Schweizer Volksmusik Sammlung. Die Tanzmusik der Schweiz des 19. und der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, gesammelt von Hanny Christen
Collection de musique populaire suisse. La musique de danse de la Suisse du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, collectée par Hanny Christen. Editée par la Société pour la musique populaire en Suisse (SMPS/GVS) et les éditions Mülirad de Zürich, 11 volumes
Texte intégral
1Voilà le fruit d’une vaste entreprise menée conjointement et courageusement par la Société pour la musique populaire en Suisse et les éditions Mülirad de Zürich. Il fallait en effet une bonne dose d’audace pour publier les travaux de collecte de la folkloriste Hanny Christen (1899-1976), puisque le corpus comprend plus de 10000 pièces musicales, ce qui donne un ensemble de 11 volumes de format 30x22 cm, chacun dans une belle reliure rigide. Ce travail éditorial, dont la direction a été confiée au violoncelliste et éditeur de musique populaire Fabian Müller, est l’œuvre d’une équipe composée d’une quinzaine de personnes parmi les plus reconnues dans leur domaine respectif.
2L’objet a été particulièrement bien soigné dans sa présentation, ce qui paraît nécessaire pour décider l’acheteur : une maquette sobre mais élégante, une photographie ancienne d’ensembles de musiciens sur chaque volume, le tout en noir et blanc, mais avec un dégradé de gris mettant à distance l’image afin d’éviter tout passéisme, sans pour autant la rendre illisible. Bref, l’ouverture du paquet de la poste suisse (17 kilos !) déclenche un plaisir qui ne s’éteint pas et vous vous retrouvez quelques heures plus tard à continuer de feuilleter et de déchiffrer au hasard des pages.
3Le corpus rassemblé par Hanny Christen couvre l’ensemble du territoire suisse, mais la Suisse alémanique occupe la majeure partie de la collection, la Romandie étant représentée seulement par un corpus de 200 pièces environ. Le premier volume, consacré aux cantons de Zurich, Schaffhouse et à une partie de celui de Saint-Gall, contient la partie rédactionnelle de l’ouvrage : outre les inévitables avant-propos et remerciements, ainsi qu’une présentation de la Société pour la musique populaire en Suisse, on lira (du moins les germanistes, car l’édition est uniquement en langue allemande, ce que l’on peut regretter, mais vu le volume, peut-on se plaindre ?) un historique de cette publication, une interrogation sur le titre (musique populaire suisse ?) ainsi que l’explication des choix méthodologiques faits par les auteurs quant à l’indexation des pièces, leur harmonisation, les façons de jouer, les questions relatives aux titres des pièces, aux noms des compositeurs, etc. Une biographie de Hanny Christen clôt la partie rédactionnelle, mais en fin de ce premier volume on lira avec intérêt une contribution de Christian Schmid sur les danses populaires en Suisse, qui complète utilement l’introduction générale. Enfin, le onzième et dernier volume se différencie des autres en ce sens qu’il ne comporte ni partition ni texte, mais se présente comme une somme de différents index des mélodies contenues dans les dix autres. On trouve un index au premier abord curieux qui se présente comme un codage des mélodies emprunté par les éditeurs à une collection américaine. Selon eux l’intérêt de ce codage mélodique réside dans le fait que la connaissance des notes n’est pas nécessaire pour retrouver les mélodies, et qu’en plus cela confère une certaine marge de manœuvre pour diverses versions d’une mélodie. J’avoue qu’au début je ne voyais pas l’intérêt d’un tel codage. En effet, chacune des mélodies se trouve réduite à une suite de quatorze lettres, composée uniquement des lettres U, D et R, précédée d’une étoile. Celle-ci représente le son initial de la mélodie puis les lettres suivantes indiquent la courbe mélodique, en précisant si la note qui suit le son initial est plus haute (Up) plus basse (Down), ou bien si elle est répétée (R) et ainsi de suite. Ce codage est complété par deux lettres précisant le type de la pièce (WZ pour Walzer, PK pour Polka, LI pour Lied, etc.) suivies par un nombre précisant le numéro de la pièce, le canton et la commune de collecte, le numéro de volume et la page. S’ensuit ainsi une liste rébarbative de codes des mélodies classés par ordre alphabétique.
