The Garland Encyclopedia of World Music
The Garland Encyclopedia of World Music, New York and London: Garland Publishing, Inc., 1998-2004, 10 vol.
Texte intégral
1Depuis le siècle des Lumières, les successeurs de Diderot et d’Alembert sont légion qui tentent régulièrement de faire état, le plus exhaustivement possible, de l’ensemble des connaissances du moment. Jusque là, c’est sous forme de dictionnaire qu’il avait été envisagé de traiter d’un domaine particulier. Les premiers dictionnaires de musique européens réunissent exclusivement des termes techniques comme le Terminorum musicae diffinitorium de J. Tinctoris (circa 1475, rééd. Paris 1876, 1951). Dans cette veine, paraissent au XVIIIe siècle les Janowka, Grassineau, de Brossart, Rousseau, Hoyle, Sulzer et Koch respectivement à Prague, Londres, Paris, Leipzig et Francfort-sur-Main. En 1790, la voie des dictionnaires biographiques est ouverte par Gerber, qui publie à Leipzig son Historisch-biographisches Lexikon der Tonkünstler. Mais dans un cas comme dans l’autre il n’est traité que des musiques écrites occidentales du domaine savant. Lorsqu’il est fait allusion aux musiques populaires et aux rares descriptions de musiques «non occidentales», c’est dans l’idée d’en tirer matière à comparaison et à explication d’ordre évolutionniste. C’est pourquoi l’entreprise encyclopédique des philosophes du XVIIIe siècle bouscule, par sa conception, les idées reçues. Le fait d’envisager réunir la somme, et non une partie, des savoirs sous toutes leurs formes oblige les auteurs à prendre en compte d’autres cultures, d’autres traditions musicales. Si l’ouverture reste encore timide chez Walther (Musikalisches Lexicon. Leipzig, 1732), elle s’affirme dans les encyclopédies musicales qui le suivent.
2Avec l’avancée des sciences au XIXe siècle, les encyclopédistes circonscrivent leurs travaux à des domaines de plus en plus spécialisés. L’œuvre n’est plus celle d’un seul érudit. Pour chaque question, il est fait appel aux meilleurs spécialistes. Les musicologues allemands produisent une importante quantité de travaux, regroupés dans des ouvrages au nombre de volume croissant: Schilling, Schladebach & Bernsdorf, Mendel, Riemann. A Londres, le premier Grove paraît en 1878. Il compte alors quatre volumes. Un siècle plus tard, il dépasse la vingtaine. Français et Italiens rattrapent leur retard avec les encyclopédies Lavignac & de La Laurencie (1913-22) et Della Corte & Gatti (1926). On sait le rôle joué par les articles consacrés à l’Inde, par exemple, sur la création musicale française de la première moitié du XXe siècle. Le monumental Musik in Geschichte und Gegenwart (1949) ouvre ses colonnes aux musiques du monde, s’appuyant principalement sur les travaux de l’école de Berlin.
3Le ton avec lequel les musiques du monde sont parfois traitées dans ces encyclopédies européennes prête aujourd’hui à sourire, voire à s’indigner. Une place suffisante leur est pourtant réservée pour que soit marqué officiellement leur acte de naissance dans la recherche musicologique. Cette reconnaissance, encore empreinte de l’ethnocentrisme ambiant de l’époque coloniale, marque un premier pas dans la conquête d’un espace scientifique et prépare l’opinion internationale.
4Cependant, l’étude des musiques populaires et savantes de tradition orale, l’organologie, l’improvisation, les polyphonies non écrites, la rythmique, les échelles, les systèmes musicaux, les structures formelles, la transe, la magie, l’enquête de terrain, musique et société, musique et pouvoirs, musique et religions, les systèmes de représentation, etc., en un mot l’ensemble des champs de recherche couverts par l’ethnomusicologie actuelle, ne font l’objet que de rares tentatives d’inventaires. Alors que le projet des pères de l’ethnomusicologie caressait l’utopie d’une mise en ordre du désordre apparent des musiques autres qu’occidentales savantes, la réflexion semble porter à présent sur une modeste observation des faits, une description précise et méthodique certes, mais une interprétation prudente. La recherche d’universaux continue d’animer la plupart des chercheurs, mais la conscience de la pluralité domine très largement. Les monographies, de plus en plus détaillées, qui plongent le lecteur dans des entités humaines de dimensions réduites au village, au quartier, à la famille, voire à l’individu, nous éloignent sensiblement des grandes perspectives théoriques d’antan. Dans ce contexte, il n’est pas simple pour les ethomusicologues généralistes, dont je revendique avec d’autres la spécialité, de rester informés. Au développement du morcellement des travaux s’ajoute l’élargissement de l’éventail des champs de recherche. De plus, l’écart temporel a tendance à se creuser entre les recherches pointues et leur diffusion en dehors des cercles de spécialistes, ce qui risque de rendre caduques des réflexions déjà contredites par d’autres à l’heure de leur lecture.
