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Dossier: Noter la musique

La baguette magique de l’ethnomusicologue

Repenser la notation et l’analyse de la musique
Udo Will
Traduction de Ramèche Goharian
p. 9-32

Résumé

Un des outils essentiels de la musicologie comparée est la notation, et l’analyse d’après la notation constitue l’une de ses approches méthodologiques principales. Si les limites de la notation occidentale standard appliquée à cet exercice ont été perçues dès la naissance de la discipline, suscitant, très tôt, de nombreuses tentatives d’adaptation, le rôle fondamental de la notation dans la méthodologie de la musicologie comparée n’a jamais été vraiment remis en cause. Je propose ici d’envisager la notation essentiellement comme un système d’écriture qui transpose des événements audio-temporels dans le domaine spatio-visuel. Un bref survol historique rappelle tout d’abord les étapes importantes de la genèse de cette notation musicale et explique comment elle a fini par devenir une force capable de conditionner les formes mêmes de la musique occidentale. Je tente de montrer pourquoi, lorsqu’elle s’occupe de cultures non-occidentales et non-écrites, la musicologie comparée a recours à des concepts et une notation qui aboutissent nécessairement à certains malentendus. Ces problèmes viennent surtout de ce que cette discipline semble ignorer deux facteurs: a) Etant donnée la transformation d’un mode acoustico-temporel en mode spatio-visuel, le processus de notation crée des structures et des éléments qui n’ont pas de réalité dans des cultures de musique orale. b) Les segmentations des domaines temps-fréquence tels qu’ils sont indiqués dans la notation ne découlent pas de la musique en tant que phénomène sonore mais proviennent de rationalisations théoriques et d’abstractions, issues du système lui-même. J’examine ensuite comment l’attrait pour les «formes visibles» de la musique et les concepts qui en découlent expliquent la quasi stagnation, voire l’échec, de l’intégration des instruments électroniques dans le processus de l’analyse musicale. Ces instruments offrent pourtant les moyens d’éviter les écueils de la notation utiliser comme moyen d’analyse. J’indique pour terminer quels seraient les points essentiels dans le développement d’une démarche analytique sans notation.

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Notes de la rédaction

Traduit de l'anglais

Texte intégral

« On ne met jamais assez en garde les étudiants contre le danger de prendre les transcriptions écrites pour parole d’évangile. »
(C. Sachs, 1962 : 23).

« Il serait en effet présomptueux de qualifier de ‘scientifique’ une telle débauche de subjectivité. » (C. Seeger, 1958 : 187).

1Un des aspects marquants de la musique, de la parole ou de tout autre événement sonore, est leur comportement dans le temps, leur évanescence : sitôt perçus, ils disparaissent, ne laissant dans la mémoire que des traces fugitives. L’entraînement et une écoute répétée permettent peut-être de les reconnaître, de les mémoriser et même de les reproduire, mais il reste extrêmement difficile d’« en parler », les cultures orales n’ayant pas de théorie musicale. Il n’en va cependant pas de même pour les cultures écrites. En inventant les systèmes d’écriture, l’homme se dota de moyens lui permettant de fixer les sons, par nature si insaisissables ; ce fut la transformation d’une forme aurale et temporelle en une forme visuelle et spatiale. Tout se passe comme si, en abordant les sons de cette façon, on les apprivoisait, on contrôlait mieux le temps. Mais ce n’est là qu’une impression car les résultats d’une telle transformation sont limités et parfois même trompeurs. Quoi qu’il en soit, une fois inventés, les systèmes d’écriture créent leur propre dynamique, qui débouche sur de nouveaux développements et des modalités d’application permettant à l’homme non seulement de « penser grâce à eux » mais aussi de « penser à leur propos ». Inventés pour les besoins de la mémorisation et de la communication, ils devaient, tôt ou tard, être utilisés pour noter et communiquer certains aspects de la pratique musicale. A la suite de profonds changements du système d’écriture, survenus après l’invention de l’écriture alphabétique grecque, nous assistons aussi à l’émergence, en Occident, de nouveaux systèmes de notation musicale qui, après une longue évolution, vont devenir une force de créativité importante au service de la musique. L’écriture jouant un rôle central dans la musique occidentale, il n’est pas étonnant que la notation soit devenue un objet de recherche musicologique important, un mode d’investigation scientifique dans le domaine de la musique. La notation étant en outre censée représenter la musique, les raisonnements sur cette dernière, fondés sur la forme écrite, constituent l’approche méthodologique principale en musicologie, aussi bien que dans l’un de ses derniers rejetons, la musicologie comparée.

Le problème

2Cependant, la notation musicale occidentale s’étant créée et développée au sein même de cette musique, il est inévitable que des problèmes surgissent sitôt qu’elle est utilisée pour décrire certains aspects des musiques non-occidentales. Ainsi, dès les origines de la musicologie comparée, des savants ont constaté les faiblesses de la notation musicale occidentale pour transcrire les musiques non-occidentales et ont proposé des améliorations et des rajouts à la notation habituelle. Toutefois, l’idée d’utiliser la notation musicale occidentale comme élément central dans la transcription à des fins analytiques n’a jamais été vraiment remise en question, malgré la perspicacité d’un certain nombre de musicologues ayant compris la nature du problème. L’espoir était que les développements de la notation courante permettraient de résoudre les problèmes les plus importants. En 1909, Abraham et von Hornbostel publièrent Vorschläge für die Transkription exotischer Melodien (« Quelques suggestions pour transcrire les mélodies exotiques ») ; ils proposaient plusieurs rajouts et adaptations à la liste des symboles de notation musicale, dont certains suscitèrent des critiques et furent rejetés (Sachs 1962 : 29-30). Suivant les conseils de nombreux experts, les Archives Internationales de Musique Populaire firent paraître de nouvelles recommandations, en 1949 dans le bulletin d’information du CIAP et en 1952 dans le Document du Conseil International de la Musique. Plusieurs chercheurs travaillant sur des problèmes spécifiques proposèrent des améliorations particulières. Par exemple, Alexeiev constate, dans son étude sur « L’intonation archaïque dans les airs folkloriques » (1986) : « A son origine même, la notation de cinq lignes horizontales est liée aux notions de la tonalité développée et ne contribue nullement à comprendre les normes initiales de la pensée mélodique d’une manière adéquate… Néanmoins, elle demeure un instrument analytique irremplaçable dans beaucoup de cas et peut être perfectionnée, en particulier, par l’introduction d’une méthode de fixation des intervalles plus fractionnés que les demi-tons du système tempéré. »

3Dans son ouvrage intitulé The Ethnomusicologist, Mantle Hood (1982) présente divers aspects de la notation et évalue les avantages et les inconvénients des différents types de notation, en comparant les mérites respectifs des approches « essentielles » et « détaillées ». Herzog, par exemple, sans négliger les détails caractérisant un style musical, évite d’en inclure un trop grand nombre, de peur de « rendre le chant incompréhensible à l’œil ». Bartók, quant à lui, s’empresse de noter le moindre détail pour rendre la transcription des exécutions musicales aussi complète que possible. De même, Hood suggère une série d’améliorations et de développements, dont l’emploi de notations non-occidentales. Aussi importantes que puissent être ces suggestions pour certains aspects des musiques écrites non-occidentales, c’est-à-dire celles qui ont développé leurs propres systèmes de notation, elles ne résolvent pas les problèmes essentiels de l’appréhension de la musique à travers la notation : les changements (perte d’information) dus à la transformation d’une sphère aurale et temporelle à une sphère visuelle et spatiale. En analysant les notations chinoises pour le guzheng, un instrument de la famille des cithares, j’ai montré, par exemple, que la répartition des inflexions tonales, dans divers degrés de l’échelle, est un trait marquant, tant pour les styles régionaux que dans les compositions personnelles. Mais en principe, rien ne garantit que les analyses des exécutions musicales donnent les mêmes résultats. En fait, j’ai présenté plusieurs exemples où les analyses de la notation et des interprétations musicales aboutissent à des résultats différents (Will 1994).

