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Livres

Rachel HARRIS : Soundscapes of Uyghur Islam

Bloomington : Indiana University Press, 2020
Mukaddas Mijit
p. 278-280
Référence(s) :

Rachel HARRIS : Soundscapes of Uyghur Islam, Bloomington : Indiana University Press, 2020, 266 p.

Texte intégral

1Dans cette nouvelle publication, Soundscapes of Uyghur Islam, Rachel Harris pose un regard pénétrant sur un sujet encore laegement méconnu : le paysage sonore ouïghour de ces dernières années, un environnement en perpétuelle évolution. Son travail nous révèle le lien intime qui existe entre, d’une part, la transformation constante des pratiques spirituelles, religieuses et sociales des Ouïghours et, d’autre part, la présence, l’absence, la circulation et la restriction du son. Cet ouvrage nous aide à approfondir nos connaissances sur la politique agressive de censure et de contrôle que la RPC (République populaire de Chine) impose aux Ouïghours, tout en explorant les traditions de ce peuple. La démarche novatrice de Rachel Harris nous donne ainsi accès à des ressources précieuses pour mieux comprendre l’une des plus importantes crises humanitaires du XXIe siècle.

2Harris démontre ici, une fois de plus, la qualité de son travail d’ethnographe. Sa façon de recueillir un aussi large éventail de données et de guider le lecteur à travers un contexte religieux, sociopolitique et historique complexe est remarquable. Comme pour ses précédentes publications, elle a mené des recherches sur le terrain, au sein de différentes communautés ouïghoures situées dans la région du nord-ouest de la Chine, au Kazakhstan et au Kirghizistan, et en collectant des données numériques dans le cadre de son travail ethnographique à distance au cours des dix dernières années.

3L’accès qu’elle nous donne à des rites religieux féminins rarement documentés auparavant est enrichi par des entretiens conduits auprès de celles qui les pratiquent. En se penchant sur la cérémonie du zikr (remémoration) pratiquée dans différents villages ouïghours, Rachel Harris met en lumière la face intime de cette tradition hautement surveillée par l’État chinois. Elle souligne le rôle de la Buwi (la femme religieuse) dans les zones rurales ouïghoures par une démonstration vibrante où elle assimile les concepts de féminité, de pleurs ritualisés et de mise en scène spirituelle à une sorte de charge émotionnelle portée par ces femmes pour toute la communauté.

4Un autre point important de ce livre est l’analyse détaillée de la circulation des documents religieux parmi les Ouïghours dans ces diverses régions durant les deux dernières décennies : Rachel Harris avance en effet que les pratiques rituelles et leurs représentations musicales facilitent considérablement la diffusion des textes imprimés ou manuscrits (copiés). Elle propose en outre que nous réexaminions la relation binaire entre traditions orale et écrite et dépeint une réalité fluctuante, intimement liée au contexte du moment. D’après Rachel Harris, s’il est primordial d’étudier la transmission de ces documents écrits parmi les croyants, il faut aussi retracer la piste de leur propagation. Elle relate ainsi la façon dont ces textes ont été copiés, imprimés et adaptés en fonction de différents changements politiques, et analyse leur appropriation par les femmes de petits villages lors de leurs rassemblements soufis.

5Un chapitre est consacré aux changements affectant les récitations du Coran dans la région ouïghoure et au-delà : la circulation des enregistrements venant d’ailleurs et les médias en ligne ont favorisé l’émergence de nouvelles interprétations vocales évoquant les styles du Moyen-Orient. Rachel Harris discute également de la manière dont ces récitations ont été intégrées dans la pratique quotidienne ouïghoure. Ainsi, elle démontre avec expertise la dynamique de pouvoir que ce style de récitation à la fois « ancien et nouveau » a instauré sur les territoires ouïghours ; elle replace dès lors l’islam ouïghour dans un contexte international et souligne sa reconnexion avec le reste du monde islamique.

