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Cahiers du Centre Bentham

Sinister Interest – quelques problèmes de traduction

Rosalind Greenstein

Notes de l’auteur

Ce texte est une version remaniée de l’article publié dans Concurrence pour le marché et concurrence dans le marché, in Régulations des activités économiques et sociales, T. 11, ed. Laurent Richier, Paris : Bibliothèque André Tunc, 2007, avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

Texte intégral

1Tout traducteur, lorsqu’il découvre un texte pour la première fois, texte qu’il va redécouvrir tout au long de son travail, doit se poser un certain nombre de questions dont les réponses vont l’aider à opérer des choix, puis à les modifier, au fur et à mesure qu’il avance. À chaque difficulté il faudra trouver une solution, à chaque obstacle un moyen de le contourner, avec la nécessité de revenir sans cesse en arrière, les nouvelles solutions rendant inopérantes les solutions précédentes, que l’on croyait satisfaisantes. Si, en outre, le texte s’insère dans un travail plus important, il faut tenir compte de l’évolution de la pensée de l’auteur, ce qui peut remettre en cause des choix antérieurs, valables pour un texte donné mais pas pour l’ensemble de son œuvre. Traduire un texte et traduire une série de textes soulèvent, donc, des problèmes différents. À ceci s’ajoute une autre question : si l’auteur est mort, l’on peut prendre le corpus en tant qu’entité fermée ; si, en revanche, il est vivant, des écrits futurs peuvent modifier, de nouveau, les choix à faire. Mais, même dans le premier cas, la recherche sur les écrits peut conduire à d’autres interprétations et, par conséquent, à d’autres traductions.

  • 1  Étienne Dumont, contemporain de Bentham dont il traduisait et publiait en français les écrits même (...)

2Les questions que se posera le traducteur seront de plusieurs sortes : celles, de fond, au niveau du mot, de la phrase, du paragraphe, du texte entier, et puis celles, formelles, récurrentes, du choix du style à adopter. La difficulté, bien entendu, est de savoir comment rendre dans l’autre langue des concepts propres à la langue (et à la culture) d’origine, étant donné l’absence de correspondance parfaite entre les deux systèmes de pensée et les deux systèmes langagiers. Mais avant toute chose, il faut identifier et situer l’auteur ainsi que le public auquel était destiné le texte source. De même, il faut réfléchir au public qui va lire la traduction. De ces questions (et de leurs réponses) en découlent d’autres, intimement liées et étroitement imbriquées mais qu’il faut séparer ici, de manière artificielle. Entre autres il faut identifier le genre du document, chaque genre ayant ses propres contraintes, en fonction du domaine traité et des circonstances de la rédaction. C’est ici que se pose aussi la question de l’état d’achèvement du document, autrement dit de sa « qualité littéraire »1.

3Existe aussi l’aspect formel des conventions stylistiques propres à chaque langue, indépendamment du genre. En français, par exemple, la répétition est mal vue, le recours aux synonymes est non seulement fréquent mais souhaitable, si le rédacteur ne veut pas passer pour inculte. En revanche, ce procédé, surtout lorsqu’il est utilisé dans la traduction, risque de masquer ou de cacher des concepts, ou de modifier un effet de style voulu par l’auteur. En anglais, la répétition est plus acceptable, voire exigée, surtout dans des domaines techniques ou dans un contexte de conceptualisation. En outre, le rédacteur anglophone n’hésitera pas, dans le cas où l’objet nommé est représenté par un terme constitué de deux ou plusieurs éléments, à réutiliser ces derniers séparément dans d’autres unités lexicales, parfois sous d’autres formes grammaticales (nom → adjectif, par exemple). La première tâche du traducteur est alors de repérer toutes les manifestations linguistiques autour de l’objet, ainsi que l’objet lui-même, avant de chercher à l’exprimer dans l’autre langue.

4Ces difficultés sont amplifiées par un autre problème linguistique, celui de l’équivalence des mots ou des expressions dans les deux langues, non seulement au niveau de la dénotation mais également au niveau de la connotation. Il ne suffit donc pas de trouver une équivalence dénotative, tâche parfois difficile, il faut en outre résoudre le problème lorsque la connotation ne se recoupe pas d’une langue à l’autre, ce qui peut conduire à des erreurs d’interprétation, à une surtraduction ou à une perte de sens.

  • 2 Results of Different Principles of Legislation and Administration in Europe ; of Competition for th (...)
  • 3  Dès 1775, Edmund Burke (1729-1797) en parlait : « It is besides an effect of vulgar and puerile ma (...)

5La réflexion qui suit se situe dans le contexte de la traduction d’un texte d’Edwin Chadwick2 et se limite à un problème précis, celui de la traduction du terme sinister interest. Or, ce dernier n’est pas une invention de Chadwick, ce ne sont pas des mots choisis au hasard ou par manque de vocabulaire ou d’imagination ; le terme correspond à un concept repris3 en 1804 par Jeremy Bentham, dont il fut le secrétaire et le disciple. Outre le terme proprement dit, Chadwick emploie les adjectifs interested ou disinterested pour qualifier des personnes, et il associe l’adjectif sinister à opposition ou à exercise of power. Le traducteur francophone non averti, surtout lorsqu’il rencontre l’adjectif disinterested, et étant donné les différences stylistiques entre les deux langues, serait tenté de le traduire tantôt par « désintéressé », tantôt par « impartial », tantôt par d’autres mots encore, et la notion d’intérêt disparaît. Quant à l’adjectif sinister, il serait tenté d’employer différents synonymes en fonction du contexte et de l’unité lexicale où il figure. Le fait de ne pas voir que sinister interest est un concept qui apparaît en filigrane dans la réflexion de Chadwick sur l’opposition entre la concurrence pour le marché et la concurrence dans le marché conduit le traducteur, et ensuite le lecteur, à passer à côté de ce que l’auteur cherche à démontrer, à ne pas comprendre toutes les facettes de sa pensée, telle qu’il l’a livrée aux honorables membres de la Statistical Society.

6Mais il ne suffit pas d’identifier le concept, encore faut-il l’exprimer en français et c’est là que les vraies difficultés commencent. Aujourd’hui encore, économistes, philosophes, juristes et autres spécialistes francophones de Bentham cherchent la meilleure façon de le faire tout en préservant aussi bien la dénotation que la connotation du terme sinister interest. Nous nous trouvons donc devant un triple défi, dû au fait que le concept, développé dans la langue et la culture de la Grande Bretagne au dix-neuvième siècle, est toujours d’actualité pour un public francophone, au début du vingt-et-unième. Pour remplir sa mission de passeur de sens, le traducteur doit donc aider le lecteur à franchir trois frontières : de langue, de culture et d’époque.

7Afin de comprendre tout ce qui sous-tend le terme, il a fallu procéder à un important travail lexicologique et terminologique, avant d’adopter une traduction, discutable, certes, mais qui serait, dans le contexte de la traduction d’un document d’une quarantaine de pages d’un autre auteur, la moins mauvaise. Cette démarche était double, à savoir une recherche in vitro et une recherche in vivo. Par la première, l’on entend la vérification du ou des sens des deux éléments du terme sinister interest dans des dictionnaires monolingues anglais, aussi bien de l’époque des auteurs que de la nôtre. Ceci permet de comprendre les mots, hors contexte, de cerner la ou les dénotations en contexte, et d’identifier les connotations éventuelles. Les synonymes et les antonymes sont éventuellement relevés. Ensuite, les différentes traductions en français font l’objet, à leur tour, de recherches et de vérification dans des dictionnaires monolingues français des deux époques.