4L’expérience faite à partir de tous les changements et améliorations qui ont été proposés laisse penser que le « bricolage » ne résout pas les problèmes inhérents à la notation ; la plupart des chercheurs ayant écrit sur ce sujet finiront, je crois, par admettre l’inadéquation de la notation occidentale en tant que notation descriptive. Et pourtant, en consultant les ouvrages de référence pour la préparation de cet article, j’avoue avoir été sidéré par les contradictions flagrantes entre une compréhension claire des problèmes soulevés par l’emploi de la notation musicale occidentale à des fins analytiques, et l’adhésion obstinée de plusieurs auteurs à cette même méthode. Par exemple, Nettl (1964 : 102) écrit : « Transcrire la musique avec, pour ainsi dire, la main et l’oreille est un exercice périlleux du fait que le transcripteur, natif d’une certaine tradition musicale, tente d’écrire la musique d’une autre culture à l’aide d’un système de notation conçu pour une culture spécifique et étranger aux styles des autres traditions. Ainsi un concept tel que celui de note, qui constitue la base de la pensée musicale occidentale, s’appliquerait de façon erronée à une culture dans laquelle les glissements d’une note à l’autre sont la caractéristique essentielle. De légères déviations de hauteur à peine perceptibles pour des oreilles occidentales, habituées à l’échelle tempérée, peuvent être parfois des distinctions fondamentales dans une autre musique […] Le fait est que les transcripteurs humains […] pourraient avoir de grandes difficultés d’abord à entendre, puis à reproduire sur le papier la musique d’une autre culture, de telle sorte que les distinctions essentielles soient indiquées d’une manière comparable à celle requise par la notation descriptive. » Pourtant, malgré ces explications bien fondées, l’auteur conclut, à la page suivante (ib : 103) : « En attendant que les appareils électroniques de notation soient aisément disponibles et assez perfectionnés, la transcription, à l’aide d’un système de notation manuelle, reste un outil indispensable pour l’ethnomusicologue ». Ce qui laisse rêveur… Pour Nettl, la transcription remplit aussi une fonction éducative, et c’est peut-être cela qui justifie sa survivance (ib : 103) : « La transcription impose à l’étudiant une sorte de discipline, qui pourrait difficilement être obtenue par la simple écoute des enregistrements » ! Et enfin (ib : 103) : « Malgré les tentatives faites pour trouver d’autres systèmes de notation, on a, dans l’ensemble, préféré le système occidental », justification déjà fournie par Abraham et von Hornbostel, dans leur article de 1909, qui laisse d’ailleurs fort à désirer.

5Charles Seeger a bien décrit la situation : « En utilisant cette notation, avant tout ‘prescriptive’, comme une transcription descriptive des sons d’autres musiques que les arts classiques et populaires d’Occident, nous faisons deux choses qui ne sont pas du tout scientifiques. D’abord, nous distinguons, dans une musique autre, ce qui ressemble pour nous à des structures apparentées à celles qui nous sont familières dans la notation de l’art occidental, et nous les transcrivons, laissant de côté tout ce pour quoi nous ne disposons pas de symboles. Ensuite, nous espérons que cette transcription soit lue par des gens qui ne sont pas nourris par la tradition de l’autre musique… Il serait en effet présomptueux de qualifier de ‘scientifique’ une telle débauche de subjectivité. » (Seeger 1958 : 186-187). Mais bizarrement, le même Seeger suggère finalement de continuer d’utiliser la notation standard occidentale, en combinaison avec des graphiques transcrits automatiquement.

6Seuls quelques rares chercheurs comme Ellis et Blacking ont été assez conséquents pour modifier leur position à l’égard de l’emploi de la notation. Ellis démontre l’insuffisance de cette méthode dans le cadre de la musique aborigène australienne, et propose tout d’abord des modifications et des développements, en combinant les graphiques de fréquences temporelles avec la notation normale, en utilisant un système de portée où les lignes représentent des fréquences absolues, etc. Finalement, face aux insuffisances de la notation standard et à défaut d’un système plus approprié, elle abandonne complètement, à la fin des années 1960, l’usage de la notation à des fins analytiques. Blacking aboutit, par un autre biais, aux mêmes conclusions. Il écrit (Blacking 1987 : xi) : « J’en suis venu à douter de plus en plus de l’utilité de publier des transcriptions musicales de différentes traditions culturelles, lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’enregistrements révélant leur insuffisance. Les transcriptions sont trop facilement coupées de la réalité de l’exécution musicale dans son contexte, de même, le sens et la structure de la musique qu’elles décrivent peuvent être grossièrement déformés, pour servir à un projet académique […] Je n’ai pas fourni de transcriptions musicales, étant donné que même une partition exceptionnellement exacte […] ne transmet pas la réalité de l’interprétation à quelqu’un qui n’est pas habitué aux sons de cette musique. »

7En résumé, on peut dire que les musicologues reconnaissent unanimement les points suivants : La notation déforme la structure et la signification de la musique et ne transmet pas la réalité de l’interprétation dans son contexte ; elle suppose l’existence de concepts de « note » et de « hauteur », qui ne conviennent pas nécessairement aux cultures non-occidentales ; elle ne contribue en rien à la compréhension des formes originelles et du développement de la pensée mélodique ; enfin, rien ne prouve que les transcripteurs soient capables de percevoir et de reproduire adéquatement par écrit la musique d’une autre culture. Pourtant, ces mêmes auteurs qui émettent leurs critiques avec une telle éloquence soutiennent, par ailleurs, que la notation est un outil essentiel, nécessaire et irremplaçable de la musicologie comparée. Cette attitude, pour le moins contradictoire, reflète peut-être une certaine incapacité à imaginer un autre outil analytique viable. Comme les tentatives pour intégrer les appareils électroniques au processus de la recherche semblent piétiner, personne ne semble trouver la moindre possibilité pour introduire un changement paradigmatique dans l’approche méthodologique. Pour mieux comprendre cette impasse, je propose de reconsidérer certains aspects essentiels de la notation et leurs implications. Une meilleure compréhension de ce qu’est réellement la notation et de la manière dont elle détermine notre réflexion sur la musique nous aidera peut-être à concevoir un moyen différent pour décrire, analyser et finalement comprendre la musique, un moyen qui permettrait d’éviter en partie, sinon tous les écueils de l’approche méthodologique actuelle.

La notation en tant que système d’écriture

8Deux facteurs pourraient nous aider à comprendre la situation actuelle et nous mettre sur la bonne voie pour une nouvelle exploration de la notation. Le premier saute à l’esprit, si l’on se souvient que la plupart des spécialistes de la musicologie comparée ont appris leur métier dans le giron de la culture lettrée occidentale. Dans cette culture, la musique est très écrite : la notation y joue un rôle si important qu’elle a modifié la réalité musicale, la musique étant souvent assimilée à sa forme écrite. Pour le musicien classique et le musicologue, l’idéal est d’avoir affaire à la musique écrite. Comme le dit Nettl : « ‘Savez-vous lire la musique ?’ est la question qui permet de distinguer les torchons des serviettes et de déterminer un minimum de compétence musicale. » (Nettl 1983 : 65). L’esprit musicologique semble dépourvu des capacités mentales de mémorisation et d’analyse nécessaires pour saisir la forme acoustico-temporelle évanescente de la musique. Cependant, à peine touchée par la « baguette magique » de la notation, la musique revêt une forme qui satisfait l’idéal occidental. C’est alors que le musicologue, confronté à cette forme transcrite, spatio-visuelle de la musique, se trouve soudain paré de tous les instruments et aides nécessaires pour l’étudier. Le second facteur, étroitement lié au premier, concerne notre immense méconnaissance de ce qu’est réellement la notation, et de ce que peuvent être ses implications lorsqu’elle est utilisée pour tirer des conclusions sur la musique. Je me propose de rappeler certains éléments importants du développement de la notation occidentale pour montrer que même si, au début, la notation semble plus descriptive que « prescriptive », on ne peut pas considérer son évolution comme une tentative pour représenter des structures musicales. A l’origine, les systèmes d’écriture et de notation musicale n’ont pas été inventés pour représenter la parole ou la musique, mais pour communiquer des informations, la relation respective de la parole à la musique étant au mieux indirecte. Il est inévitable que des problèmes surgissent lorsqu’on utilise le système de notation en tant que représentation effective de la musique qu’il décrit ; car c’est ainsi que l’entendent de nombreux musicologues, comme le signale Nettl en 1980 dans son résumé de l’approche méthodologique habituelle : « Dans l’ensemble les ethnomusicologues admettent qu’on puisse noter la musique et l’analyser sous cette forme visible. » (Nettl 1980 : 4). Pour tenter de comprendre comment cette conception nous égare, voyons tout d’abord quelques aspects essentiels des systèmes d’écriture et examinons les conséquences de leur emploi sur notre appréhension du monde oralo-aural.

