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Pour une approche pluridisciplinaire et transversale de la pensée benthamienne

Malik Bozzo-Rey

Texte intégral

1Il continue d’exister un certain nombre d’idées reçues concernant la personnalité de Jeremy Bentham et sa méthode de travail. Ces idées peuvent avoir une connotation positive ou négative. Par exemple, Bentham est souvent considéré comme l’un des derniers héritiers d’une conception du savoir encyclopédique du siècle des Lumières. Mais son travail peut également être décrit au mieux comme l’amoncellement d’un ensemble d’écrits abordant des sujets extrêmement différents et au pire comme un amas désordonné de réflexions touchant un grand nombre de thèmes sans réels liens entre eux. Cette dernière impression peut être renforcée par la faible quantité d’écrits publiés comparativement à la somme des manuscrits disponibles. A ce titre, nous pouvons signaler que l’attitude d’Etienne Dumont, son traducteur, n’est pas étrangère à cette perception de l’œuvre benthamienne et nous ne reviendrons pas sur les problèmes posés par l’édition de John Bowring qui, non seulement, est partielle mais pose des questions quant à l’agencement et au choix des manuscrits.

2Effectivement, Bentham a tenté d’englober dans sa réflexion un grand nombre de domaines ; il n’y a guère que l’esthétique qu’il n’a pas pensée. Son souci constant d’appliquer ses acquis théoriques de manière extrêmement précise au champ pratique et sa volonté d’universaliser la mise en œuvre du principe d’utilité peuvent expliquer, au moins en partie, la diversité des sujets abordés dans l’œuvre foisonnante de Jeremy Bentham.

3Nous pouvons considérer que l’ensemble de ces écrits n’ont aucun lien entre eux et par conséquent tenter de compartimenter la pensée benthamienne. Ceci amène à considérer que ses écrits économiques relèvent de l’économie, de sa méthode analytique et de ses outils interprétatifs ; ses écrits juridiques du droit et ainsi de suite. Cela suppose également que telle était la démarche de Bentham et que, dans son esprit, la politique n’avait pas de lien avec l’économie ou la morale ou encore le droit, par exemple. Ceci peut prendre la forme d’un questionnement qui consiste à savoir si Bentham est économiste, sociologue, juriste, philosophe, etc… Nous pensons que cette dernière approche non seulement va à l’encontre de l’esprit benthamien mais se révèle également limitée et limitative.

4Dès lors, nous ne pouvons manquer de remarquer que son œuvre est par essence pluridisciplinaire et que son approche est nécessairement transversale. Elle nous invite donc à favoriser les travaux et les interprétations qui allient différents domaines, différents outils interprétatifs et nous pousse à refuser une approche unilatérale ou, en tout cas, à avoir pleinement conscience des limites qu’elle engendre. Mais ceci implique un effort de reconstruction qui comprend la pensée benthamienne comme un tout, qui doit nécessairement s’affranchir, dans une certaine mesure, d’une historicité et, enfin, qui tente de démontrer sa cohérence interne sans pour autant nier certains paradoxes ou la possibilité d’ambiguïtés qu’il faudra alors lever, éclaircir ou expliquer. Cette reconstruction passe par une phase de déconstruction qui va tenter d’isoler les différents outils théoriques mis en place par Bentham dans ses écrits.

5De la même manière que Bentham a tenté d’établir des liens entre différents domaines tels que la politique, le droit ou encore l’économie, nous nous devons de tenter de saisir les implications théoriques et pratiques de ces liens et les rendre apparents. De la même manière que Bentham nous invitait à lever le « voile des mots » qui recouvrait le droit anglais, il nous faut lever le voile de mystère qui semble recouvrir sa philosophie. Bien évidemment, la tentation est grande de trouver dans le principe d’utilité un principe unificateur qui permettrait de rendre compte des différents champs d’études que s’est fixé Bentham. Mais certains points tels que la théorie des fictions ou certains concepts à l’œuvre notamment dans sa théorie du droit peuvent relativiser cette tentation.