Recherche in vivo

  • 4  Je tiens à remercier ici les chercheurs du Centre Bentham de l’Université Paris X, Nanterre et, pl (...)

8Quant à la recherche in vivo, il s’agit de chercher des occurrences du terme dans différentes sources : les écrits de Bentham lui-même, pour comprendre le concept ; ceux d’autres auteurs qui réfléchissent à la même question, c’est-à-dire qui essaient de comprendre et d’expliquer ce qui motive les êtres humains pour les faire agir ; ceux, enfin, de chercheurs qui travaillent sur la philosophie benthamienne4. Dans la pratique, les deux démarches sont indissociables, car tous ces écrits emploient nécessairement d’autres mots et d’autres expressions pour en parler, donnent d’autres sens aux mots existants, qu’il faut vérifier dans les dictionnaires. Mais puisqu’il est impossible de parler des deux démarches en même temps, il est plus instructif de commencer par les écrits, la recherche in vivo, qui fournissent les éléments lexicologiques qui constituent le matériau du traducteur.

9Les sources in vivo proviennent essentiellement, mais pas uniquement, des travaux de deux centres, The Bentham Project (University College, Londres) et le Centre Bentham (Université Paris X, Nanterre). Pour éviter tout malentendu, il faut bien comprendre que le but de mes lectures, ainsi que des citations qui suivent, n’est absolument pas de discuter de la philosophie benthamienne ou de son utilisation par Chadwick, ni de participer au débat sur sinister interest, mais de voir comment des anglophones en parlent et comment des francophones qui ne sont pas dans un contexte de traduction s’expriment sur la question. Quelle meilleure source, pour commencer, que Bentham lui-même ? Dans sa Table of the Springs of Action5, Bentham fait un certain nombre d’observations. Dans la section 56, il considère les épithètes associées à la notion d’intérêt :

Applied to interests, in the character of a dyslogistic epithet, instead of bad or vitious, we have sinister: –eulogistic, except, as above, best–the superlative of good–we have none: in Ethics, sinister has not, as in Anatomy, and thence in Heraldry, dexter for its accompaniment.

On this occasion, by sinister, if any thing determinate is meant, is meant–operating, or tending to operate, in a sinister direction: i.e. in such a direction as to give birth to a bad, alias a vitious act.

The sorts of bad or vitious acts, of which sinister interest is, in practice, commonly spoken of as the efficient cause, […] come under the denomination of acts of improbity […]: such as are considered as injurious to the interests of other persons, than such as are considered as injurious to the interest of the agent himself […]

  • 7  Père de John Stuart Mill (1806-1873).
  • 8  Mill, James, « Essay on Government » in The Encyclopedia Britannica, 1820, numérotation des paragr (...)

10Contemporain et co-disciple de Bentham, James Mill7 (1773-1836), philosophe, historien et économiste, co-fondateur de University College London en 1825, a également travaillé sur le rôle de l’intérêt dans la motivation des individus, notamment dans son Essay on Government8. Dans sa discussion sur le mode de gouvernement dit « aristocratique » (où la protection de la communauté est entre les mains d’un petit groupe, par opposition aux modes démocratique et monarchique, où la protection de la communauté est confiée respectivement à la communauté elle-même ou à un seul individu), Mill explique :

(26) The source of evil is radically different in the case of aristocracy, and that of democracy. The community cannot have an interest opposite to its interest. To affirm this would be a contradiction in terms. The community within itself, and with respect to itself, can have no sinister interest. One community may intend the evil of another: never its own. […] It may act wrong from mistake. To suppose that it could from design, would be to suppose this absurdity, that human beings can wish their own misery.

11Il poursuit, en réfléchissant au contrôle que doivent exercer les représentants de la communauté, pour limiter les abus de la part de ceux qui détiennent le pouvoir :

(75) […] We have then to inquire what power it is which the representatives of the community, acting as a check, need power to overcome. The answer here is easily given. It is all that power, wheresoever lodged, which they, in whose hands it is lodged, have an interest in misusing. We have already seen, that to whomsoever the community entrusts the powers of government, whether one, or a few, they have an interest in misusing it. All the power, therefore, which the one or the few, or which the one and the few combined, can apply to insure the accomplishment of their sinister ends, the checking body must have power to overcome, otherwise its check will be unavailing. In other words, there will be no check.

12Mais il ne faut pas que les représentants soient nommés ou choisis n’importe comment :

(91) We have seen already, that if one man has power over others placed in his hands, he will make use of it for an evil purpose; for the purpose of rendering those other men the abject instruments of his will. If we, then, suppose that one man has the power of choosing representatives for the people, it follows, that he will choose men who will use their power as representatives for the promotion of this his sinister interest.

13Dans ces différents extraits, il parait clairement que l’adjectif sinister dénote quelque chose de mal, de négatif, de néfaste, de funeste, que l’intérêt de l’un ou du petit nombre va à l’encontre de celui du plus grand nombre, que le sinister interest est quelque chose qu’il faut combattre. Bentham partageait ce point de vue:

  • 9  Yolton John, The Dictionary of Eighteenth-Century British Philosophers, Thoemmes Press, 1999, http (...)

[Bentham] gave up his earlier belief in Enlightened despotism as he became increasingly concerned at the widespread corruption of those in power and with the need to provide a corrective to the ‘sinister interest’ of the British oligarchy.9

  • 10  Burns, J. H., Professeur émérite d’histoire, University College London, Jeremy Bentham : An Iliad (...)

The “obstacles to reform” [Bentham] was already identifying in manuscripts of the 1770s were not just personified by, they were incarnate in, individuals and groups whose malign influence had to be overcome. […] He had begun to see that it was not simply a matter of dealing with minds darkened by ignorance or blinded by prejudice. Interest – self-interest or sectional interest – was what closed the minds of lawyers and judges to the argument that the law they applied and administered – law as it was – differed fundamentally and fatally from law as it ought to be.10

  • 11  Ibid.

14En réagissant en 1822 à une remarque faite par Alexander Wedderburn, futur Lord Chancellor, au sujet de son texte A Fragment on Government, Bentham dit que Wedderburn représente bien tous ceux « whose interest it was to maximize delay, vexation, and expence, in judicial and other modes of procedure, for the sake of the profit extractible out of the expence. »11

15Burns développe la position de Bentham :

And in a crucially important phrase Bentham characterises that interest as a “sinister interest”. The phrase had come to identify and to condemn the enemies against whom Bentham waged his polemical struggle. In the passage just cited, written in 1822, Bentham explains his earlier failure to recognise what lay behind Wedderburn’s remark by saying that “his disquisitions had not been as yet applied, with any thing like a comprehensive view, to the field of Constitutional Law, nor therefore to those features of the English Government, by which the greatest happiness of the ruling one, with or without that of a favoured few, are now so plainly seen to be the only ends to which the course of it has at any time been directed.” Here we see the notion of “sinister interest” linked to what may be regarded as the dominant theme of Bentham’s mature political thought – the conflict of interest between “the ruling few” and “the subject many”.