6Mais Rachel Harris tente aussi de comprendre comment les sons de la spiritualité, même lorsqu’ils ne sont pas mis en scène et qu’ils demeurent non publics, voire cachés, font néanmoins partie intégrante de l’environnement sonore islamique ouïghour. Pour ce faire, elle recourt aux espaces numériques comme instrument de son travail de terrain, et notamment WeChat (Weixin en chinois et Undidar en ouïghour), application de messagerie instantanée, réseau social et outil de paiement en ligne. Si le gouvernement chinois empêche ses citoyens d’utiliser la plupart des réseaux sociaux mondialement connus, il autorise l’accès à WeChat. En effet, l’application a été mise au point par Tencent, une entreprise de technologie dont le siège se situe en Chine et qui est sous contrôle du Parti communiste chinois. C’est par ce moyen, entre autres, que les membres de la diaspora ouïghoure peuvent communiquer avec leur famille et leurs amis restés en Chine. Pour les chercheurs qui ne peuvent se rendre sur place, il s’agit d’une plateforme essentielle afin d’obtenir des informations sur ce qui se passe à l’intérieur du pays. Grâce à elle, Rachel Harris a collecté divers types de données telles que des sons, des images, des vidéos et des textes religieux, qui circulent dans les sphères des messages privés et des posts dans les espaces publics de l’application. Elle a également pu examiner des publications (sons, textes et vidéos) émises au sein de la région ouïghoure avant de les comparer à des réactions provenant de l’extérieur (la diaspora ouïghoure). Cette méthode de travail lui a permis d’étudier le réseau social ouïghour et l’évolution de la situation politique relative à la pratique de l’Islam dans la région ouïghoure depuis les années 2010. Les outils et la méthodologie établis dans son ouvrage constituent une ressource intéressante sur l’ethnographie à distance qui s’est avérée utile à de nombreux chercheurs dans le domaine des études ouïghoures.

7Rachel Harris détaille également comment les autorités chinoises ont réagi face à cet environnement sonore religieux, audible et numérique. Depuis 2016, le gouvernement chinois exerce une violente répression à l’égard des Ouïghours, des Kazakhs et des Kirghizes au nom de la guerre contre le terrorisme. La recherche universitaire a amplement démontré comment la vidéosurveillance, l’incarcération de masse et le système d’éducation politique alimentent une crise humanitaire continue sur ce territoire. Cependant, Soundscapes of Uyghur Islam va plus loin : d’après l’analyse de Rachel Harris, la musique et la danse ont joué un rôle dans le projet de territorialisation (sonore) mené par les autorités chinoises. Le chant et la danse servent ainsi à remodeler la pensée du peuple et à contrôler et occuper (remplacer) les espaces sonores. On peut citer l’exemple inquiétant de ces figures religieuses (notamment des imams) forcées par les autorités à exécuter publiquement une chorégraphie puérile sur la célèbre chanson pop « Petite Pomme ». Rachel Harris montre clairement la façon dont ces procédés régentent et restructurent le corps et l’esprit des Ouïghours tout en éradiquant les sons religieux d’avant.

8En dépit de cette oppression, Rachel Harris termine son ouvrage sur une note plutôt optimiste. Comparant la situation actuelle à la Révolution culturelle des années 1960 et 1970, elle met en avant la prise de conscience culturelle et spirituelle qui a traversé la société ouïghoure dans les années suivantes.

9J’ai personnellement apprécié la lecture de Soundscapes of Uyghur Islam, un ouvrage parsemé de citations issues d’un vaste ensemble de corpus de recherche dans le domaine de l’étude du son, de la musique et de la religion notamment. Rachel Harris y établit un pont significatif entre le paysage sonore de l’Islam ouïghour et un contexte international plus large, démontrant son sens de l’engagement en qualité de chercheuse, mais aussi en tant qu’être humain capable d’« écouter par-delà la brume ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Mukaddas Mijit, « Rachel HARRIS : Soundscapes of Uyghur Islam »Cahiers d’ethnomusicologie, 36 | 2023, 278-280.

Référence électronique

Mukaddas Mijit, « Rachel HARRIS : Soundscapes of Uyghur Islam »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 36 | 2023, mis en ligne le 10 octobre 2023, consulté le 29 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/5150

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Auteur

Mukaddas Mijit

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CC-BY-SA-4.0

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