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Michel PLISSON : Tango du noir au blanc

Paris : Cité de la Musique / Arles : Actes Sud, 2001
Jean-Pierre Estival
p. 207-209
Référence(s) :

Michel PLISSON : Tango du noir au blanc. Paris : Cité de la Musique / Arles : Actes Sud, 2001. 186 p., accompagné d’un CD.

Texte intégral

1L’ouvrage de Michel Plisson nous présente le tango de façon historique, depuis ses origines jusqu’à ses développements contemporains. Comme il est d’usage dans cette série, un disque — qui contient de véritables perles, nous y reviendrons — accompagne le livre.

2Disons tout de suite que Tango du noir au blanc est une excellente présentation de cette musique dont la puissance émotionnelle a tant fasciné et tant conquis de publics, souvent bien loin du Rio de la Plata. En effet, écrire de façon informative sur le tango ne va pas de soi : tour à tour (et parfois simultanément) symbole national, stigmate d’un imaginaire latino-américain, instrument politique, métaphore de passions exacerbées, référence du métissage musical, emblème des musiques issues de l’immigration, etc., ce genre musical et chorégraphique a suscité sans doute plus de mythifications et de passions littéraires que tout autre en Amérique latine. Tant mieux, sans doute, mais, pour permettre à tout un chacun d’appréhender et de s’approprier cet univers incandescent, il convient de présenter les sources, les références et les analyses avec précision.

3Après avoir rapidement situé les débuts de l’histoire argentine, l’auteur insiste sur l’importance considérable de l’immigration des années 1880 à la première guerre mondiale. Espagnols, mais surtout Italiens vont ainsi constituer la base de la population du pays. Ils arrivent avec leurs cultures populaires, mais c’est certainement à l’élément afro-américain que le tango doit une partie de ses racines : la population descendante des esclaves va peu à peu pourtant disparaître, dans des conditions qui restent encore aujourd’hui mal comprises. On remarque que dans l’autre patrie du tango, l’Uruguay, les Afro-américains constituent encore une part significative de la population.

4Dans le second et le troisième chapitre, on nous explique de façon convaincante comment se sont agencés différents éléments pour donner naissance à ce qui allait se constituer comme tango, avec ses caractéristiques propres, à l’extrême fin du XIXe siècle. Le lexème tango lui-même, répandu à cette époque de Cuba au Rio de la Plata en passant par le Brésil, n’est pas d’un grand secours pour démêler les fils de cette génèse : c’est bien plus l’histoire musicale et sociale du Rio de la Plata qui guide l’auteur : habaneras quebradas, murgas, comparsas, zarzuelas mais aussi valses, polkas, scottishes et mazurkas qui sont milongueadas — c’est-à-dire syncopées selon les influences afro-américaines — se mélangent dans les faubourgs et leurs lieux de plaisir, créant le tango porteño. On aura compris que l’on se situe dans la déclinaison australe d’une histoire musicale bien connue ailleurs dans les ports américains (de la Nouvelle Orléans à La Havane, Santiago de Cuba ou Rio de Janeiro).

5Arrivé dans les bagages des immigrants, le bandonéon s’intègre rapidement dans les orquestas típicas, au point de devenir l’emblème de cette musique naissante, au succès local foudroyant : déjà plus de mille musiciens à Buenos Aires dans les années 1910. Des centaines de lieux permettent l’éclosion d’une première génération de compositeurs, la guarda vieja, où se distinguèrent Angel Villoldo, Rosendo Mendizábal ou l’Uruguayen Gerardo Matos Rodríguez. Parallèlement, c’est de l’autre côté de l’Atlantique, à Paris, que le tango reçoit une forme de légitimation, après avoir envahi les salons en mal d’exotisme dans les années 1910. Rendu convenable par son succès parisien, « Le tango connaît désormais une plus large diffusion. Il s’étend du café populaire aux espaces plus grands et plus luxueux. Partitions et disques se multiplient pour répondre à la demande » (p. 80). La forme « canonique » de l’orquesta típica se stabilise : deux bandonéons, deux violons, un piano et une contrebasse.

