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AFRIQUE DE L’OUEST. Archives musicales d’Afrique de l’Ouest. Les années 1970 à Bouaké | MALI. L’art des griots de Kéla 1978-2019

Camille Devineau
p. 319-321
Référence(s) :

Archives musicales d’Afrique de l’Ouest. Les années 1970 à Bouaké, Collection Bernard Mondet. Enregistrements et photographies : Bernard Mondet ; texte : Vincent Zanetti. Archives internationales de musique populaire 1 CD MEG-AIMP 117, 2020.

L’art des griots de Kéla 1978-2019, Enregistrements : Bernard Mondet (1978-79), Vincent Zanetti (2019) ; texte : Vincent Zanetti. Archives internationales de musique populaire 1 CD MEG-AIMP 119, 2021.

Texte intégral

1Les férus de musique mandingue passeront à coup sûr un très bon moment musical avec ces deux albums. Tous deux sont produits par le label MEG-AIMP avec la contribution de Vincent Zanetti. C’est par une longue imprégnation d’une trentaine d’années, tant musicale que culturelle, que ce spécialiste a acquis une fine connaissance de la culture mandingue. Il endosse de nombreux autres costumes que celui de la confrérie des chasseurs donso à laquelle il appartient. Historien de formation, il est également journaliste et producteur sur les ondes de la RTS, directeur artistique et ethnomusicologue, ainsi que musicien multi-instrumentiste spécialiste des percussions mandingues. Contribuer à l’élaboration de ces deux albums semblait être une tâche faite pour lui.

2Afrique de l’ouest. Archives musicales d’Afrique de l’Ouest. Les années 1970 à Bouaké a été distingué comme coup de cœur de l’Académie Charles Cros 2020 dans la catégorie « Mémoire Vivante ». Il nous donne à apprécier un travail de qualité dans les enregistrements et photographies – vues d’ensemble et de détails des instruments –, dans le texte du livret (Vincent Zanetti) puis de sa traduction anglaise, ainsi que dans la numérisation des bandes originales et la restauration audio (Arthanor production). Ce disque est composé de différentes pièces enregistrées à Bouaké (Côte d’Ivoire) entre 1978 et 1979 par Bernard Mondet (huit pistes pour une durée totale d’un peu plus de quarante minutes). Entomologiste à l’Orstom (aujourd’hui IRD), Mondet a rapidement été pris de passion pour la culture et la musique de la région de Bouaké et a collecté de nombreux documents à valeur historique et ethnographique, dont plus de quarante heures d’enregistrements musicaux.

3Le livret s’ouvre sur une présentation générale du contexte social de Bouaké à l’époque des enregistrements, la ville y est décrite comme cosmopolite et comme un carrefour culturel et commercial, ce qu’une carte (réalisée par Helder Da Silva) permet de bien comprendre. Ce document montre l’étendue spatiale des échanges entre l’Ouest africain et les lieux d’origine des communautés enregistrées par Bernard Mondet à Bouaké. C’est « une suite d’arrêts sur image […] de ce qu’était l’activité musicale au sein des communautés traditionnelles de Bouaké entre 1977 et 1979 » que donne à entendre la sélection d’enregistrements du disque.

4Adama Drame, djembe fola résidant à Bouaké, a joué le rôle de bras droit de Mondet dans la découverte du contexte musical de la région. Tous deux animés de la même passion et, on le devine, liés par une forte amitié, ont cheminé ensemble jusqu’à leur album de 1984 qui faisait la part belle au djembé. C’est ce qui explique l’absence de cet instrument « star » de la musique mandingue dans le présent disque d’archives (2020), qui met plutôt en valeur d’autres instruments. Ainsi s’explique également l’importance donnée à la musique mandingue dans les enregistrements de Bernard Mondet.

5Dans cette région du monde, comme le souligne Zanetti, le musical doit être compris comme l’expression d’un partage festif intimement lié à la parole et à la danse. La musique appelle la danse qui elle-même relève d’un savoir contenu dans la mise en actes du corps. La première partie du livret a le mérite de remettre dans leur véritable contexte certains termes (griot, balafon…) qui, du fait de l’internationalisation de la musique mandingue, sont devenus d’usage courant et ont perdu de leur précision. Certaines relations de domination et de hiérarchisation entre sociétés y sont également soulignées. L’usage généralisé du terme « balafon », issu du terme balan, qui n’est qu’un type de xylophone largement joué autour du fief mandingue, en est une illustration. Ne serait-ce qu’au Burkina Faso voisin, le xylophone est en effet nommé respectivement elong et tiohun chez les Lobi et les Bwaba. On peut regretter que l’auteur utilise largement le mot balafon et ne s’en soit pas tenu au terme plus neutre de xylophone.