4En fait, ce codage s’avère être un outil très pratique, ainsi que j’ai pu le constater moi-même. En effet, j’ai enregistré lors d’un « Stobete » à Urnäsch (Appenzell Rhodes extérieures) une polka auprès d’un quintette à cordes connu localement sous l’appellation de « Original Appenzeller Streichmusik », et je voulais savoir si cette pièce avait été relevée par H. Christen. Je l’ai donc codée comme indiqué ci-dessus et l’ai retrouvée en moins de deux minutes, alors qu’il m’aurait fallu parcourir les 388 pages du volume consacré au canton d’Appenzell et déchiffrer toutes les polkas ! Loin d’être superflu, ce onzième volume s’avère donc fort utile, cela d’autant plus qu’il offre un index des noms propres quant aux sources de H. C., un index par titre ou, le cas échéant, par nom de danse, un autre regroupant les pièces par canton, et enfin un dernier index par numéro de registre des pièces (selon la numérotation des éditeurs), ce qui permet de constater que la collection regroupe 11821 pièces ! Et pour couronner le tout, chaque pièce est présentée dans les dix volumes avec le numéro de cahier manuscrit de H. C. ainsi qu’avec un numéro de titre donné aussi par H. C.
5L’harmonisation des pièces musicales soulève une interrogation, car toutes sont pourvues d’une harmonisation sous forme d’accords donnés en notation anglo-saxonne sous la portée donnant la ligne mélodique. Mais les éditeurs précisent que H. Christen a rarement indiqué les grilles d’accords, aussi ont-ils confié à trois musiciens bien connu du milieu de la musique populaire suisse (Ueli Moser, Ernst Ott et Florian Walser) le soin d’harmoniser les pièces musicales. Ce choix pourra paraître étrange aux lecteurs et musiciens, et je pense ici plus particulièrement aux Français amateurs de musique traditionnelle, pour lesquelles l’harmonisation des mélodies traditionnelles du domaine français relève d’une hérésie, et cela depuis la célèbre enquête Fortoul de 1852 et ses fameuses instructions destinées aux collecteurs, dans lesquelles Alexandre-Joseph Vincent, rédacteur de la partie purement musicale, prenait le soin de préciser aux collecteurs qu’il ne fallait surtout pas composer d’accompagnement. Mais ici nous sommes en Suisse, pays dans lequel la musique traditionnelle est polyphonique. Voilà une des raisons à ce choix, qui ne satisfera pas tout le monde, car l’harmonisation donnée ne saurait avec certitude reproduire celle des musiciens collectés par H. Christen. Car si celle-ci est largement codifiée, il arrive que des musiciens aient une manière tout à fait personnelle d’harmoniser les mélodies, quitte à bousculer quelque peu à la fois les règles établies par la tradition « savante » et l’auditeur. Mais ce choix témoigne de la volonté des éditeurs d’inscrire leur démarche dans une action culturelle : les mélodies sont avant tout destinées à être jouées. Peut-on leur reprocher cela ?
6La question des titres et des noms des compositeurs mérite que l’on s’y arrête. En effet, l’éditeur précise que les titres donnés sont en règle générale conformes au titre original, et que les éventuelles modifications sont précisées. Mais une grande partie des pièces musicales sont repérées par un nom de danse (valse, polka, etc.), car elles ne portent pas de titre. Les indexer par noms d’auteurs n’était pas une solution envisageable puisque les sociétés d’auteurs n’existaient pas encore, et que par conséquent il importait peu que soit donné un titre ou un auteur, comme c’est maintenant le cas. Si les musiciens œuvrant aujourd’hui dans le domaine de la musique populaire en Suisse déclarent les pièces sous leur nom et leur donnent un titre, le problème demeure pour les pièces collectées à une époque où une telle pratique n’avait pas cours. Les éditeurs, pour régler ce problème, se sont inspirés de ce qui se fait en Suède, en précisant « d’après » (en allemand « nach ») suivi d’un nom propre, ce qui indique que le musicien a la pièce à son répertoire, qu’il l’a apprise auprès d’un autre musicien, ou bien qu’il en est l’auteur.