6Au début des années 1920, une partie du tango s’émancipe de la danse et apparaît le tango canción, avec la figure de Carlos Gardel : Michel Plisson résiste heureusement dans son texte aux multiples hagiographies gardeliennes, restituant le contexte poétique, mais aussi l’apport du lunfardo, parler populaire que les auteurs intègrent dans les textes. Parallèlement, avec Julio De Caro, se constitue un tango de salon, qui ira jusqu’à investir le théatre Colón, la salle la plus prestigieuse de Buenos Aires, en 1935.

7C’est dans les années 1940, avec la prospérité retrouvée d’une Argentine agro-exportatrice, que le tango va connaître son âge d’or. La ligne « traditionaliste » se dégage, avec de très nombreux orchestres comme ceux de Francisco Canaro, D’Arienzo, Biaggi, etc., qui restent dans la ligne de musique à danser de Julio De Caro. Mais c’est aussi l’époque où apparaît une ligne dite « évolutionniste », qui voit éclore les talents de Osmar Maderna, et bien sûr les grands noms de Aníbal Troilo, Osvaldo Pugliese et Horacio Salgán. C’est aussi la période de l’accession au pouvoir de Juan Perón -admirateur de Mussolini — dont le justicialisme avait besoin d’une musique nationale : le tango prit cette place, tout comme, presque au même moment, l’Estado Novo de Vargas permettait à la samba de s’instaurer en emblème du Brésil.

8Après la chute de Perón en 1955, le caractère populaire du tango s’estompe, et les grands ensembles se désagrègent. C’est alors qu’apparaît paradoxalement l’un des plus grands musiciens, et certainement le sauveur du genre : Astor Piazzola. A sa suite, mais sans atteindre son génie, de nombreux jeunes talents, dans les années soixante-dix, permettent au tango de trouver sa place à la frontière des musiques savantes et des musiques populaires. L’arrivée des militaires au pouvoir en 1976 et les années terribles qui suivirent forcèrent de nombreux musiciens à émigrer en Europe. Paris rejoua alors un rôle stratégique de sauvegarde, mais aussi de promotion d’un genre qui ne cesse depuis de se renouveler.

9Le disque qui accompagne l’ouvrage est musicalement remarquable : s’il fait la part belle aux grands standards — ce qui est bien dans l’esprit de la collection — c’est souvent dans des versions originales, comme par exemple Nostalgias interprétée par Charlo en 1936. On regrettera juste que les enregistrements les plus anciens n’aient pas été « nettoyés » comme les technologies modernes le permettent.

10Bibliographie, discographie et même « adresses utiles » complètent utilement l’ouvrage.

11Le dernier court chapitre « Clés rythmiques autour du tango » est intéressant pour guider l’oreille de l’auditeur. Néanmoins, quelques imprécisions quant aux références cubaines nuisent à la clarté du propos : si le tresillo et le cinquillo sont correctement présentés, ils sont confondus avec les claves, formules-clé qui se déclinent en plusieurs modalités (clave de son, clave de rumba…) : elles ne sont pas réductibles aux tresillo ou au cinquillo. Ces derniers concernent la structure des phrases, alors que les claves sont des ostinatos rythmiques qui se superposent — de façon souvent partiellement contramétrique — aux mélodies… On attendra donc une deuxième édition pour avoir un exposé plus précis, ce que l’auteur est certainement capable de nous fournir.

12Dernière remarque : l’ouvrage aurait mérité un travail éditorial plus scientifique, ce qui aurait évité nombre de corrections d’auteurs à venir dans une ré-édition.

13Ces deux dernières critiques ne nous empêcheront pas de considérer l’ouvrage comme sans doute la meilleure introduction à ce tango qui fascine tant.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Pierre Estival, « Michel PLISSON : Tango du noir au blanc »Cahiers d’ethnomusicologie, 15 | 2002, 207-209.

Référence électronique

Jean-Pierre Estival, « Michel PLISSON : Tango du noir au blanc »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 15 | 2002, mis en ligne le 11 janvier 2012, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/818

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Auteur

Jean-Pierre Estival

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