9L’omniprésence de l’écriture forme, sans doute, le trait le plus remarquable de nos sociétés modernes et, de l’avis général, l’écriture n’est rien d’autre que de la parole « notée ». C’est du moins ce que nous avons l’habitude de penser, à la suite de la philosophie grecque et sous l’influence des idées aristotéliciennes prédominantes, qui suggèrent une notation de la parole à travers l’écriture : l’écriture représentant le discours. Mais, depuis quelques décennies, de nombreuses études proposent une hypothèse différente, selon laquelle l’écriture contourne partiellement la parole et apparaît comme une puissante force qui modèle nos pensées et influence considérablement la parole et son usage. Ces études révèlent également les profonds changements qui ont marqué les processus de pensée et les capacités cognitives, à la suite de l’invention de l’écriture et de la transformation consécutive des cultures orales en cultures écrites. Le lecteur intéressé pourra se référer aux ouvrages de Drake (1986), Goody (1977), Harris (1986), Havelock (1992), Lord (1960), Olson (1994) et Ong (1988). J’aimerais me pencher ici sur quelques idées en rapport direct avec notre discussion sur la transcription musicale et la notation.

10En général, les systèmes d’écriture sont caractérisés par l’emploi de symboles et de représentations spatiales permanents, discontinus et dégagés de leur contexte, distincts des séquences temporelles d’événements sonores, qu’il s’agisse de langage oral ou de musique. L’écriture, nous l’avons vu, transforme les événements auralo-temporels en structures spatio-visuelles. Le langage parlé est un flux d’événements temporels dans lequel il n’y a pas d’éléments non contextuels. La disposition visuelle et spatiale du langage écrit permet des opérations qu’il est impossible de réaliser dans le cadre du langage oral, et qui n’ont aucune réalité dans le monde oral. Ong (1967) remarque que les mots prononcés ne peuvent être inversés, mais que leurs lettres le peuvent. La notion même de réversibilité des séquences d’unités élémentaires provient de leur spatialisation dans l’écriture. En outre, l’écriture permet la structuration « à distance » de la communication et du savoir. Le contraste entre les modes temporels et spatiaux constitue la base des différentes fonctions communicatives du discours oral et écrit. L’écriture permet de communiquer à distance, dans le temps aussi bien que dans l’espace. En l’absence de catégories analytiques élaborées qui dépendent de l’écriture pour structurer le savoir à une certaine distance de l’expérience vécue, les cultures orales doivent conceptualiser et verbaliser toutes leurs connaissances en se référant, plus ou moins intimement, au monde vivant et aux relations immédiates et familières entre les êtres humains. Une culture de l’écriture, qu’elle soit chirographique ou, plus encore, typographique, peut éloigner et, dans une certaine mesure, dénaturer même l’humain, en cataloguant les choses dans une liste abstraite et neutre, entièrement dépourvue du contexte de l’action humaine.

11L’introduction des systèmes d’écriture influence profondément les opérations cognitives et le développement de telles capacités, à cause des caractéristiques du langage écrit. Lord (1960) a montré comment l’apprentissage de la lecture et de l’écriture handicape le poète de tradition orale : il introduit dans son esprit l’idée d’un texte qui contrôle son récit et entrave le processus de la composition orale. En particulier, la capacité de distinguer les répétitions mot pour mot des paraphrases d’un énoncé est fortement influencée par l’écriture qui, de ce fait, se trouve être un élément important pour « fixer un texte ». Olson (1994) remarque qu’en étudiant l’aptitude des jeunes enfants à faire une distinction entre les répétitions exactes, mot pour mot, et les paraphrases, on s’aperçoit qu’ils parviennent facilement à écarter les paraphrases incorrectes, mais que les enfants de moins de six ans n’arrivent pas à rejeter une paraphrase, lorsqu’on leur demande de ne garder que ce qui a été exactement dit. La forme écrite donne un modèle, un concept ou des catégories permettant de concevoir les éléments constitutifs de la forme parlée, et la familiarité avec un système d’écriture joue un rôle déterminant dans la conscience que l’on peut avoir de la structure segmentaire de la langue. C’est-à-dire que l’on conçoit le langage en utilisant des concepts et des catégories issus des systèmes d’écriture. Il y a, par exemple, plus d’une raison de croire que la conscience du son de la parole est, dès son apparition, intimement liée aux systèmes d’écriture. La segmentation orale est sensible aux paramètres de premier ordre (pression sonore et fréquence) dont la variation temporelle produit la prosodie. On utilise les régularités phonotactiques pour localiser les limites des syllabes qui constituent les unités les plus élémentaires de la perception de la parole, dans l’oralité primaire. Les utilisateurs du langage oral n’entendent pas les phonèmes, unités abstraites qui ne sont pas représentées phénoménalement et ne sont accessibles qu’après l’introduction de l’alphabet écrit. Par exemple, d’après Read, Zhang et Ding (1986), les chinois qui lisent l’écriture en caractères traditionnels ne peuvent pas détecter les segments phonémiques, alors que ceux qui savent lire le pinyin, une écriture alphabétique représentant la même langue, le peuvent.

12On étudie le langage en faisant appel à des termes imposés par nos systèmes écrits (écriture, notation). Ce sont donc les structures, présentes dans l’écriture, qui nous offrent les catégories nécessaires pour explorer les structures implicites du langage. Cependant, ces deux entités ne sont pas identiques, les catégories ne permettant, en effet, d’explorer qu’une subdivision des structures du langage. Dès son origine, l’écriture, même alphabétique, n’a jamais été une tentative de fournir une représentation complète de la langue parlée. Comme Havelock (1982) l’a montré, Eschyle et Pindare voient dans l’écriture un aide-mémoire qui permet de retenir des énoncés oraux. Cette idée a persisté tout au long du Moyen Âge, et les écrits ont été conçus et traités comme des aide-mémoire et non pas en tant que représentations. Jamais toutes les nuances, perceptibles oralement, n’ont eu besoin d’apparaître dans l’écrit. Le facteur décisif dans l’élaboration de l’écriture n’est pas le modèle verbal. Comme pour l’écriture musicale, des éléments importants du langage parlé manquent souvent dans la forme écrite : Larsen (1989) a montré que les textes sumériens sont incapables de représenter de nombreux éléments morphologiques ; de plus, leur écriture donne des informations qui ne peuvent être lexicalisées. Tout énoncé oral est composé, à la fois, de ce qui est dit et d’une indication sur la manière de le comprendre. L’écriture ne parvient à saisir que la première de ces données. Les systèmes d’écriture permettent difficilement de capter les éléments paralinguistiques de la parole (paramètre de premier ordre), tels que le volume ou la fréquence, dont la variation temporelle crée la prosodie. Mais dans un système d’écriture, toutes les particularités perceptibles à l’oral n’ont pas besoin d’apparaître pour qu’on puisse établir un système fonctionnel. Comme l’a montré Harris (1986), le facteur décisif dans l’élaboration de l’écriture n’est pas le modèle verbal, mais plutôt la tentative de présenter un système fonctionnel qui soit aussi dénué d’ambiguïté que possible. Ceci étant, les écritures modernes ont tout de même réussi à représenter quelques éléments prosodiques du langage parlé au moyen de signes de ponctuation, comme les points d’interrogation ou de suspension etc., qui ne sont pas ‘lus’, mais indiquent comment lire ce qui est écrit. Lorsqu’on dit que les systèmes d’écriture représentent la parole, ou que les systèmes de notation représentent la musique, on entend par là que ces systèmes créent les catégories qui nous rendent conscients de ces modes d’expression humaine, et nous apprennent à les écouter et à les penser. Comme l’a dit Olson : « L’écriture n’est pas la transcription de la parole ; elle nous donne plutôt un modèle conceptuel pour celle-ci. » (Olson 1994 : 108).

13On pourrait objecter que ces différences entre oralité et écriture ne se rapportent pas à la structure objective des processus cognitifs, mais seulement à la conscience subjective que l’on en a. Pourtant le contraire saute aux yeux : la structure segmentale du langage parlé n’existe pas à l’origine. Les premiers mots d’un enfant ne se présentent pas comme une séquence de phonèmes indépendants, mais holistiquement, comme une structure d’éléments tels que les gestes et les routines articulatoires. Chez les enfants qui n’ont pas encore appris à lire, la conscience de la parole peut être perçue comme une connaissance parfaite des représentations non phonologiques. L’orthographe une fois acquise, beaucoup de gens ne sont plus capables de reconnaître les caractéristiques phonétiques auxquelles les enfants préscolaires sont sensibles, par exemple, les allophones ne sont plus considérés comme tels. Ainsi, les modèles fournis par notre système d’écriture nous empêchent de voir d’autres particularités de la langue qui n’y sont pas représentées.

