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CD

Une réédition des archives de Hugh Tracey, pionnier des enregistrements de terrain en Afrique

Henri Lecomte
p. 370-373

Full text

1Le label hollandais Sharp Wood a entrepris l’édition en CD, sous la direction du musicien Michael Baird, de quelques-uns des trésors collectés par Hugh Tracey (1903-1977). Cette édition est une série de compilations des enregistrements de Tracey, avec parfois certains de ses commentaires, mais également d’autres, rédigés par son fils Andrew ou par Michael Baird.

2Né dans le Devon, en Angleterre, Hugh Tracey part travailler en 1920 dans ce qui était alors la Rhodésie du Sud (l’actuelle Zambie). Il apprend rapidement la langue des Karanga, une population qui travaillait notamment dans les plantations de tabac, se joignant même à eux à l’occasion pour chanter. En 1929, il réalise à Johannesburg son premier enregistrement d’un groupe de ces chanteurs, microsillon initial d’une série qui en inclura 210, édités par la Library of African Music. La majeure partie de ses enregistrements seront cependant par la suite effectués sur le terrain.

  • 1 African Acoustic. From The Copper Belt. Zambian Miners’ Songs. 1 CD Original Music OMCD 004.

3Hugh Tracey, qui a enregistré des formes musicales aujourd’hui disparues en même temps que les sociétés qui les avaient engendrées, a eu également le mérite de ne pas dédaigner les musiques « néotraditionnelles », comme celles du guitariste congolais Jean-Bosco Mwenda et d’autres, congolais, angolais ou mozambicains, ou encore celle d’orchestres de mineurs zambiens alliant chant et guitares1 ; il rejoint ainsi l’idée exprimée par Nicolas Bouvier (Le vide et le plein. Carnets du Japon. Paris : Hoëbeke, 2004) selon laquelle la tradition « … est comme un cétacé de grands fonds, sorte de Moby Dick qui chemine sans trêve bien loin sous la surface de la mer. Si l’on s’obstine à la chercher et à l’attendre là où, pour la dernière fois, on l’a vue faire surface, on pourra l’attendre longtemps. Non, il faut croire et naviguer jusqu’à ce que les deux chemins se coupent. Il faut la chercher là où elle est et non pas où elle fut. »

4On a d’ailleurs une saisissante image de cette rencontre entre « tradition » et « modernité », avec cette pièce jouée par un musicien Luluwa (SWP 11, plage 16) où une guitare sert de caisse de résonance à un lamellophone likembe. Il est également évident que le jeu de guitare, bien souvent, est fortement inspiré, selon les régions, par le jeu des lamellophones ou des harpes.

5Trois CD sont consacrés à plusieurs pays : le premier (SWP 15) présente des guitaristes des actuels Congo démocratique, Malawi, Zambie et Zimbabwe. Ils chantent tous également, soutenus parfois par une bouteille percutée. On peut y entendre toute une gamme de liens avec la tradition, depuis des techniques très proches de celles des instruments traditionnels jusqu’à d’autres fortement inspirées par les musiques populaires américaines de l’époque. C’était en grande partie la musique des mineurs de cuivre, nouvellement urbanisés, pour qui la guitare était l’un des signes extérieurs d’un nouveau statut social.

6Le second (SWP 17) présente des musiques d’Afrique du Sud, du Botswana et du Lesotho. Comme dans les autres albums, le texte est bien documenté, donnant par exemple les hauteurs des dix-neuf flûtes en cuivre jouées en hoquet par un ensemble de musiciens tswana. La plupart des pièces paraissent enregistrées en situation, chants de femmes pour faire tomber la pluie, chants d’initiation ou chants de fillettes. On peut également y entendre deux plages interprétées sur un extraordinaire instrument, l’arc en bouche lesiba, à la fois cordophone et aérophone puisqu’un tube de plume fixé sur la corde est insufflé par le musicien, pour renforcer les harmoniques.

