« Timbre is a slippery concept ».
Cornelia Fales, 2002
- 1 Les auteurs remercient les musicien·n·es qui ont participé à ce projet et l’ont rendu possible : Al (...)
1Utilisées dans les expressions musicales de nombreuses aires géoculturelles, les sonorités grésillantes sont produites par des instruments appartenant à toutes les familles organologiques1. Le projet « Altérateurs de timbre des cordophones » mené au Musée des Instruments de Musique de Bruxelles (2010-2014) s’est centré sur les cordophones pincés produisant des sons avec grésillement. Dans ce cadre, les dispositifs générateurs de sons grésillants ont été étudiés dans le but de comprendre leur fonctionnement psychoacoustique et leurs significations esthéticomusicales. La praxis et le discours autour de ces dispositifs par les musicien·ne·s et les facteurs d’instruments ont été intégrés dans la réflexion.
- 2 « [T]imbre. That multidimensional attribute of auditory sensation which enables a listener to judge (...)
2L’étude du timbre musical, particulièrement en ethnomusicologie, est relativement récente : contrairement aux questions « habituelles » de la discipline qui sont pratiquées et discutées depuis plus d’un siècle, l’analyse de ce paramètre n’a été véritablement possible à grande échelle que depuis la seconde moitié du XXe siècle. Par manque d’outils adaptés ou à cause d’un biais en faveur de la primauté de la mélodie ? Quoi qu’il en soit, le timbre demeure un paramètre élusif, défini par ce qu’il n’est pas2, même si plusieurs caractéristiques psychoacoustiques jouant un rôle dans la manière dont il est perçu ont été identifiées.
3Les timbres grésillants sont encore moins connus que les timbres non-grésillants : outre une analyse globale du phénomène remontant à Helmoltz (1877, voir Pressnitzer 1994 : 18-22 pour une description du dispositif), seul·e·s quelques chercheur·euse·s se sont penché·e·s sur la question. Souvent désignée par le terme anglais « buzzing », la qualité grésillante d’un timbre se définit comme une couleur sonore comportant un petit crépitement, un petit bourdonnement. Même la terminologie est imprécise : il n’existe pas en français de substantif permettant de désigner ce caractère. Dans le cadre de cet article, nous proposons d’utiliser le terme de grésillance : nous réserverons le mot « grésillement » à des sons spécifiques, alors que « grésillance » fera référence à une catégorie auditive, définie comme des sons présentant une couleur sonore grésillante.
4On voit déjà, rien qu’en essayant de la nommer, que cette catégorie est définie de manière intuitive. Les sons grésillants sont souvent qualifiés de « bruités », sous-entendant que le grésillement produit se caractérise par l’apport de larges composantes spectrales continues dans le spectre audible – c’est-à-dire de bruit. Mais est-ce vraiment le cas ? Les recherches récentes que nous avons menées ont permis de montrer que la situation est plus complexe.
5Le corpus utilisé dans le cadre de cet article se compose de sons provenant de cinq catégories de cordophones pincés : le bəgəna d’Ethiopie (9 instruments), l’obokano du Kenya (7 instruments), la tampūrā d’Inde (5 instruments) et le guembri des Gnawa du Maroc (3 instruments). Ces sons ont été enregistrés dans des contextes divers : en Ethiopie (2003), en Inde (2010), au Kenya (2013) et à Bruxelles (2020).
Fig. 1. De gauche à droite : bəgəna réalisé par Sisay Demse (2004), instrument personnel de Stéphanie Weisser ; obokano réalisé par Dominic Ogari (Kenyatta University, Nairobi, 30 novembre 2012) pour le Musée des Instruments de Musique de Bruxelles (n. inv. 2012.087.002) ; Aniruddha Bhattacharya joue la tampūrā lors d’une expérience menée à la Sangit Research Academy (Kolkata, 21 avril 2011) ; le m’allem (maître) gnawa Hicham Bilali joue du guembri pour une prise de son réalisée chez lui, à Bruxelles, le 9 octobre 2020.
6Pour chacun de ces instruments, de nombreux sons ont été enregistrés : avec le dispositif en place, sans le dispositif (ou avec ce dernier neutralisé), en conditions de jeu normales et en jouant des sons isolés, etc. Dans chacune des catégories, un instrument a été filmé à l’aide d’une caméra haute vitesse (500 images/secondes), ce qui permet de visualiser au ralenti les comportements des cordes et/ou du dispositif.
7L’analyse des cordophones pincés a montré que les dispositifs générateurs de grésillance peuvent être de deux types : les altérateurs de vibration et les instruments secondaires. La catégorie des altérateurs de vibration regroupe les instruments où le dispositif générateur de grésillance modifie la vibration de la corde, en créant un point de contact semi-permanent entre la corde et le dispositif.