  • 12  Engelmann, University of Illinois at Chicago, Political Theory Workshop, date non indiquée. Site c (...)

16Enfin, dans son essai Imagining Interest12, Stephen Engelmann reprend des idées de Bentham :

Thus the civil law that erects and protects the family association and the powers of fathers has crucial indirect functions (Bentham c.1770-, 32:149; Bentham 1843, I, 337). Other ties, however, are suspect; some, like the ties that knit together the ruling class of Bentham’s England, produce sinister interest, or an interest opposed to that of the aggregate interest. The sinister interest of the ruling class is capable not only of deploying bad direct legislation in its favor, but also of generating a more durable and insidious “interest-begotten prejudice” (Bentham 1989, 180-183; Rosen 1992, 62).

  • 13  C. Laval, Revue d’études benthamiennes n° 1, 2006, p. 25-44.
  • 14  Dans les citations de Laval, les italiques sont ajoutés par moi, sauf indication contraire.
  • 15  C. Laval, op. cit., p. 25.

17Passons, maintenant, à deux sources en français. Dans la première, « La chaîne invisible. Jeremy Bentham et le néo-libéralisme »13, l’intérêt est au cœur des préoccupations de Christian Laval, qui situe le débat dans un contexte non seulement philosophique mais également scientifique, permettant ainsi de percevoir les différents sens du qualificatif sinister. Dès l’introduction, il explique que « L’essentiel réside en effet dans l’absence d’opposition, voire dans la complémentarité qui doit exister entre l’intervention du gouvernement et la direction14 que doivent prendre les intérêts des sujets politiques »15. Il poursuit :

Le gouvernement utilitariste, c’est le gouvernement des intérêts, expression que l’on peut prendre en deux sens : c’est le gouvernement qui vise à ce que chacun puisse poursuivre ses propres fins, c’est-à-dire la satisfaction de ses intérêts, mais de sorte que ces intérêts particuliers convergent vers l’intérêt général [...].

  • 16 Ibid., p. 29.
  • 17 Ibid., p. 28-29.

18Déjà la notion du bon chemin, du droit chemin, se profile et ouvre la possibilité de s’en écarter. Plus loin, il pose deux questions qui renforcent cette idée : « Comment gouverner l’intérêt individuel ? Comment est-il possible de le guider vers des fins favorables à tous ? »16. Pour y répondre, il faut tenir compte d’aspects psychologiques, qui expliqueraient pourquoi l’on réagit. « L’intérêt, comme le motif ou le désir, sont des termes directeurs (leading terms) de la science des “springs of actions” »17. Autrement dit, on est attiré dans telle ou telle direction par son intérêt. Est-il possible d’agir contre son intérêt ? Selon Laval :

  • 18  C. Laval, op. cit., p. 29.

Ce qu’on appelle faussement un “acte désintéressé” est un acte qui ne relève pas de la classe des intérêts self-regarding , mais d’intérêts sociaux, semi-sociaux, qui restent, par définition, “intéressés” mais dont le bénéfice résultant de l’action est partagé. [...] Le jeu de l’intérêt est analogue à l’attraction dans le monde physique.18

19Quel est le rôle du gouvernement dans ce jeu ? Il est triple et consiste à connaître, former et orienter les intérêts. Le premier oblige à analyser :

  • 19  Ibid., p. 31.

[…] la contrariété fondamentale entre les intérêts des hommes publics et l’intérêt du peuple [...]. Si l’homme public, l’homme de loi, le fonctionnaire ont par certains côtés un intérêt commun avec le peuple et avec l’humanité, ils ont en même temps un intérêt particulier en tant que membre d’un corps et en tant qu’individu particulier. C’est en arrachant par le contrôle populaire l’homme de pouvoir à ses intérêts sinistres et en l’attachant à l’intérêt du grand nombre que l’on fera avancer le bonheur public.19

20Les « intérêts sinistres » seraient donc ceux qui vont à l’encontre de l’intérêt général, ceux qui quittent le droit chemin. Mais le gouvernement peut agir sur la direction de l’intérêt, il peut l’orienter.

  • 20  Ibid., p. 32.

L’intérêt agit comme la force de gravitation mais elle est sujette à des déviations. Le gouvernement et la législation cherchent à corriger “la tendance au biais”, à réorienter l’intérêt. Après Claude Adrien Helvétius, Cesare Beccaria avait déjà comparé l’intérêt à la force d’attraction : “Semblable à la gravitation des corps, une force secrète nous pousse toujours vers notre bien-être” [...]. Bentham reprend cette idée en analysant la direction des intérêts. Les intérêts sont dits “sinistres” quand ils poussent à une conduite qui n’est pas droite, quand ils conduisent à l’immoralité et à la délinquance. L’intérêt “sinistre” à combattre, c’est l’intérêt qui prend une mauvaise direction, qui sert un intérêt étroit, d’une moindre extension numérique et d’un effet moindre pour l’individu car trop immédiat. Un intérêt “sinistre” est un intérêt qui selon Bentham “opère ou tend à opérer dans une direction sinistre”, ou encore dans une direction du mal, qui entraîne à faire mal, à une mauvaise conduite.20

21Nous l’avons vu, il y aurait opposition entre l’intérêt particulier et l’intérêt commun. Comment donc concilier les deux ? Le principe de la législation serait :

  • 21  Œuvres de Bentham, p. 206 cité dans C. Laval, op. cit., p. 35.

[non pas de] réprimer l’intérêt, mais faire en sorte que l’intérêt privé et l’intérêt général se conjoignent [...]. Il ne s’agit plus de sacrifier son intérêt à un quelconque devoir social, mais de lier l’intérêt personnel à l’intérêt plus large de la société. C’est tout l’art du gouvernement qui consiste à faire que ce soit l’intérêt même de l’individu d’accomplir une action bénéfique aux autres [...] le législateur peut ‘diriger le cours des inclinations vers les goûts les plus conformes à l’intérêt public’. 21

22L’utilité de ce court extrait est double : c’est un bel exemple d’emploi de synonymes pour éviter la répétition ; par ailleurs, il introduit la notion d’action bénéfique, ce qui confirme, a contrario, qu’il peut exister des actions maléfiques, autrement dit qui entraînent à faire mal, comme il a déjà été dit.

  • 22  Bentham, Philosophe de l’utilité, Paris : Ellipses, 2006, p. 146-150. Les références correspondent (...)

23L’autre source en français, le livre de Jean-Pierre Cléro sur Bentham22, comporte, dans la section intitulée « Vocabulaire », une entrée consacrée au concept « intérêt » (interest), avec plusieurs citations de Bentham ainsi que des explications fournies par Cléro. Ce sont les termes employés aussi bien par le traducteur de Bentham que par Cléro qui nous intéressent, car ils permettront de compléter la liste de traductions potentielles provenant du texte de Laval. Commençons par ce que dit Bentham.

  • 23  Cléro, op. cit., p. 146.