5Il paraît donc légitime de proposer de temps à autre un panorama de l’avancée des connaissances. Les Américains sont assez habitués à ce genre de synthèses, d’ordinaire destinées au grand public. Ces guides de world music, écrits à la va vite, et soumis à des contraintes plus commerciales que scientifiques, vont du meilleur au pire. Quand bien même ils sont de la plume d’auteurs connus pour le sérieux de leurs recherches, les erreurs et contre-vérités n’en sont pas toujours absentes. Comment pourrait-il en être autrement? Survoler les sons de la planète à une vitesse supersonique ne donne qu’une déflagration de plus!
6Les ouvrages pédagogiques me paraissent d’une bien meilleure qualité. Le chercheur européen peut toujours critiquer la façon simpliste avec laquelle les musiques non occidentales y sont abordées, qui dénote d’une touchante naïveté de la population estudiantine nord-américaine (en particulier les under-graduated), mais, pour avoir quelque peu enseigné de part et d’autre de l’Atlantique, je puis témoigner de la nécessité et de l’efficacité de ces méthodes didactiques. N’était un lectorat restreint dans le domaine francophone, nous aurions le même genre d’ouvrage, ce qui faciliterait d’ailleurs grandement l’enseignement et ouvrirait ses portes à un public plus large.
7C’est dire la signification que prend la publication, au tournant du XXIe siècle, d’une encyclopédie couvrant les musiques de tous les peuples du monde. Signification scientifique, qui souligne les avancées de l’ethnomusicologie mondiale, et plus particulièrement anglo-saxonne, dans le monde de la recherche. Signification politique, puisque preuve est faite au grand jour de l’unité de l’homme à travers cet universel qu’est la pratique musicale, mais aussi de l’infinie diversité des cultures, qui rend caduque toute tentative de hiérarchisation. La matière semble, en effet, inépuisable. Cinquante ans après l’invention du mot ethnomusicologie, le besoin d’ouvrages de référence donnant un tour d’horizon assez complet des «musiques du monde» se faisait de plus en plus sentir. L’Encyclopédie Garland tombe à pic. Cet vaste projet prit naissance en 1988, et l’éditeur se donna dix années pour le mener à bien. L’ambition est donc clairement affichée dès le départ de couvrir toute la planète, tous les continents, toutes les cultures. Plutôt que de suivre un ordre alphabétique, l’équipe de rédaction opta pour une approche géographique proposant une division en neuf grandes régions. Le découpage, plus physique que culturel, résulte d’un choix guidé par un besoin de clarté. Il a l’avantage de parer aux attaques de spécialistes, souvent campés sur leurs positions lorsqu’il s’agit de définir les grandes aires culturelles. D’autant que les distinctions historiques, religieuses, sociales et économiques tendent à se modifier sensiblement au cours du XXe siècle. Un volume 10 présentera les musiques du monde dans leur ensemble, en insistant sur des perspectives générales et en donnant des outils de référence. Sont prévus:
1. L’Afrique (851 p.).
2. L’Amérique du Sud, le Mexique, l’Amérique centrale, les Caraïbes (1082 p.).
3. Les Etats-Unis, le Canada.
4. L’Asie du Sud-Est (1024 p.).
5. L’Asie du Sud: le sous-continent indien.
6. Le Moyen Orient (Middle East).
7. L’Extrême Orient: Chine, Corée, Japon.
8. L’Europe.
9. L’Australie et les îles du Pacifique (1088 p.).
8A propos du volume 6, la terminologie française reste floue. Pour certains, le Moyen-Orient comprend l’Egypte et les Etats d’Asie occidentale. Pour d’autres, elle englobe à l’ouest la Libye, recouvrant partiellement ce qui est aussi désigné sous le nom de Proche-Orient, et à l’est l’Afghanistan et le Pakistan. Ces discussions géographiques mises à part, l’encyclopédie Garland est digne de notre plus grande attention, et ce à plus d’un titre. Le programme d’édition n’est pas achevé, mais plusieurs volumes sont déjà parus (1, 2, 4, 9). Ils suivent tous une organisation interne similaire, privilégiant l’approche pluridisciplinaire. Aux côtés d’ethnomusicologues reconnus, sont conviés des anthropologues, linguistes, ethnologues de la danse, historiens, folkloristes, spécialistes de littérature mais également, ce qui dénote d’une belle clairvoyance, compositeurs et interprètes musiciens. Chacune des neuf grandes régions est abordée sous trois angles différents et complémentaires.
I. Une introduction générale aux cultures, musiques et travaux les concernant.
II. Les principales problématiques que soulèvent les musiques de ces régions.
III. Des études de cas.
9Les coordinateurs de chaque volume déterminent eux-mêmes les proportions de ces trois parties en fonction de la nature des régions présentées. Un bon appareil documentaire complète le tout: glossaires, bibliographies régionales, discographie, filmographie, index géographique et thématique. Illustrations noir et blanc (souvent inédites), cartes, notations musicales, schémas et références viennent enrichir les trois grandes sections, qui se présentent chacune comme une succession d’articles de longueurs variables (entre 10 et 40 pages). Si bien que le lecteur se familiarise assez vite avec ce principe éditorial, retrouvant sans peine l’information recherchée. D’aucuns trouveront toujours à ergoter sur les références, mais en cherchant bien, on finit par trouver l’auteur ou l’article auquel on tient, et qui semblait avoir été oublié dans telle ou telle rubrique. La présentation aérée (pas de note en bas de page, texte sur une colonne occupant seulement 2/3 de page, typographie simple et claire) en rendent la lecture facile et agréable. L’anglais me paraît très accessible dans la mesure où les styles de chaque auteur, bien que personnels, utilisent un ton didactique privilégiant la clarté. Evitant, autant que faire se peut, tout jargon et néologisme, les articles sont rythmés de nombreux sous-titres. C’est peut-être regrettable pour les amateurs de belles lettres, mais très efficace dans l’accès à la connaissance. Un CD encarté présente une sélection de pièces qui se veulent représentatives de l’ensemble de la région. C’est mieux que rien, mais c’est bien peu quand on sait que les musiques du monde, tous genres confondus, comptent près de 80000 titres sur le marché et que les médiathèques regorgent d’enregistrements inédits. Ici, le noyau éditorial réuni autour de l’Indiana University, à Bloomington, Indiana, fait largement appel au riche fonds des Archives of Traditionnal Music de cette très prestigieuse université.
10Examinons rapidement les deux premières livraisons. D’emblée on regrette l’absence de note biographique sur les auteurs, quelles que soient leur réputation et leur carrière. Silence total dans le volume 1, et simple liste alphabétique avec indication des laboratoires de rattachement dans le volume 2. Excès de pudeur ou volonté d’atténuer l’omniprésence américaine (31 auteurs sur 48 dans le volume 2)? Tout comme les publications françaises d’ethnomusicologie d’envergure internationale relèvent, pour leur grande majorité, de l’équipe du Musée de l’Homme à Paris, il paraît naturel qu’une encyclopédie américaine fasse plutôt appel aux chercheurs américains. D’autant que les compétences ne manquent pas. Dans le volume 1, dirigé par Ruth M. Stone, il faut donc compter avec une majorité d’articles traitant de cultures musicales pratiquées dans les pays d’Afrique sous ancienne influence anglaise.