8Trois types principaux de dispositifs modificateurs de vibration peuvent être distingués :
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La forme du chevalet est spécifique : le chevalet est légèrement curviligne (jawārī d’Inde) et son effet éventuellement complété par un fil (tampūrā) ; le chevalet peut être composé d’éléments arrondis, comme sur l’obokano des Gusii du Kenya ; le chevalet de forme spécifique de la trompette marine et de la vielle à roue.
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Des éléments non-vibrants sont ajoutés à proximité de la corde : le chevalet large est rectiligne et des objets sont insérés entre chaque corde et le chevalet, comme sur le bəgəna des Amhara d’Ethiopie et le jawārī de la tampūrā d’Inde ; la harpe ennanga des Ganda d’Ouganda (Gansemans 1999 : 116).
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L’instrument est monté de manière à ce que la corde soit à proximité d’un autre élément : la table d’harmonie, comme sur la lyre endongo d’Ouganda ; la harpe à harpions occidentale et le jeu Arpichordum du clavecin.
9Pour les instruments secondaires, la situation est plus simple :
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Un idiophone, amovible ou non, est intégré à l’instrument. Il peut être localisé au bout du manche (comme sur le luth guembri des Gnawa, la kora mandingue, et le luth tidinit mauritanien), ou sur la peau couvrant la caisse de résonance, comme sur la harpe ardin des femmes Hassani de Mauritanie.
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Un membranophone est intégré à la caisse (harpe kweranda des Muyang et des Ouldémé du Nord-Cameroun, cf. Fernando 1999 : 148 et Fernando 2002 : piste 9 et livret p. 13) ; ce cas n’a pas été étudié dans le cadre du projet mais une vidéo de présentation de cet instrument est disponible sur le site du CNRS3.
Fig. 2. Chevalets générateurs de grésillance de l’obokano (à gauche) et de la tampūrā (à droite). Les instruments photographiés sont ceux de la figure 1.
Fig. 3. Chevalet du bəgəna. L’instrument photographié est celui de la fig. 1.
Fig. 4. ṣarṣara du guembri du m’allem Driss Filali. Photographie réalisée lors de la prise de vue avec caméra à haute vitesse à Louvain-la-Neuve, le 27 août 2020.
- 4 En effet, quatre modes vibratoires simultanés ont été identifiés (cf. Leipp 1980 : 167 et suiv.), q (...)
10Les modificateurs de vibration ont été nommés ainsi en référence à leur action mécanique : ils modifient le comportement vibratoire de la corde. Avant d’analyser plus avant cette modification, il convient de préciser brièvement ce qu’est un comportement « normal » (sans dispositif) d’une corde pincée. Ce dernier est maintenant relativement bien connu. Une corde pincée est écartée de sa position d’équilibre, puis relâchée : l’excitation est dite « impulsionnelle » (Castellengo 2015 : 9-11). La vibration produite par une excitation impulsionnelle est complexe4. A strictement parler, une vibration de corde pincée produit un son inharmonique, même s’il peut se rapprocher d’un son harmonique moyennant des « aménagements » (corde longue et fine, régulière, etc.) : on parle alors de son quasi harmonique. Un son inharmonique est perçu comme plus faible en intensité, et produisant une hauteur dont la sensation est moins définie, moins nette.
11Les modificateurs de vibration de l’aire indienne (le chevalet large jawārī) ont été bien étudiés d’un point de vue théorique (cf. Bertrand 1992 ; Cuesta et Valette 1993 ; Schmitt 2000 ; Datta, Sengupta et al. 2019, etc.). Ces études montrent qu’ils génèrent un point de contact semi-permanent entre la corde et le chevalet en suscitant un « rebond » régulier de la corde sur le bord inférieur du chevalet et donc, en un sens, un entretien de la vibration. Or, un son entretenu présente des caractéristiques différentes de celles d’un son impulsionnel.
12Même si elle n’a pas été modélisée, l’action des modificateurs de vibration a pu être observée sur l’obokano et le bəgəna à l’aide d’une caméra à haute vitesse (500 images/secondes). La comparaison des prises de vues effectuées avec le dispositif en place et le dispositif enlevé ou neutralisé montre très clairement la différence entre les modes vibratoires et le rebond qui se produit au moment où la corde heurte le chevalet. On peut donc considérer que le mécanisme à l’œuvre est ici similaire à celui des chevalets larges de l’aire indienne.
- 5 A titre d’exemple : Rossing (1989) ne présente que deux idiophones à hauteur non définie (le triang (...)
13Les instruments secondaires ont, eux, été moins étudiés encore que les altérateurs de vibration. Est-ce dû à leur nature amovible, à la moindre considération accordée aux caractéristiques acoustiques des idiophones qui ne produisent pas une hauteur définie5 ou à la complexité des phénomènes vibratoires à l’œuvre ? Il est probable que la désaffection constatée de ces dispositifs sur le guembri (Dobbelaere, Hanakova et Sechehaye 2016), ou sur la kora (Duran 2008) n’a pas contribué à l’investigation de ceux-ci. Néanmoins, on peut observer, sur les films à haute vitesse, une transmission de la vibration de la corde à la plaque de la ṣarṣara, qui elle-même fait bouger les anneaux. Le mouvement de la corde ici n’est pas modifié, mais d’autres éléments sont actionnés par la transmission de leur vibration.
