KITAHARA Ikuya, MATSUMOTO Misao et MATSUDA Akira, 1990, The Encyclopedia of Musical Instruments, The Shakuhachi. Tôkyô: Tâkyô Ongaku-sya Co.
Une réédition de musique japonaise
Walzenaufnahmen japanischer Musik 1901-1913/ Wax Cylinder Recordings of Japanese Music
Texte intégral
1Enregistré entre 1901 et 1913 par Abraham & Hornbostel, Fischer, Walter & Werkmeister. Notice bilingue allemand/anglais de 96 pages de Susanne Ziegler, 11 photographies en noir et blanc, transcriptions musicales. 1 CD Berliner Phonogram-Archiv. Historische Klangdokumente 1/Historical Sound Documents BPhA-WA 1.
2On ne peut que saluer l’entreprise du Berlin Phonogram Archiv qui inaugure, avec ces enregistrements japonais des deux premières décades du XXe siècle, une série de rééditions en CD de sa riche collection qui compte plus de 30000 cylindres ainsi que des enregistrements sur d’autres supports, effectués entre 1893 et 1954.
3En ce qui concerne la présente réédition, seule une pièce avait été rééditée dans un coffret de deux microsillons (The Demonstration Collection of E. M. von Hornbostel and the Berlin Phonogram-Archiv, Ethnic Folkways Library FE 4175). La comparaison entre les deux enregistrements de cette pièce pour shamisen — dont le titre est transcrit « Osazuma »pour la plage 3 du disque 1 du microsillon et « ōzatsuma » pour la plage 3 du CD —permet d’ailleurs de constater l’excellent travail accompli sur le son, même si celui-ci pose tout de même bien des problèmes d’écoute dans certains morceaux.
4Les quatre premières plages ont été enregistrées à Berlin en 1901, lors d’une tournée d’une troupe japonaise, l’Ensemble Kawakami, qui s’était déjà produit aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France. Il s’agit d’un répertoire inspiré par les théâtres nō et kabuki, mais adapté à un public occidental. La présence de quatre femmes dans la troupe — l’épouse du directeur était une ancienne geisha — est d’ailleurs symptomatique puisque les rôles féminins ont toujours été tenus par des hommes dans le nō et que dans le kabuki, les femmes ont rapidement disparu, alors le genre avait été créé par l’une d’entre elles, Okuni, danseuse du temple shintōd’Izumo. Le directeur de la troupe était engagé dans un courant moderniste, dans la mouvance du Shin-Nihon ongaku.
5On peut entendre une danse accompagnée au shamisen, suivie d’une remarquable pièce pour koto, extrêmement lente et majestueuse, dans un style très rarement enregistré, mais malheureusement desservie par un bruit de fond extrêmement présent et de plus « rythmique », sa pulsation n’ayant comme on peut s’en douter aucun rapport avec le morceau interprété, ce qui en rend l’écoute difficile. Suit le beau solo de shamisen déjà évoqué, extrait d’une pièce de kabuki non identifiée.
6Vient ensuite une pièce pour shakuhachi, curieusement décrit par Abraham et Hornbostel (celui-ci, rappelons-le, étant l’un des pères d’un système renommé de classification des instruments de musique) comme « une sorte de clarinette en bambou à six trous de jeu », alors qu’il s’agit d’une flûte à encoche à cinq trous. Un amateur japonais résidant à Berlin joue un extrait de « Rokudan »(« Morceau en six parties »), composé par Yatsuhashi Kengyô au XVIIe siècle pour le sankyoku, la musique en trio avec la flûte (ou la vièle kokyu), la cithare koto et le luth sangen. Ici, il s’agit d’un extrait en solo de la troisième partie et du début de la quatrième, dans une interprétation qui n’a rien d’inoubliable.
7La plage suivante présente trois chants du répertoire populaire, interprétés également par un amateur japonais résidant à Berlin, le comte Gotō, incluant un chant sur la guerre russo-japonaise de 1894-1895 et un autre en « chinois de cuisine ».
8Un groupe de geisha, enregistré à Berlin en 1909, est ensuite présenté. L’opérette de Sidney Jones, « The Geisha », avait été traduite quelques années auparavant en allemand et les geisha étaient devenues très populaires en Allemagne, comme d’ailleurs dans une grande partie de l’Europe. Les huit jeunes femmes interprètent une danse accompagnée au shamisen, évoquant ce « monde flottant », si élégamment décrit neuf ans plus tard par Kafu, dans son roman « Du côté des saules et des fleurs ». C’est une des pièces les plus intéressantes de l’album, ce répertoire, surtout enregistré à cette époque, n’encombrant pas les bacs des disquaires.
