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Livres

Jean-Sébastien LAURENT : Cantiques et tambours à Kinshasa, un siècle de musique liturgique

Collection Histoire des mondes chrétiens. Paris : Karthala, 2020
Blanche Lacoste
p. 301-304
Bibliographical reference

Jean-Sébastien LAURENT : Cantiques et tambours à Kinshasa, un siècle de musique liturgique, Collection Histoire des mondes chrétiens. Paris : Karthala, 2020. 230 p., transcriptions.

Full text

1Cantiques et tambours à Kinshasa est un ouvrage que l’on attendait depuis longtemps. En effet, les travaux traitant de la musique liturgique catholique post-Concile Vatican II sont rares, plus encore ceux consacrés aux pays africains décolonisés. Cette monographie, plus historique qu’anthropologique, décrit de manière très détaillée l’évolution des représentations et des pratiques liturgiques catholiques au Congo tout au long du XXe siècle.

2Paru au même moment que le travail de l’ethnomusicologue Alessandro Cosentino (2020) qui livre une ethnographie de la musique liturgique de la communauté congolaise de Rome, l’ouvrage de Jean-Sébastien Laurent livre une réflexion précieuse sur le processus d’« africanisation » de la liturgie et des chants qui l’accompagnent. Ce travail, qui va des premiers missionnaires belges à la (non-)révolution conciliaire, est essentiel à la compréhension des pratiques musicales liturgiques des églises congolaises d’aujourd’hui. Notons au passage que le Père Cola Lubamba, l’un des informateurs principaux de Jean-Sébastien Laurent, a longtemps été le directeur du chœur de la paroisse congolaise de Rome, pierre angulaire du travail de recherche d’Alessandro Cosentino.

3L’ouvrage se décline en trois temps et neuf chapitres, qui nous mènent du désir d’introduire la musique locale dans la liturgie catholique congolaise (dès les années 1920) à la création d’un rite ad hoc : le rite zaïrois, en 1988. Cette restitution nous dévoile toutes les étapes du long processus « d’inculturation » auquel a dû faire face le catholicisme congolais pour se forger une identité propre et localement située.

4Les deux premiers chapitres présentent la culture et l’organisation du fait musical congolais à travers le prisme de la linguistique et de l’ethnomusicologie. L’auteur y prend le temps d’exposer les structures d’organisation rythmique et vocale des musiques présentes dans les pratiques rituelles de la « zone culturelle » des Bantu, zone qui s’étend de l’Équateur au nord de l’Afrique du Sud. Il met en exergue les liens indissociables qui unissent ces musiques à l’organisation socioreligieuse des Congolais. Cette description du contexte est bienvenue pour mieux appréhender la complexité de la tâche entreprise par les missionnaires de l’époque, dont le projet était de rendre la pratique musicale liturgique plus attrayante aux fidèles congolais.

  • 1 Lettre Apostolique Maximum Illud « sur la propagation de la foi à travers le monde » du Pape Benoît (...)

5Les chapitres 3 et 4 de l’ouvrage décrivent, pas à pas, les tâtonnements conceptuels et créatifs des missionnaires belges. Dès les années 1920, la question de « l’inculturation » de la foi catholique à travers la musique est démontrée : la meilleure évangélisation est celle qui passe par les Congolais. Mais comment faire, alors que la première génération de prêtres congolais est encore en formation et que les relations entre l’Église et l’administration coloniale sont, pour le moins, ambiguës ? Quoi qu’il en soit, pour l’Église, « le prêtre indigène […] est merveilleusement armé pour acclimater la vérité dans les âmes : […] il sait choisir les moyens de forcer la porte des cœurs »1.

6Si la question de « l’inculturation » n’en est alors plus une, celle de l’adaptation du rite devient un thème récurrent et virulent dans les débats des années 1930-40. Les premières « digressions » se font à la marge des règles rigides de la « messe solennelle » où le latin ne peut être détrôné, tandis que l’orgue et la voix sont les seuls instruments autorisés. C’est donc à travers les messes « basses » et les livrets de messe que les premières tentatives d’adaptation peuvent être amorcées. Toutefois, au cours de ces deux décennies, les essais de pratiques musicales « hybrides » restent des exceptions car elles demeurent essentiellement en dehors des liturgies. L’auteur prend le temps d’analyser les différentes techniques employées dans la production d’une musique qui serait « culturellement adéquate » tout en se conformant aux dogmes. Or, quel que soit le chemin pris – celui de « l’imitation depuis le système musical occidental », ou celui de « l’assimilation du système musical congolais » lié à la danse, au rythme et au choix des instruments – l’auteur montre bien comment ces compositions missionnaires portent en elles leurs propres limites, tant sociales que musicales. C’est dans ce contexte qu’émerge la figure de Paul Ngoi, premier prêtre congolais à écrire en 1932 des chants pour la liturgie. Il va se livrer à une longue période d’essais et de tâtonnements qui prendra fin en 1947 avec la publication de l’encyclique de Pie XII sur la liturgie Mediator Dei. Même si de nombreuses règles, esthétiques pour la plupart, limitent encore les compositeurs, cette encyclique ouvre définitivement une première brèche aux chants populaires et/ou en langue vernaculaire dans quelques liturgies.