📺 1. Films en caméra haute vitesse (500 images/seconde) d’un pincement de corde de bəgəna avec dispositif normal (à droite) et sans (à gauche).
Voir
Jeu : Stéphanie Weisser ; prise de vue : Baudouin Bokiau, Institute of Mechanics, Materials and Civil Engineering (IMMC), Ecole Polytechnique, Université Catholique de Louvain (Belgique), 31 janvier 2013.
📺 2. Films en caméra haute vitesse (500 images/seconde) d’un pincement de corde d’obokano avec dispositif normal (en bas) et neutralisé (en haut).
Voir
Jeu : Stéphanie Weisser ; prise de vue : Baudouin Bokiau, Institute of Mechanics, Materials and Civil Engineering (IMMC), Ecole Polytechnique, Université Catholique de Louvain (Belgique), 31 janvier 2013.
📺 3. Films en caméra haute vitesse (500 images/seconde) d’une ṣarṣara pendant le pincement d’une corde du guembri.
Voir
Jeu : m’allem Driss Filali ; prise de vue : Sébastien Timmermans, Institute of Mechanics, Materials and Civil Engineering (IMMC), Ecole Polytechnique, Université Catholique de Louvain (Belgique), 27 août 2020.
14Outre les caractéristiques mécaniques, il est indispensable de se plonger dans les signaux acoustiques eux-mêmes. La comparaison des signaux produits avec et sans dispositif montre aussi très clairement la différence entre les sons : sur les plans temporel, spectral et de l’intensité (cf. fig. 5). Ces caractéristiques expliquent la différence de perception entre un son avec dispositif et un son sans ce dernier, mais comment expliquent-elles la grésillance ?
Fig. 5. Spectrogramme d’un son de bəgəna avec le dispositif en place (son grésillant) à gauche (fig. 5a) et sans le dispositif (son non grésillant) à droite (fig. 5b).
La seule différence dans les réglages du spectrogramme réside dans la limite fréquentielle de l’analyse : 20 000 Hz à gauche, 3000 Hz à droite. L’observation des deux images montre clairement l’enrichissement spectral, l’augmentation de dynamique et la transformation temporelle générés par le dispositif (il ne faut pas tenir compte des composantes qui sont visibles sur la seconde moitié du son non grésillant : il s’agit de bruit de fond). Sons enregistrés le 12 février 2002 à Addis Abeba, joués par le maître de bəgəna Alemu Aga sur son instrument personnel, correctement ajusté pour le son grésillant.
15Pour comprendre ce phénomène perceptif qu’est la grésillance, il faut se pencher sur une spécificité de l’oreille humaine : comme l’a montré Helmoltz, la coprésence de deux sons dont la fréquence est proche génère un phénomène de battement, c’est-à-dire un phénomène de modulation d’amplitude. Comme souligné par Pressnitzer (1994 : 16), « [l]a description du percept de rugosité a été établie à l’origine dans le cadre d’une théorie de la consonance et de la dissonance musicale ». Pressnitzer (1994 : 75) précise : « Helmholtz propose que la consonance musicale est liée à l’absence de rugosité ». Ce cadre conceptuel a eu pour conséquence que la sensation de rugosité a longtemps été établie comme désagréable, et cette évaluation semble s’être maintenue jusqu’à récemment, comme le notent Lahdelma et Eerola (2016 : 2). Vassilakis (2005 : 122) ajoute :
Within the Western musical tradition, auditory roughness has often been linked to the concepts of consonance and dissonance, whether those have been understood as aesthetically loaded, as is most often the case, (Rameau in Carlton 1990, Kameoka and Kuriyagawa 1969a, Terhardt 1984, and others) or not (Helmoltz 1885, Hindemith 1945, von Békésy 1960, Plomp and Levelt 1965, and others). Studies addressing this sensation have occasionally been too keen to establish a definite and universally acceptable justification of the “natural inevitability” and “aesthetic superiority” of Western music theory (for example, Stumpf 1980, in von Békésy 1960 : 348 ; Vogel 1993).
- 6 Une étude récente de M.J. McPherson, S.E. Dolan, A. Durango, et al. (2020) montre un processus simi (...)
16Néanmoins, plusieurs recherches ont montré que la rugosité peut être dégagée de cette origine conceptuelle. Il semble en effet que la manière dont les sons rugueux sont perçus présente des caractéristiques liées à la perception par l’oreille humaine, mais largement modelées et influencées par l’apprentissage à long terme et les conventions culturelles (Pressnitzer 1994 : 89-98)6.
17A la lumière de ces remarques, il convient de préciser que même si les liens avec « la consonance » et avec une nature « déplaisante » peuvent être écartés, l’utilisation du concept de rugosité requiert donc une prudence particulière, d’autant plus que la sensation désignée par le terme de rugosité semble varier individuellement, même dans un groupe que l’on peut supposer relativement homogène culturellement (Bezat 2003 : 15-18).