11Quelques surprises nous attendent pourtant. La carte recouvre la totalité du continent africain (jusqu’à la Méditerranée et la Mer Rouge), incluant Madagascar, mais oubliant les îles du Cap Vert. Mais surtout, le tracé rigoureux des frontières étatiques ne laisse pas de nous étonner, donnant fidèlement l’emplacement des capitales et négligeant toute indication de relief et de cours d’eau. On ne sait pourquoi le Togo est en gris, laissant penser qu’il s’agit d’un fjord ou d’un grand lac. «Par son étendue géographique et ses diversités régionales l’Afrique est stupéfiante. De par son riche héritage culturel nous assistons aujourd’hui à une vitalité extraordinaire de son expression artistique», nous est-il indiqué en guise de légende. Dans une encyclopédie de cette envergure on pouvait s’attendre à plus qu’une simple carte politique comme on en trouve dans tous les agendas de poche. Différentes approches, moins vides de sens eussent été possibles (linguistique, ethnique, religieuse, climatique). Elles n’étaient pas sans risque et nos encyclopédistes misent probablement sur une stabilité politique au XXIe siècle, tout en ménageant avec diplomatie les susceptibilités gouvernementales. Tout bien pensé, cette approche prudente se calque sur d’autres modèles comme l’Europe, guère plus stable depuis peu. Il semble pourtant admis de parler désormais de la France, de l’Italie, de l’Espagne ou de la Grande-Bretagne alors que chacun est conscient de l’existence de minorités vigoureuses: galloises, basques, siciliennes, bretonnes, catalanes ou corses.
12La première partie de l’ouvrage donne un inventaire assez exhaustif de l’histoire des recherches sur les musiques en Afrique. Quelques citations d’administrateurs, d’explorateurs et de missionnaires permettent de mesurer l’importance du colonialisme, tout en nuançant ses effets. L’évolution du regard exogène, des centres d’intérêt, des méthodes d’investigation et des résultats obtenus ne me semble pourtant pas apparaître franchement, bien qu’il soit fait état de la prise en main progressive du patrimoine africain par les Africains eux-mêmes. Gageons que les scientifiques africains prennent une part plus active aux travaux de haut niveau à l’avenir, et félicitons l’équipe de rédaction d’avoir déjà donné la parole à plusieurs musiciens et musicologues africains dans ce premier volume.
13Les «inventaires détaillés de cultures musicales», de la troisième partie, n’apportent, eux, que d’épars éléments de réponse aux questions de géographie humaine. Ils offrent un aperçu des réalités, privilégiant quelques aspects, certes bien présentés, mais franchement réducteurs. A vouloir traiter du continent le plus visité par les ethnomusicologues, on s’expose à des impasses. L’Afrique du Nord (comprenant ici les pays au nord d’une ligne Mauritanie-Soudan) n’a droit qu’à deux articles, au demeurant intéressants, mais franchement insuffisants. Artur Simon nous présente la musique du plus grand pays africain, le Soudan, en s’attardant notamment sur la musique instrumentale (accord des lyres, ensembles de trompettes waza). Caroline Card Wendt expose quelques éléments des musiques touarègues, insistant assez longuement sur la vièle monocorde anzad et le tambour tende, donnant transcriptions et analyses. C’est tout. L’introduction à cette région d’Afrique compense en partie cette faiblesse en donnant des indications générales et de bonnes références bibliographiques. Le lecteur reste cependant sur sa faim. Deux pages sur la musique arabo-andalouse, quelques lignes sur le raï, on cherche en vain l’évocation de la chanson égyptienne. Tout cela ne dépasse pas le bon article de dictionnaire et semble faire peu de cas des quelque cent millions d’habitants concernés. Les deux exemples sonores enregistrés à Tamanrasset (Algérie) et Agadez (Niger) en 1976 et 1977 ne peuvent refléter qu’une faible partie de ces univers musicaux, et le néophyte qui souhaite se faire une idée plus précise de ces cultures en sera pour ses frais.
14L’Afrique de l’Ouest est un peu mieux servie. A une bonne introduction générale de Jacqueline Cogdell DjeDje succèdent des présentations des traditions Yoruba, Haussa et des descendants de l’empire malien. Laura Arntson livre un très solide article faisant une sorte de synthèse des traditions mandingues de chants épiques et surtout de prières chantées. Bien que son terrain d’observation se situe au nord du Sierra Leone, il permet de couvrir une part très importante des cultures musicales communes aux peuples Malinké, Bambara, Soninké, Dioula, et autres héritiers de ce vaste empire qui domina la région du XIIe au XIXe siècle.
15L’Afrique Centrale (Guinée équatoriale, Gabon, Congo, nord-Angola, nord-Zambie, République Démocratique du Congo et République Centrafricaine) n’a droit qu’à une seule étude de cas, précédée, comme toujours, d’une présentation générale bien faite, de Gerhard Kubik, qui, cette fois, tient compte des zones linguistiques. L’essai de Michelle Kisliuk sur la vie musicale en République Centrafricaine oppose, intelligemment en non sans humour, les bruits de la ville (le zoleka) à ceux de la forêt équatoriale chez les Pygmées Baka. Belle leçon d’humilité de l’ethnomusicologue trop souvent tenté d’enfermer ses objets d’étude dans «une boîte culturelle intemporelle» (sic).
