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Cahiers du Centre Bentham

La traduction de l’Introduction to the Principles of Morals and Legislation par le Centre Bentham

Malik Bozzo-Rey, Anne Brunon-Ernst et Emmanuelle de Champs

Notes de l’auteur

Cet article est tiré des communications (1) de M. Bozzo-Rey, A. Brunon-Ernst et E. de Champs, « Traduire Bentham », Rouen, 23 mars 2006, (2) de M. Bozzo-Rey, A. Brunon-Ernst et E. de Champs, « Bentham in French », Londres, 6 avril 2006 et (3) A. Brunon-Ernst, « Traduire Bentham : la traduction en cours d'Introduction to the Principles of Morals and Legislation par le Centre Bentham », Paris, 22 mai 2006

Texte intégral

  • 1  La bibliographie ci-jointe comprend la liste des traductions françaises de l’œuvre de Jeremy Benth (...)

1La pensée de Jeremy Bentham (1748-1832), philosophe anglais du principe d’utilité et de la « maximisation du plus grand bonheur du plus grand nombre », reste largement méconnue en France. Quelques-unes de ses œuvres ont été traduites en français au dix-neuvième siècle, par le Genevois Etienne Dumont en particulier1. Cependant, le travail d’E. Dumont sur les manuscrits de l'auteur s’apparente à une réécriture, c'est pourquoi les ouvrages de Bentham doivent aujourd'hui faire l'objet de nouvelles traductions. Le Centre Bentham, lieu de recherche interdisciplinaire, s'est donné l'objectif de contribuer à la connaissance de la philosophie de Bentham dans les multiples champs qu’elle a explorés, grâce, notamment, à un programme de traduction en français de ses œuvres. Ces traductions s’appuieront sur les Collected Works en cours de publication sous l’égide du Bentham Project de University College London (UCL). Nous pensons que cette mission est fondamentale pour la saisie des formes de pensée et des modes de conduite dans les sociétés modernes.

2Dans le cadre de ce travail, la question suivante se pose : « Qu’est-ce que traduire ? ». En effet, tout traducteur se heurte à une question fondatrice : comment respecter le texte initial ? La traduction est-elle, doit-elle être une simple image du texte de départ ? Si l’adéquation parfaite entre deux langues est impossible, comment être fidèle à la pensée de l’auteur ? N'est-on pas alors condamné au domaine de l'image ? Les traductions ne sont-elles que des images ? Ne seraient-elles pas conduites à s'autonomiser par rapport à l'original et à perdre leur lien avec la pensée de l'auteur ?

  • 2  Dans Des différentes méthodes du traduire de Friedrich Schleiermacher, il considère en effet que t (...)
  • 3  L’ensemble de la charte est accessible sur le site du Centre Bentham : http://bentham.free.fr.
  • 4  Friedrich Schleiermacher, Des différentes méthodes du traduire, p. 208.

3Selon Friedrich Schleiermacher, traduire, c'est à la fois comprendre, penser et communiquer2. Ce triptyque prend un sens tout particulier dans le cas qui nous intéresse ici, la traduction de l’Introduction aux principes de morale et de législation, puisqu’il fait écho aux objectifs du Centre Bentham définis dans sa charte3 : comprendre la pensée de Bentham pour l’interpréter et la commenter, penser sa philosophie afin de faire apparaître les concepts à l’œuvre dans ses écrits et enfin communiquer, transmettre le savoir ainsi construit à l’ensemble de la communauté scientifique. Traduire, c'est « transplanter dans un sol étranger ce qu'une langue a produit dans le domaine des sciences et des arts du discours, pour élargir ainsi le cercle d'action de ces productions de l'esprit »4. Cette affirmation sert de fil rouge à notre travail. Ceci met clairement en exergue d’une part, la nécessité d’une équipe de traduction composée de spécialistes de Bentham et d’autre part l’importance du processus et de la méthode de traduction mise en place.

4Afin de montrer notre démarche, nos objectifs, notre méthode et nos partis pris ainsi que les enjeux et les difficultés qui jalonnent notre entreprise, il nous faudra tout d’abord comprendre la nécessité de traduire Bentham en français malgré l’existence de plusieurs ouvrages, notamment ceux édités par E. Dumont, en langue française. Si ces « traductions » ont permis à Bentham de se faire connaître mondialement, elles ne sont pas exemptes de défauts. Toute nouvelle traduction devra nécessairement refléter la conception du langage propre à Bentham. En effet, sa théorie des fictions permet de saisir pleinement les rapports entre utilité, pensée et action, notamment dans la sphère politique. De manière plus générale, le rapport de Bentham au langage s’inscrit directement dans le processus de compréhension de sa philosophie, donc de sa traduction. C’est donc nourris de ces deux certitudes – la nécessité de retraduire Bentham et l'idée que rendre compte de sa langue, c’est rendre compte de sa pensée – que nous aborderons la méthode et les difficultés de traduction rencontrées.

I. Bentham en français

  • 5  Les Complete Works publiées en 1843 par John Bowring comprennent en effet une sélection de passage (...)
  • 6  Bowring XI, p 33, p 80. Ces chiffres demanderaient aujourd'hui à être vérifiés.

5Paradoxalement, la pensée de Bentham a été mieux diffusée, et donc mieux connue, en traduction que dans l'original, et ce du vivant même de l'auteur. En effet, les nombreux travaux d’E. Dumont, qui commencent avec les Traités de législation civile et pénale parus en 1802, ont eu un retentissement important dans l'Europe francophone, tandis que les textes rédigés ou supervisés directement par l'auteur ont connu dans le monde anglophone une réception bien plus limitée. C'est d'ailleurs sous la forme de re-traductions en anglais des textes établis par E. Dumont que de nombreux anglophones lisent Bentham au cours du 19e siècle5. A la mort du philosophe, son exécuteur testamentaire estime que plus de 50 000 volumes tirés de la version française ont circulé en Europe, ce nombre montant à 90 000 si on inclut l'Amérique latine6. Aujourd'hui, ce sont encore bien souvent les traductions d’E. Dumont qui sont citées par les chercheurs, que ce soit en anglais ou en français, sans qu'on mesure bien ce qui en fait la spécificité par rapport aux textes originaux.

6Le style et la précision des versions d’E. Dumont sont unanimement louées par les contemporains. Selon Thomas Babington Macaulay, qui fait l'éloge d’E. Dumont à sa mort en 1829,

  • 7  Thomas Babington Macaulay, Edinburgh Review, lv, 1832, p. 553-554.

