Navigation – Plan du site

AccueilCahiers d’ethnomusicologie34LivresChristine GUILLEBAUD & Catherine ...

Livres

Christine GUILLEBAUD & Catherine LAVANDIER eds : Worship sound spaces. Architecture, Acoustics and Anthropology

London, New York : Routledge, 2020
Séverine Gabry-Thienpont
p. 297-301
Référence(s) :

Christine GUILLEBAUD & Catherine LAVANDIER eds : Worship sound spaces. Architecture, Acoustics and Anthropology, London, New York : Routledge, 2020. 230 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage est le deuxième édité par l’ethnomusicologue et anthropologue Christine Guillebaud, responsable du collectif MILSON, réseau de recherche dédié à l’étude des milieux sonores. Il sort trois ans après Toward an Anthropology of Ambient Sound, également paru chez Routledge. Les contributions de ce premier volume exploraient les sons ambiants et leurs sens au prisme de cas d’études ethnographiques émanant de contextes culturels variés. Ce faisant, toutes démontraient l’importance pour l’anthropologie d’examiner au plus fin les conceptions sociales, religieuses et esthétiques relatives aux environnements sonores. Worship sound spaces. Architecture, Acoustics and Anthropology développe une approche multidisciplinaire (sciences humaines et sciences pour l’ingénieur) appliquée à la fabrique de ces environnements dans le cas particulier des lieux de culte et des espaces rituels. Co-édité avec Catherine Lavandier, professeure en acoustique, ce volume s’inscrit aussi dans une dynamique plus large où les études anthropologiques et historiques consacrées aux modes sensoriels dans les espaces sacrés et culturels renouvellent leurs approches en renforçant les liens avec d’autres disciplines que sont l’acoustique et l’architecture.

2Les deux éditrices soulignent comment le mouvement « écologique » a traversé les études acoustiques et les sciences humaines pour permettre aujourd’hui des échanges féconds sur la perception sonore des lieux de culte (notamment dans la lignée de Feld 1996). En prenant appui sur l’architecture et le design acoustique d’espaces musulmans, chrétiens et hindous, les auteur.e.s (anthropologues, spécialistes en architecture et acousticien.nes) partent du constat que la qualité sonore lors de la construction ou de la rénovation de bâtiments liés aux cultes fait l’objet d’une attention particulière, tant sur le plan architectural que théologique et sensoriel. Cet ouvrage donne au lecteur des clés pour mieux écouter et comprendre les espaces sacrés, à la lumière de l’expérience sonore des individus et des principes acoustiques mis en œuvre. Les articles s’accompagnent d’extraits sonores et vidéo consultables en ligne sur le site des Archives du CNRS-UPN gérées par le CREM.

3Trois parties structurent le propos. La première amène à questionner l’importance des intentions acoustiques dans la construction des espaces sacrés. La contribution de Marc Asselineau établit une synthèse historique et technique des paramètres acoustiques et de leurs attributs (réverbération du son, intelligibilité et clarté). Décrit par cet auteur comme un lieu de cohésion communautaire où sont délivrés des messages, l’espace rituel est pleinement construit par ses propriétés acoustiques – constat partagé par nombre d’auteurs dans l’ouvrage (Guillebaud, Zotter, Joanne, Thibaud). Asselineau expose, in fine, les enjeux relatifs aux indicateurs acoustiques dans la rénovation et la construction de lieux de culte, notamment quand ces espaces deviennent des lieux culturels.

4La deuxième contribution, écrite par Bénédicte Palazzo-Bertholon et Jean-Christophe Valière, aborde le cas des pots ou vases acoustiques scellés dans les murs des églises françaises du XIe au XVIIe siècle, offrant au lecteur un exemple d’objets déployés dans une perspective volontairement acoustique. Suivant l’usage d’une terminologie latine (Vox, Locus et Transitus), les deux auteurs confrontent leurs mesures acoustiques (précisant la fréquence des vases) aux textes historiques, en tenant compte de leur disposition dans l’espace liturgique et de la charge symbolique des décorations (combinant peintures d’anges chanteurs et évocations de l’harmonie des sphères).