Les étapes importantes de la formation de la notation occidentale

14L’essentiel de ce qui vient d’être dit sur les caractéristiques et les implications des systèmes d’écriture est, en général, également valable pour la notation musicale. Il y a, bien sûr, des différences, surtout dans ce qui est « écrit », mais seulement des différences de degré. La notation musicale peut être considérée, du moins à ses débuts, comme une sorte de complément à l’écriture : intimement liée au texte écrit, elle tentait tout d’abord de fixer la hauteur et ses variations dans le temps, un aspect que l’écriture ne captait pas, comme nous l’avons vu. Dans ce qui suit, je tâcherai de montrer comment les caractérisations des systèmes d’écriture s’appliquent à la notation musicale et influencent son évolution, en passant rapidement en revue les étapes principales du développement de la notation musicale occidentale, de sa naissance, à la fin de l’antiquité grecque, jusqu’au Moyen Age, où les traits essentiels de la notation « prescriptive » ont été fixés. Il est intéressant de constater que cette période du développement de la notation, où la musique elle-même se transforme profondément, correspond à l’époque, cruciale en Occident, de la transition de la société orale à la société de culture écrite où, comme l’écrit Ong (1982 : 117), « la prédominance de l’audition cède devant la suprématie de la vision ».

15La Grèce antique a inventé non seulement l’écriture alphabétique, mais également la notation musicale alphabétique. Malheureusement, il ne reste qu’un petit nombre de documents (environ quarante d’après Pöhlmann (1970), le plus ancien datant seulement du IIe siècle avant J.-C., c’est-à-dire bien après la période classique), et l’on ne sait à peu près rien sur le rapport entre la notation et l’interprétation musicale ; ce qui dissuade, par exemple, Georgiades (1958) de transcrire la notation grecque ancienne en notation moderne, attitude admirablement honnête et plutôt rare. Comparée au riche héritage des autres écrits grecs, la rareté des notations musicales anciennes laisse supposer que leur usage n’était pas très répandu. Du peu que nous sachions, deux types de notation semblent avoir existé, un pour la musique vocale et l’autre pour la musique instrumentale. Tous deux utilisaient les lettres (la notation vocale employait l’alphabet ionien), en position droite et renversée, indiquant l’octave supérieure par des barres obliques. Il n’existait pas de symboles distincts pour noter les rythmes. Les rythmes mélodiques semblent plutôt avoir été déterminés par les formules rythmiques du texte, au-dessus desquelles on écrivait la notation alphabétique sous forme linéaire. La notation alphabétique grecque était donc une notation de hauteurs relatives ; cependant, les intervalles de hauteurs indiqués ne correspondent pas à ceux des notations alphabétiques plus tardives. La segmentation des espaces de fréquences indiquée par cette notation était très influencée par la théorie musicale des Pythagoriciens qui reliaient directement, avec leurs modes, l’expression musicale à l’accordage et au tempérament. Déjà, Aristoxène de Tarente critiquait sévèrement la théorie « non-empirique » (sic !) des Pytha­go­riciens (Will 1996a) ; et il est vrai que cette notation n’explique presque rien sur la segmentation réelle dans la pratique musicale. Les degrés de hauteurs discontinus, signalés par la notation, résultaient du raisonnement théorique ancien, fondé sur la théorie pythagoricienne des nombres et les expériences faites avec les cordes vibrantes. L’influence de la théorie musicale et des instruments de musique sur les débuts de la notation est également manifeste dans les autres cultures écrites (Pour le Gongchepu et les autres notations traditionnelles de la Chine, voir Will 1994). Selon ces raisonnements, l’unité fondamentale de l’espace tonal était l’intervalle d’une quarte parfaite, le « tretracordon ». Les deux notes extrêmes étaient conçues comme fixes, alors que les deux notes du milieu étaient considérées comme mobiles. Ces notes mobiles pouvaient occuper différentes positions en fonction des trois genres, ou subir de petites variations à l’intérieur de ceux-ci. Les théoriciens anciens ne s’entendaient pas pour délimiter les proportions de ces notes mobiles dont la réalisation dépendait très probablement du temps, du lieu et des traditions locales de l’interprétation. L’évidente disparité entre la pratique musicale et la notation reflète « le parti pris théorique » de cette dernière : on notait la musique en suivant la théorie et non la pratique. Bien qu’on ait cessé d’utiliser la notation musicale grecque ancienne, ses concepts fondamentaux ont survécu à travers les œuvres de la philosophie grecque et ont exercé une certaine influence sur le développement de la notation musicale médiévale en Europe.

16La notation grecque a été abandonnée dans l’Antiquité tardive, surtout pour assouvir les nouveaux besoins et les idéaux de la liturgie paléochrétienne. En 620, dans son Sententiæ de musica, Isidore de Séville prétend même que « les tons ne peuvent s’écrire ». Pendant cette période, le clergé entreprit de réorganiser et d’unifier les rites et les chants liturgiques, si bien que la notation fut à nouveau introduite dans l’intention de préserver, parallèlement aux paroles transcrites, une forme « correcte » d’intonation des textes sacrées. C’était reconnaître l’importance d’adhérer à un certain modèle d’interprétation, strictement défini, afin de transmettre une signification autorisée. Contrairement à l’ancienne notation grecque, la nouvelle façon de transcrire la musique était fortement enracinée dans la pratique musicale. Les notations neumatiques du IXe siècle possèdent, à la fois, des signes chironomiques particuliers, dérivés des signes d’accentuation des grammairiens grecs et romains, et des points groupés par superposition et par conjonction. On pouvait noter, avec suffisamment de précision la montée ou l’abaissement de la hauteur et la direction générale des mélodies, mais non les intervalles entre les signes des notes. Bien que les neumes inaugurent l’identification de la hauteur musicale à une hauteur dans l’espace écrit, ils conservent un caractère linéaire et indiquent le mouvement plutôt que des points de hauteur fixe. La notation était avant tout une symbolisation de l’action et non la représentation d’événements abstraits. Pour les chanteurs qui devaient apprendre par cœur le répertoire liturgique, ces notations étaient à la fois un aide-mémoire et une sténographie musicale. Sachs (1918) et Seeger (1977) ont déjà noté que les neumes semblent avoir été utilisés pour décrire une pratique préexistante de récitation. Un auteur tel que le moine franco-flamand Hucbald (840-930), qui proposa une méthode concise et utilisable de notation de la hauteur, décrit explicitement le rôle des symboles de notation comme un rememorationis subsidium, une « aide pour se souvenir de la musique et la mémoriser ». L’introduction ou la réintroduction de la notation favorisa l’émergence d’« écrivains de la musique » spécialisés dans la connaissance de la théorie et de l’interprétation musicales. Elle transforma aussi le caractère des exécutions musicales qui, tout en s’appuyant sur la mémoire, trouvèrent un nouveau support dans la notation. Cependant, malgré leur nature essentiellement descriptive, ces notations permirent de contrôler et de discipliner les interprétations musicales comme cela n’avait jamais été possible auparavant. L’Eglise donna, par exemple, des instructions précises pour déterminer les sections de la messe et de l’office qui devaient être augmentées de parties vocales. L’élaboration des voix additionnelles se faisait uniquement par rapport à la voix fixe du ténor, et l’on n’envisageait pas encore la formation de tout un ensemble de voix additionnelles. La notation n’était pas encore une prescription, mais une aide pour s’assurer que les interprétations musicales correspondent bien à la tradition.

17Aux alentours des XIIe et XIIIe siècles, la notation musicale subit plusieurs changements qui élargirent considérablement son champ d’application et la sortirent de son contexte. Les symboles de notation changèrent peu à peu de nature, passant de l’indication des contours du mouvement à celle des « notes » individuelles, c’est-à-dire des points de hauteur fixe. Parallèlement, on vit apparaître un moyen de calibrer les distances entre les hauteurs : la portée. D’une seule ligne, on évolua vers l’utilisation de plusieurs lignes comprenant des espaces indiquant les principaux niveaux de hauteur. Cependant, la fragmentation des neumes en notes et le passage de la notation du mouvement à l’indication de la hauteur impliquent une abstraction des processus musicaux par des considérations théoriques héritées de l’antiquité tardive. En outre, on vit naître une notation distincte pour indiquer la durée et le temps, utilisant des symboles de formes différentes pour les notes. Ces transformations reflètent aussi la place grandissante des instruments dans la musique écrite de l’époque, celle du rituel religieux et de la liturgie. Elles montrent aussi la séparation croissante entre la musique et le texte : tant que la notation était rivée aux textes chantés, il était inutile d’indiquer, par des symboles distincts, le rythme de la mélodie, ce dernier étant directement suggéré par les mots du texte. L’adoption et la propagation du système de portée sont attribuées essentiellement à Gui d’Arezzo (1000-1050). Celui-ci mit au point le système de portée de quatre lignes, toujours utilisée dans la notation du plain chant, et développa la méthode mnémotechnique du solfège, qui permettait aux chanteurs de mémoriser les rapports de hauteur entre les notes de la portée en se référant à celles d’un hymne célèbre. L’introduction du système de portée, avec ses notes de hauteur fixe, eut des effets considérables tant sur l’interprétation musicale que sur la formation des chanteurs, notamment en réduisant sensiblement leur temps d’apprentissage.