7En effet, selon Fabian Müller, si on laisse de côté le cas des personnalités exceptionnelles, la composition de musique populaire dans les formes traditionnelles peut être considérée comme un bien commun et, à ce titre, le corpus présenté ici relève du domaine public, précise-t-il. Cette prise de position claire paraît tout à fait bienvenue, et d’ailleurs, aurait-il pu en être autrement ? Car d’une part il n’est pas toujours possible de trouver le nom de l’auteur d’une pièce, et d’autre part cela a-t-il un sens de le chercher si l’on veut bien considérer que « la musique » est avant tout performance ? La notion d’œuvre musicale, élaborée dans la musique « savante » et durcie par l’écriture dans la partition, ne saurait convenir ici. Même si, dans le cas des musiques populaires suisses, l’écriture joue un rôle non négligeable (aujourd’hui les musiciens utilisent l’écriture et dans le passé son emploi n’était pas rare, comme on le verra plus loin), elle reste aide-mémoire et ne fige pas la pièce musicale. Que l’on compare par exemple la polka 03218 de la page 108 du tome III entièrement consacré au canton d’Appenzell avec la polka 03582 de la page 252 de ce même tome et l’on verra combien la notion d’auteur demeure fragile. Certes, d’aucuns diront que l’on est en présence de deux versions d’une même pièce ; mais qu’est-ce qui est le plus important : ce qui se passe dans la pratique vive de la musique, ou l’existence d’un objet figé sur le papier et, somme toute, désincarné ? Et la réappropriation par celui que, par paresse intellectuelle, on continue de nommer l’interprète ne relativise-t-elle pas aussi la notion d’auteur ? Les notions élaborées dans le cadre de la musique dite « savante » ne sauraient être appliquées sans risque à d’autres pratiques musicales. Et d’ailleurs, sont-elles toujours pertinentes dans leur cadre d’origine ? Cela est un autre problème, et ce qu’il me semble pertinent de relever sont les questions que la lecture de l’exposé des choix éditoriaux soulève. Celle de l’auteur en est une parmi bien d’autres, comme celle de la « suissitude » du répertoire, ou encore celle de la place de l’écrit dans la musique populaire. D’une façon générale, les textes réunis en avant-propos et l’ouvrage même dans son ensemble invitent à relativiser la notion de musique traditionnelle telle qu’elle est reçue en France, ce qui n’est pas son moindre intérêt.
8Rentrons maintenant plus avant dans le corpus de pièces musicales rassemblées dans la collection. Pour ce faire je prendrai pour exemple le volume III consacré au double canton d’Appenzell, que je connais pour y mener un travail de terrain depuis quelque temps. On y trouve regroupés six ensembles distincts, dont les intitulés reflètent les différences quant aux modalités de collecte des pièces musicales. Un de ces ensembles est « tiré de la collection du docteur Brenner », enseignant à l’école cantonale de Trogen, et l’un des plus grands collecteurs de danses en Appenzell, avec lequel H. Christen a eu des échanges épistolaires. Un second ensemble est intitulé « Danses appenzelloises des Rhodes intérieures et extérieures, recueillies par H. Christen dans toute la région ». Trois ensembles différents sont présentés comme des collections provenant chacune d’un musicien du XIXe siècle : « collection Jakob Jucker », « collection Carl Bischofberger » et « collection Johann Josef Peterer senior ». Ces trois collections ne sont pas à proprement parler des « collectages », puisque H. Christen a en fait recopié des partitions qui lui ont été confiées par les enfants des musiciens (eux-mêmes musiciens en ce qui concerne J. Peterer et J. Jucker), ou par le propriétaire de la collection (Madame le docteur Merz-Buff pour la collection C. Bischofberger). Dans ce cas les collections originales ont été portées par écrit par le musicien lui-même, du moins est-ce le cas avec certitude pour celle de Josef Peterer. Enfin un dernier corpus de pièces est présenté comme le répertoire de « Giiger Altheer », transmis par le fameux joueur de Hackbrett Hans Rechsteiner, sans que l’on sache si ce dernier a transmis à H. Christen des partitions qu’elle a ensuite recopiées ou s’il a joué les pièces pour elle.