18Le phénomène de battements permet donc de comprendre comment une grésillance peut se produire, comme dans le cas des altérateurs de vibration, dans des sons riches en partiels quasi harmoniques. De tels sons ne sont pas assimilables à des bruits au sens défini ci-dessus, à savoir des phénomènes acoustiques présentant de larges composantes spectrales continues dans le spectre audible.
- 7 Dans leur article, Fales et Mc Adams envisagent trois relations possibles entre des sons à hauteur (...)
19Le mécanisme est différent dans le cas de la ṣarṣara du guembri, qui appartient à la catégorie des instruments secondaires définie dans le cadre de ce projet. La contribution de ce dernier au son global se présente sous la forme de composantes spectrales qui couvrent une zone spectrale très large et continue à partir de 3000 Hz. Il semble, pour une oreille non entraînée en tout cas, que la juxtaposition des deux sources sonores donne lieu à ce que Fales et Mc Adams (1994) ont défini comme une superposition – ou layering7 – de ces dernières.
20Dans les deux cas, néanmoins, il est important de noter que l’utilisation de sons grésillants correspond à une intentionnalité de la part du musicien. La grésillance fait intrinsèquement partie de la production sonore et, à ce titre, nécessite d’être examinée du point de vue des associations symboliques, des significations qui sont activées par sa présence.
21La grésillance d’un son peut, dans le cadre de l’étude du présent corpus, être associée à trois dimensions symboliques : l’identité sonore de l’instrument, le positionnement par rapport à une tradition et l’esthétique sonore. Pour analyser ces dimensions, les témoignages des musicien-ne-s et les observations effectuées sur le terrain sont fondamentaux.
22L’identité sonore de l’instrument est ainsi démontrée par les éléments
suivants :
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- 8 Information fournie par Dominic Ogari à propos du buzzing de l’instrument, le 9 décembre 2012. Note (...)
La grésillance est explicitement nommée : ainsi, okoyera désigne la grésillance de l’obokano8.
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La grésillance joue un rôle signifiant dans la dénomination de l’instrument : le terme enzira, ancien nom du bəgəna, désigne aujourd’hui les morceaux de cuir responsables du grésillement. L’étymologie du terme bəgəna peut signifier « qui grésille » (Teffera 2019 : 303).
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- 9 Informations fournies par Hicham Bilali (9 octobre 2020) et Driss Filali (27 août 2020). Notes de t (...)
La ṣarṣara du guembri, dispositif générateur de la grésillance, est une désignation onomatopéique (ṣrṣr). Le son produit par la ṣarṣara n’est pas considéré comme indésirable, à la différence d’autres grésillements, accidentels et indésirables, qui sont désignés par le terme « znzn » par les Gnawa9.
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- 10 Notes de terrain de Stéphanie Weisser, 2003-2004.
Les musiciens accordent une grande importance au grésillement : « this is not bəgəna » tranche Alemu Aga en visionnant l’enregistrement vidéo d’un bəgəna joué sans dispositif10.
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- 11 Information fournie par Dominic Ogari lors de la construction d’un obokano. Notes de terrain de Sté (...)
Le rôle du dispositif dans la production du son de l’obkono est reconnu : « the sound comes from the reeds11 ».
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- 12 Entretien avec Hicham Bilali, Bruxelles, le 9 octobre 2020, mené par Stéphanie Weisser et Hélène Se (...)
La grésillance est un critère de qualité de facture de l’instrument (Varnum 1971 : 245). Chez les Gnawa, la présence de la ṣarṣara rend le son de l’instrument « meilleur12 ».
23La grésillance/l’absence de grésillance constitue un positionnement du musicien par rapport à une tradition :
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- 13 Entretien avec Abid Bahri (Sechehaye 2020 : 422-3).
- 14 Entretien avec Hicham Bilali, Bruxelles, le 9 octobre 2020, mené par Stéphanie Weisser et Hélène Se (...)
L’utilisation de la ṣarṣara du guembri correspond à une inscription du musicien dans une manière « ancienne » de jouer, plus « traditionnelle13 », une manière de jouer avant l’arrivée de l’amplification et toutes les transformations qu’elle a entraînées : « c’est le vrai son14 ».
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L’utilisation d’un jawārī ouvert ou fermé est parfois considérée comme un des éléments permettant de déterminer l’inscription d’un joueur ou d’une joueuse de sitar dans une école stylistique (gharānā), cf. Weisser et Lartillot 2013.
24L’esthétique sonore et les associations symboliques :
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- 15 Varnum 1971 ; Stéphanie Weisser, notes de terrain, 2012.