18Les avantages de ce type de notation furent vite reconnus et l’Eglise ordonna la retranscription de tous les chants de la liturgie dans cette nouvelle forme. On voit clairement comment l’écriture musicale assura la pérennité de la tradition, tout en l’érigeant en modèle, exactement comme l’écriture le fit pour la parole. L’Eglise comprit qu’en utilisant les degrés de hauteurs discontinus et fixes (notes) associés à un système de portée, la notation permettait, mieux que les neumes, de fixer les chants et d’en donner des interprétations plus détaillées et plus satisfaisantes. Simultanément, la « tradition » se transforma dans le sens où la musique devint plus « figée » : avec la nouvelle notation, les interprétations récentes rappelaient « textuellement » les anciennes, ce qui avait été impossible jusqu’alors avec une notation moins détaillée. Compte tenu de l’évolution de l’enseignement et de l’apprentissage de la musique, il est certain que la notation eut de plus en plus d’importance pour l’exécution musicale, alors que la pratique orale perdit du terrain. Tout comme la parole, le chant ne s’effectue pas nécessairement en degrés de hauteur discontinus. Les chanteurs doivent apprendre à chanter selon la notation, à « lire » celle-ci. Et pour apprendre à lire une notation, il faut d’abord apprendre à écouter la musique d’une façon nouvelle. L’apprentissage de la notation permet d’entendre une mélodie continue, comme si elle était composée d’éléments segmentables, ces segments étant bien entendu suggérés par la notation. Ainsi, la tendance à une standardisation et une rationalisation du système de notation, représenté par les degrés de hauteurs et les valeurs rythmiques discontinus, exercèrent une puissance normative qui influença le comportement musical : quand l’Eglise ordonna de réécrire tous les chants liturgiques dans ce nouveau système de portées à quatre lignes, certains d’entre eux ne furent transcrits qu’à grand-peine. Hoppin (1978) a montré comment plusieurs de ces chants subirent pendant des années des remaniements considérables avant de trouver une forme acceptable.

19La période entre le XIe et le XIIIe siècles est celle de l’urbanisation, marquée, à la fin du XIIIe siècle, par l’invention de l’horloge à roue : c’est le début de la mensuration mécanique du temps et de la création d’une notation mesurée. Pendant sa longue évolution jusqu’au XVIe siècle, cette forme de notation tenta de résoudre un seul problème central, celui des valeurs et des relations temporelles ; l’autre problème fondamental de la notation, l’indication de la hauteur, avait déjà trouvé une solution satisfaisante (répondant toutefois à des questions musicales et non pas analytiques). « […] Il a fallu plusieurs siècles d’efforts intellectuels pour trouver deux astuces d’une incroyable simplicité : la barre de mesure et la liaison. Inconnus de la musique ancienne, ces deux éléments, associés au principe de la mensuration binaire, libérèrent le musicien moderne des complications de la notation mesurée et créèrent une formule simple et claire, adaptée à presque tous les rythmes et les valeurs temporelles imaginables. » (Apel 1953 : 85). C’était là le développement d’une conception nouvelle du temps, totalement inconnue des cultures non lettrées. Il s’agit de tranches abstraites, les cadres temporels, symbolisées par les « mesures » qui doivent être « remplies » d’événements musicaux. Le rythme plus ou moins abstrait de la mesure n’est pas identique au rythme du contenu de la mesure. Les mesures peuvent se diviser en plus petites unités, rationnellement proportionnées, qui, à leur tour, s’ajoutent toujours pour compléter le cadre abstrait : c’est là le concept du cadre temporel divisible. Ce n’est pas un hasard si ce nouveau concept du temps apparaît au moment où la musique s’éloigne de plus en plus du texte, et où le monde spatio-visuel acquiert une importance toujours plus grande, mise en évidence par l’évolution simultanée de l’écriture et de la littérature (Ong 1988 ; Olson 1994). La transformation du temps en dimension spatial permet de mieux le contrôler. Abordé spatialement sur un calendrier, sur le cadran d’une horloge ou sur une feuille munie de portée, il cesse d’avancer inexorablement et nous pouvons le voir, divisé en unités distinctes et juxtaposées. Transformé en espace, le temps semble devenir contrôlable. Cependant, dans la « conception ancienne », qui est aussi celle de nombreuses cultures non-occidentales, le temps est créé par les événements musicaux et plus spécifiquement, dans la plupart des cas, par les exigences de la parole : cette fois, il est additif et non divisible. Beaucoup de problèmes de compréhension des structures rythmiques non-occidentales découlent du conflit entre ces deux conceptions du temps issues, l’une de la notation, et l’autre de la musique à noter. Le concept du temps noté produisit la standardisation et la régulation des valeurs temporelles, en rapport avec la visualisation et non avec la pratique musicale. Dire que la notation spécifie le temps, c’est parler d’un temps fondé sur ces segments temporels abstraits, et non d’un temps vivant, engendré par les exécutions musicales dans les cultures orales.

20La notation avait alors définitivement pris une tournure « prescriptive » (Seeger 1977), mais il lui restait encore un long chemin à parcourir avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Comme le rappelle justement Toft (1992), n’importe quel musicien du XVIe siècle, imprégné des sources vocales de son époque, connaissait les imprécisions de notation qui figuraient en grand nombre dans la majorité des manuscrits et des livres imprimés. Ces sources ne spécifiaient par exemple pas tous les dièses et les bémols requis, laissant à l’interprète le choix de la réalisation musicale ; par conséquent, certains détails de la mélodie étaient rarement notés. Toutefois, les progrès du système de notation, l’existence d’une méthode indiquant les hauteurs fixes discontinues ainsi que les valeurs et les relations temporelles ont été décisifs dans le développement de la musique polyphonique et instrumentale en Occident. Comme Escal (1975 : 144) l’a remarqué : « La polyphonie est née avec l’écriture, elle est née de l’écriture, elle est écriture ».

21La disposition spatiale et linéaire de hauteurs discontinues et d’unités de temps permit l’invention de structures musicales, fondées sur des considérations spatio-visuelles. « Le son n’existe que lorsqu’il est en train de disparaître. Je ne peux pas avoir tout le mot présent en une fois : lorsque je dis « existence », le temps d’arriver à « -tence », l’« exis- » a déjà disparu » (Ong 1982 : 21). Il n’en va pas de même pour l’écriture. Les mots et les mélodies écrits ne sont plus des événements, mais ont, au contraire, une existence permanente, sont « présents » en bloc. Ils peuvent donc être traités très différemment des événements acoustiques ; on peut les diviser, les prononcer et les chanter même à l’envers : « les » se transforme ainsi en « sel », tandis que « non » reste « non », à cause de sa symétrie spatiale. La lecture d’un mot à l’envers est pourtant un processus bien différent de l’inversion d’une série d’événements sonores dans le temps. Si nous enregistrons le mot « les » sur une bande et que nous l’écoutons à l’envers, nous n’entendrons pas « sel », mais un son complètement différent. Ceci parce que les événements sonores naturels ne sont pas des invariants temporels et ne montrent pas de symétrie dans le temps. Au contraire, les lettres et les symboles de notation sont invariants par rapport aux transformations spatiales. La lettre « n » reste pareille à elle-même, qu’elle soit placée au début ou à la fin d’un mot. C’est justement cette absence d’équivalence du comportement symétrique entre les événements sonores et leurs représentations spatio-visuelles qui est à l’origine des différences entres les cultures orales et écrites, entre la musique orale et notée. La notation crée, elle-même, la possibilité d’expériences musicales abstraites ou, comme l’a écrit Maconie (1990 : 117) : « …la notation a libéré l’invention musicale de la tyrannie de l’oreille. »

22La musique qui se développa par la suite « pouvait être planifiée sur le papier, visualisée et construite comme l’architecture, simultanément en gros et en détail. Ce qui aboutit à l’élaboration de certains aspects du dessin musical destinés à être cachés aux yeux de l’interprète et de l’auditeur, inaccessibles à la compréhension du commun des mortels par tout procédé d’audition se déroulant dans le temps et suivant un parcours prédéterminé » (Maconie 1990 : 117). Ces nouvelles possibilités offertes par la notation permirent la construction de formes insoupçonnées, longues et complexes ; la notation servit de plus en plus à représenter des idées musicales, au détriment de la simple création d’événements musicaux. L’influence croissante de la théorie musicale et de la pensée abstraite créa bon nombre de formes musicales n’ayant de réalité que spatio-visuelle et n’existant pas dans l’ordre oralo-aural. Les formes contrapuntiques, telles que l’inversion, la rétrogradation et la rétrogradation inversée, représentent des idées visuelles ; elles ne peuvent, en tant que telles, être transformées dans le domaine temporel. C’est également vrai pour la plupart des principes de la musique dodécaphonique et sérielle. Tous sont fondés sur les propriétés de symétrie spatiale de la notation, et ne peuvent donc exister que dans une culture de musique écrite. Ils n’ont absolument aucune réalité et sont « inconcevables » dans une musique orale.