9En tout cas, on voit avec ce volume que la source écrite tient une grande part dans le travail de collecte, ce qui n’exclut pas, bien évidemment, la source vive, pour laquelle H. Christen utilisa d’abord la prise de notes (dans tous les sens du terme) puis ensuite un magnétophone à bandes de marque Uher. Certains pourront s’insurger contre cette pratique de collecte de partitions, mais à tort, semble-t-il, et pour plusieurs raisons : d’abord parce que ces partitions permettent de transmettre des répertoires aux musiciens désireux de jouer ce type de musique, mais aussi parce que, sur un plan disons plus « scientifique », elle est tout à fait légitime, puisque les musiciens des siècles passés utilisaient eux-mêmes la notation musicale, le plus souvent celle, conventionnelle, du solfège, mais aussi parfois des notations idiosyncrasiques, comme par exemple celle de Johannes Alder-Rotach (1885-1950) qui relevait en partie de la solmisation (cf. Appenzellerart, Kompositionen von Jakob Alder. Zürich : Mülirad-Verlag, 1996 : 23). On comprend dès lors mieux la légitimité de l’entreprise de H. Christen, qui rassemble des partitions, comme autant d’objets utilisés par les musiciens eux-mêmes.
10Le corpus rassemblé dans ce volume III présente avant tout un répertoire de danses : essentiellement des valses, ländler, scottishes, polkas, mazurkas, mais aussi des galops, varsoviennes, etc. ainsi que des pièces initialement vocales, mais reprises par les instrumentistes, comme les Rugggusserli des Rhodes intérieures ou les Zäuerli des Rhodes extérieures. Je ne pense pas me tromper en disant que ce corpus est sans doute le plus important jamais publié, pour ce qui concerne le canton d’Appenzell, et il en est probablement de même pour le autres régions suisses. C’est dire l’intérêt de la publication. Tous les « standards » d’Appenzell y sont, mais aussi d’autres pièces moins connues et, en feuilletant les partitions, on tombe parfois sur des versions différentes d’une même pièce, ce qui ne laisse pas de surprendre pour une pratique musicale qui utilise largement l’écriture. Ceci s’explique en partie par le fait que tous les musiciens ne la maîtrisaient pas, mais ne suffit pas à réduire le problème, car on trouve des différences chez des instrumentistes qui se servent de l’écrit, ce qui prouve bien que la notation n’est pas comprise comme représentation d’un objet musical, mais plutôt comme aide-mémoire, ainsi que je le faisais remarquer plus haut. Il y a là matière à rouvrir le vaste dossier de la problématique oral/écrit, certes classique, mais qui pourrait être éclairée d’une lumière nouvelle.
11On appréciera aussi la richesse de l’iconographie qui donne à voir des musiciens d’Appenzell parmi les plus renommés, mais aussi d’autres moins connus, ainsi que les petites notes qui suivent souvent les partitions, données par H. Christen, quant à l’auteur de la pièce, dont le nom est parfois suivi d’une date (celle de la composition ?) ou bien encore l’indication du métier des musiciens dans les légendes des photographies, et bien d’autres précisions tout aussi utiles. Les éditeurs ajoutent souvent leurs commentaires et suppositions quant à l’instrumentation possible, aux enchaînements des différents thèmes musicaux, par exemple tels qu’ils se pratiquent actuellement.
12Pour conclure je dirai que cette Schweizer Volksmusik Sammlung est une publication courageuse, car sûrement mal aisée à rentabiliser du fait de sa taille, mais aussi d’une très grand intérêt, sur le plan à la fois culturel et scientifique, tant par le corpus offert, la documentation qui l’entoure, mais aussi les réflexions ethnomusicologiques qu’elle suscite.
Pour citer cet article
Référence papier
Lothaire Mabru, « Schweizer Volksmusik Sammlung. Die Tanzmusik der Schweiz des 19. und der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, gesammelt von Hanny Christen », Cahiers d’ethnomusicologie, 16 | 2003, 219-224.
Référence électronique
Lothaire Mabru, « Schweizer Volksmusik Sammlung. Die Tanzmusik der Schweiz des 19. und der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts, gesammelt von Hanny Christen », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 16 | 2003, mis en ligne le 16 janvier 2012, consulté le 12 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/623
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