Associations symboliques : l’obokano est un instrument qui exprime la puissance15 et dont les cordes doivent être pincées avec force. Or, un pincement fort assure la production d’un son grésillant (un pincement trop faible génère un son peu, voire non grésillant). En outre, on l’a vu, un son grésillant possède plus d’énergie acoustique qu’un son sans grésillance. On peut formuler l’hypothèse, même si ce n’est pas explicitement formulé par les musiciens, que la grésillance correspond à cet idéal esthético-symbolique de l’instrument.
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- 16 Aniruddha Bhattacharya, le 21 avril 2011, Kolkata (Inde).
- 17 Entretien avec Pandit Ashok Pathak, Delft (Pays-Bas), le 14 juin 2010, mené par Stéphanie Weisser.
- 18 « Jawari (also known as tuning) in a nutshell means good sound quality as per artist’s desire in In (...)
L’esthétique de saturation : la tampūrā génère un son continu et très grésillant. Le but de la tampūrā est de constituer la « base sur laquelle on construit la performance16 » (A. Bhattacharya) ; le jawārī « courbe le son17 » ; le jawārī « magnifie » le son (Sanjoy Bandophadhyay). Ces témoignages permettent de lier la grésillance de la tampūrā avec l’esthétique de saturation identifiée par Napier (2003-2004) : si ce dernier identifie le bourdon (indispensable) joué par la tampūrā comme une marque claire de cette esthétique, il est également pertinent, à notre avis, de lier la saturation spectrale des sons de cet instrument avec cette esthétique18.
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- 19 Voir Sechehaye 2020, chapitre 6.4 (409-422).
Le pouvoir rituel de l’instrument et les associations symboliques : pour les Gnawa, la présence de la grésillance est liée à l’efficacité de l’instrument, c’est-à-dire à son rôle d’appeler les esprits. La ṣarṣara assure aussi d’autres fonctions symboliques : la complémentarité entre l’animal, le végétal et le minéral dans l’instrument (le « chaud/froid », l’« organique/métallique ») ; le lien à l’Afrique de l’Ouest en évoquant les chaînes des esclaves, leurs ancêtres supposés ; la spécificité de la confrérie Gnawa (les autres confréries n’utilisent pas de métal)19.
- 20 Entretien téléphonique avec Hicham Bilali, le 18 novembre 2020, mené par Hélène Sechehaye.
25Enfin, la grésillance de la ṣarṣara est aussi liée à une esthétique « de la rue » : comme l’exprime Hicham Bilali20, « maintenant le bruit c’est pas à la mode. Le guembri c’est un son sale, c’est le son de la rue. C’est pas comme maintenant avec les ordinateurs ».
- 21 Lors d’un test de perception destiné à vérifier le seuil de discrimination des hauteurs avec un son (...)
26Comme l’a démontré Simha Arom (voir notamment Arom et al. 2005), les caractéristiques formelles des musiques présentent souvent des marges plus ou moins importantes : les échelles, l’organisation temporelle, l’organisation interne (nombre de répétitions, ornementations) peuvent en effet diverger d’une performance à l’autre. Il convient d’ajouter à cette liste les caractéristiques timbriques. En effet, l’analyse des sons collectés dans le cadre du projet a montré que cette dimension sonore est également sujette à des variations – comme l’ont noté d’autres chercheurs (cf. Berliner 1993 : 11-12 et 279, pour la mbira, par exemple). Il faut également préciser que les marges de réalisation ne correspondent pas à des marges de perception, comme l’a montré Arom : ainsi, Alemu Aga, maître de bəgəna, perçoit bien les différences de grésillance entre deux sons de même fréquence et de durée suffisante (cf. ci-dessous), mais ne les considère pas comme signifiantes21.
27Nous avons pu constater que ces marges de réalisation peuvent être de deux types : les marges signifiantes et les marges de compromis. Ces deux catégories ne sont pas mutuellement exclusives, et consistent plutôt en pôles d’un continuum sur lequel le/la musicien·ne choisit de se placer de manière à obtenir le son qu’il/elle souhaite, du contexte de jeu, ou de la contribution de l’instrument à l’ensemble dans lequel il s’insère.
28Les marges signifiantes proviennent d’une catégorisation cognitive et perceptive relevant de l’intentionnalité et de la précision : le/la musicien·ne ajuste le dispositif générateur de grésillance pour gérer spécifiquement et finement cette dimension sonore – même si certain·e·s ne sont pas d’accord entre eux.
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- 22 Sourav Ganguly, jeune joueur de sitar à la Sangit Research Academy de Kolkata, explique ajuster le (...)
Le jawārī du sitar et les différentes écoles stylistiques (gharānā) (Weisser et Lartillot 2013) / l’ajustement individuel (corde par corde) du jawārī des cordes sympathiques du sitar22.
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- 23 Informations fournies lors d’entretiens par Aniruddha Bhattacharya et par Pandit Buddhadev Das Gupt (...)
Tampūrā : l’ajustement considéré comme « optimal » permet (notamment) d’entendre distinctement des harmoniques (comme l’octave, la quinte et la tierce du son fondamental23 : ce critère est également mentionné pour le sitar (cf. Khan, Rohit et Rao 2017 : 2).