9Le reste des enregistrements a été effectué au Japon par Walter et Werkmeister, entre 1911 et 1913. Il s’agit d’abord d’« Etenraku », sans doute la pièce la plus célèbre du répertoire du gagaku, la musique « élégante » du palais impérial, interprétée ici par une formation réduite à un trio incluant une flûte traversière ryuteki, un hautbois cylindrique hichiriki et un orgue à bouche shō, alors que dans l’orchestre traditionnel les instruments à vent sont doublés sinon triplés et quecithares, luths et tambours sont également présents. Suit une pièce moins connue, « Bairo », qui est jouée notamment dans la forme dansée du bungaku.
10Erwin Walter a ensuite enregistré sur la côte nord-ouest une série de chants minyō, le répertoire populaire, dont dix sont présentés ici. Nous pouvons d’abord entendre à nouveau deux pièces du répertoire des geisha, chantées par l’une d’elles qui s’accompagne au shamisen. Suivent d’autres pièces vocales populaires interprétées en solo par des hommes, puis une pièce évoquant la nature jouée au shakuhachi dans le style minyō (populaire).
11Deux chants sont ensuite interprétés par un jeune prêtre bouddhiste, le premier faisant partie d’un cycle interprété au cours des pèlerinages par les laïques et le second destiné à accompagner les tsurugi-mai, les danses du sabre, évoquant ici un combat des guerres de clans qui ensanglantèrent le Japon au XVIe siècle.
12Un extrait de nō écrit par Zeami, le plus célèbre auteur du genre,est ensuite interprété par un chœur accompagné encore par une formation réduite à un tambour (alors que la formation classique comprend trois tambours, o-tsuzumi, ko-tsuzumi et taiko ainsi qu’une flûte traversière nōkan).
13Le CD se termine par deux pièces très célèbres de honkyoku, la musique de méditation jouée en solo au shakuhachi, « Koku »et « Tsuru no sugomori », la dernière faisant également partie du répertoire du sankyoku Ces pièces varient considérablement selon les temples dont elles proviennent. Elles sont interprétées dans le style Taizan-ha de l’école Myōan-ji (souvent transcrite Meian), la plus ancienne des écoles encore existantes. La qualité du son est malheureusement encore une fois médiocre et il est même difficile de se rendre compte si le la est un peu plus haut que celui de la gamme tempérée, comme c’est le cas pour beaucoup d’instruments de l’époque.
14Un point du commentaire prête à discussion, lorsque l’auteur, à la page 91, évoque « la facture extrêmement simple du shakuhachi ». Si son apparence extérieure est effectivement très simple, sa facture nécessite, par contre, beaucoup de temps et une technique affirmée. Une douzaine d’opérations sont en effet nécessaires : choix et déterrement (en hiver) d’un bambou madake qui convienne, préparation de la souche qui fera office de pavillon, première extraction de « l’huile », afin de rendre la cellulose plus compacte, séchage d’au moins trois ans, alésage puis courbure à chaud du tuyau, laquage très délicat de l’intérieur du tuyau et des trous de jeu, fabrication d’un tenon-mortaise circulaire (la plupart des instruments modernes sont en deux parties, notamment pour garder sept nœuds qui symbolisent les sept pas effectués par le Bouddha dans chaque direction, pour mesurer l’univers), facture de l’embouchure et du biseau en corne de buffle qui la rend plus précise — on peut trouver une description détaillée ainsi que des photos de la facture de la flûte dans le livre de Kitahara Ikuya, Matsumoto Misao et Matsuda Akira (1990).
15Pour conclure, ne cachons pas que la qualité du son de certaines plages est parfois à la limite du supportable même si, comme nous l’avons dit précédemment, un travail remarquable de restauration a certainement été effectué. Ceci ne devrait pas pour autant dissuader les amateurs de musiques d’Extrême-Orient d’acquérir cette excellente et unique publication, qui est accompagnée d’un livret fort bien documenté, riche en informations historiques et musicales, ainsi que de photographies d’époque et de transcriptions. On sera notamment sensible à ces interprétations anciennes de styles qui ont souvent évolué, généralement en accélérant les interprétations, et dont l’écoute est une source inestimable d’enseignement pour tous les amateurs de musique japonaise.
Pour citer cet article
Référence papier
Henri Lecomte, « Une réédition de musique japonaise », Cahiers d’ethnomusicologie, 16 | 2003, 253-256.
Référence électronique
Henri Lecomte, « Une réédition de musique japonaise », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 16 | 2003, mis en ligne le 16 janvier 2012, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/638
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