On dit d’une chose qu’elle promeut l’intérêt ou favorise l’intérêt d’un individu lorsqu’elle tend à augmenter la somme totale de ses plaisirs ou, ce qui revient au même, lorsqu’elle diminue la somme totale de ses souffrances (B I, 2). 23

  • 24 Ibid., p. 147.

L’esprit de tout homme public est sujet constamment à l’opération de deux intérêts distincts – un intérêt public et un intérêt privé. Son intérêt public est constitué de la part qu’il prend au bonheur et au bien-être de toute la communauté ou de la plus grande partie de celle-ci ; son intérêt privé est constitué de la part qu’il prend dans le bien-être d’une certaine portion de la communauté moindre que la grande partie ; de cet intérêt privé, la plus petite partie possible est celle qui se compose de son propre intérêt individuel (B II, 475).24

  • 25 Ibid., p. 148.

24Cléro précise que : « Lecteur et admirateur d’Helvétius, Bentham est loin de condamner l’intérêt ; au contraire, l’intérêt de soi (self-regarding interest) est présenté comme “le grand principe qui règle l’action humaine” (B IX, 5) ; à tel point qu’il n’y a pas et qu’il ne peut y avoir d’action désintéressée, selon l’auteur (B I, 211-212) »25. Suit un long développement où Cléro essaie d’expliquer ce que Bentham entend par sinister interest, et c’est là que nous voyons la difficulté de réunir en un seul mot tout ce que l’adjectif sinister représente.

  • 26  Ibid., p. 148-149.

Si le désintéressement est toujours une illusion, on ne peut alors jamais reprocher à quelqu’un d’agir pour son intérêt propre, fût-ce dans le domaine juridique et politique : cela reviendrait à lui contester la vie même. Est-ce à dire, à l’inverse, que la recherche de son intérêt propre est toujours justifiée ? Comment Bentham peut-il repérer et condamner l’intérêt dévoyé (le sinister interest, qui s’oppose au dexter interest, comme la gauche s’oppose à la droite dans les corps physiques) ? [...] Un intérêt n’est pas suspect parce qu’il est intérêt propre ou intérêt de soi. L’intérêt suspect n’est essentiellement ni une notion de psychologie, ni une notion morale, qui dénoterait ou dénoncerait un trait de caractère : c’est une notion radicalement structurelle, dépendante des lois qui sont, pourraient ou devraient être mises en place en fonction du principe d’utilité. L’intérêt suspect est sanctionné par la loi qui s’accorde avec le principe d’utilité ; quand il triomphe, la faute en revient au législateur qui l’a écrite. Le sinister interest porte atteinte au principe d’utilité et n’est “sinister” que par là. [...] Accusant le caractère symbolique du sinister interest, l’auteur dit parfois, plus directement, qu’‘en agissant dans une direction pour sortir la conduite de quelqu’un hors du chemin de la probité, toute espèce d’intérêt peut être un intérêt suspect ; de même d’ailleurs qu’en agissant dans une direction qui retient la conduite de quelqu’un entre les bords du chemin de la probité, toute espèce d’intérêt est un intérêt droit’ (B VII, 394).26

25Cette recherche in vivo ayant permis de commencer à comprendre ce que signifie le terme sinister interest en anglais, et de repérer les différents adjectifs employés par les auteurs en français pour en parler, il faut passer à l’autre volet du travail du traducteur, la recherche in vitro.

Recherche in vitro

  • 27  5e édition, 2002. LME = late Middle English, E = early, M = mid, L = late.

26La première recherche, évidente, consiste à vérifier les définitions de l’adjectif sinister dans des dictionnaires monolingues anglais. Seuls trois sont mentionnés ici, à commencer par le Shorter Oxford English Dictionary27, dictionnaire anglais en deux tomes qui donne les différents sens et permet d’en suivre l’évolution. Notons également la définition de son antonyme, dexter, qui ne correspond qu’aux sens 4 et 6.

Sinister, adjective. LME. [Old and mod. French sinistre or Latin sinister left, left-hand]

I 1 †a Prejudiced against a person or thing; adverse, unfavourable; malicious. LME-L18.

b Harmful or prejudicial to. Now rare. E18.

2 Dishonest or suggestive of dishonesty; underhand; shady. LME.

3 Corrupt, evil, wicked, base. L15. †b Erring; erroneous; heretical. E16-M17.

4 Portending or suggestive of misfortune or disaster; ill-omened; inauspicious. Also, attended by misfortune or disaster; unlucky, unfortunate. L16.

5 Suggestive of evil or malice. L18.

II 6 Of or on the left-hand side of a person or thing. arch. L15. b HERALDRY. Of or on the left-hand side of a shield etc. (i.e. to an observer’s right). Opp. DEXTER. M16.

Dexter, adjective. M16. [Latin, from base repr. also by Greek dexios]

1 Of or on the right-hand side of a person or thing, esp. (HERALDRY, opp. sinister) of a shield etc. (i.e. to an observer’s left). M16.

†b Of an omen: seen or heard on the right-hand side, hence auspicious. M17-E18.

27Dans son édition de 182828, contemporaine donc de l’apparition du concept sinister interest, le Webster’s Revised Unabridged Dictionary américain confirme tous ces sens.

Sinister, a. [L. Probably the primary sense is weak, defective.]

1. Left; on the left hand, or the side of the left hand; opposed to dexter or right; as the sinister cheek; or the sinister side of an escutcheon.

2. Evil; bad; corrupt; perverse; dishonest; as sinister means; sinister purpose. He scorns to undermine another’s interest by any sinister or inferior arts.

3. Unlucky; inauspicious.

4. Sinister aspect, in astrology, an appearance of two planets happening according to the succession of the signs; as Saturn in Aries, and Mars in the same degree of Gemini.

28Enfin, le dictionnaire anglais, le Cambridge Advanced Learner’s Dictionary en ligne29, donne uniquement le sens actuel.

Sinister, adj. making you feel that something bad or evil might happen: The ruined house had a sinister appearance. A sinister-looking man sat in the corner of the room.

  • 30  Je tiens à remercier Emmanuelle de Champs, du Centre Bentham, pour cette citation de sa thèse L’éc (...)

29Les références à l’héraldique et à l’astrologie mises à part, il ressort clairement de ces extraits que l’adjectif sinister en anglais a une connotation négative. Soit l’objet ainsi qualifié provoque ou incarne le mal, comme le montrent les unités lexicales harmful, prejudicial, dishonest, corrupt, wicked, base, perverse, bad, soit il l’annonce, suggestive of evil or malice, portending or suggestive of misfortune or disaster, ill-omened, unlucky, inauspicious. Le problème est de trouver en français un mot qui réunisse tous ces sens avec, en outre, l’idée benthamienne d’aller dans la mauvaise direction, de sorte à donner lieu à une mauvaise action. Le premier mot qui vient à l’esprit, l’adjectif « sinistre », était employé par Bentham lui-même lorsqu’il écrivait directement en français à un correspondant portugais30 :

  • 31  J. Bentham à José Joaquin de Mora, 26 septembre 1820, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 1 (...)