 [l]es services que M. Dumont a rendus à la société ne peuvent être appréciés à leur juste valeur que par ceux qui ont étudié les ouvrages de M. Bentham, autant sous leur forme grossière que dans leur état définitif. Le matériau brut fourni par M. Bentham était fort précieux, mais il était invendable. Il fut, assurément, tout à la fois un grand logicien et un grand rhétoricien. Mais l'effet de sa logique se perdait dans une organisation viciée et l'effet de sa rhétorique dans un style vicié. […] Il parlait une langue inconnue. […] Si M. Dumont n'était pas né, M. Bentham aurait quand même été un grand homme, mais il aurait été le seul à le savoir.7

7Traducteur consciencieux, E. Dumont dispose d'une masse immense de manuscrits rédigés, pour l'essentiel, entre 1770 et 1790. Il lui revient d'en tirer des volumes selon des plans qui ne sont qu'esquissés par l'auteur. E. Dumont présente la nature de son travail dans les préfaces à chacun de ses ouvrages :

  • 8  « Discours préliminaire », Traités de législation civile et pénale, p. vii.

Mon travail, d'un genre subalterne, n'a porté que sur des détails. Il fallait faire un choix parmi un grand nombre de variantes, supprimer les répétitions, éclaircir des parties obscures, rapprocher tout ce qui appartenait au même sujet, et remplir les lacunes que l'auteur avait laissées pour ne pas ralentir sa composition. J'ai eu plus à retrancher qu'à ajouter, plus à abréger qu'à étendre. La masse de manuscrits qui ont passé entre mes mains, et que j'a eu à déchiffrer et à comparer, est considérable. J'ai eu beaucoup à faire pour l'uniformité du style et la correction, rien ou très peu de choses pour le fond des idées. La profusion de ses richesses ne demandait que les soins d'un Econome. Intendant de cette grande fortune, je n'ai rien négligé pour la faire valoir, et la mettre en circulation.8

8Cette entreprise de compilation doit nécessairement conduire à s'interroger de manière critique sur la conformité des ouvrages publiés avec la pensée de l'auteur. Mais la comparaison entre les versions d’E. Dumont et les manuscrits de Bentham s'avère difficile : tous les feuillets utilisés par E. Dumont n'ont pas été conservés, et ceux qui l'ont été ont souvent été classés par des tiers, sans qu'on puisse identifier précisément ceux qui ont servi à composer tel ou tel ouvrage. On peut toutefois identifier quelques différences majeures entre « la pensée de Bentham » et celle qui se dégage des textes d’E. Dumont.

  • 9  Mss Dumont, 61, 130. Pour une analyse plus précise, voir E. de Champs, « Transformations de la mor (...)

9La critique principale que l’on peut formuler tient essentiellement à la nature de son projet : il s'agit du nombre de coupes qu’il a effectué. Sur des points particuliers, son intervention conduit à une édulcoration des textes. C'est par exemple le cas de certains passages qui traitent de la morale et de la sexualité. Les manuscrits de Bentham sont très provocateurs, envisageant en particulier la légalisation de la prostitution. En marge d'un passage sur les courtisanes, E. Dumont écrit : « cet article doit être supprimé ou extrêmement modifié »9. C'est ce qu'il fait effectivement pour un pan important de la morale de Bentham, ou pour ce qui touche à la religion. A la décharge du traducteur, on peut noter que le philosophe lui-même n'a pris aucune disposition pour faire publier ces textes de son vivant (hormis certains écrits sur la religion, publiés sous pseudonyme).

10Un aspect crucial de la pensée benthamienne se trouve également éludé. Il s'agit des fictions du langage, auxquelles E. Dumont ne prête que peu d'attention. Il ignore en particulier la distinction entre entités fictives et fictions dangereuses (voir infra). En 1802, relisant les épreuves des Traités, Bentham corrige un passage où E. Dumont dénonce les « fictions ridicules » :

  • 10 The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 7, p. 55.

8. V. 1. p. 230 1.19. Après « fiction », ôtez « ridicule » (la distinction entre entités réelles et fictives est d'une grande importance sur le plan idéologique en raison de la multitude de mots qui sont des noms d'entités fictives).10

  • 11  Il ne s'agit pas d'un revirement de la part de Bentham, mais plutôt de la radicalisation d'une réf (...)
  • 12  « Discours préliminaire », Traités de législation civile et pénale, p. xvii-xviii.

11En outre, il existe un décalage chronologique notable entre les manuscrits de Bentham et la parution des traductions d’E. Dumont. La plupart des manuscrits qu'il traduit ont été rédigés dans les années 1770-1790. C'est l'époque où Bentham consacre toute son énergie à mettre en place les principes de « jurisprudence universelle », et se présente en réformateur du droit. C'est en cette qualité qu’E. Dumont fait sa connaissance. En 1802, au moment de la parution des Traités, Bentham et E. Dumont sont encore proches sur le plan politique. Mais, à partir de 1809 environ, la réflexion du philosophe prend un tour plus explicitement démocratique et il s'engage progressivement en faveur d'une réforme radicale du suffrage et des institutions qu'il estime dominées par une aristocratie corrompue11. En revanche, E. Dumont publie ses traductions après la Révolution, avant le sacre de Napoléon, dans un contexte franco-helvétique où la question principale est celle de la refondation des institutions et du rétablissement d'un consensus politique. Il voit dans les principes de Bentham un moyen de réconcilier les Français avec l'idée d'une réforme graduelle des institutions12. Si Bentham préfère une réforme progressive à une révolution violente, à partir de 1809 il choisit de dénoncer la corruption des institutions et n'envisage plus qu'elles puissent être lentement améliorées.

  • 13  Tactique des assemblées politiques délibérantes, in Œuvres, vol. I, p. 390.

12Les conséquences de cette rupture politique sur les traductions sont surtout sensibles pour les ouvrages qui paraissent après les Traités. Sauf exception, E. Dumont puise encore dans les manuscrits des années 1770-1790 au cours des années 1820. A la différence de Bentham, il est un fervent partisan du modèle anglais du bicaméralisme. Alors que le philosophe critique avec insistance « la séparation du corps législatif en deux chambres » et que le manuscrit de Political Tactics confié à E. Dumont au début des années 1790 ne recense que des raisons pour rejeter le bicaméralisme, le traducteur ajoute à la version française parue en 1816 plusieurs pages de son cru qui énumèrent « les raisons qu'on peut alléguer en faveur de cette division » en deux chambres, prévenant le lecteur en note : « L'auteur n'ayant pas achevé son travail, j'ai tâché d'y suppléer en présentant les arguments pour l'autre côté de la question ». Mais à la lecture de l'ensemble du chapitre, ce sont les arguments d’E. Dumont qui sont mis en valeur, et non ceux de Bentham13.

  • 14  « Je pense qu'à nous deux nous connaissons quelque chose en matière de législation. [à la lecture] (...)

13Bien que Bentham apprécie les traductions d’E. Dumont et les recommande à ses correspondants14, il demande à son traducteur de faire figurer dans la préface l'avertissement suivant :

  • 15  Bentham à E. Dumont, 17 mai 1802. Correspondence, vol. 7, p. 29-30.