23Tout ce qui vient d’être dit prouve à quel point la notation occidentale et la musique qu’elle a influencée sont inséparablement liées aux développements de la culture écrite occidentale. En outre, même si l’on peut dire qu’à l’origine la notation était plutôt descriptive que « prescriptive », il ne semble plus possible de considérer l’évolution de la notation comme une tentative pour représenter des structures musicales. Ces concepts sont apparus avec la notation ils étaient inconnus de ceux qui vinrent avant. Au début, les systèmes de notation se développent pour mémoriser ou pour communiquer (en transmettant la connaissance des chants) ; mais étant « lus », ils offrent un modèle, tant pour la musique que pour la pensée, et acquièrent ainsi un caractère normatif. Les segmentations de la hauteur musicale et des champs temporels, telles qu’elles sont indiquées dans la notation, sont le résultat de rationalisations et d’abstractions théoriques. Les chanteurs et les musiciens étant formés pour mettre en pratique ces segmentations, celles-ci débouchèrent sur la création d’une nouvelle réalité musicale. Les implications cognitives des notations sont le produit de concepts nouveaux, inventés pour utiliser ces symboles et ces artifices. De plus, les principes destinés à la lecture de notations sont appliqués à la « lecture » des musiques. La conscience des structures musicales est ainsi un produit du système de notation. Nos systèmes graphiques ne se contentent pas de conserver l’information ; ils nous procurent des modèles nous permettant de considérer notre musique, notre monde et notre esprit sous un angle nouveau.

24L’évolution concomitante de la musique et de la notation dans la culture écrite occidentale rend l’usage de la notation impropre à l’analyse de musiques de cultures non-occidentales. Même dans la musique occidentale, nous ne savons pas au juste dans quelle mesure la pratique musicale correspond à la « musique » suggérée par la notation. Le peu que nous savons, nous le devons essentiellement au groupe de savants réunis autour de Carl et Harold Seashore et à leurs étudiants. La raison pour laquelle les comparatistes ont utilisé la notation occidentale comme outil analytique semble être plutôt une sorte de malentendu « historique ». La musicologie comparée se développa comme une branche de la musicologie qui, quant à elle, naquit de la discipline philosophique de la théorie musicale, elle-même profondément engagée dans l’élaboration de la musique occidentale. Intéressée avant tout par l’analyse et l’explication de cette musique, la musicologie adapta efficacement sa méthodologie à cet objectif et donna à l’analyse à partir de la notation une place de choix parmi ses méthodes. Cela pouvait se faire tant que les études se cantonnaient à la musique occidentale. Mais quand la musicologie se tourna vers les musiques non-occidentales, c’est-à-dire dès le début de la musicologie comparée, la démarche devint extrêmement problématique : la notation n’était pas adaptée à l’étude de ces musiques. Une telle approche est nécessairement vouée à l’échec car les concepts de la théorie musicale et de la notation prennent le pas sur ceux de la musique réelle, comme nous l’avons vu. Même dans ses étapes les plus « descriptives », la notation ne « décrivait » pas la musique en termes de catégories issues de la musique jouée. Depuis toujours, elle ne décrit qu’un choix limité d’événements perceptibles, et ce en termes de catégories engendrées par la notation comme système d’écriture, combiné à des considérations abstraites et théoriques.

Le problème des catégories implicites

25Il y a, me semble-t-il, un lien direct entre l’utilisation de la notation et la disparition, ou l’absence, de plusieurs thèmes essentiels du programme de recherches des comparatistes. Ceci parce que les concepts implicites sur lesquels la notation occidentale se fonde a priori, et les catégories classificatoires fournies par elle semblent répondre d’avance à ces questions. Rien n’a jamais prouvé que ces catégories et ces concepts, dérivés principalement du raisonnement théorique classique, soient valables et aptes à décrire les musiques et les pratiques musicales des autres cultures, en particulier celles des cultures orales. Parmi ces catégories implicites, les plus pertinentes pour la musicologie comparée sont les suivantes :

26La notation occidentale suppose que le champ de fréquences soit segmenté en degrés discontinus de hauteurs fixes, une segmentation qui s’est développée sous l’influence déterminante de la théorie, et non à la suite d’analyses musicales. Bien que les séries de degrés discontinus de hauteur puissent décrire approximativement la situation de la plupart des musiques produites par des instruments à sons fixes, ce n’est généralement pas le cas pour la musique vocale. Alexeiev (1986 : 32) a constaté que : « L’organisation de la hauteur dans les airs archaïques est liée de façon syncrétique à tous les autres aspects mélodiques, notamment à l’organisation temporelle (métrorythmique et syntaxique), à la prononciation de la parole, à l’articulation et à la gesticulation. C’est surtout dans les formes initiales du chant que la catégorie de hauteur est indissociable des caractéristiques du timbre dont la signification sémantique est mise assez souvent au premier plan. Ceci dit, la fixation des airs archaïques par notation est assez problématique. » Il faut donc s’attendre à voir toute une série de principes de segmentation de la hauteur dans des cultures différentes. En outre, dans de nombreuses cultures musicales, le mouvement de glissement et d’oscillation entre les « degrés de la gamme » est aussi important, sinon plus, que les « degrés de la gamme » eux-mêmes. La segmentation basée sur les distances de glissement (étendues de glissement) peut être un principe important d’organisation de l’espace de fréquences. Nous ne pouvons donc pas présumer que les sons musicalement pertinents aient des hauteurs fixes. Les mouvements de la hauteur, créés selon le contexte et le sens, acquièrent une signification musicale dans de nombreuses cultures. Par exemple, les inflexions tonales et leur répartition dans les gammes se sont révélées être un trait significatif dans les styles régionaux aussi bien que dans les pièces individuelles pour la musique instrumentale chinoise (Will 1994). L’analyse, faite d’après des notations fondées sur des hauteurs fixes, ne dispose pas de moyens ni de concepts pour examiner ces aspects de la « sémantique » musicale.

27En Occident, la notation de la hauteur se fonde sur l’idée pythagoricienne selon laquelle les relations de hauteur sont déterminées par des rapports de fréquences : on considère que les intervalles sont semblables lorsque les rapports de fréquences qui les constituent sont les mêmes. Par exemple, l’intervalle d’une quinte juste est formé de deux notes dont les fréquences fondamentales correspondent à une proportion de 2 :3. Il y a cependant des raisons de croire que la production et la perception de la hauteur basées sur les proportions ne sont pas des caractéristiques universelles du système auditif de l’homme. Hermes et van Gestel (1991) ont montré que les mouvements de hauteur qui façonnent l’intonation du discours ne suivent pas une échelle logarithmique ; autrement dit, les intervalles de hauteur de la parole ne sont pas basés sur des proportions. Dans la musique des Aborigènes d’Australie centrale, deux types d’organisation des intervalles ont été identifiés (Will et Ellis 1996 ; Will 1997a). L’un d’eux, appelé « mode de proximité », organise les intervalles selon une échelle linéaire c’est-à-dire, sur la base des différences de fréquences. Ces exemples laissent penser que les intervalles de hauteur ne sont pas indépendants des facteurs culturels. S’il existe effectivement plus d’une façon de percevoir les intervalles, la notation habituelle ne constitue pas une méthode générale applicable à tous les cas.

28La notation occidentale implique l’existence généralisée de l’équivalence d’octaves ; ceci veut dire que pour chaque séquence de notes, il existe une autre séquence, à la seule différence que les notes de la deuxième sont éloignées d’une ou de plusieurs octaves de celles de la première séquence. Il s’agit là d’une caractéristique nécessaire de tout système d’intervalles fondé exclusivement sur les rapports de fréquences. Cependant, nous savons aujourd’hui qu’il existe au moins une culture, celle de l’Australie centrale, où ce principe d’équivalence d’octaves généralisée ne fonctionne pas (Will 1997a). Par conséquent, comme il existe des systèmes de hauteurs qui ne sont pas, ou pas exclusivement, basés sur des rapports de fréquences, nous ne pouvons pas présumer a priori que toutes les cultures musicales connaissent et appliquent le principe de l’équivalence d’octaves généralisée. Celle-ci semble être un concept culturellement acquis plutôt qu’une condition naturelle de la perception auditive de l’homme (Burns et Ward 1982). L’étude des conditions culturelles de ce phénomène mériterait d’être entreprise par les ethnomusicologues si l’obsession de la notation occidentale ne les empêchait de se consacrer à cette tâche.