6L’autre partie du livret présente les pièces musicales et donne de très précieux détails sur le jeu de tel instrument ou l’interprétation de telle pièce. L’écoute de la pièce « Balafons » est par exemple guidée par l’indication de la structure bipartite de l’enregistrement : une première séquence chantée qui consiste en la répétition d’une phrase simple en mode question réponse, une seconde dévolue à l’accompagnement de la danse. Là encore, le contexte d’exécution est mis en avant, ce qui est fort appréciable.

7Ce que mettent finalement en lumière ces enregistrements, c’est l’importance et l’ampleur qu’a pris la musique mandingue (mais aussi peule) en Afrique de l’Ouest. Le recueil de musiques jouées à Bouaké fait apparaître une culture musicale traditionnelle urbaine mise en place par les aléas de l’histoire et à la faveur des échanges commerciaux. Ces tendances musicales, principalement mandingue et peule, se retrouvent sur les scènes internationales actuelles pour y représenter l’ensemble de la culture musicale d’Afrique de l’Ouest.

8Le deuxième album Mali, l’art des griots de Kéla 1978-2019, se concentre sur la musique mandingue et découle pour ainsi dire du premier. Le disque, d’une quarantaine de minutes, présente six pièces. Trois d’entre elles sont issues d’enregistrements effectués en 1978 par Bernard Mondet, non pas à Bouaké, mais à Kéla au Mali, bastion de l’art des griots mandingues (numérisation et restauration audio : David Haddzis). Les trois autres ont été enregistrées en 2019, également à Kéla par Vincent Zanetti. Le texte d’accompagnement (Zanetti, traduction anglaise d’Isabelle Schulte-Tenckhoff) offre un partage sur le mode de la conversation avec les spécialistes mandingues avec lesquels Zanetti a travaillé. Comme le premier album, celui-ci propose de très belles photographies prises en 1978 (Bernard Mondet) et en 2019 (Anne-France Brunet et Suzy Mazzanisi) ainsi qu’une carte (Helder Da Silva).

9Dans cet album, la justesse de l’approche du savoir-faire musical doit être saluée. En effet, la musique mandingue n’est plus, depuis longtemps, une nouveauté pour le monde occidental. Alors, pourquoi un CD de musique mandingue de plus ? Ce qu’il offre de neuf, c’est une véritable compréhension de l’action musicale et de son sens social profond.

10La première section présente les pièces enregistrées en 2019, la seconde celles de 1978. Cette organisation fait comprendre que le réel « pouvoir » de cette pratique musicale réside dans sa mise en œuvre et son application actuelles, même si le rapport au passé et la transmission sont des éléments essentiels.

  • 1 L’exemple le plus connu étant certainement l’ouvrage de Geneviève Calame-Griaule, Ethnologie et lan (...)

11J’insisterai sur un point en particulier : les griots font partie des nyamakala ; le livret nous apprend que ce terme se compose de nyama « maléfique » (mais aussi « ignorance »), et de kala que l’on peut traduire dans ce contexte par « antidote ». L’outil utilisé par les griots pour agir sur le monde, combattre l’ignorance et le maléfice, est la parole. Cette importance de la parole dans l’art des griots mandingues est d’ailleurs déjà présente dans le premier disque. Source de savoir et de mémoire, la parole est également une modalité d’action sur les mondes humain et invisible, comme l’ont montré de nombreux auteurs travaillant dans cette région d’Afrique1. « Celui qui dit tout détruit tout » : voici ce que confie l’un des griots de Kéla. La parole doit être utilisée de la bonne manière et à bon escient. Pousser les autres à être des exemples pour la société, telle est la quête du bon griot. Par leur aptitude à la manier avec justesse, les griots ont une part essentielle dans la vie sociale ; ils interviennent dans les demandes en mariage puis lors des mariages, des funérailles et de nombreux autres événements sociaux.

12Pour conclure, je dirai que cet album met le doigt sur la finesse « artisanale » du travail des griots mandingues, sur l’importance de la transmission et de la puissance de la parole.

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Notes

1 L’exemple le plus connu étant certainement l’ouvrage de Geneviève Calame-Griaule, Ethnologie et langage : la parole chez les Dogon. Paris : Gallimard, bibliothèque des Science Humaines, 1965.

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Pour citer cet article

Référence papier

Camille Devineau, « AFRIQUE DE L’OUEST. Archives musicales d’Afrique de l’Ouest. Les années 1970 à Bouaké | MALI. L’art des griots de Kéla 1978-2019 »Cahiers d’ethnomusicologie, 34 | 2021, 319-321.

Référence électronique

Camille Devineau, « AFRIQUE DE L’OUEST. Archives musicales d’Afrique de l’Ouest. Les années 1970 à Bouaké | MALI. L’art des griots de Kéla 1978-2019 »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 05 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/4578

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