7Le dernier CD consacré à plusieurs pays couvre l’Afrique du Sud et le Swaziland (SWP 20) et présente deux des peuples Nguni, les Xhosa et les Zoulous. On peut y entendre notamment plusieurs pièces pour arc à résonateur, avec une analyse de la manière dont des doigtés différents génèrent des échelles différentes, chez les Xhosa, les Zoulous ou les Tsonga. On y trouve également des chœurs enregistrés au cours de rituels d’initiation ainsi que d’autres « jazzy », de délicats chants d’amour de femmes s’accompagnant d’un arc à résonateur, de guitares, d’un harmonica ou d’un petit orchestre incluant un saxophone, une guitare, une contrebasse et une batterie.

8Trois CD sont consacrés à ce qui était à l’époque le Congo belge. L’album SWP 009 a été enregistré à l’orée de la forêt de l’Ituri où des groupes bantous et pygmées cohabitaient une partie de l’année. On peut y entendre des polyrythmies exécutées sur des tambours à fente, le timbre limpide, presque liquide, des lamellophones ainsi qu’un joueur de flûte à encoche qui joue avec un growl qu’envieraient sans doute bien des jazzmen. Leurs voisins, les pygmées Mbuti, sont des maîtres de la polyphonie, vocale ou interprétée par des ensembles de flûtes. Ceux qui ont aimé le livre de Colin Turnbull (The Forest People. Londres : Triad Paladin Grafton Books, 1984) seront touchés d’y retrouver la voix de Moke, son informateur et ami, celui-là même qui lui déclare, alors qu’il s’étonne de le voir danser « seul » la nuit près du campement : « Mais je ne danse pas seul. Je danse avec la forêt, je danse avec la lune. »

9Le CD présentant la musique des Kanyok et des Luba (SWP 011) étonne par la diversité des timbres, qu’il s’agisse des tambours à mirlitons, des altérateurs de voix en calebasse dans lesquels chantent les femmes, des xylophones, des lamellophones ou des flûtes de Pan, nous dévoilant un ensemble d’instruments peu courant dans la discographie africaine.

10Le dernier CD congolais (SWP 016), enregistré au nord de la république, est également très varié, se terminant notamment par une longue plage (12’ 45’’) où un missionnaire britannique explique, avec des exemples donnés par deux percussionnistes lokele, la manière dont sont élaborés les messages transmis par les tambours à fente. Le reste des enregistrements présente principalement des chœurs, souvent mixtes, accompagnés de diverses percussions, tambours de bois ou à membrane, cloches ou hochets, mais aussi des expressions plus individuelles comme ces chants en solo accompagnés par un lamellophone ou un luth à deux cordes, dont l’une sert de bourdon.

11Du Malawi, proviennent deux CD. Le premier (SWP 013) débute par les notes cristallines d’une cithare sur cuvette accompagnant une voix. On peut ensuite entendre d’autres cithares, des ensembles de tambours à peau accordés (avec un relevé des hauteurs), des xylophones sur troncs ou sur cadre, des ensembles de mirlitons, ainsi que des chants accompagnés par un lamellophone, ou un chant de travail féminin soutenu par le frappement des pilons dans les mortiers. Le CD SWP 014 présente d’abord un chanteur, Beti Kamanga, qui s’accompagne d’une cithare en radeau en tiges de papyrus, au timbre beaucoup plus mat que celui des autres cithares du CD. On peut d’ailleurs remarquer que Hugh Tracey a toujours été sensible à l’individualité des musiciens africains et qu’il a été visiblement touché par le talent de ce chanteur, dont quatre pièces sont ici présentées. Des chants nostalgiques ou des chansons à boire sont accompagnées par d’autres cithares, une vièle monocorde ou un arc musical et l’on retrouve des ensembles de mirlitons, du même type que ceux du précédent CD.