29Dans la notation occidentale, la musique est organisée selon des cadres ou des tranches temporels abstraits (mesures), dans lesquels les rythmes sont formés par les combinaisons de diverses subdivisions rationnelles de ces unités de base. L’impossibilité manifeste de représenter plusieurs musiques à l’aide d’un tel système a déjà incité de nombreux chercheurs à abandonner l’indication des barres de mesures dans leurs transcriptions. Cependant, l’idée même de petites subdivisions rationnelles et entières d’unités rythmiques est un concept spécifique appartenant aux sociétés de l’écriture, car la régulation des durées est soumise à d’autres principes dans les cultures orales. Par exemple, des chercheurs ont transcrit de plusieurs façons complètement différentes un rythme irrégulier à deux temps, très courant dans les accompagnements en Australie centrale. L’ayant comparé aux battements du cœur humain, Moyle (1995) a conclu que sa structure représentait une subdivision non-rationnelle et qu’il était donc impossible de le transcrire adéquatement. Dans la plupart des cas, toute indication de principes d’organisation rythmique issus de fonctions et d’actions corporelles dans les cultures orales est perdue dès qu’on la transcrit en notation occidentale (voir par exemple Jousse 1978). Il existe, même dans les sociétés de culture écrite, des concepts rythmiques qui ne s’appuient pas sur les subdivisions rationnelles : la notation du minnan, une ancienne musique de cour de la Chine du Sud, est la seule notation traditionnelle chinoise qui dispose d’une série sophistiquée de symboles indiquant les configurations rythmiques (Liu 1953). Toutefois, ces symboles se réfèrent surtout aux gestes accomplis par les interprètes pour produire les résultats musicaux désirés et ne concernent pas les valeurs de la durée des sons produits ; aussi, les résultats sont tout sauf les petites subdivisions entières des unités de base. En les transformant en un schéma divisible et rationnel, la notation occidentale ne facilite pas la compréhension des rythmes et de leurs principes d’organisation. En outre, la transformation crée elle-même des structures qui n’ont aucune signification dans les cultures orales. Les symétries rythmiques, celles des phrases, des mélodies et des formes musicales plus développées sont toutes des symétries spatiales produites par la notation. Les interprétations et les conclusions fondées sur elles n’ont aucune pertinence dans les cultures orales, car ces symétries n’ont elles-mêmes aucune réalité dans le monde oralo-aural.

Le problème des analyses automatisées

30La perception du timbre, de la composition spectrale des sons et de leurs changements est essentielle dans la vie de tous les jours pour estimer les distances et les directions, pour comprendre le langage, détecter les sons en mouvement, etc. Pourtant, son développement dans la notation occidentale a souffert, alors que les aspects visuels prenaient leur essor au détriment des considérations aurales. Quoiqu’il en soit, l’absence de moyens pour étudier des aspects de la musique autres que la hauteur et le rythme a été vivement ressentie depuis longtemps et plusieurs extensions de la notation occidentale ainsi que de nombreux appareils électroniques ont été spécialement conçus pour capter et traiter ces dimensions (voir Hood 1974 ; Nettl 1964). En effet notre siècle a vu le développement impressionnant du matériel électronique destiné à analyser les signaux acoustiques, de l’oscillographe jusqu’aux tout derniers logiciels sophistiqués d’analyses de signaux, en passant par la phonophotographie, les instruments d’analyses automatiques de fréquence et d’amplitude et les sonagraphes. La façon dont ces nouveaux développements technologiques ont été intégrés à la recherche musicologique a cependant été fortement influencée par l’intérêt des comparatistes pour les « formes visibles » de la musique et par leur parti pris en faveur de la notation (voir Will 1997b). Mise à part l’approche du remarquable groupe de savants réunis autour de Carl et de Harold Seashore (Seashore 1938, 1947), on n’a guère vu de changement paradigmatique dans la méthodologie analytique, qui aurait permis de compléter et de faire progresser les possibilités offertes par les développements technologiques. En 1967 déjà, Bengtsson attirait l’attention sur le fait que le domaine de l’analyse de la « musique telle qu’elle est interprétée » était entièrement délaissé par ces développements technologiques ; depuis, la situation n’a pas évolué et l’approche méthodologique de l’analyse reste issue de la notation telle qu’elle est. Les nouvelles et diverses façons d’aborder l’analyse musicale par les procédés technologiques sont toujours conçues comme autant de formes de la « notation » ; il suffit, pour s’en rendre compte, d’observer les termes inventés pour désigner ces appareils électroniques : « transcripteur automatique de musique », « transcripteur objectif de musique », etc. Comme l’a écrit Mantle Hood, l’application de cette technologie était uniquement déterminée par « le désir de rendre perceptible à l’œil les raffinements subtils du son qu’une oreille entraînée peut aisément saisir » (Mantle Hood 1993 : 138). Cela signifie que ces instruments n’étaient pas, à l’origine, conçus comme des outils analytiques différents et nouveaux, mais comme des compléments à la notation standard ayant recours à la visualisation pour transcrire des éléments musicaux qu’il était impossible de noter autrement. Il me semble que les principaux responsables de la stagnation et de l’échec de la « transcription automatisée » sont cette obsession de la forme visible de la musique et les parti pris conceptuels qui s’ensuivent et non, comme le prétend Jairazbhoy (1977), « l’énorme complexité de la musique ». A la fin de ce siècle, nous disposons d’un large éventail d’instruments de laboratoire qui devraient, en principe, nous permettre d’analyser la musique, et non sa notation, mais nous manquons toujours de méthodes conceptuelles et analytiques pour le faire. Les analyses musicales réalisées à l’aide du mélographe ou d’autres instruments du même type sont toutes plus ou moins confinées dans une description qualitative des sorties de graphiques automatisées : les fréquences des fondamentales sont évaluées par rapport à la grille des lignes de références ; celles des harmoniques par rapport aux fréquences des fondamentales, les durées sont calculées par référence à une échelle temporelle et, lorsque des données quantitatives accompagnent ces renseignements, elles consistent en estimations et des calculs théoriques sans aucune indication sur leur moyen d’obtention ou leur degré de précision (voir par exemple les différentes contributions dans le second volume du Selected Reports in Ethnomusicology, qui s’intéresse aux analyses effectuées avec le Melograph Model C). Cette limitation n’était pourtant pas imposée par l’état de la technologie disponible, puisque d’autres disciplines ont développé des méthodes d’évaluation quantitative des données à l’aide d’instruments analogues.

31Prenons par exemple le domaine de l’analyse spectrale, qui est assez en vogue à l’heure actuelle, puisqu’on trouve, à des prix relativement abordables, des logiciels et du matériel électronique pour la réaliser. Les études consacrées aux analyses spectrales de la musique proposent généralement des représentations graphiques accompagnées de commentaires descriptifs. Dans la plupart des cas, la seule information pertinente qui soit fournie est celle des unités de mesures indiquées par les axes des digrammes. Quand elles sont données, les autres valeurs numériques sont, au mieux, des estimations fondées sur des hypothèses théoriques. La mécanique théorique nous apprend que les composants des fréquences de vibration d’un oscillateur harmonique idéal consistent en une série de fréquences (partiels) dont les valeurs numériques correspondent à une série de petits nombres entiers (par exemple 1 :2 :3 :4 :5 :6 etc.), appelée spectre harmonique. Par conséquent, si l’on trouve que la fréquence fondamentale d’un son analysé est, disons, de 200 Hz, on conclut d’habitude que les partiels supérieurs auront des fréquences de 400, 600, 800… Hz. Malheureusement, les instruments de musique, y compris la voix humaine, n’étant pas des « oscillateurs harmoniques idéaux », ils n’ont donc pas de spectre harmonique idéal. Les cordes, pour prendre un exemple, ont une certaine épaisseur et leur masse n’est pas répartie de façon parfaitement égale sur toute leur longueur. Ces facteurs entraînent des déviations plus ou moins grandes par rapport au spectre harmonique. De même, les tuyaux ont un certain diamètre fixe, un facteur qui crée le phénomène suivant : le troisième partiel a une fréquence plus haute que celle requise par la théorie. Si les considérations spectrales ont une réelle pertinence pour l’explication de certains phénomènes dans la culture musicale – nous n’avons certainement pas besoin de sonagraphe pour distinguer une clarinette d’une flûte, l’analyse spectrale étant déjà effectuée par notre oreille – nous ne devons pas nous attendre à ce que les partiels réels d’un son vocal ou instrumental soient les mêmes que ceux dérivés théoriquement de la fréquence fondamentale. Au tout début de mes analyses de la musique des Aborigènes d’Australie septentrionale, je croyais que les chanteurs avaient tendance à ajuster la hauteur de leur voix aux partiels du didjeridu qui leur servait d’accompagnement. Les données ne semblaient pourtant pas confirmer cette hypothèse : un décalage gênant existait entre la fréquence fondamentale du chanteur et la fréquence supposée des partiels de l’instrument. C’est seulement après avoir analysé les fréquences des partiels produits réellement par le didjeridu, que nous pûmes montrer que les chanteurs ajustaient effectivement certaines hauteurs, de façon à les adapter aux partiels réels, au moment où le changement d’embouchure de l’instrumentiste produisait une fréquence fondamentale légèrement différente (McCardell et Will 1998 ; Will 1998). Quelqu’utiles que puissent être ces présentations graphiques d’analyses complexes pour résoudre certaines questions – nous sommes, après tout, des êtres très visuels – ce dont nous avons besoin, c’est d’information numérique spécifique et non des suppositions faites d’après des hypothèses théoriques qui ne sont pas prouvées. C’est seulement alors que les analyses spectrales joueront un rôle significatif dans la recherche musicologique sur la compréhension des processus et des développements des différentes cultures musicales.