14J'espère que vous n'avez point omis dans votre Préface les mises en garde nécessaires pour m'exonérer de toute responsabilité vis-à-vis d'opinions qui ne seraient pas les miennes. J'ai trouvé plusieurs propositions qui, faute des limitations que j'y attachais, en esprit du moins, mais j'en suis certain, sur le papier aussi dans presque tous les cas, seraient en Angleterre impopulaires, en plus de n'être pas conforme à ma pensée. […] J'espère voir que dans votre Préface vous avez laissé la place pour certaines nuances, en explicitant ce qui n'a pu manquer de ce produire dans certains cas: 1. que mes idées n'étaient pas encore formées - 2. ou pas encore complètement développées. - 3. ou que tel ou tel papier a pu vous manquer. - 4. que vous avez pu mal comprendre ma pensée. - 5. que mes idées ont pu changer avec le temps. Sur l'ensemble du texte, il n'y a que de rares moments où cela s'est produit, mais on pourrait trouver des exemples pour chaque.15

15Cette réaction peut révéler une prudence excessive, mais elle montre l'ambiguïté de la relation entre Bentham et E. Dumont et la difficulté qu'il y a à citer Bentham dans les versions que ce dernier en propose.

II. Théorie du langage et réforme juridique

16Cette difficulté apparaît d’autant plus clairement lorsque nous nous penchons sur la théorie du langage et la philosophie politique de Bentham, et plus précisément sur la place et le rôle de la théorie des fictions dans sa théorie générale du Droit. Reconnaître l’importance des fictions a un impact important, non seulement sur la compréhension de sa pensée, mais encore sur la traduction de ses œuvres. Se pose ici le problème du rapport du traducteur au langage benthamien.

  • 16  « Language, considered in the most extensive sense of the word, is the aggregate of the matter of (...)
  • 17  « A fictitious entity is an entity to which, though by the grammatical form of the discourse emplo (...)
  • 18  « As to the sovereign, the end or external motive he can have had in view in adopting the law, can (...)
  • 19  « Every fictitious entity bears some relation to some real entity: and can no otherwise be underst (...)

17La traduction des ouvrages de Bentham nécessite de comprendre sa théorie juridique et épistémologique. Bentham entretient une relation double au langage : si son analyse fait clairement apparaître qu’il est un outil propre à l’humanité, et capable de guider l’action16, elle ne manque toutefois pas de montrer qu’en raison de défauts structurels, et indépendamment de la mauvaise utilisation qu’en font les ruling few, le langage est un outil de domination. La tâche du législateur est de clarifier le langage du droit et de le débarrasser de toute fiction. Le terme de fiction désigne des individualités linguistiques ; autrement dit, le langage est composé de deux sortes de noms : les entités fictives et les entités réelles17. L’enjeu pour Bentham, une fois identifiés les différentes fictions et leur agencement, est de se doter d’outils analytiques pour maîtriser les conséquences des usages des entités fictives. Il s’agit d’opérer un tri dans les différentes fictions afin d’obtenir le meilleur outil linguistique possible, qui seul pourra viser la fin propre à la loi : le plus grand bonheur du plus grand nombre18. Ce tri est rendu possible par l’analyse de la relation entre entité fictive et entité réelle : une entité fictive peut être comprise grâce à un nombre déterminé d’opérations qui la rattache à une entité réelle. Nous pouvons donc remonter de l’entité fictive à l’entité réelle, au plaisir et à la douleur19.

18La théorie des fictions est essentielle car elle aboutit à poser clairement certaines questions fondatrices du Droit : quelle est la source de l’obligation ? A qui s’applique l’obligation légale ? Qui dispose de services, rendus par qui, par quoi et dans quel but ? Que garantit la loi ? Qu’exprime la loi ?

  • 20  « A law may be defined as an assemblage of signs declarative of a volition conceived or adopted by (...)
  • 21  De manière générale, c’est par le langage que l’homme communique et « transfère ses idées à un aut (...)
  • 22  « As to uncertainty in the law, it is to the people’s interest that each man’s security against wr (...)

19Bentham définit la loi comme l'expression de la volonté du législateur souverain20. En élaborant une loi, le législateur doit nécessairement manier des mots : c’est par le langage, en tant que véhicule de l’expression d’une volonté, que s’établit la communication entre gouvernants et gouvernés21. La loi doit donc être claire et débarrassée d’artifices langagiers qui pourraient troubler le calcul des plaisirs et des douleurs effectué par l’individu et l’empêcher de guider correctement son action en anticipant, par exemple, les sanctions22. C’est donc en ne confondant plus les entités réelles et les entités fictives que l’humanité ne se laissera plus enchanter par de simples « réalités verbales » et qu’elle pourra viser le plus grand bonheur.

  • 23  Par exemple, la nature impérative de la loi est « obscurcie et dissimulée à l’appréhension ordinai (...)
  • 24  Nous empruntons cette terminologie à H.L.A Hart, Essays on Bentham.

20Lorsqu’il critique le langage du droit, de la Déclaration des droits de l’homme ou celui du contrat social, Bentham met clairement en lumière l’entreprise de mystification par le langage juridique, qui jette un voile de mystère sur les institutions, les rendant ainsi complexes, inaccessibles et inaltérables23. Elle assure aux ruling few, une élite d’initiés manipulant les fictions langagières, une assise et une domination sur les subject many. Pour remédier à cela, Bentham appelle à une démystification du Droit qui est un préliminaire indispensable aux réformes24.

  • 25  « In a word, the substantival name of a quality presents the idea in the character of a complete i (...)

21Le mot « droit » lui-même joue un rôle dans la mystification par le langage juridique. Nous devons nous interroger sur la place de ce mot dans le jeu des fictions à l’œuvre dans la philosophie benthamienne et sur les conclusions qu'il faut en tirer concernant sa traduction. Nous pouvons d’ores et déjà remarquer que, si la langue anglaise distingue par deux mots a law et a right, le Droit et un droit ; la langue française n’a éventuellement à sa disposition que l’utilisation d’une lettre majuscule ou minuscule et le passage d’un article défini à un article indéfini. En français, un droit n’est pas l’équivalent de : le Droit. De la même manière que Bentham considère que l’idée diffère selon qu’elle est exprimée par un nom, un adjectif, un verbe ou un adverbe25 qui fait passer des entités réelles aux entités fictives puis à des entités fictives de différents ordres ; devons-nous considérer qu’un droit et le Droit sont également sources de fictions ? Autrement dit, existe-t-il  un lien particulier entre la nature grammaticale d’un mot et le processus de création de fictions ? Un droit et le Droit entretiennent-ils le même rapport avec les fictions ?

  • 26  « One and the same word, right – right, that most enchanting of words – is sufficient for operatin (...)
  • 27  « Fictitious as they are, entities of this description could not be spoken of at all, if they were (...)
  • 28  Nous voyons clairement ici l’une des critiques que Bentham adresse à la fois à toute déclaration d (...)

