In Memoriam (1) : David Lieberman
Notes de la rédaction
La communauté benthamienne a été endeuillée par le décès le 12 septembre 2022 d’une grande figure intellectuelle: le Professeur David Lieberman. A son tour, la Revue d’études benthamiennes souhaite rendre un modeste hommage à un universitaire exceptionnel.
Texte intégral
- 1 Lieberman, D. (2014). Bentham's Jurisprudence and Democratic Theory: An Alternative to Hart's Appro (...)
- 2 Lieberman, D. (2022). Bentham, Courts, and Democracy. In P. Schofield & X. Zhai (Eds.), Bentham on (...)
1Ma première rencontre avec David Lieberman date de 2014. A l’initiative de mon co-directeur de thèse Malik Bozzo-Rey, David Lieberman avait été invité à participer à mon comité de suivi de thèse. Il avait lu les quelques pages présentant les avancées de mes recherches et sa participation à ce comité comme ses commentaires avaient été très soutenant et généreux. La suite de ma recherche doctorale a largement été nourrie par ses travaux et n’ont pas cessé de l’être depuis. La grande force et l'originalité de David a été l'inflexion qu'il a porté à la division entre ce qui relève de la philosophie politique et de la philosophie du droit chez Bentham.1 Il développe une interprétation ‘politique’ de la philosophie de Bentham en se concentrant sur l’idéal de codification et il voit dans ce thème et cet objet ce qui orchestre la continuité des écrits de Bentham des années 1780 à ceux de 1832. Avec cette interprétation, David Lieberman marquait ses distances avec la lecture si importante de H.L.A Hart de Bentham et du positivisme classique en philosophie du droit. L'originalité et la force de son interprétation étant de dire que le concept de souveraineté – souvent compris comme le concept marquant la philosophie politique moderne – n’est adéquatement compris chez Bentham que dans sa dynamique relationnelle et sa vocation politique. Loin d’une compréhension 'essentialiste' de la souveraineté, c'est par ses embranchements multiples que sont la procédure juridique, la publicité, les règles institutionnelles juridiques et morales qu'alors la souveraineté chez Bentham apparaît comme étant fondamentalement relationnelle. Cette idée bouleverse quelque peu la ‘classique’ division des tâches qui comprend d’un côté, la philosophie politique et la question centrale du régime et de la souveraineté, et de l’autre, la philosophie du droit et les questions portant sur les normes juridiques (ontologie, épistémologie, fondement). Il avait poursuivi cette ligne interprétative dans d’autres textes, notamment en 2018 lors du Congrès de l’International Society for the Utilitarian Studies (Karlsruhe, Allemagne). Lors d’un panel dévoué à la théorie du droit benthamienne, il avait présenté un travail remarquable conduisant à réinterroger le statut de l’égalité dans la démocratie benthamienne au prisme d’une analyse du système judiciaire et du rôle des tribunaux pensés par Bentham dans le volume III du Code Constitutionnel.2 Cette analyse ouvre de nouvelles questions sur le statut accordé à l’égalité dans la théorie démocratique benthamienne. Le tournant interprétatif pris par David Lieberman éclaire aussi la distance critique que Bentham a toujours porté à l'égard du ‘régime mixte’ et des arguments républicains (T. Paine notamment). C’est notamment ce que David Liberman avait tenté d’expliquer lors de sa conférence plénière lors du colloque ‘The Making of the Modern International Realm: political economy and international political theory from Hobbes to Bentham’ organisé en ligne en avril 2021 à ESPOL (Lille) avec mon collègue Dr. Mikko Jakonen. Contrairement à l’architecture juridique et politique de la démocratie benthamienne, le ‘régime mixte’ ne permet pas d’assurer l’incorruptibilité des fonctionnaires et de la démocratie. David Lieberman avait répondu avec l’humilité et la générosité qui le caractérisait aux questions que plusieurs participants lui avaient posées. Reconnaissant que ses propres limites à répondre aux questions témoignaient du fait que son travail sur la théorie démocratique benthamienne n’était pas terminé, son enthousiasme et sa passion à discuter la philosophie juridique et politique moderne et celle de Bentham en particulier était insatiable.
Notes
1 Lieberman, D. (2014). Bentham's Jurisprudence and Democratic Theory: An Alternative to Hart's Approach. In X. Zhai & M. Quinn (Eds.), Bentham's Theory of Law and Public Opinion (pp. 119-142). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/CBO9781107325371.006
2 Lieberman, D. (2022). Bentham, Courts, and Democracy. In P. Schofield & X. Zhai (Eds.), Bentham on Democracy, Courts, and Codification (pp. 258-284). Cambridge: Cambridge University Press. doi:10.1017/9781009031745.014
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Référence électronique
Benjamin Bourcier, « In Memoriam (1) : David Lieberman », Revue d’études benthamiennes [En ligne], 23 | 2023, mis en ligne le 20 janvier 2023, consulté le 25 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/etudes-benthamiennes/10801 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/etudes-benthamiennes.10801
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