Vous sentirez en même tems, Monsieur, que les gens en place, dans tous les autres departemens du Gouvernment, n’ont qu’une trop grande part dans ce sinistre intérêt : car, dans tous les autres departemens, tout comme dans celui-ci, une place est un moyen de faire fortune : c’est pourquoi ils ont tous un intérêt commun, intérêt particulier directement opposé à l’intérêt universel : ainsi, de façon ou d’autre, tout se tient dans la fabrique du gouvernement : d’un coté, tout qui est bon ; de l’autre, tout ce qui est mauvais.31

30Il est à noter que, contrairement aux autres occurrences du substantif « intérêt », où le qualificatif « commun », « particulier » ou « universel » est placé après, suivant la règle habituelle n.+adj., ici Bentham a préféré inverser les deux éléments. Toutefois, cette inversion se trouve également dans certaines collocations françaises. Bentham n’était pas francophone mais son traducteur suisse, Étienne Dumont, l’était. Dans la Correspondence32, ce dernier utilise l’expression « intérêt sinistre », en rétablissant l’ordre usuel. Mais nous sommes ici dans un contexte soit de rédaction en langue étrangère, soit de traduction, et il faudra revenir aux dictionnaires français monolingues pour voir ce qu’ils proposent. Commençons par la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française, 183533.

SINISTRE signifie quelquefois Méchant, pernicieux. Cet homme a des projets sinistres.

SINISTRE adj. des deux genres Malheureux, funeste ; qui cause des malheurs, ou qui en fait craindre. Un événement sinistre. Une aventure sinistre. Un avenir sinistre. Présage sinistre. Sinistre augure. On crut que cela présageait quelque chose de sinistre. Vous considérez cela sous un aspect trop sinistre.

En termes de Chiromancie, Ligne sinistre, Ligne qui présage des malheurs. On disait, dans le même sens, en termes d’Astrologie, L’aspect sinistre des astres.

Avoir la physionomie sinistre, avoir quelque chose de sinistre dans la physionomie, Avoir dans la physionomie quelque chose de sombre et de méchant. On dit aussi, Avoir le regard sinistre.

31Dans la huitième édition (1932-1935), dernière dont nous disposons aujourd’hui, la neuvième étant en cours d’élaboration et s’arrêtant, pour le moment, à « onglette », les changements sont minimes. Pour avoir le sens actuel de l’adjectif il a donc fallu changer de sources. Dans le Petit Robert de 1993, nous retrouvons certaines de ces définitions, auxquelles il serait intéressant d’ajouter celles de « sinistrose », afin de voir l’évolution de la connotation du mot.

Sinistre : adj. v. 1415 ; « contraire, défavorable » XIVe ; senester « gauche » 1080 ; lat. sinister « qui est à gauche ». 1. Qui fait craindre un malheur, une catastrophe. => funeste, mauvais, méchant. Augure, présage sinistre. Sinistres prophéties. 2. LITTER. Malfaisant, dangereux par lui-même. « Les desseins les plus sinistres » (Madelin). – COUR. (intensif) Un sinistre voyou, une sinistre crapule. => sombre. PAR EXT. Un sinistre imbécile. => triste. 3. (Sens affaibli) Triste et ennuyeux. Paysage sinistre. => FAM. glauque.

Sinistrose : n.f. – 1908 ; de sinistre. 1. PSYCHOL. État mental de certains sinistrés ou accidentés qui s’exagèrent leur infirmité et développent des tendances revendicatrices. 2. (Plutôt collectif) Pessimisme excessif, disposition à croire que les événements prendront une tournure défavorable.

32Si, de prime abord, l’adjectif « sinistre » serait une assez bonne traduction, du moins à l’époque de Bentham, on peut quand même se demander s’il permet de retrouver l’ensemble des unités de sens présentes dans l’expression anglaise. Se pose, de plus, le problème de la position de l’adjectif, soit antéposé (sinistre intérêt) soit postposé (intérêt sinistre), et ce que cela évoque pour le lecteur moderne. C’est pourquoi il a été décidé de reprendre les mots qui figurent dans les définitions de « sinistre », ceux employés par les spécialistes de Bentham et de ses disciples, et de les vérifier à leur tour.

Biais, biaisé (Petit Robert, 1993)

adj. et n. m. XIIIe ; a provenç., p.-ê. Du grec. epikarsios « oblique ».

I. Adj. ARCHT. Oblique par rapport à une direction principale.

II. N. m. 1. Ligne, direction oblique. => oblique, obliquité. Le biais d’un mur, d’une voûte. ◊ COUT. Dans un tissu. Sens de la diagonale par rapport au droit fil. Tailler dans le biais. […] 2. L’un des différents côtés (d’un caractère), des différents aspects (d’une chose). => aspect, côté. […] – Moyen détourné, artificieux d’atteindre un but. => détour. 3. STATIST. Fait susceptible de rendre un fait non représentatif.

CONTR. Fil (droit fil).

33Nous trouvons bien le sens de ce qui n’est pas droit, l’idée d’un « moyen détourné » d’atteindre un but, mais le sens du mal n’existe pas.

Déviant, -ante (Académie française, 9e édition, en cours34)

adj. et n. XXe siècle. Participe présent de dévier.

PSYCHOSOCIOL. 1. Adj. Qui constitue un écart par rapport aux normes sociales d’un milieu. Comportement déviant. 2. N. Individu dont la conduite, les opinions sont caractérisées par la déviance.

34La notion de norme est ici trop forte et fait penser plutôt à « déviance » qu’à « déviation » ou à « dévié », participe passé de « dévier ». Ce choix serait, de plus, anachronique.

Dévoyer (Académie française, 6e édition, 1835)

v. a. (Il se conjugue comme Employer.) Détourner de la voie, du chemin. Ce guide l’a dévoyé. On l’emploie aussi avec le pronom personnel. Il ne savait pas le chemin, il s’est dévoyé. En ce sens, il vieillit : on dit mieux, Égarer.

Fig. et fam., Se dévoyer du chemin de la vérité, Quitter le bon chemin, le chemin de la vérité.

Dévoyer un tuyau de cheminée, de descente, etc., Le détourner de la ligne verticale, lorsqu’il rencontre un obstacle.

Dévoyer signifie en outre, Donner le dévoiement. Ces aliments l’ont dévoyé. Ces fruits l’ont dévoyé. Cette boisson lui a dévoyé l’estomac.

Dévoyé, ée. participe Un tuyau dévoyé.

Il s’emploie aussi comme substantif, dans le langage mystique ; et alors il se dit de Ceux qui ne sont pas dans la voie du salut. Ramener les dévoyés.

Dévoyé, ée (Académie française, 9e édition, en cours)

adj. XIIe siècle, au sens de « fou ». Participe passé de dévoyer. Fig. Qui est sorti du droit chemin, qui a été entraîné dans l’erreur, perverti. Un adolescent dévoyé. Subst. Un groupe de dévoyés. Une jeune dévoyée.

Dévoyer v. tr.

(se conjugue comme Broyer). XIIe siècle, desveier. Dérivé de voie.