22Afin de mieux comprendre la place qu’occupe ce même mot dans le processus créateur de fictions, il nous faut tenir compte de deux paramètres : le premier est que le mot « droit » est un mot fascinant26, le second est qu’il n’existe pas de discours sans fictions27. La fascination qu’il engendre rend d’autant plus possible la création langagière fictive présente dans des expressions comme « j’ai un droit à » qui associe au sujet la possession d’un droit, qui crée l’illusion d’une possession inhérente à la nature humaine et donc d’une adéquation parfaite et nécessaire entre droit et sujet. Or Bentham renverse complètement ce rapport puisqu’il considère qu’il n’y a pas de droits antérieurs à ceux que crée la loi et le gouvernement28. A strictement parler, on ne peut pas dire : « j’ai un droit » mais « la loi me confère le droit de …» ou « la loi m’investit du droit de …» pour être encore plus précis. Ce renversement est un élément central de la théorie du droit benthamienne. Le Droit, quant à lui, produit un discours qui a nécessairement recours aux fictions : il devra s’accommoder de fictions inévitables et les agencer.

23L’entreprise de réforme du langage du Droit, et du Droit lui-même, ne peut être comprise que dans la mesure où nous la lions à la théorie des fictions, à l’analyse du concept de « loi » et à la théorie générale du Droit de Bentham. Une traduction moderne des œuvres de Bentham doit rendre visible cette relation.

  • 29  « To language then – to language alone – it i that fictitious entities owe their existence – their (...)
  • 30  « Power, right, prohibition, duty, obligation, burthen, immunity, exemption, privilege, property, (...)
  • 31  « All this while, so essentially do these words enter into the composition of all language that in (...)

24La réforme du Droit prônée par Bentham, qui passe par une réforme du langage du Droit, revêt un enjeu théorique considérable : il s'agit de penser le contrôle de l’architecture fictionnelle du Droit. Si Bentham met en évidence le caractère indispensable de l’utilisation de fictions, qui sont des réalités verbales pures,ne devant leur existence qu’au langage29 qu’elles font semblant de signifier, alors le Droit ne peut éviter d’en créer et de les agencer : le Droit est une sorte de toile d’araignée mettant en rapport de purs noms30. Comme nous l'avons vu plus haut, un droit peut entraîner la création de fictions. Le Droit compris comme théorie générale du Droit devra quant à lui s’accommoder de fictions inévitables31. Le mot « droit » a donc un double statut : il est à la fois une fiction et une méta-fiction. Fiction langagière en tant que nom indéfini, il devient méta-fiction en tant que nom défini chargé de régler le jeu des fictions. Le défi pour Bentham est de réformer le langage du Droit en permettant l’agencement structurel des fictions inhérentes à ce dernier et du principe d’utilité en tant que reconnaissance des plaisirs et des douleurs comme support de l’action humaine. Bentham redéfinit le rôle du langage, les rapports entre les mots et le statut même de ces mots : l’écriture benthamienne reflète ces apports théoriques. Toute entreprise de traduction doit donc non seulement connaître ces enjeux mais aussi les rendre visibles.

25La question qui se pose alors à nous, traducteurs, est : comment rendre compte de ce mouvement de la pensée benthamienne ? L’exemple de la traduction du mot law est à ce titre particulièrement éclairant. En effet, quelle est la traduction la plus adéquate : « loi » ou « règle de droit » ? Cette question est apparue lors d’une discussion sur les premiers chapitres de Des lois en général. Cette interrogation au sein du Centre Bentham a vu l’opposition des points de vue d’un juriste et d’un philosophe. Pour le juriste, a law doit être traduit par « règle de droit » alors que le philosophe considère que « loi » est plus adéquat.

  • 32  Voir à ce propos l’ouvrage de Guillaume Tusseau Jeremy Bentham et le droit constitutionnel. Une ap (...)

26Pour le juriste, traduire law par règle de droit semble entièrement justifié d’un point de vue juridique, cela marque une appartenance claire au champ du droit et restreint le terme law à cet unique champ. Par ailleurs, on connaît l’utilisation spécifique de law dans le droit anglais et en outre, le terme loi est extrêmement vague en français puisqu'il s'utilise dans différents domaines. Utiliser l’expression règle de droit est d’autant plus justifié que le projet de Bentham dans Of Laws in General est d’établir une distinction entre la branche pénale et civile de la loi, de redéfinir le terme de loi, de lui donner une acception juridique spécifique et d’établir le premier système de logique des normes en formulant clairement une problématique relevant de la théorie générale du Droit. Ce choix de traduction semble nécessaire au juriste, afin que la traduction soit claire dans un langage juridique moderne. Ce choix est également intéressant car il peut nous amener à comprendre comment les problématiques juridiques et politiques pourraient s’autonomiser par rapport à la sphère de l’utilité. L’ensemble de ces arguments amène également le juriste à traduire legislator par « jurislateur » et non législateur32.

  • 33  David Lyons, Chap Iin Forms and Limits of Utilitarianism. Ce chapitre est en partie traduit dans « (...)

27D’un autre côté, le philosophe remarque que ce parti pris soulève différents problèmes. « Règle de droit » est un choix conceptuel tirant l’utilitarisme benthamien vers un utilitarisme de la règle (rule utilitarianism) – qui conçoit que l’on peut ou que l’on doit déterminer qu’un acte particulier est bon ou mauvais par référence à un ensemble de règles justifiées ou soutenues par l’utilitarisme33 – par opposition à l’utilitarisme de l’acte. Or cette question est présente dans la philosophie de Bentham notamment en ce qui concerne l’éthique publique et privée. Ensuite, comment différencier les « règles de droit » des « lois » sinon par un choix de traduction a posteriori  – Bentham n’utilisant qu’un  seul terme : cela a-t-il réellement un sens si cette distinction n'est pas présente chez Bentham ? Dès lors, comment établir cette catégorisation ? D'autre part, Des lois en général n'est-il qu'un ouvrage de philosophie du droit ? N'est-ce pas également un choix interprétatif trop fort que de limiter la position de Bentham à une seule position de droit ?

  • 34  Des lois en général, Chap. I.

28Ces questions nous poussent à aborder la place du terme « loi » dans la tradition philosophique. Central dans la réflexion sur la vie de la cité et la gouvernementalité depuis Les lois de Platon, ce mot a un lourd passé. Enfin, Bentham, au début de Des lois en général, distingue law d'autres termes et signale explicitement que sa définition donne à un terme usuel un champ d'acception plus large34. Pour le philosophe, cet acte définitionnel fondateur pousse le traducteur à garder le terme « loi », non dans le cadre d'une substitution conceptuelle, mais dans celui d'une reconstruction sémantique qu'il faudra expliciter.