5La troisième contribution nous mène au sein des temples hindous. Gérard Colas explique quelles étaient les conceptions acoustiques de l’ancien rituel, suivant les traités architecturaux écrits en sanscrit et principalement consacrés à Vishnu et à Shiva avant le Xe siècle. Ils permettent de saisir les projets des bâtisseurs des temples, notamment leurs prescriptions concernant le son et sa propagation. Ces sons regroupent ceux provoqués par les hommes (les bruits mais aussi les musiques) de même que les sons naturels (comme les cris des animaux) et supranaturels, c’est-à-dire associés aux manifestations divines : Colas montre que tous jouent un rôle essentiel dans la conception même du temple, analysé comme un espace social hiérarchisé.

6À la suite de ces considérations historiques, la deuxième partie de l’ouvrage rassemble des études de cas ethnographiques pour montrer de quelle manière le sacré est expérimenté et investi par le son. Le chapitre écrit par Gaspard Salatko offre une analyse de l’usage contemporain des cloches de Notre-Dame de Paris. Après un retour sur les travaux de l’historien Alain Corbin et sur des exemples puisés dans le cinéma, le roman historique et l’actualité, l’auteur considère, dans la lignée d’Alfred Gell (1998), les cloches comme des sources sonores dotées d’une agentivité particulière et porteuses d’un potentiel affectif puissant.

7L’article suivant mène le lecteur au sein des mosquées. À partir de son expérience en tant qu’expert en installation sonore, Ahmed Elkhateeb explique pourquoi il est devenu indispensable de prendre en compte les attentes des imams dans la disposition du matériel d’amplification. Dans la mosquée, la voix de l’imam est la seule source sonore permise : son confort acoustique est donc primordial. L’auteur différencie l’acoustique des mosquées anciennes de celle des modernes, plus pauvre, raison pour laquelle, selon lui, les imams requièrent systématiquement un système sonore pour amplifier leurs voix et honorer ainsi l’importance du taǧwīd, la récitation coranique. L’auteur expose de manière précise le protocole expérimental qu’il a mis en place en Arabie Saoudite pour déterminer la réception sonore tant des usagers que des imams.

8Le troisième article s’appuie sur un dispositif de parcours commentés connu des études sur les ambiances (sur une ethnographie du langage naturel des sons, voir entre autres exemples Battesti, Puig 2016) et dont Christine Guillebaud rappelle qu’il reste trop rarement utilisé dans la perception des lieux de culte. L’auteure y analyse l’influence des ambiances ordinaires au sein d’un temple hindou dédié à Shiva à partir de parcours (soundwalks) qu’elle a effectués successivement avec plusieurs dévots tout en enregistrant leur verbalisation. L’analyse de ces déambulations, dont l’intérêt est de coller le plus possible aux habitudes des sujets et à la perception des espaces qu’ils traversent, permet à Guillebaud de problématiser la façon dont les usagers ressentent la présence des divinités (notamment par les concepts de « transonorisation » et de « présence multisensorielle »), de même que leur sentiment d’« aménité », distinct du tumulte de la vie urbaine.

9Le chapitre suivant amène le lecteur dans la vallée de Katmandou, au sein de la culture rituelle hindoue. Astrid Zotter insiste sur le rôle du son en tant que marqueur de l’espace rituel, à travers la notion d’efficacité sonore. Elle distingue trois types d’espaces rituels : les permanents, les temporaires et ceux en mouvement. Le rôle du son y est abordé comme un indice permettant d’identifier la nature du rituel en cours, jusqu’à parfois constituer l’espace rituel lui-même (dans le cas des processions, par exemple). Il est aussi présenté dans ses dimensions sociales : l’auteure identifie trois groupes de producteurs de sons rituels, et observe une hiérarchie relative à leurs productions sonores.

10La dernière contribution de cette partie concerne les récitations coraniques diffusées depuis les haut-parleurs des terrasses des mosquées dans la vieille ville de Mombasa. Par son approche écologique, Andrew J. Eisenberg démontre avec efficacité combien l’organisation sonore des pratiques rituelles quotidiennes est constitutive d’une intimité communautaire, qui s’impose sur le plan national comme modèle d’indépendance. Par un récit ethnographique circonstancié, l’auteur analyse les prêches du vendredi et leur amplification sonore, et amène le lecteur à écouter la « polyphonie islamique quotidienne » (p. 141) propre à ce quartier, pour souligner les conditions culturelles et communautaires de la citoyenneté musulmane côtière dans le Kenya postcolonial.