29Les marges de compromis ou d’arbitrage résultent d’une opération de priorisation par rapport aux autres paramètres sonores. Ainsi, l’ajustement du dispositif du bəgəna doit assurer, outre la grésillance, une bonne durée, c’est-à-dire longue. Ce paramètre est lié sans ambiguïté à l’ajustement, comme l’a montré une expérience menée en 2003. Lors de cette dernière, le musicien a considéré comme insatisfaisant un son trop bref (bien que grésillant) et a attribué cette brièveté à la détérioration due au vieillissement du dispositif.
- 24 L’obokano est un instrument masculin ; les musiciens rapportent que le simple contact avec l’instru (...)
30Dans certains cas, la marge de compromis est envisagée par rapport aux autres sons de l’instrument. Dans le cas de l’obokano, cette marge est due au chevalet commun : le musicien24 privilégie l’équilibre de l’ensemble des cordes sur les sonorités individuelles (cf. extrait vidéo 4).
31
- 25 Pâques (1991 : 284) mentionne 64 anneaux mais ce nombre est considéré comme excessif par tous les G (...)
32Dans le même ordre d’idée, la réponse de la ṣarṣara du guembri ne doit pas être trop envahissante : le nombre25 et le placement des anneaux sur ṣarṣara sont ajustés en fonction de ce critère. Plusieurs joueurs de sitar mentionnent également la recherche d’un équilibre sur l’ensemble de l’instrument (voir également Khan, Rohit et Rao 2017 : 2).
- 26 Information rapportée par les joueurs/euses de sitar ainsi que par un facteur d’instruments à Kolka (...)
- 27 Ces témoignages permettent de nuancer l’affirmation « more the sustain, better the jawārī » dans Kh (...)
33Enfin, un arbitrage par rapport aux nécessités liées aux techniques de jeu peut également être effectué : le montage d’un sitar en version « soft » (très grésillant) et « hard »26 (peu grésillant) correspond aussi à une difficulté de jeu : la force physique nécessaire au pincement des cordes n’est pas la même27. Pour cet instrument également, le rôle du jawārī dans la réalisation des ornements mīnd (inflexions de la hauteur jouée à la fin de la résonance de la corde) est souvent mentionné : en effet, réaliser un bon mīnd nécessite parfois de diminuer un peu la grésillance au profit d’une plus grande durée du son.
- 28 Comme le précise Castellengo (2015 : 526), le terme partiel « désign[e] une fréquence quelconque, u (...)
34En pratique, mesurer la grésillance n’est pas une opération facile, et d’autant plus pour des sons qui, comme ceux de notre corpus, présentent d’importantes variabilités individuelles. Mais la difficulté ne réside pas que dans le corpus : depuis les années 1970, plusieurs modèles ont été élaborés et améliorés pour évaluer cette sensation auditive (voir notamment Pressnitzer 1994, Sethares 1998, etc.) et ont abouti à des descripteurs (formules de calcul) permettant de quantifier ce paramètre. Quel modèle choisir ? Quelle formule adopter ? Comme expliqué ci-dessus, la rugosité est corrélée à l’apparition de modulations d’amplitude (battements) chaque fois que deux partiels28 sont de fréquence similaire.
- 29 Il peut être utile de rappeler que l’échelle des intervalles étant logarithmique, une distance d’un (...)
- 30 La méthode de Zwicker et Fastl a donné lieu à la création d’une norme ISO (https://www.iso.org/obp/ (...)
35Tous les modèles confirment que le battement procure une sensation physiologique de rugosité à certaines conditions : les battements ne doivent être ni trop rapides, ni trop lents. Selon Sethares (1998: 48), le maximum de rugosité se produit lorsque deux sons sont distants de 84 à 125 cents29. Zwicker et Fastl (2007 : 262) considèrent que ce maximum est atteint lorsque l’intervalle est de 117 cents30.
36Cependant, opérer une quantification de ce phénomène dans des sons complexes (comprenant donc bien plus que deux fréquences) n’est pas aisé. Plusieurs modèles existent et, sans les passer tous en revue, il convient de préciser que de nombreux modèles incluent dans leur calcul les bandes critiques de l’oreille humaine. Nous n’avons pas utilisé ces modèles dans le cadre de cet article. En effet, les délimitations précises de ces bandes critiques diffèrent selon les auteurs (voir notamment Plomp et Levelt 1965). En outre, Pressnitzer (1994:32) note que le lien entre bandes critiques et rugosité n’est pas établi pour les fréquences élevées. Castellengo (2015 : 125) confirme que « [c]ette interprétation est un bon guide pour la perception, mais ne saurait être prise à la lettre. En effet, plusieurs auditeurs entendent clairement un intervalle d’un ton entre 220 Hz et 190 Hz, alors que l’écart entre les deux sons est inférieur à la largeur théorique de la bande critique ».
Fig. 6. Analyses d’un son de bəgəna.