29La critique du langage, l’élaboration de la théorie des fictions et des méthodes pour purger le langage de toute fiction – et en faire l’outil adéquat du bonheur du plus grand nombre – associées aux objectifs de clarté et de transparence assignés à la loi et au langage juridique amènent nécessairement Bentham à redéfinir le sens des mots et à créer des concepts. C’est bien le sens de la redéfinition du mot « loi » dans le premier paragraphe du premier chapitre de son ouvrage Des lois en général. L’exigence de clarté fait intimement partie de sa philosophie.

30Les rapports multiples que Bentham entretient avec le langage ne sont pas sans effets sur l’écriture même de sa philosophie, ce qui pose certains problèmes pour établir la version française de ses écrits. Les défis de traduction sont donc multiples. Il est nécessaire, d’une part, d’identifier la spécificité du texte traduit et d’autre part, de mettre en place une méthode adaptée à la spécificité du travail en commun effectué par le Centre Bentham, afin de proposer une nouvelle traduction française des œuvres du philosophe.

III. Enjeux théoriques et pratiques d’une nouvelle traduction de l’Introduction

31Le choix du Centre Bentham s’est porté sur l’Introduction aux Principes de Morale et de Législation pour un certain nombre de raisons. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser entendre, ce texte n’est réellement ni une introduction, ni un ouvrage général traitant de la morale et de la législation. L'Introduction peut être appréhendée comme le regroupement de trois travaux cohérents et liés. Les chapitres I à VI débutent par la définition du principe d'utilité, ce dernier est ensuite confronté aux principes qui lui sont opposés et ils se terminent par une classification et une mesure du plaisir et de la souffrance. Dans les chapitres VII à XI, Bentham propose une théorie de l'action et de la motivation humaine. Des chapitres XII à XVII se trouve l'introduction au code pénal qui était l'objet initial de cet ouvrage. L'Introduction est la seule œuvre dont Bentham a suivi en personne toutes les étapes de la rédaction et de la publication. Il l'a rédigée en 1770 et publiée en 1789. Elle se présente comme l’aboutissement de la première époque de sa pensée, avec notamment l'élaboration claire et précise de son principe d'utilité. Ce texte est également la matrice de développements philosophiques ultérieurs, depuis Of Laws in General, achevé au milieu des années 1780 au Constitutional Code, dont les derniers volumes resteront inachevés à sa mort. Il était donc logique que le choix du Centre Bentham se porte sur l’Introduction lorsqu’il a fallu décider quel texte de l’œuvre benthamienne devait être traduit en premier.

32La traduction de l’Introduction en français par le Centre Bentham est une traduction à plusieurs mains par des chercheurs qui ne sont ni des traducteurs professionnels, ni des spécialistes en traductologie. Les sept traducteurs, Malik Bozzo-Rey, Anne Brunon-Ernst, Jean-Pierre Cléro, Emmanuelle de Champs, Christian Laval, Marie-Laure Leroy et Guillaume Tusseau, tous membres du Centre Bentham et spécialistes de Bentham, sont issus de champs disciplinaires différents : la philosophie, le droit, la sociologie et les études anglaises. Cette diversité d’horizon et de formation est une richesse, mais aussi une faiblesse pour le travail de traduction.

  • 35 Texte original de Jeremy Bentham, 1996 [1970; 1789], Introduction to the Principles of Morals and L (...)

33Rendre compte des difficultés d’une traduction est une tâche malaisée sur un ouvrage de plus de trois cents pages, traduits par sept personnes différentes. Afin de présenter un condensé des épreuves rencontrées, un exercice a été proposé à tous les traducteurs. Il leur a été demandé de traduire le même passage de l’Introduction afin de comparer, sur un échantillon restreint, leurs résultats35. Ceux-ci ont ensuite été analysés et certaines traductions croisées ont été retenues en raison de la pertinence de la comparaison. Il s’agit du paragraphe d’ouverture :

  • 36  Jeremy Bentham, 1996 [1970; 1789], Introduction to the Principles of Morals and Legislation, J. H. (...)

Nature has placed mankind under the governance of two sovereign masters, pain and pleasure. It is for them alone to point out what we ought to do, as well as to determine what we shall do. On the one hand the standard of right and wrong, on the other the chain of causes and effects, are fastened to their throne. They govern us in all we do, in all we say, in all we think: every effort we can make to throw off our subjection, will serve but to demonstrate and confirm it. In words a man may pretend to abjure their empire: but in reality he will remain subject to it all the while. The principle of utility recognises this subjection, and assumes it for the foundation of that system, the object of which is to rear the fabric of felicity by the hands of reason and of law. Systems which attempt to question it, deal in sounds instead of sense, in caprice instead of reason, in darkness instead of light.36

34Pluri-disciplinarité et pluri-traduction ont des avantages indéniables. Confronter les traductions permet de tirer parti des connaissances spécialisées de chaque champ disciplinaire. Du point de vue des anglicistes, l’expression principle of utility peut se traduire de deux manières, par « principe d’utilité » ou par « principe de l’utilité ». Les philosophes de l’équipe ont départagé les deux traductions en indiquant que l’histoire de la pensée philosophique utilisait l’expression de « principe d’utilité ».

35Si les philosophes et les juristes prêtent une attention toute particulière à la construction conceptuelle de la philosophie benthamienne au détriment parfois de la précision de la traduction, les anglicistes repèrent les contresens ou les faux sens et sont particulièrement attentifs aux niveaux de langage et aux métaphores. Par exemple, la polysémie du terme fabric pose un problème. Dans le passage à traduire, il signifie « édifice », dans le cadre d’une métaphore filée du bâtisseur. La complémentarité est donc bien réelle et effective : la finesse de la compréhension trouve alors son expression dans la justesse des traductions.

36Cependant, la multiplicité des traducteurs est aussi source de difficultés. Une typologie des difficultés de traduction rencontrées se décline suivant quatre axes : les différents styles des traducteurs, les sous- ou sur-traductions, les glissements de sens et le choix d’une traduction interprétative plutôt que neutre.

37Le mot man, par exemple, est traduit de quatre manières différentes : « quelqu’un », « homme », « personne », ou « individu ». Récurrent sous la plume de Bentham, il est utilisé pour introduire la définition de concepts, ou illustrer leur pertinence ou leur adéquation avec le monde réel. S'il est facile d’harmoniser les traductions de ce terme, ce n’est pas le cas d’autres mots employés par Bentham de manière non systématique. L’exemple de la traduction de fastened est éclairante. Il est traduit soit par « fixés », soit par « attachés », soit par « liés ». Les trois traductions sont tout à fait acceptables, mais ces différents choix de mots font sentir les différents styles des traducteurs.

38Traduire signifie trouver le bon registre et le bon ton. Les traducteurs tombent parfois dans le travers de la sur- ou de la sous-traduction. Le cas de la traduction de darkness est un bon exemple : le traduire par « obscurité » est une sur-traduction.