7C’est ainsi que les cinquième et sixième chapitres portent le lecteur au cœur des années 1950, décennie qui précède l’indépendance du Congo (1960) et le Concile Vatican II (1963-1965). L’auteur met ici en relief les problématiques qui ont conduit l’Église, alors dans une situation d’urgence pastorale, à mettre sur le devant de la scène l’adaptation musicale. L’urgence est, entre autres, liée au rejet progressif des institutions coloniales et à la peur de l’Église que le catholicisme et ses rites ne soient encore trop occidentaux pour survivre à l’absence des missionnaires. Cette urgence amène à délaisser les réflexions des décennies précédentes pour faire place à l’action. Le jeune prêtre Joseph-Albert Malula – qui deviendra évêque en 1959 – voit une radicalisation de l’adaptation comme unique solution. C’est dans ce contexte tendu que les premiers essais d’une nouvelle liturgie apparaissent. Ses adeptes font de véritables acrobaties pour contourner les règles en vigueur, sans pour autant y déroger. En 1958, le Directoire de Tournai propose qu’un lecteur dise la messe à voix haute et en langue vernaculaire tandis que le prêtre officie à voix basse en latin. Or, alors même que l’encyclique Musicae Sacrae disciplina (1955) du Pape Pie XII concède l’introduction des textes parlés et chantés en langues vernaculaires au sein de la liturgie, créer une musique liturgique « africaine » qui ne soit pas trop rythmique, trop dansable ou trop « légère » au goût du Vatican, n’est pas une mince affaire. Plus d’une centaine d’œuvres liturgiques sont pourtant produites par des compositeurs autochtones. Soulignons ici la richesse et la qualité des exemples musicaux proposés par l’auteur sur la plateforme Internet Soundcloud2 pour étayer sa démonstration. Selon Mgr Malula, les réelles années de bascule pour la chrétienté congolaise se situent entre l’indépendance et le Concile Vatican II, soit entre 1960 et 1963, période à laquelle l’auteur dédie un chapitre entier. Par l’exposé des stratégies des différents cardinaux lors des Commissions préconciliaires de ces années charnières, il démontre parfaitement comment le Concile a plus été une conséquence des changements musicaux et liturgiques qui étaient déjà en train de s’opérer plutôt que leur cause.

8Les trois derniers chapitres de l’ouvrage sont pleinement consacrés à l’essor de la musique catholique congolaise postindépendance et postconciliaire. Le retrait des missionnaires et la montée en responsabilités d’une génération entière du clergé autochtone font de la musique liturgique locale un élément central de la vie socioreligieuse congolaise. Le processus par lequel se met en place un rite ad hoc, qui puisse pouvant unir danse, musique et gestion de la parole prendra alors une vingtaine d’années pour finalement aboutir à ce que l’on nomme aujourd’hui le « rite zaïrois ». Dans ces chapitres, l’auteur propose une analyse quantitative et qualitative du répertoire liturgique qui se consolide tout au long des décennies suivantes.

  • 3 Voir Jean-Loup Amselle, L’ethnicisation de la France, Paris, Nouvelles éditions Lignes, 2011

9L’ouvrage de Jean-Sébastien Laurent s’avère des plus convaincants. Une introduction clarifiant la position de l’auteur – de nationalité française et membre du clergé – aurait cependant permis aux lecteurs de saisir les motivations de l’entreprise scientifique qui est la sienne, d’autant plus qu’on est là en contexte postcolonial. Par ailleurs, plusieurs définitions de concepts essentiels à la compréhension du lecteur, tels qu’ « inculturation » ou musique « traditionnelle » d’Afrique centrale, auraient été les bienvenues. Toutefois, l’analyse du paternalisme de l’Église missionnaire et de la politique racialiste de l’époque coloniale3 d’une part, et des résistances congolaises catholiques d’autre part, font la réussite de cet ouvrage. Quiconque portant un intérêt aux questions musicales liturgiques (post)coloniales des pays Africains y trouvera ainsi tout un ensemble d’éléments qui éclairent l’impact du colonialisme missionnaire sur le christianisme africain et la façon dont l’Église du Congo-Zaïre a entrepris d’y répondre par le biais de la musique liturgique.

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Bibliography

COSENTINO Alessandro, 2020, Esengo. Pratiche musicali liturgiche nella chiesa congolese di Roma. Roma : NeoClassica.

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Notes

1 Lettre Apostolique Maximum Illud « sur la propagation de la foi à travers le monde » du Pape Benoît XV, le 30 novembre 1919, cité p. 66.

2 https://soundcloud.com/jean-sebastien-laurent/sets/cantiques-et-tambours-kinshasa

3 Voir Jean-Loup Amselle, L’ethnicisation de la France, Paris, Nouvelles éditions Lignes, 2011

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References

Bibliographical reference

Blanche Lacoste, “Jean-Sébastien LAURENT : Cantiques et tambours à Kinshasa, un siècle de musique liturgiqueCahiers d’ethnomusicologie, 34 | 2021, 301-304.

Electronic reference

Blanche Lacoste, “Jean-Sébastien LAURENT : Cantiques et tambours à Kinshasa, un siècle de musique liturgiqueCahiers d’ethnomusicologie [Online], 34 | 2021, Online since 01 December 2021, connection on 04 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/4509

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