1. Écarter de la voie, détourner du chemin. Dévoyer la meute. Cet obstacle nous a dévoyés. BÂT. Dévoyer un tuyau de cheminée, de descente, etc., le détourner de la ligne verticale lorsqu’il rencontre un obstacle. 2. Fig. Écarter, détourner du droit chemin, des valeurs morales ; pervertir. Ces camarades, ces lectures l’ont dévoyé.

Dévoyé, ée (Petit Robert, 1993)

adj. et n. XIIe siècle ; de dévoyer

Qui est sorti du droit chemin, s’est dévoyé. Jeune homme dévoyé. N. Un(e) jeune dévoyé(e) : jeune homme, jeune fille qui a commis des actes répréhensibles ( => délinquant).

35Ces trois sources permettent de voir l’évolution de l’emploi de cet adjectif et de voir que, comme pour les autres candidats, si certains sens coïncident avec ce que l’on recherche, d’autres éléments manquent. En effet, la connotation de « dévoyé » est plutôt passive, ce qui reviendrait à dire que ceux qui ont un sinister interest auront été « entraînés dans l’erreur », auront été « pervertis » par d’autres. Or, pour Bentham comme pour Chadwick, le côté sinister est plutôt actif. Enfin, pour ces philosophes, celui dont c’est l’intérêt n’en est pas victime, car il n’agit jamais contre son propre intérêt, tandis que quelqu’un qui « commet un acte répréhensible » peut très bien se faire du mal à lui-même, en se droguant, par exemple.

Funeste (Académie française, 6e édition, 1835)

adj. des deux genres Malheureux, sinistre, qui porte la calamité et la désolation avec soi. Événement funeste. Mort funeste. Voyage funeste. Conseil funeste. Entreprise funeste. Nouvelle funeste. La guerre lui a été funeste. Ce jour m’est bien funeste. Cela peut avoir des suites funestes.

Funeste (Petit Robert, 1993)

adj. XIVe ; lat. funestus

1. VX Qui concerne la mort, cause la mort. => mortel. 2. Qui annonce, fait présager la mort. Funeste pressentiment. 3. (1660) Qui porte avec soi le malheur et la désolation, et PAR EXT. Qui est de nature à entraîner de sérieux maux, de graves dommages. => catastrophique, déplorable, désastreux, lamentable, tragique. Erreurs funestes. Cela peut avoir des suites funestes. => dangereux, grave, néfaste, nuisible, regrettable. […] ◊ FUNESTE À. => fatal. Politique funeste aux intérêts du pays => contraire, nuisible.

36Aussi bien dans les éditions plus récentes du Dictionnaire de l’Académie française que dans le Petit Robert, la notion de « sinistre » a disparu ; par ailleurs, les notions de mort et de catastrophe sont trop présentes.

Néfaste (Académie française, 6e édition, 1835)

adj. des deux genres T. d’Antiq. On distinguait par ce nom, dans le calendrier romain, Les jours consacrés au repos, et où il était défendu par la religion de vaquer aux affaires publiques. Ainsi Jours néfastes est synonyme de Jours défendus.

Il désignait aussi Les jours de fêtes solennelles qui étaient accompagnées de sacrifices ou de spectacles ; et, plus ordinairement, Les jours de deuil et de tristesse destinés à l’inaction et regardés comme funestes, en mémoire de quelque disgrâce éclatante du peuple romain. L’anniversaire de la journée d’Allia et celui de la défaite de Cannes, étaient des jours néfastes.

37Dans la 8e édition, 1932-5, la précision suivante a été ajoutée :

Il signifie aujourd’hui, d’une manière générale, Qui est fatal, funeste, qui est une cause de deuil, de tristesse. Des événements néfastes. Par extension, Jouer un rôle néfaste. Personnage néfaste. Invention néfaste.

38Dans la 9e édition, en cours, une autre modification est intervenue :

Par ext. Dont l’effet ou l’influence est pernicieuse, funeste. Jouer un rôle néfaste. Une idéologie néfaste.

39Enfin, dans le Petit Robert, 1993, ce sont les sens modernes qui nous intéressent :

Jour néfaste. => fatal. – MOD. Qui a ou peut avoir des conséquences malheureuses, fâcheuses. => désastreux, funeste, mauvais. […] Influence néfaste. Néfaste à => nuisible. Cette initiative lui été néfaste. ◊ (PERSONNES) Qui cause ou peut causer quelque dommage. Personnage plus néfaste qu’utile.

40L’un des inconvénients de l’adjectif « néfaste » est le fait que, pour l’une de ses significations, on trouve un antonyme, « faste ». Or, Bentham faisait remarquer que sinister, dans les sens qu’il lui donnait (hors l’héraldique), n’avait pas d’antonyme. De plus, néfaste ne donne aucune indication sur la déviation par rapport au droit chemin. Mais l’inconvénient majeur est que l’adjectif avait été choisi pour traduire d’autres qualificatifs dans le texte de Chadwick, qualificatifs qui, ne figurant pas dans des termes, n’expriment pas de concepts.

Nuisible (Académie française, 6e édition, 1835)

adj. des deux genres Dommageable, qui nuit. Cela est nuisible à vos affaires. Nuisible à la santé, à la vue. Tout excès est nuisible. Détruire les animaux nuisibles.

Nuisible (Petit Robert, 1993)

adj. XIVe ; nuisable 1120 ; de nuire, sous l’infl. du bas lat. nocibilis. Qui nuit (à qqn, à qqch.). => dangereux, défavorable, dommageable, funeste, malfaisant, néfaste, nocif, toxique. Climat nuisible à la santé. => insalubre, malsain. ABSOLT => mauvais. Engins nuisibles. Émanations, gaz nuisibles. => délétère ; nuisance.

41Outre le fait que « nuisible » est souvent associé aux manifestations physiques, il est également déjà utilisé dans le texte de Chadwick dans des unités lexicales qui ne sont pas des termes.

Suspect, ecte (Académie française, 6e édition, 1835)

adj. Qui est soupçonné, ou qui mérite de l’être. Il se dit Des choses et des personnes. Cet homme m’est suspect, me devient suspect. Il m’est suspect en cela. […] Vous êtes suspect de partialité. Un discours suspect d’artifice. Une opinion suspecte d’hérésie. Un contrat suspect de fraude. Une convention suspecte de simonie. Une conduite suspecte. Des mœurs suspectes. Une démarche suspecte.

Lieu, pays suspect de peste, de contagion, ou absolument, Lieu, pays suspect, Lieu, pays qu’on soupçonne être infecté de peste, d’une contagion. Ces marchandises viennent d’un lieu suspect, d’un pays suspect.

Suspect (Petit Robert, 1993)

adj. et n. 1355 ; lat. suspectus, de suspicere « regarder de bas en haut »

2. (CHOSES) Qui éveille les soupçons ; dont la valeur, l’intérêt, la sûreté sont douteux. Témoignage suspect. => douteux. Une voiture suspecte.

42L’adjectif « suspect », bien qu’utilisé par des francophones en discutant des idées de Bentham, ne semble pas vraiment correspondre au qualificatif sinister. Alors que faire ?