16Nous pourrions passer en revue les autres régions d’Afrique, en clamant notre insatisfaction de ne pas y trouver tout ce à quoi nous pensions avoir droit. Procès facile et d’un autre âge. Car petit à petit le lecteur mesure les enjeux d’un tel projet éditorial. Plutôt que de rechercher l’exhaustivité, l’équipe de rédaction semble avoir opté pour des séquences denses, insistant sur des questions représentatives d’un lieu, d’une époque et d’un groupe humain mais qui, avec un minimum de précautions, peuvent assez souvent se transposer ailleurs. Inutile d’insister: le point fort de cette encyclopédie ne réside pas dans son aspect «encyclopédique», objectif d’ailleurs impossible à atteindre, vu l’énorme documentation accumulée depuis un siècle sur l’ensemble des musiques du monde. Il tient dans la sélection subtile de sujets abordés en profondeur et dans la livraison d’études thématiques inédites (mis à part l’article de Ruth M. Stone, déjà paru en 1988).
17Beaucoup plus passionnants m’ont paru les articles de fond, et non plus descriptifs, de la deuxième section, véritable ossature de l’ouvrage. Y sont traitées avec minutie et lucidité des questions essentielles comme l’identité (Barbara L. Hampton), tradition orale et notation (Kay Kaufman Shelemay), le timbre (Cornelia Fales), les procédés de composition (Atta Annan Mensah), la création contemporaine (Johnson Akuma-Kalu Njoku), le rapport théorie/techniques (Simha Arom & Frédéric Voisin), les pratiques de guérison chez les Tumbuka du nord-est Malawi (Steven Friedson), la danse dans la vie communautaire (Patience A. Kwakwa), les courants africains d’influences internes (Gerhard Kubik), l’islam au Libéria (Lester P. Monts), la guitare en Afrique (Andrew L. Kaye), les «mariniers» Kru et les émigrants de la côte ouest africaine (Cynthia Schmidt), l’influence latino-américaine au Zaïre (Kazadi wa Mukuna), les échanges ville-campagne chez les Anlo-Ewe (Daniel Avorgbedor), les échanges exo-indogènes chez les Yoruba (Christopher Brooks), la musique populaire en Afrique (Angela Impey).
18Au bout du compte, ces approches thématiques, conçues comme des communications majeures, traitées en profondeur avec tout le soin nécessaire, me paraissent mieux refléter la diversité des réalités africaines, qu’une énumération fastidieuse de monographies dont on ne verrait jamais le bout. Les éditeurs peuvent se féliciter, par exemple, d’avoir intégré dans leur champ de recherche les musiques urbaines (chimurenga, fuji, highlife, juju, kwela, makossa, rumba zaïroise, et autres soukouss), domaines trop délaissés, à mon sens, par les ethnomusicologues francophones.
19La diversité de ces approches est renforcée par celle des auteurs, «meilleurs spécialistes», nous dit-on, originaires d’Asie, Afrique, Europe et Etats-Unis. Tous firent des terrains en Afrique, expérimentant l’observation participante. Leurs remarques résultent d’échanges avec des musiciens, avec des spécialistes de rituels et avec les auditoires. Ils donnent parfois la parole aux informateurs dans des citations. Certaines réflexions convergent, d’autres se contredisent, apportant chacune leur part à cette notion de cercle d’apprentissage (circle of learning) chère à l’Oxford English Dictionary, quand il s’agit de donner une définition au mot encyclopédie et qui semble avoir servi de fil conducteur dans la mise en place de cet édifice.