11La troisième partie est dévolue aux modalités de restitution (et de simulation) des ambiances sonores du passé. Les deux contributions de Josée Laplace et Pascal Joanne prennent la notion foucaldienne d’hétérotopie comme référence. Laplace s’appuie sur les monuments catholiques romains de Montréal pour examiner le potentiel mémoriel du son en tant que patrimoine. Après un retour sur l’histoire du catholicisme québécois (et, une fois encore, sur l’importance des cloches), elle démontre que sons et souvenirs vont de pair et interagissent avec l’espace architectural. Elle argue ensuite que les modalités sensorielles propres aux églises influencent l’expérience corporelle des usagers et induisent de nouvelles manières de s’approprier les lieux. Les caractéristiques sonores marquent un lien tangible quoique ténu entre les époques : c’est précisément ce lien qui est établi et exploré ici, mais aussi questionné dans ce qu’il peut impliquer en terme patrimonial.

12Pour sa part, Joanne interroge la qualité du silence qui prévaut dans les monastères cisterciens français. La confrontation entre ce silence et la multiplicité des sons en présence malgré tout, fait de ces lieux des espaces « autres ». En s’appuyant sur les différents principes énoncés par Foucault (1984) et sur deux cas de reconstitution acoustique (menées dans les abbayes de Noirlac et de Clairvaux), l’auteur démontre qu’il existe des moyens sonores propres aux cisterciens pour transcender l’espace et l’individu, et que ces éléments sonores sont constitutifs d’une hétérotopie cistercienne.

13Le dernier chapitre de cette partie est consacré aux caractéristiques acoustiques des espaces rituels moghols en Inde. Les trois auteurs, Amit J. Wahurwagh, Akshay P. Patil et Alpana R. Dongre présentent à partir du tombeau de Shah Nawaz Khan à Burhanpur un programme de simulations d’ambiance basé sur les dispositions acoustiques spécifiques aux espaces sacrés moghols. Pour explorer le potentiel acoustique de ces espaces, ils exposent les calculs qu’ils ont effectués sur le temps de réverbération du son (RT), son degré de clarté (C80) et enfin sur le Speech Transmission Index (STI). Cette contribution montre comment, aujourd’hui, des architectes et des acousticiens peuvent s’associer pour combiner analyses rigoureuses et références aux sources écrites, et répondre ainsi à des enjeux de préservation patrimoniale.

14Ce bel ouvrage s’achève par une postface du théoricien des ambiances urbaines Jean-Paul Thibaud. Il propose d’explorer les espaces sonores rituels à travers le concept de tonalisation (attunement), qu’il définit à la croisée du sonore, de l’atmosphère et du sacré. Pour lui, l’intérêt de ce concept est double : il permet de penser le domaine sacré comme ontologiquement connecté au monde sonore, et tendre ainsi vers une approche phénoménologique ; il revient à questionner le monde sonore lui-même et sa puissance signifiante.

15Ce volume constitue ainsi un excellent guide technique et théorique pour qui envisage de combiner une analyse anthropologique ou historique à des protocoles expérimentaux propres aux méthodes d’analyse acoustique ou architecturale. Il permet d’entrer intimement dans la fabrique sensorielle des espaces sacrés. Au travers des contributions rassemblées, les deux éditrices convainquent de l’importance de croiser sciences humaines, architecture et acoustique pour rendre compte efficacement de l’ambiance sonore des lieux de culte, et éclairer ainsi la nature composite tant de la conception que de l’expérience des espaces sacrés.

Haut de page

Bibliographie

BATTESTI Vincent et Nicolas PUIG, 2016, « “The sound of society” : A method for investigating sound perception in Cairo », The Senses and Society 11/3 : 298-319.

FELD Steven, 1996, « Waterfalls of Song : An Acoustemology of Place Resounding in Bosavi, Papua New Guinea », in Steven Feld et Keith H. Basso : Senses of Place. Santa Fe : School of American Research Press : 91-135.

FOUCAULT Michel, 1984, « Des espaces autres », in Dits et écrits 4. Paris : Gallimard : 752-762, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/empa.054.0012

GELL Alfred, 1998, Art and Agency. An Anthropological Theory. Oxford : Clarendon Press.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Séverine Gabry-Thienpont, « Christine GUILLEBAUD & Catherine LAVANDIER eds : Worship sound spaces. Architecture, Acoustics and Anthropology »Cahiers d’ethnomusicologie, 34 | 2021, 297-301.

Référence électronique

Séverine Gabry-Thienpont, « Christine GUILLEBAUD & Catherine LAVANDIER eds : Worship sound spaces. Architecture, Acoustics and Anthropology »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/4499

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search