12Au Mozambique, Tracey a bien entendu enregistré les majestueux ensembles de xylophones timbila (SWP 021), qui peuvent comprendre jusqu’à seize instruments, mais aussi des femmes jouant des flûtes globulaires en calebasse, des ensembles de flûtes jouant en hoquet, des chants polyphoniques, ou encore un arc en bouche et des altérateurs de voix. Le second volume (SWP 025) est consacré à des expressions plus urbaines, avec sept chanteurs guitaristes, dont l’un joue également d’un mirliton, ainsi que d’un hochet tenu par sa main droite.

13D’Ouganda nous arrivent les subtiles polyrythmies des derniers ensembles de tambours royaux (SWP 008), puisque le dernier Mwami (roi) allait quitter le pays à l’indépendance, en 1961. De délicates complaintes amoureuses alternent avec les chants de louange des femmes pygmées Twa, le jeu de l’arc musical ou les ensembles de trompes. Le CD SWP 024 est consacré à des musiques souvent intimistes où un chanteur s’accompagne d’un lamellophone, d’une harpe ou d’une vièle à deux cordes. La musique instrumentale est également riche avec ses trompes en calebasse, ses flûtes à encoche, ses xylophones sur troncs ou ses ensembles de huit lamellophones.

14Au Rwanda (SWP 007), l’accent a été mis principalement sur les divers ensembles de tambours royaux, mais présente aussi des chants de louanges ou de danse.

15Deux CD (SWP 022 et SWP 023) nous révèlent la richesse des musiques de Tanzanie, nous faisant découvrir des merveilles d’un pays pourtant bien représenté dans la discographie aisément accessible. Le premier, consacré à la musique vocale, débute avec plusieurs pièces chantées par un majestueux chœur mixte polyphonique qui comprend quelque six cents exécutants. Les chants humoristiques, de mariage, de louanges, de lutte ou de divination leur succèdent, avec un éventail de timbres vocaux très variés et de techniques comme le fredonnement, utilisé en ostinato pour accompagner la voix de fausset d’un chanteur soliste (plage 20). Le CD consacré aux musiques instrumentales n’est pas moins riche, alliant ensemble de flûtes et groupe vocal polyphonique, ensemble de tambours à membranes accordées, cithares sur cuvette, lamellophones, xylophones, arcs musicaux, ou encore de tambours joués parfois par les femmes, sans oublier une splendide suite de mélodies funéraires jouées sur une flûte à embouchure terminale. On y découvrira aussi avec étonnement des musiques de xylophone ou de lamellophone enregistrées à Zanzibar et où ne transparaît aucune influence arabe ni indienne.

16En Zambie (SWP 010), Hugh Tracey a principalement enregistré des lamellophones pouvant comporter de huit à quatorze touches. Il s’agit parfois de musiques de danse mais surtout de musiques intimistes, jouées pour soi et exprimant souvent l’amour ou la nostalgie. Quelques chants accompagnés par un arc à résonateur sont également présentés.

17Du Zimbabwe proviennent deux CD, le premier (SWP 012) étant consacré encore en grande partie aux chants accompagnés par des lamellophones, ici à deux rangées de lames superposées. Les divers accords et cycles rythmiques sont notés, de même que ceux joués sur une flûte traversière, sur un arc en bouche ou par des ensembles de flûtes de Pan. Le dernier CD (SWP 018) présente un chanteur-guitariste, George Sibanda, que Tracey est revenu enregistrer à plusieurs reprises. C’est d’ailleurs en grande partie grâce à son aide que le musicien est devenu une des stars de la radio de l’époque.

18On ne peut que saluer l’œuvre exceptionnelle de Hugh Tracey, dont nous découvrons peu à peu la richesse, et qui nous permet d’accéder à tout un pan des musiques africaines, en bonne partie absentes du reste de la discographie. Le travail de compilation effectué par Andrew Tracey et Michael Baird est également remarquable, tant par la qualité musicale des pièces présentées que par l’excellent texte (en anglais) qui l’accompagne.