En haut (fig. 6a) : spectrogramme à bandes étroites (haute résolution fréquentielle). En bas (fig. 6b) : courbe de rugosité (méthode de Sethares (1998). Notons l’effet de moirage, particulièrement visible à partir de 0.5 seconde. Jeu : Tafese Tesfaye, sur un instrument qu’il a réalisé entièrement en bois, y compris la table d’harmonie. La qualité du son était, aux dires des autres musiciens, excellente, mais la construction n’était pas durable : à cause de fendillements qui se sont produits au niveau des fixations à la caisse, la table en bois a dû être remplacée par une table classique en peau.
Prise de son : Stéphanie Weisser, dans la maison du musicien à Addis Ababa, le 31 décembre 2012.
37Nous avons choisi d’utiliser le modèle de Sethares (1998), qui consiste en une addition (l’ensemble des interactions entre tous les partiels contribue de manière additive à ce phénomène) dans lequel chaque rugosité individuelle, liée à une paire de partiels, est proportionnelle à l’amplitude (i.e. la dynamique) de chaque partiel. Chaque rugosité individuelle est proportionnelle à l’amplitude du partiel le plus faible, afin d’éviter une augmentation « artificielle » de la rugosité dans le cas où l’un des partiels possède une amplitude beaucoup plus importante que l’autre.
38Outre la rugosité, d’autres phénomènes semblent contribuer à la sensation de grésillance, entendue comme une fluctuation rapide du contenu spectral. Une formalisation précise d’une telle caractérisation, dans un but de détermination de descripteurs systématiques, n’est pas aisée. Une première approche consiste à calculer le flux spectral, c’est-à-dire mesurer la discontinuité du spectre entre chaque instant très bref et son instant suivant, afin d’obtenir une courbe montrant l’évolution de ce flux au cours de l’enregistrement. D’éventuels pics, bosses, remontées de la courbe témoigneront alors de la présence d’activités susceptibles de contribuer à la grésillance. La modélisation est plus complexe que présentée ici, mais nous omettrons ici les considérations techniques.
39Pour qu’il y ait perception d’une grésillance, il semblerait que cette variabilité du flux spectral doive se présenter sous forme d’une succession de discontinuités. En effet, une évolution continue du spectre ne semble pas générer de sensation de grésillance. Certains aspects de cette discontinuité peuvent être observés directement sur la courbe de flux (cf. fig. 7). Cependant, une meilleure prise en compte de ces phénomènes nécessitera une modélisation plus approfondie.
Fig. 7. Analyses d’un son de bəgəna (même son qu’en fig. 6).
En haut (fig. 7a) : spectrogramme à bandes larges (haute résolution temporelle). En bas (fig. 7b) : flux. Cette dernière analyse permet de visualiser le regain d’activité spectrale à la moitié du son, correspondant à ce qui est visible sur la fig. 6.
40Cette succession très rapide de discontinuités temporelles semble expliquer la grésillance de certains instruments étudiés. La grésillance du guembri, par exemple, peut être observée sous la forme d’un scintillement de très courts partiels qui apparaissent et disparaissent dans une gamme fréquentielle très large, et située au-dessus de 3 kHz (fig. 8a).
Fig. 8. Spectrogrammes d’un son de guembri filtré au-dessus de 3000 Hz et normalisé.
En haut (fig. 8a) : pas de modification de l’échelle du temps. En bas (fig. 8b) : son ralenti à 0,8 % de sa vitesse originale (la longueur visible est de 3’25” sur les 9’02” pour le son complet).
41Parmi les phénomènes acoustiques à l’origine de fluctuations temporelles discontinues du contenu spectral, un phénomène particulièrement important est le flanging (cf. fig. 9). Il apparaît lorsqu’une source sonore est, d’une manière ou d’une autre, dupliquée avec un très léger retard, qui lui-même peut être variable. Ceci engendre tout un réseau d’interférences, se manifestant sous la forme de moiré dans le déroulement temporel du spectre. Ce phénomène très courant dans l’environnement sonore quotidien (par exemple, le passage d’un avion à réaction), n’est généralement pas remarqué consciemment, mais contribue fortement à l’appréciation qualitative du son. Du fait de la grande instabilité temporelle du flanging, cela contribue à cette rapide discontinuité spectrale.
Fig. 9. Spectrogramme d’un son artificiel généré à partir d’un son de 100 Hz avec 16 partiels harmoniques superposés (chacun avec un fondu en fermeture), chacun décalé de 13 ms par rapport au précédent.
Le flanging est visible sur tout le son (bandes blanches dans le spectre, qui montrent une interaction soustractive entre les partiels) et plus particulièrement dans la fin du son, lorsque les partiels diminuent progressivement. Ce phénomène est assez proche de ce qui se passe dans les sons de tampūrā (cf. fig. 5c).