39Les erreurs interprétatives qui peuvent découler d’une mauvaise traduction sont plus préjudiciables dans le cas de la traduction du terme governance. Bien que les autres traductions rendent les unités de sens, seule la traduction par « gouvernement » permet de conserver l’étymologie de government, choisie à bon escient par Bentham et renvoyant aux problématiques politiques qui, dès le début de l’Introduction le principe d’utilité, relient les questions politiques au plaisir et à la douleur.

40Les termes français choisis pour traduire la terminologie de Bentham peuvent aussi comporter une interprétation de sa pensée. C’est le cas de la traduction de standard par « norme », qui tire en français le texte benthamien du côté d’un utilitarisme de la norme (rule utilitarianism).

41Confrontés à ces difficultés, les traducteurs ont élaboré un glossaire qui permet d’harmoniser leurs travaux et de privilégier les traductions neutres des termes benthamiens tout en opérant des choix conceptuels. Ce glossaire comporte deux types d’entrées. Les termes clés de la philosophie benthamienne ont été identifiés et traduits en équipe. Les mots, expressions et connecteurs récurrents ont été répertoriés et une traduction ou un faisceau de traductions ont été proposés, afin d'atténuer les différences de style.

42Cependant, les problèmes de sur- ou sous-traductions, les contresens et les glissements de sens ne peuvent être identifiés que par une relecture croisée des traductions de chacun.

43Le bilan de cette première étape du travail sur l’Introduction est mitigé. Les perspectives sont positives, car certains choix de traduction ont permis une harmonisation de termes clés de la philosophie benthamienne, qui avaient été rendus en français par des mots ambigus. C’est le cas de pain, qui était traduit jusqu’à présent par « peine »[8], la tradition philosophique ayant emprunté ce vocable à la traduction d’E. Dumont. La polysémie du mot « peine » a l’inconvénient qu’il signifie soit une punition, soit une souffrance morale. Or, cette polysémie ne se retrouve pas en anglais et les deux sens du terme de pain sont employés, non seulement dans la philosophie benthamienne, mais aussi de manière récurrente dans l’Introduction, et parfois même dans la même phrase. Afin d’éviter toute ambiguïté, le terme pain est traduit de manière systématique par « douleur ». Il est important de noter que les retombées de cette harmonisation vont au-delà de la traduction de l’Introduction, et se retrouvent au sein des divers travaux (autres traductions, commentaires, thèses…) des membres du Centre Bentham.

44Toutefois, les avancées indéniables du travail réflexif des membres du Centre Bentham sur leurs propres traductions (et les commentaires sous forme de colloques, conférences et publications) restent à compléter. La constitution d’un glossaire est à poursuivre. Plus d’une centaine de termes ont été répertoriés jusqu’à présent, mais le chantier de la terminologie benthamienne qu’il reste à défricher est encore vaste.

Conclusion

45La nécessité de nouvelles traductions en français de l’œuvre de Bentham ne fait aucun doute. L’analyse de sa théorie du langage et de sa théorie des fictions ainsi que leur implication dans sa philosophie politique et juridique a clairement montré l’indissociabilité entre la théorie telle qu’elle est pensée et telle qu’elle est écrite. Le langage, par son exigence de clarté, par sa nécessaire redéfinition et par sa place centrale dans la philosophie benthamienne entraîne des définitions nouvelles, des mots nouveaux érigés en concepts au risque de tomber dans les travers qu’il a dénoncés. La traduction des œuvres de notre auteur doit donc à la fois rendre compte de ce travail sur la langue mais aussi des implications philosophiques de certains mots, expressions ou  phrases.

46L’interdisciplinarité du Centre Bentham répond à la richesse des domaines abordés par Bentham mais ne saurait nous faire perdre de vue les difficultés de cette traduction à plusieurs mains et l’effort constant d’harmonisation conceptuelle et linguistique qu’elle nécessite.

47C’est cependant par la confrontation de vocabulaires propres à chaque discipline et la discussion sur les différentes conceptions et processus de pensée à l’œuvre dans les textes que nous pensons réussir à relever le défi lancé par Bentham lui-même mais appliqué dans un mouvement réflexif à sa propre philosophie : traduire Bentham, c’est opérer une démystification de sa langue, c’est « lever le voile des mots ».

48Tusseau, Guillaume, Jeremy Bentham et le droit constitutionnel. Une approche de l'utilitarisme juridique, Paris, L'Harmattan, 2001

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Bibliographie

Traductions des œuvres de Bentham en français

Dans les années 1790

Bentham, Jeremy, Apologie de l'usure, rédigée en forme de lettres, adressées à un ami. Traduit de l'anglais de M. Jérémie Bentham, Paris, 1790

---, Lettres sur la liberté du taux d'intérêt de l'argent, par M. Jérémie Bentham, traduites de l'anglais, trad. Etienne Delessert, Paris, 1790

---, Sur le nouvel ordre judiciaire en France, ou extraits des dissertations de M. Bentham adressées par l'auteur à l'Assemblée Nationale, trad. Etienne Dumont, Paris, 1790.

---, Panoptique, mémoire sur un nouveau principe pour construire des maisons d'inspection, trad. Etienne Dumont, Paris, 1791

---,« Théorie des peines criminelles » in Traité des délits et des peines, par Beccaria, traduit de l'italien par André Morellet; nouvelle édition corrigée, précédée d'une correspondance avec le traducteur, accompagnée de notes de Diderot; et suivie d'une Théorie des lois pénales, par Jérémie Bentham, traduite de l'anglais par Saint-Aubin, éds. André Morellet et Pierre-Louis Roederer, Paris, 1797

Dans les années 1800

---, Esquisse d'un ouvrage en faveur des pauvres, par Jérémie Bentham, trad. Adrien Diquesnoy, Paris, 1801

---, Traités de législation civile et pénale, Paris, 1802

---, « Panoptique, ou maison d'inspection centrale » in Bibliothèque britannique, vol. 20, 1802

---, Lettres à Lord Pelham, renfermant un parallèle du système de colonisation pénale, adopté pour la Nouvelle-Galles du Sud, et de celui des maisons de repentir érigées dans la métropole, trad. Adrien Duquesnoy, Paris, 1804

Dans les années 1810

---, Théorie des peines et des récompenses, Londres, 1811

---, Tactique des assemblées législatives, suivie d'un traité des sophismes politiques,ouvrages extraits des Mss de M. Jérémie Bentham, jurisconsulte anglais, trad. et éd. Etienne Dumont, Genève, 1816

Dans les années 1820

---, Essais de Jérémie Bentham sur la situation politique de l'Espagne, sur la constitution et sur le nouveau code espagnol, sur la constitution du Portugal, etc. ... traduits de l'anglais (par Ph. Chasles), précédés d'observations  sur la révolution de la péninsule... et suivis d'une traduction nouvelle de la constitution des Cortès, trad. Philarète Chasles, Paris, 1823