20Dirigé par Dale A. Olsen et Daniel E. Sheehy, qui livrent chacun plusieurs articles, le volume 2 sur l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale et les Caraïbes se présente assez différemment. La première partie, très courte mais sans doute suffisante, joue le rôle d’une introduction synthétique: description générale (géographique, démographique et culturelle) de trois pages et présentation en vingt pages des sources (archéologiques, iconographiques, mythologiques, historiques, ethnographiques). La deuxième partie compte onze articles, non pas d’analyses musicales, mais qui mettent cette fois l’accent sur les contextes sociaux dans lesquels évoluent toutes ces musiques. Le terrain impose très nettement ses objets et, bien que les musiques restent au cœur de ces travaux, d’autres dimensions retiennent ici l’essentiel de l’attention des chercheurs. Dans une sorte de profession de foi, les auteurs annoncent (p. 27): «La musique n’existe pas en dehors d’un contexte social. Même la musique enregistrée «ex situ», comme dans un studio, est partie prenante d’une situation de studio. De même, toute musique est impliquée dans des questions sociales, religieuses ou économiques, et un processus quelconque est toujours en cours. Ce sont souvent des phénomènes complexes exigeant, pour être compris, des analyses approfondies. Les instruments, par exemple, ne résonnent pas d’eux-mêmes, mais sont liés au comportement culturel. [...] Les Amériques sont diverses pour plusieurs raisons, notamment parce qu’elles sont largement peuplées par des émigrants. Des identités ethniques et culturelles sont souvent négociées par la musique au sein des sociétés d’immigrés (plus couramment dans les Caraïbes et en Amérique du Sud). La musique connaît aussi des transformations sous l’effet d’influences internes et de contacts avec l’extérieur. De nouvelles idées sont empruntées aux musiques récentes ou «pop», qui émergent en Amérique du Sud, au Mexique, en Amérique centrale aux Caraïbes». Le ton est donné, et c’est tout l’intérêt de cette encyclopédie que d’avoir laissé suffisamment de latitude aux responsables d’édition pour présenter la région dont ils sont responsables sous l’aspect qui leur semble le plus parlant. Dans ce volume 2, la dimension ethnohistorique prend toute son importance, couvrant ainsi un champ important de l’ethnomusicologie contemporaine. Les descriptions de micro-sociétés et de traditions locales ne sont pas non plus absentes. Bien au contraire. Près des neuf dixième de l’ouvrage y sont consacrés. On ne compte pas moins de 73 articles organisés en cinq chapitres:
1. Limites territoriales et musiques des Amérindiens du Sud.
2. Pays et peuples d’Amérique du Sud et leurs musiques.
3. Le Mexique: un seul pays, quantité de musiques.
4. L’Amérique centrale: interface entre l’Amérique du Nord et du Sud.
5. De nombreuses îles, de nombreux sons.
21Suivent trente-neuf exemples musicaux, allant du chant de guérison chamanique (très bel exemple hoarotu du Vénézuela) au rara haïtien, en passant par de séduisants ensembles de flûtes de Pan quechua ou une séquence de jarocho mexicain. Toutes ces illustrations sonores bénéficient de commentaires nourris de descriptions précises, voire d’analyses que l’on retrouve grâce à un ingénieux jeu de symboles et de renvois. Ce portrait d’une très grande région du monde, dont les cultures musicales syncrétiques inondent le show business international tout au long du XXe siècle, a l’honnêteté de ne faire aucune concession sur les réalités contemporaines incluant un grand nombre d’éléments extra-musicaux parfaitement éclairants.
22En attendant de présenter les autres volumes, je puis d’ores et déjà recommander l’acquisition de cette première encyclopédie, partiellement ou complètement. Malgré les réserves émises plus haut, il apparaît que, globalement, les premières livraisons tiennent leurs promesses. De format 22 x 28 cm, ces gros volumes offrent une documentation exceptionnellement riche et variée, impossible à réunir par soi-même. Les études conceptuelles renforcent la qualité scientifique de ces approches diversifiées et peuvent combler les exigences les plus sévères. Cette entreprise audacieuse mérite tous nos encouragements. Elle fera date dans l’histoire de notre discipline et devrait rencontrer beaucoup de succès, tant auprès de la population estudiantine que de celle des enseignants et chercheurs. C’est un outil de travail indispensable pour tout esprit curieux, à mettre en bonne place dans les bibliothèques et centres de documentation, d’autant que l’usage d’une encre sans acide garantit la longévité du papier... jusqu’à 250 ans: de quoi rassurer les institutions encore hésitantes.
Pour citer cet article
Référence papier
Yves Defrance, « The Garland Encyclopedia of World Music », Cahiers d’ethnomusicologie, 12 | 1999, 199-207.
Référence électronique
Yves Defrance, « The Garland Encyclopedia of World Music », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 12 | 1999, mis en ligne le 08 janvier 2012, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/859
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