6Ce qui est certain, c’est que seul un dialogue dynamique entre les différents champs de la pensée benthamienne permet d’établir la cohérence de l’ensemble de ses écrits. L’ensemble des articles présents dans ce numéro est le témoin de cette démarche qui vise à dresser des ponts entre la théorie politique et économique de Bentham, la prise en compte et l’analyse de la théorie des fictions, sans négliger de considérer ses limites, ou encore reconstruire la théorie du droit benthamienne concernant le concept spécifique de norme d’habilitation.

7Ces articles vont cependant plus loin. Ils entendent également établir un dialogue entre Bentham et différents auteurs, courants de pensée ou problématiques. Ainsi, Christophe Chauvet nous propose une relecture des écrits benthamiens à travers le prisme de la problématique de l’égalité des chances et la question de la possibilité de la reconstruction d’une théorie de la justice benthamienne. Il fait ainsi le lien non seulement entre ses écrits économiques, politiques et constitutionnels mais met également en exergue les moyens que Bentham s’est donnés afin d’assurer l’égalité des chances des citoyens à travers, notamment, l’éducation, la fiscalité ou encore l’administration et la démocratie représentative. A travers les différents modes de contrôle à l’œuvre dans la société que pense Bentham, Christophe Chauvet nous invite également à penser la question du panoptique bien connue désormais de nos lecteurs.

8Jean-Pierre Cléro nous propose quant à lui un dialogue entre Diderot et Bentham autour de la notion de fiction et réussit non seulement une reconstruction de la pensée diderotienne de la fiction mais également, à travers elle, une relecture de la théorie des fictions benthamienne en faisant clairement apparaître à la fois ses apports, sa force mais également ses limites. Jean-Pierre Cléro pose avec une acuité toute particulière une question qui hante tout lecteur de la théorie des fictions de Bentham à savoir celle du rapport entre l’utilité et la vérité et plus précisément celle de la place de l’utilité dans l’échelle des valeurs élaborée par Bentham.

9Enfin, Guillaume Tusseau, dans un article qui est le parfait complément de son analyse précédente concernant les liens entre les théories de Bentham et d’Austin, nous propose de penser la question des matériaux juridiques qui permettent de conférer des pouvoirs juridiques, il nous invite à penser le concept de norme d’habilitation dans la théorie du droit benthamienne. Lui aussi nous propose un dialogue dynamique, cette fois-ci avec des théoriciens contemporains. Sa problématique est non seulement interne à la pensée benthamienne puisqu’il s’agit de construire son concept de norme d’habilitation et de faire clairement apparaître sa cohérence malgré des positions qui peuvent sembler contradictoires mais également temporelle puisqu’il insiste sur le fait que Bentham a parfaitement vu non seulement l’importance de ce concept mais également les difficultés qu’il pouvait soulever. L’ensemble de ces questions étant encore à l’œuvre dans les théories contemporaines. C’est-à-dire que Guillaume Tusseau nous donne à voir la pluralité des positions benthamiennes comme constitutives de la cohérence et de l’unité de sa pensée.

10Ces trois articles nous proposent donc à la fois une relecture originale de certains écrits benthamiens et montrent bien que la philosophie de Bentham ne saurait se penser comme statique : elle est d’essence dynamique.

11Les comptes rendus de lecture ou de différents événements tout comme la présentation d’un site spécifique s’inscrivent eux aussi dans une dynamique d’ouverture, de transversalité et de pluridisciplinarité.

12Nous ne devons pas oublier que cet objectif est au fondement du Centre Bentham et que nous nous efforçons à travers l’ensemble de nos travaux de l’appliquer, de l’actualiser et de tirer l’ensemble des conséquences concernant les possibilités d’interprétation de la pensée benthamienne. De ce fait l’œuvre de Bentham ne saurait être réduite à l’expression simpliste de tel ou tel principe mais doit bien être pensée comme un processus dynamique dans les différents champs de pensée qu’elle prend pour objet.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Malik Bozzo-Rey, « Pour une approche pluridisciplinaire et transversale de la pensée benthamienne »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 3 | 2007, mis en ligne le 01 novembre 2007, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/144 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.144

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Auteur

Malik Bozzo-Rey

Université Paris X et Centre Bentham

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