Comment se dégager de la notation habituelle ?

32Tous les exemples présentés dans cet article montrent qu’il y a, en fait, moyen d’éviter les embûches inhérentes à l’analyse musicale issue de la notation. La voie la plus prometteuse à mon avis passe par l’utilisation des instruments électroniques d’analyse du son ou de la musique. Il faut toutefois éviter à tout prix de les considérer comme des extensions ou des améliorations de nos systèmes de notation et les utiliser avant tout comme des appareils élémentaires fournissant des séries de données quantitatives permettant d’amorcer des analyses, sans plus.

33L’emploi de la notation à des fins analytiques peut être envisagé comme un mode de classification d’événements sonores perçus selon un système de référence spécifique. Nous faisons tout d’abord des classifications selon un système de référence particulier qui est ici la notation standard occidentale. Celle-ci consiste en un processus de sélection qui introduit un parti pris de dépendance vis-à-vis du système : seuls les événements sonores ou les aspects qu’en retient le système de symboles utilisé peuvent être notés Ensuite, nous avons affaire à une classification des sons perçus ; cela signifie que la musique est passée par un filtre psychophysiologique complexe et qu’elle a été transformée. Ce qui est noté dépend donc de la musique produite, du mode de perception auditive du transcripteur et du système de notation utilisé. Confrontés à la seule notation, il nous est impossible d’isoler la part de chacun de ces facteurs.

34Cependant, la situation est différente lorsqu’on utilise des appareils d’analyse électroniques. On commence, en principe, par les enregistrements électroniques – analogiques ou numériques – dans lesquels la perte d’information dépend principalement, mais non exclusivement, de l’état de la technologie disponible. Celle-ci permet aux chercheurs de choisir le degré de résolution qui leur semble nécessaire pour que leurs données répondent à leurs questions. Toutes les informations temporelles nécessaires sont conservées ; il n’y a aucune réduction résultant de la transformation en formes spatiales, comme c’est le cas pour la notation. Ces données ne seront pas « filtrées » par des segmentations prédéterminées de temps ou de hauteur. Au contraire, ces segmentations pourront être explicitement établies dans l’analyse, c’est-à-dire que de nouveaux concepts analytiques permettant de répondre aux questions ci-dessus devront être élaborés. Comment procéder pour analyser ces données, quels critères appliquer pour les réduire et comment grouper et segmenter les mensurations du temps et de la fréquence ? Ayant déjà examiné ces questions de façon détaillée (Will 1997b), je me bornerai ici à exposer les deux démarches qui me paraissent essentielles dans l’analyse de ces séries brutes de données. La première doit nécessairement être une réduction des données, sur la base de la physiologie auditive. Aujourd’hui, la psychophysique a accumulé assez de connaissances pour permettre une reclassification « perceptuellement » significative des données sonores originelles. La raison pour laquelle j’estime qu’il appartient aux comparatistes d’accomplir cette tâche est que, malheureusement, la plupart des physiologistes ou des psychologues ont une idée trop vague de la dépendance culturelle de la perception auditive. La deuxième démarche devrait favoriser l’analyse des caractéristiques psycho-cognitives permettant de faire une description du comportement musical enregistré qui soit musicalement et culturellement significative.

35Comme nous venons de le voir, cette approche commence par la collecte des enregistrements de la musique à analyser. Bartók a écrit : « La seule notation véritable est le sillon sonore sur le disque lui-même. » (Bartók et Lord 1951). Bien que je ne partage pas entièrement l’idée qu’il faille mettre la notation et les enregistrements sur le même pied, je crois que Bartók avait raison de penser que c’est probablement l’enregistrement qui nous permet de nous rapprocher le plus de la musique si nous devons choisir un moyen pour la conserver. En outre, il nous rappelle à juste titre que la notation et l’enregistrement partagent des traits communs importants ; nous devons en être conscients pour éviter toute idée fausse et toute illusion dans notre travail lorsque nous étudions les enregistrements. Les différences entre les notations et les enregistrements sont évidentes : un enregistrement n’est pas une transformation spatio-visuelle de la musique ; il n’est pas non plus une transcription au moyen d’un système de symboles graphiques. Nous sommes incapables de voir et d’interpréter les gravures sur un disque ou les signaux numériques d’un CD. Malgré la transformation qui survient inévitablement dans le processus d’enregistrement, ce dernier peut être retransformé en événements audibles sans pertes essentielles. Les enregistrements partagent avec les notations un point commun : comme tous les systèmes d’écriture et de notation musicales, l’enregistrement n’est pas à même de fixer et de restituer tous les aspects de ce qui a été dit, chanté ou joué. Il ne parvient à rendre ni le contexte dans lequel un événement musical a eu lieu, ni sa signification, ni les indications sur l’attitude du musicien par rapport à ce qui a été enregistré. Sans aucune information complémentaire, la manière d’écouter ressemble un peu à celle de l’approche postmoderne de la musique : un enregistrement signifie ce que l’auditeur pense qu’il signifie. De plus, l’enregistrement crée aussi une tradition quasi littérale. Les enregistrements séparent, tout comme les notations, ce qui a été enregistré du contexte vivant du monde musical, créant ainsi une nouvelle mémoire et un nouveau moyen de référence. Les interprètes peuvent utiliser les enregistrements comme points de repère pour leurs répétitions et leurs exécutions musicales. Les traditions peuvent ainsi se figer et limiter leurs développements ultérieurs : le matériel enregistré et conservé devenant la forme « correcte », la chose à laquelle se référer.

36Il existe toute une série de thèmes au programme de la musicologie comparée qui, bien entendu, ne peuvent pas être abordés au moyen d’enregistrements et d’analyses réalisés à l’aide d’appareils électroniques. Néanmoins, de même que les enregistrements restent indubitablement le meilleur témoignage sur la musique telle qu’elle est interprétée, les analyses réalisées à l’aide du matériel électronique de laboratoire permettent une solution viable aux éternels problèmes liés aux analyses faites d’après la notation. Il est clair que de grands efforts sont encore nécessaires pour mener à bien un tel programme et que les résultats ne seront pas d’emblée faciles d’accès pour le musicien ou le musicologue, trop habitué à utiliser la notation ; toutefois, les perspectives sont prometteuses d’arriver enfin à nous débarrasser de cette « débauche de subjectivité » qui prévaut dans les méthodes usuelles.

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Pour citer cet article

Référence papier

Udo Will, « La baguette magique de l’ethnomusicologue »Cahiers d’ethnomusicologie, 12 | 1999, 9-32.

Référence électronique

Udo Will, « La baguette magique de l’ethnomusicologue »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 12 | 1999, mis en ligne le 08 janvier 2012, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/671

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Auteur

Udo Will

Udo Will a étudié la musique (composition), la sociologie, la musicologie et la biologie. Il a travaillé en tant que sociologue à des projets de développement socio-économique au Moyen-Orient. En 1981 il obtient un poste d’enseignement et de recherche à la faculté de biologie de l’Université de Bielefeld. En 1985 il passe un doctorat en neurobiologie et en 1990 un doctorat en musicologie. Dès 1991 il entreprend ses recherches sur la musique des Aborigènes d’Australie. A l’heure actuelle il est chercheur associé à la Flinders University, en Australie du Sud, et à l’Université d’Osnabrück, en Allemagne, où il dirige un projet de recherche en linguistique.

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