, Economic Writings, cit., III, pp. 353-6.

97 Une table des matières de ce chapitre se trouve dans Ms Bentham, UC 99 f. 149v. D’autres feuillets discutent le même thème des moyens d'accroître la masse des richesses. Cf. UC 99 ff. 190-192, et 194-195 (ces derniers de la main de Dumont). Un extrait de Sur les prix est donné dans la section consacrée à l’‘Augmentation de la masse des capitaux’.  L’insertion de matériaux dérivés de Institute est reconnaissable à la fin de la section IV, ‘Augmentation de l'efficacité du travail’, dont la première partie se trouve développée dans UC 99 149 quater. La section finale consacrée au développement des connaissances dérive de UC 142 ff. 259-60 et 79. Voir aussi les marginalia dans UC 99 ff. 149 et 190-191.

98 La première partie de ce chapitre dérive de Ms Bentham, UC 142 ff. 257-258 et 152, contenant des manuscrits qui datent des années 1780.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marco E.L Guidi, « Le Manuel d’économie politique de Jeremy Bentham au prisme de la traduction d’Etienne Dumont et des relectures de James Mill et de John Stuart Mill »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 7 | 2010, mis en ligne le 10 septembre 2010, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/205 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.205

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Auteur

Marco E.L Guidi

Université de Pise

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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