43Au vu de tout ce qui précède, il semble impossible de trouver un seul qualificatif qui contienne aussi bien les dénotations que les connotations de sinister, que ce dernier soit associé à interest, à opposition ou à exercise of power. Mais la définition de « nuisible » nous met sur une piste qui n’a pas encore été explorée. Avant de nous y avancer, toutefois, arrêtons-nous un moment devant un paramètre dont il n’a pas encore été question. En effet, nous cherchons à traduire une unité lexicale constituée de deux éléments, association qui peut paraître naturelle et donc acceptée sur la base d’habitudes linguistiques existantes ou, au contraire, peut être inattendue, voire plus ou moins dérangeante ou déroutante pour le lecteur. Dans la mesure où le lecteur francophone (non spécialiste de Bentham) ignore très vraisemblablement l’existence même du concept sinister interest, et puisque ce concept n’apparaît qu’en filigrane d’un texte d’un autre auteur, donc est quasi invisible, ne vaut-il pas mieux que le lecteur, surpris, s’interroge sur le sens de l’expression au lieu de le lire sans se rendre compte qu’il n’a probablement pas compris ?

Délétère (Académie française, 6e édition, 1835)
adj. des deux genres Qui attaque la santé, qui peut causer la mort. Plantes délétères. Sucs délétères. Miasmes, émanations délétères.

Délétère (Académie française, 9e édition, en cours)
adj. XVIe siècle, au sens propre ; XIXe siècle, au sens figuré. Emprunté du grec dêlêtêrios, « nuisible, qui empoisonne », de dêlein, « détruire ».
Qui met en danger la santé, nocif ; qui peut causer la mort. Un gaz délétère. Des miasmes, des émanations délétères. Fig. Des maximes délétères, pernicieuses, capables de corrompre. Des doctrines délétères, dangereuses pour la société. Propagande délétère. L’action délétère d’un individu, son influence néfaste.

Délétère (Petit Robert, 1993)
adj. 1538 ; gr. dêlêtêrios « nuisible »
1. Qui met la santé en danger, la vie en danger. Action délétère d’un produit. COUR. Miasmes délétères. Gaz délétère. => asphyxiant, irrespirable, nocif, toxique. 2. (1863) FIG. et LITTER. Néfaste, nuisible. « une trace du passage de Vintras et de son action délétère sur la paix publique » (Barrès).

Délétère (Wiktionnaire)35
Du grec, dêlêtêrios, « nuisible »
1. (Médecine) Nuisible ou dangereux pour la santé, nocif, qui peut causer la mort. Il arrive donc que dans un milieu clos, et après un certain temps, tout l’oxygène de l’air est remplacé par l’acide carbonique, gaz essentiellement délétère. (De la terre à la lune, Jules Verne, 1865)
2. (Figuré) Nuisible, qui cause du tort. Mais avant de quitter les quatre terrains sur lesquels s’appuie la haute propriété parisienne, ne faut-il pas, après les causes morales dites, déduire les causes physiques, et faire observer une peste, pour ainsi dire sous-jacente, qui constamment agit sur les visages du portier, du boutiquier, de l’ouvrier ; signaler une délétère influence dont la corruption égale celle des administrateurs parisiens qui la laissent complaisamment subsister ! (La fille aux yeux d’or, Honoré de Balzac, 1835).

44Si, à première vue, ce choix peut surprendre, choquer, laisser perplexe, il suffit d’observer l’extension du champ sémantique dans les extraits et citations ci-dessus pour constater que l’adjectif « délétère » ne s’utilise plus uniquement dans un contexte purement scientifique, bien qu’il y prenne sa source, et ceci depuis plus de 170 ans. Balzac (1799-1850), qui écrivait à l’époque de Bentham et de Chadwick, brossait un tableau de la société française qui n’était pas que romanesque et qui se fondait sur l’observation quasi scientifique de ce qui l’entourait, en s’inspirant de la zoologie et de la paléontologie de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire. Bentham, quant à lui, puisait son inspiration dans la mécanique newtonienne et la botanique de Linné. La science jouait ainsi un rôle plus ou moins explicite dans l’analyse que faisaient Balzac et Bentham de la société et de son organisation, même si leurs objectifs n’étaient pas du tout les mêmes.

45De nos jours, l’adjectif « délétère », dont la connotation est aussi négative que celle de sinister en anglais, est employé pour parler d’agissements dans différents domaines et milieux : sportif, juridico-judiciaire, financier, professionnel, politique… Dans tous les cas, il est question de l’intérêt d’une minorité qui va à l’encontre de l’intérêt général, celui du sport, de la justice, de la population, des contribuables, de la démocratie. Une recherche sur google en juillet 2006 a donné les unités lexicales suivantes, qui contiennent toutes le qualificatif « délétère » ; à titre d’exemple, pour « climat délétère » 45 600 sites étaient indiqués.

ambiance ; ambiance politique ; atmosphère ; atmosphère politique ; climat ; climat moral ; climat moral et politique ; climat politique ; climat socio-politique ; contexte ; contexte politique ; défense ; environnement ; environnement socio-politique ; état ; état politique ; intérêt ; milieu ; milieu politique ; politique ; situation ; situation sociale et politique ; situation socio-politique ; système

46Une fois le mot « délétère » adopté, il a fallu le tester, dans le contexte qui nous intéresse, celui du terme sinister interest. Cela s’est fait en discutant avec des francophones qui ne sont des spécialistes ni de Bentham, Mill ou Chadwick, ni de la traduction. La première question était de savoir ce que le mot « délétère » évoquait pour eux, hors contexte. Les réponses étaient plus ou moins détaillées, les définitions proposées plus ou moins précises et justes, mais il en ressortait que l’adjectif est connoté négativement. Les deux grands domaines, scientifiques et socio-politiques, étaient mentionnés, soit spontanément, soit lorsqu’il leur a été demandé de donner des exemples. L’autre grande question était de voir comment ils réagissaient à l’association des deux éléments « intérêt » et « délétère ». Plusieurs n’aimaient pas du tout ce choix mais se sont laissés convaincre, faute de mieux. D’autres ont trouvé que l’effet de surprise, l’impression d’étrangeté les obligeait à creuser le concept, les interpellait, en quelque sorte, un peu comme le concept de sinister interest a dû le faire il y a deux cents ans.

47Les traducteurs de Bentham, et par conséquent ceux de Chadwick, ne seront peut-être pas d’accord avec le choix de « délétère » comme équivalent de sinister dans l’unité lexicale sinister interest. Les spécialistes francophones de Bentham, non plus. Je leur répondrais qu’il s’agit ici de traduire non pas l’œuvre complète de l’un ou de l’autre mais un document dans lequel figure le concept qui, sans en constituer l’objet principal, reste néanmoins essentiel à la pensée générale de son auteur.

  • 36  « des oppositions ignorantes, intéressées et malveillantes ».
  • 37  « l’exercice intéressé du pouvoir des grands négociants ».