---, Traité des preuves judiciaires, Paris, 1823

---, Essai sur la nomenclature et la classification des principales branches d'art-et-science, ouvrage extrait du "Chrestomathia" de Jérémie Bentham, par Georges Bentham, Paris, 1823

---, Défense de l'usure, trad. Pierre-Samuel Dupont de Nemours, Paris, 1828

---, De l'organisation judiciaire et de la codification, extraits de divers ouvrages de J. B. jurisconsulte anglais, trad. et éd. Etienne Dumont, Paris, 1828

---, Œuvres de Jeremy Bentham, trad. et éd. Etienne Dumont, Bruxelles, 1829

Dans les années 1830

---, Opuscules législatifs, contenant divers fragments inédits de Bentham, Dumont et autres, Paris, 1831

---, Jérémie Bentham à ses concitoyens de France, sur les chambres de Pairs et les Sénats, trad. Charles Lefebvre, Paris, 1831

---, Déontologie ou science de la morale, éd. John Bowring et trad. Benjamin Laroche, Paris, 1834 [voir infra « Les mystères d’un livre : la Déontologie de Jeremy Bentham » par Christian Laval]

---, Catéchisme de la réforme électorale, trad. Elias Régnault, Paris, 1839

Dans les années 1870-1880

---, La Religion naturelle, son influence sur le bonheur du genre humain, éd. George Grote ettrad. Emile-Honoré Cazelles, Paris, 1875

---, Principes de législation et d'économie politique, éd. Sophia Raffalovich, Paris, 1888

Dans les années 1970

---, Le Panoptique. Précédé de L'Œil du pouvoir, entretien avec Michel Foucault [et Jean-Pierre Baroul], postface de Michelle Perrot, Paris, Belfond, 1977

Depuis les années 1990

---, Théorie des Fictions, trad. G. Michaut, Paris, Editions de l'Association freudienne internationale, 1996

---, Fragment sur le gouvernement suivi du Manuel de sophismes politiques, trad. Jean-Pierre Cléro, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1996

---, De l'ontologie, éds Jean-Pierre Cléro, Christian Laval et Philip Schofield, Paris, Points Seuil, 1997

---, Jeremy Bentham : extraits de l'Ontologie, Table des sources de l'action, Introduction aux principes de morale et de législation, Fragment sur le gouvernement, Contre le soi-disant amour de la justice et de la liberté, Principes directeurs d'un Code Constitutionnel, Code Constitutionnel, Le Panoptique, Défense de l'usure, trad. Jean-Pierre Cléro in Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, éd. Catherine Audard, Vol. I, Paris, PUF, 1999

---, Garanties contre l'abus de pouvoir et autres écrits sur la liberté politique, trad. Marie-Laure Leroy, Paris, Editions rue d'Ulm, 2001

---, Le Panoptique, trad. Etienne Dumont et éd. Christian Laval, Paris, Mille et Une Nuits, 2002

---, Essai sur la pédérastie, trad. Jean-Claude Bouyard in « Questions de genre », GKC, vol. 55, 2002

---, Le premier ministre. Code Constitutionnel, chapitre VIII [1830], trad. Guillaume Tusseau, Revue française d'histoire des idées politiques, vol. 19, 2004

---, Défense de la liberté sexuelle. Ecrits sur l'homosexualité, trad. Evelyne Meziani et éd. Christian Laval, Paris, Mille et Une Nuits, 2004

---, Chrestomathia, trad. Jean-Pierre Cléro, Paris, Cahiers de l'Unebévue, 2004

---, « Les sophismes anarchiques », trad. Jean-Pierre Cléro, in Contre les droits de l'homme éd. Bertrand Binoche, Paris, PUF, 2005

---, Déontologie ou science de la morale [1834], trad. Benjamin Laroche, Paris, Encre Marine, 2006

---, Introduction aux principes de morale et de législation, trad. Centre Bentham, [à paraître].

Autres ouvrages cités

Audard, Catherine (éd.), Anthologie historique et critique de l'utilitarisme, Paris, PUF, 1999

Bentham, Jeremy, An Introduction of the Principles of Morals and Legislation, Oxford, Clarendon Press, 1996

---, Of Laws in General, Londres, The Athlone Press, 1970

Hart, H. L. A., Essays on Bentham. Jurisprudence and Political Theory, Oxford, Clarendon Press, 1982

Ogden, C. K. (éd.), Bentham's Theory of Fictions, Littlefield, Adams & Co. Paterson, 1959

Schleiermacher, Friedrich, Des différentes méthodes du traduire et autre texte, Paris, Points Essais, 1999

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Notes

1  La bibliographie ci-jointe comprend la liste des traductions françaises de l’œuvre de Jeremy Bentham.

2  Dans Des différentes méthodes du traduire de Friedrich Schleiermacher, il considère en effet que traduire c’est : 1. Comprendre : pour l'herméneutique, traduire est un cas particulier de l'acte de comprendre dont il diffère par le degré et les principes de l'herméneutique s'appliquent à la théorie de la traduction. 2. Penser : pour la dialectique, penser et parler sont intimement liés et la traduction est indispensable au dialogue qui construit le savoir en édifiant un système de concepts correspondant au réel et 3. Communiquer : pour l'éthique, la tradition conditionne les échanges et la communication, fondateurs des communautés qui est l'objet de l'éthique.

3  L’ensemble de la charte est accessible sur le site du Centre Bentham : http://bentham.free.fr.

4  Friedrich Schleiermacher, Des différentes méthodes du traduire, p. 208.

5  Les Complete Works publiées en 1843 par John Bowring comprennent en effet une sélection de passages traduits d'après les originaux d’E. Dumont (Principles of the Civil Code, Essay on the Promulgation of Laws, Principles of Penal Law, par exemple). Il existe aussi des textes hybrides qui associent des retraductions de Dumont avec des extraits inédits tirés des manuscrits de Bentham (comme The Rationale of Reward). En 1864 paraît une nouvelle traduction des Traités de législation civile et pénale : Theory of Legislation [1802], trad. Richard Hildreth, Londres : Kegan Paul, 1864. Les Complete Works de J. Bowring sont cites ci-après comme suit : Bowring suivi du numéro de volume puis du numéro de page.

6  Bowring XI, p 33, p 80. Ces chiffres demanderaient aujourd'hui à être vérifiés.

7  Thomas Babington Macaulay, Edinburgh Review, lv, 1832, p. 553-554.

8  « Discours préliminaire », Traités de législation civile et pénale, p. vii.

9  Mss Dumont, 61, 130. Pour une analyse plus précise, voir E. de Champs, « Transformations de la morale utilitariste : un exemple de réécriture des textes de Bentham par Etienne Dumont », XVII-XVIII, Revue de la Société d'Etudes Anglo-Américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, n°62, juin 2006, p. 161-176.