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Appendix

At the Court of the Mwami. Rwanda. 1952. Tutsi, Hutu, Twa.
1 CD Sharp Wood productions SWP 007.

Royal Court Music from Uganda. Ganda, Nyoro, Ankole.
1 CD Sharp Wood productions SWP 008.

On the Edge of the Ituri Forest. Northeastern Belgian Congo. 1952. Budu, Mbuti, Mangbele, Nande, Bira. 1 CD Sharp Wood productions SWP 009.

Kalimba & Kalumbu Songs, Northern Rhodesia. Zambia. 1952 & 1957. Lala, Tonga, Lozi, Mbunda, Bemba, Lunda. 1 CD Sharp Wood productions SWP 010.

Kanyok and Luba. Southern Belgian Congo. 1952 & 1957. Kanyok,
Luba-Kasai, Luluwa, Songye, Luba-Katanga, Hemba.
1 CD Sharp Wood productions SWP 011.

Other Musics from Zimbabwe. Southern Rhodesia. 1948, ’49, ‘51’, ’57, ’58, ’63. Ndau, Sena Tonga, Shona. 1 CD Sharp Wood productions SWP 012.

Southern and Central Malawi. Nyasaland. 1950, ’57, ‘58. Mang’anja, Cewa, Yao. 1 CD Sharp Wood productions SWP 013.

Northern and Central Malawi. Nyasaland. 1950, ’57, ‘58. Tonga, Tumbuka, Cewa. 1 CD Sharp Wood productions SWP 014.

Origins of Guitar Music in Southern Congo & Northern Zambia.
1950, ’51, ’52, ’57, ‘58.
1 CD Sharp Wood productions SWP 015.

Forest Music. Northern Belgian Congo 1952. Mayogo, Meje, Azande, Bobwa, Alur, Lokele. 1 CD Sharp Wood productions SWP 016.

Tswana and Sotho Voices. Botswana, South Africa, Lesotho. 1951, ’57, ’59. 1 CD Sharp Wood productions SWP 017.

The Legendary George Sibanda. Southern Rhodesia. Zimbabwe. 1948, ’49, ’50, ’52. Bulwayo. 1 CD Sharp Wood productions SWP 018.

The Nguni Sound. South Africa & Swaziland. Xhosa, Zulu, Swati.
1 CD Sharp Wood productions SWP 020.

Southern Mozambique. Portuguese East Africa. 1943, ’49, ’54, 55, ’57, ’63. Chopi, Gitongo, Ronga, Tswa, Tsonga, Sena Nyungwe, Ndau.
1 CD Sharp Wood productions SWP 021.

Tanzania Instruments. Taganyika. 1950. Nyakyusa, Gogo, Hehe, Zaramo, Nyamwezi, Haya. 1 CD Sharp Wood productions SWP 022.

Tanzania Vocals. Taganyika. 1950. Gogo, Nyamwezi, Sukuma,
Chagga, Maasai
. 1 CD Sharp Wood productions SWP 023.

Secular Music from Uganda. 1950 & 1952. Soga, Teso, Dhola,
Gisu, Konjo, Nyoro, Toro
. 1 CD Sharp Wood productions SWP 024.

Forgotten Guitars from Mozambique. Portuguese East Africa.
1955, 56, ’57. Feliciano Gomes, Aurelio Kowana & others
. 1 CD Sharp Wood productions SWP 025.

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Notes

1 African Acoustic. From The Copper Belt. Zambian Miners’ Songs. 1 CD Original Music OMCD 004.

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References

Bibliographical reference

Henri Lecomte, Une réédition des archives de Hugh Tracey, pionnier des enregistrements de terrain en AfriqueCahiers d’ethnomusicologie, 17 | 2004, 370-373.

Electronic reference

Henri Lecomte, Une réédition des archives de Hugh Tracey, pionnier des enregistrements de terrain en AfriqueCahiers d’ethnomusicologie [Online], 17 | 2004, Online since 13 January 2012, connection on 04 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/475

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