48Revenons, pour terminer, aux différents choix que doit faire le traducteur. Le premier concerne la fidélité de la traduction, question récurrente pour qui tente de transmettre aussi bien la forme que le fond. Si l’on se trouve dans l’impossibilité de respecter les deux, lequel faut-il privilégier, la langue de l’auteur ou l’esprit ? Peut-on faire des choix différents selon la situation ? Le mot sinister est un bon exemple de cette problématique. Chaque fois qu’il qualifie le substantif interest, il a été traduit par « délétère », mais on le trouve aussi, chez Chadwick, dans deux autres contextes : ignorant, sinister and malignant oppositions36 et the sinister exercise of the power of large dealers37. Dans les deux cas l’adjectif a été traduit par « intéressé », qui reflète bien l’esprit de l’auteur et, de plus, reprend l’autre élément du terme sinister interest. Dans aucun des contextes il n’a été traduit par « sinistre ». Par ailleurs, interested et disinterested ont systématiquement été traduits par « intéressé » et « désintéressé ».

49La deuxième alternative, si tant est que l’on puisse en parler ainsi plutôt que d’un continuum dont les deux extrémités sont plus clairement démarquées, est celle de la dichotomie entre langue source et langue cible. Faut-il chercher à rappeler la langue (et la culture) du texte d’origine ou chercher à adapter la traduction au nouveau lecteur, pour qu’il croie que le texte fût rédigé dans sa propre langue ? Cette question, comme la première, se complique dans le cas de Bentham et de ses disciples par le choix à faire entre un style plus ancien, qui reflète celui de l’auteur, et un style moderne, moins déroutant pour le lecteur actuel.

50Enfin, devant la difficulté de traduire un concept qui n’existe pas dans la langue et la culture d’arrivée, le traducteur peut hésiter entre une expression « naturelle », qui passe pour ainsi dire inaperçue, et un terme déroutant, justement, pour attirer l’attention du lecteur. Le débat reste ouvert.

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Notes

1  Étienne Dumont, contemporain de Bentham dont il traduisait et publiait en français les écrits même inachevés, voire en état de brouillon, disait ceci : « Mon travail, d’un genre subalterne, n’a porté que sur des détails. Il fallait faire un choix parmi un grand nombre de variantes, supprimer les répétitions, éclaircir des parties obscures, rapprocher tout ce qui appartenait au même sujet, et remplir les lacunes que l’auteur avait laissées pour ne pas ralentir sa composition. J’ai eu plus à retrancher qu’à ajouter, plus à abréger qu’à étendre. La masse de manuscrits qui ont passé entre mes mains, et que j’ai eu à déchiffrer et à comparer, est considérable. J’ai eu beaucoup à faire pour l’uniformité du style et la correction, rien ou très peu de choses pour le fond des idées » in « Discours préliminaire » aux Traités de législation civile et pénale, Paris, Bossange, Masson et Besson, 1802, T. 1, p. vii.

2 Results of Different Principles of Legislation and Administration in Europe ; of Competition for the Field, as compared with Competition within the Field, of Service. Read before the Statistical Society of London, 18th January 1859.

3  Dès 1775, Edmund Burke (1729-1797) en parlait : « It is besides an effect of vulgar and puerile malignity to imagine, that every Statesman is of course corrupt ; and that his opinion, upon every constitutional point, is solely formed upon some sinister interest. » Select Works of Edmund Burke, and Miscellaneous Writings, vol. 1 Thought on the Cause of the Present Discontent, § 1.1.134.

4  Je tiens à remercier ici les chercheurs du Centre Bentham de l’Université Paris X, Nanterre et, plus particulièrement, Anne Brunon-Ernst, avec qui j’ai eu plusieurs échanges extrêmement fructueux sur les problèmes de traduction de l’œuvre de Bentham.

5  http://www.la.utexas.edu/labyrinth/springs/springs-obs.s05.html/ Version numérisée du premier tome de l’édition de Bowring des œuvres de Bentham, 1843.

6  §5.Proper Subjects of the Attributives Good and Bad, are Consequences, Intentions, Acts, Habits, Dispositions, Inclinations, and Propensities ; so of the Attributives Virtuous and Vitious, except Consequences : how as to Interests and Desires.

7  Père de John Stuart Mill (1806-1873).

8  Mill, James, « Essay on Government » in The Encyclopedia Britannica, 1820, numérotation des paragraphes selon la version en ligne http://www.mdx.ac.uk/www/study/xmilgov.htm.

9  Yolton John, The Dictionary of Eighteenth-Century British Philosophers, Thoemmes Press, 1999, http://www.thoemmes.com/encyclopedia/bentham.htm.

10  Burns, J. H., Professeur émérite d’histoire, University College London, Jeremy Bentham : An Iliad of Argument, http://www.ucl.ac.uk/Bentham-Project/journal/nlburns.htm.

11  Ibid.

12  Engelmann, University of Illinois at Chicago, Political Theory Workshop, date non indiquée. Site consulté le 6 juillet 2006. http://0-ptw-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/engelmann00.pdf.

13  C. Laval, Revue d’études benthamiennes n° 1, 2006, p. 25-44.

14  Dans les citations de Laval, les italiques sont ajoutés par moi, sauf indication contraire.

15  C. Laval, op. cit., p. 25.

16 Ibid., p. 29.

17 Ibid., p. 28-29.

18  C. Laval, op. cit., p. 29.

19  Ibid., p. 31.

20  Ibid., p. 32.

21  Œuvres de Bentham, p. 206 cité dans C. Laval, op. cit., p. 35.

22  Bentham, Philosophe de l’utilité, Paris : Ellipses, 2006, p. 146-150. Les références correspondent à l’édition de Bowring, 1843. Dans toutes les citations, les italiques sont ceux de Cléro.

23  Cléro, op. cit., p. 146.

24 Ibid., p. 147.

25 Ibid., p. 148.

26  Ibid., p. 148-149.

27  5e édition, 2002. LME = late Middle English, E = early, M = mid, L = late.

28 http://0-machaut-uchicago-edu.catalogue.libraries.london.ac.uk/ ?resource =Webster %27s&word =sinister&use1913 =on&use1828 =on

Les exemples ne sont pas repris ici.

29  http://dictionary.cambridge.org, consulté le 9 juillet 2006.

30  Je tiens à remercier Emmanuelle de Champs, du Centre Bentham, pour cette citation de sa thèse L’écriture constitutionnelle. Constitution et réforme dans la pensée politique de Jeremy Bentham, Université Paris III, 2004, p. 234. Cette thèse est à paraître sous le titre La formation d’un démocrate anglais : Jeremy Bentham 1748-1832, aux éditions Droz.

31  J. Bentham à José Joaquin de Mora, 26 septembre 1820, The Correspondence of Jeremy Bentham, vol. 10, p. 97.

32  T. 1, p. 86, information fournie par Emmanuelle de Champs.

33  http://dictionnaires.atilf.fr/dictionnaires/ACADEMIE/SIXIEME/search.form.fr.html.

34  http://atilf.atilf.fr/academie9.htm. Le mot « déviant » ne figure pas dans les éditions antérieures.

35  http://fr.wiktionary.org/wiki/Wiktionnaire. Dernière modification de la page le 27 juin 2006. Site consulté le 12 juillet 2006.

36  « des oppositions ignorantes, intéressées et malveillantes ».

37  « l’exercice intéressé du pouvoir des grands négociants ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rosalind Greenstein, « Sinister Interest – quelques problèmes de traduction »Revue d’études benthamiennes [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 01 mars 2007, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/131 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.131

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