10 The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 7, p. 55.

11  Il ne s'agit pas d'un revirement de la part de Bentham, mais plutôt de la radicalisation d'une réflexion engagée dès les années 1770, dont les implications démocratiques se dégagent progressivement.

12  « Discours préliminaire », Traités de législation civile et pénale, p. xvii-xviii.

13  Tactique des assemblées politiques délibérantes, in Œuvres, vol. I, p. 390.

14  « Je pense qu'à nous deux nous connaissons quelque chose en matière de législation. [à la lecture], j'ai souvent été enchanté, jamais choqué. » Bentham à E. Dumont, 14 mai 1802. Correspondence, vol. 7, p.28.

15  Bentham à E. Dumont, 17 mai 1802. Correspondence, vol. 7, p. 29-30.

16  « Language, considered in the most extensive sense of the word, is the aggregate of the matter of discourse actually employed, or capable of being employed, by all individuals of the human kind taken in the aggregate. » Essay on Language in Bowring VIII, p. 298.

17  « A fictitious entity is an entity to which, though by the grammatical form of the discourse employed in speaking of it existence is ascribed, yet in truth and reality existence is not meant to be ascribed. » et « A real entity is an entity to which, on the occasion and for the purpose of discourse, existence is really meant to be ascribed. » Ontology, p. 165.

18  « As to the sovereign, the end or external motive he can have had in view in adopting the law, can upon the principle of utility, have been no other than the greatest good of the community: which end we suppose his measures to be directed to of course: since it is only in as far as that is the case that these enquiries are calculated or designed to be of any use to him. » Of Laws in General, p 31.

19  « Every fictitious entity bears some relation to some real entity: and can no otherwise be understood than in so far as that relation is perceived, - a conception of that relation is obtained. » Ontology, p. 165.

20  « A law may be defined as an assemblage of signs declarative of a volition conceived or adopted by the sovereign in a state, concerning the conduct to be observed in a certain case by a certain person or class of persons, who in the case in question are or are supposed to be subject to his power: such volition trusting for its accomplishment to the expectation of certain events which it is intended such declaration should upon occasion be a means of bringing to pass, and the prospect of which it is intended should act as a motive upon those whose conduct is in question. » Of Laws in General, p. 1.

21  De manière générale, c’est par le langage que l’homme communique et « transfère ses idées à un autre esprit » [transferred into another mind]. Essay on Logic in Bowring VIII, p. 227.

22  « As to uncertainty in the law, it is to the people’s interest that each man’s security against wrong should be as complete as possible : that all his rights should be known to him ; that all acts, which in the case of his doing them will be treated as offences, may be known to him as such, together with their eventual punishments, that he may avoid committing them, and that others may, in as few instances as possible, suffer either from the wrong or from the expensive and vexatious remedy. » Manuel de sophismes politiques, p. 207.

23  Par exemple, la nature impérative de la loi est « obscurcie et dissimulée à l’appréhension ordinaire » [clouded and concealed from ordinary apprehension]. Introduction to the Principles of Morals and Legislation, p. 305. Bentham attaque les maux de l’institution juridique : « The cause to which they were imputed, was the invincible and irremediable nature of things, not the factitious and therefore remediable imperfections of the law. » Rationale of Judicial Evidence in Bowring VI, p. 206.

24  Nous empruntons cette terminologie à H.L.A Hart, Essays on Bentham.

25  « In a word, the substantival name of a quality presents the idea in the character of a complete idea, conceivable of itself ; the adjectival denomination of that same quality presents the idea in the character of an incomplete idea, requiring for the completion of it the idea of some object in which it may be seen to inhere. » Bentham’s Theory of Fictions, p. 117.

26  « One and the same word, right – right, that most enchanting of words – is sufficient for operating the fascination. » Anarchical Fallacies in Bowring II, p. 523.

27  « Fictitious as they are, entities of this description could not be spoken of at all, if they were not spoken of as real ones. » Chrestomathia, p. 314.

28  Nous voyons clairement ici l’une des critiques que Bentham adresse à la fois à toute déclaration des droits de l’homme et à la théorie du contrat social.

29  « To language then – to language alone – it i that fictitious entities owe their existence – their impossible, yet indispensable existence. » Ontology, p. 85.

30  « Power, right, prohibition, duty, obligation, burthen, immunity, exemption, privilege, property, security, liberty--all these with a multitude of others that might be named are so many fictitious entities which the law upon one occasion or another is considered in common speech as creating or disposing of. » Of Laws in General, p. 251.

31  « All this while, so essentially do these words enter into the composition of all language that in explaining any one of the original ones here spoken of, we are obliged to make use of other words of which the import is not to be clearly delivered but through the medium of those very words which we are endeavouring to explain: such is that illogical and vicious circle in which it seems probable that we shall forever be condemned to run. Thus it is that the tyranny of language makes its sport of scientific industry. » Of Laws in General, p. 279.

32  Voir à ce propos l’ouvrage de Guillaume Tusseau Jeremy Bentham et le droit constitutionnel. Une approche de l'utilitarisme juridique.

33  David Lyons, Chap Iin Forms and Limits of Utilitarianism. Ce chapitre est en partie traduit dans « La généralisation utilitariste » in Anthologie historique et critique de l’Utilitarisme, éd. Catherine Audard, Paris : PUF, 1999, vol. III, p. 97.

34  Des lois en général, Chap. I.

35 Texte original de Jeremy Bentham, 1996 [1970; 1789], Introduction to the Principles of Morals and Legislation, [Introduction aux principes de morale et de législation], éds J. H. Burns, H. L. A. Hart et F. Rosen, Oxford : OUP, p. 11: « Nature has placed mankind under the governance of two sovereign masters, pain and pleasure. It is for them alone to point out what we ought to do, as well as to determine what we shall do. On the one hand the standard of right and wrong, on the other the chain of causes and effects, are fastened to their throne. They govern us in all we do, in all we say, in all we think: every effort we can make to throw off our subjection, will serve but to demonstrate and confirm it. In words a man may pretend to abjure their empire: but in reality he will remain subject to it all the while. The principle of utility recognises this subjection, and assumes it for the foundation of that system, the object of which is to rear the fabric of felicity by the hands of reason and of law. Systems which attempt to question it, deal in sounds instead of sense, in caprice instead of reason, in darkness instead of light. »

36  Jeremy Bentham, 1996 [1970; 1789], Introduction to the Principles of Morals and Legislation, J. H. Burns, H. L. A. Hart and F. Rosen (éds), Oxford, OUP, p. 11

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Pour citer cet article

Référence électronique

Malik Bozzo-Rey, Anne Brunon-Ernst et Emmanuelle de Champs, « La traduction de l’Introduction to the Principles of Morals and Legislation par le Centre Bentham »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 1 | 2006, mis en ligne le 01 septembre 2006, consulté le 13 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/169 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.169

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