42Les analyses acoustiques, les manipulations sonores et le calcul de descripteurs de timbre effectués permettent de formuler quelques spécificités des sons étudiés dans le cadre de ce corpus. Outre les modifications visibles « à l’œil nu » (et donc très générales) mentionnées ci-dessus, certaines caractéristiques spécifiques peuvent être notées pour les modificateurs de vibration :
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L’absence ou quasi-absence de f0 : tous les instruments équipés de modificateurs de timbre produisent un son dont la f0 est faible. Même si cette dernière est supprimée (par des filtres), le son ne semble pas changer de manière significative. Cette caractéristique explique les dimensions relativement réduites des caisses des instruments en question puisque ce sont les composantes quasi harmoniques de rang élevé qui sont le plus efficacement propagées par l’instrument. C’est l’oreille humaine qui reconstitue, selon un phénomène psychoacoustique bien connu, la hauteur du son. L’utilisation d’un dispositif modificateur de vibration permet donc de produire des sons graves sans nécessiter un instrument de grande taille.
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La perception plus précise de la hauteur : comme mentionné ci-dessus, l’accordage de la tampūrā et du bəgəna se finalise avec l’ajustement du dispositif, indiquant probablement des modes de perception de la hauteur et donc de l’accordage liés à l’écoute des composantes quasi-harmoniques pour la tampūrā (cf. Castellengo 2015 : 239-244).
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Le son plus intense (loudness et intensity) : les dispositifs permettent de transformer l’énergie de la corde en sons de manière plus efficace que s’ils n’étaient pas présents : l’énergie acoustique est donc plus importante. En outre, le son grésillant est plus « efficace » pour l’oreille humaine, grâce à la présence de composantes spectrales intenses dans la zone de sensibilité maximale de l’oreille. Cette caractéristique est clairement évoquée par les musiciens Gnawa, pour lesquels l’abandon progressif de la ṣarṣara du guembri est associée, pour les musiciens, à la généralisation de l’amplification électrique, qui remplit désormais le rôle de la ṣarṣara.
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La grésillance évolue dans le cours du son : ce dernier paramètre s’applique d’ailleurs également à l’instrument secondaire : en observant, à l’aide de filtres, la seule contribution de la ṣarṣara, on constate que l’établissement de cette contribution se fait de manière très progressive et, pour certains sons, de manière irrégulière.
43A la lumière de ces réflexions et analyses, il est nécessaire de s’interroger sur la qualification un peu hâtive de la grésillance comme « bruit ». L’ethnomusicologie a permis de démontrer que l’opposition « musique vs bruit » était largement culturelle, et donc non forcément pertinente pour l’étude et la compréhension de systèmes musicaux fondés sur d’autres paramètres que le système occidental « classique ». En désignant la grésillance comme du bruit, ne risquons-nous pas de passer à côté de paramètres tout aussi importants que les échelles, les rythmes, les structures… ? Ne faisons-nous pas montre d’un a priori en faveur d’un idéal d’un son clair qui ne serait pas pertinent ?
44Comme le soulignait récemment Fales31, les connaissances scientifiques dont nous disposons concernant la perception du timbre demeurent fragmentaires, d’autant plus en contextes non occidentaux. En tant qu’ethnomusicologues, nous savons bien que « l’oreille de l’autre », physiologiquement identique, ne l’est pas forcément dans son fonctionnement psycho-perceptif. Il serait donc nécessaire, à tout le moins, d’interroger « l’universalité » des processus perceptifs présentés comme tels32 – ne serait-ce que pour confirmer leur universalité.
45Comment les musiciens perçoivent-ils la grésillance ? A défaut de pouvoir effectuer des expériences, nous pouvons rassembler quelques éléments qui semblent significatifs. Ainsi, le fait que les musiciens de l’aire indienne paraissent privilégier la perception des composantes harmoniques plaide probablement en faveur d’une écoute « en couches superposées » (pour reprendre la typologie de Fales et Mc Adams, cf. ci-dessus) des sons de tampūrā : ce qui pourrait expliquer pourquoi les sons avec jawārī (et donc grésillants) sont parfois qualifiés de « clairs ».
46Pour leur part, les Gnawa interrogés identifient clairement le son du guembri avec ṣarṣara comme un son unique (ou fusionné, pour reprendre encore la catégorie de Fales et McAdams) et, ce, même si la source du grésillement est un dispositif amovible de moins en moins utilisé. Les apprentis joueurs de bəgəna, quant à eux, doivent passer par une phase de familiarisation avec les sons, aussi importante que la familiarisation avec le geste producteur de son. Il semble donc que les phénomènes psychoacoustiques à l’œuvre dépendent largement des systèmes musicaux auxquels les sons et les auditeurs appartiennent.
47Etudier la grésillance en ethnomusicologie nécessite donc une approche spécifique, faisant appel à des méthodes diverses : la compréhension du fonctionnement mécanique du dispositif générateur de grésillance, les caractéristiques psychoacoustiques (éventuellement adaptées) des sons grésillants et la manière dont les musicien·ne·s gèrent la grésillance, tant musicalement que culturellement – cette dernière guidant les deux premières. Une approche ethno-acoustique, en somme.