Ethiopie méridionale. Musique des Maale : Eloges et bénédictions
Ethiopie méridionale. Musique des Maale : Eloges et bénédictions. Enregistrements et texte : Hugo Ferran ; photographies : Clémentine Bellot et Hugo Ferran. 1 CD Inédit W260120, 2005.
Texte intégral
1Le disque Musique des Maale constitue, après le CD Polyphonies Ari paru chez Ocora, le deuxième opus d’une série de disques à paraître consacrée à l’Ethiopie, réalisée dans le cadre du programme international de l’Unesco « The Traditional Music, Dance and Instruments of Ethiopia : a systematic survey ». L’ampleur de l’inventaire entrepris par ce programme, dans un pays où sont recensés plus de quatre-vingt groupes ethniques, témoigne de la richesse et de la diversité des musiques éthiopiennes. La musique maale se distingue quant à elle par la qualité de ses polyphonies vocales et instrumentales.
2Cet album ouvre également la collection « Terrains » produite par Inédit, le label de la Maison des Cultures du Monde. Cette nouvelle collection se consacre exclusivement à la publication d’enregistrements réalisés par des ethnomusicologues pendant leurs missions de terrain. De fait, les enregistrements présentés dans ce CD ont été recueillis par Hugo Ferran au cœur du pays maale, dans le sud-ouest éthiopien, lors de plusieurs missions d’investigation effectuées entre 2001 et 2003. Les recherches menées par l’auteur s’inscrivent dans le cadre d’une thèse de doctorat dirigée par Frank Alvarez-Pereyre à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales.
3Le disque privilégie la musique des traditionalistes de l’aire centrale du pays maale. En effet, malgré un environnement composé de protestants évangélistes, d’orthodoxes monophysites, de musulmans sunnites et de syncrétistes de plus en plus nombreux, les Maale ont su conserver leurs structures traditionnelles. Leur société patrilinéaire se divise en trois castes : la caste dominante des agro-pasteurs, celle des forgerons et celle des potières et tanneurs/batteurs, chargés de fabriquer et frapper les tambours funéraires. De langue omotique – branche sud-ometo –, les Maale sont environ cinquante mille, sur un territoire de 600 km2.
4La collection « Terrains » veut proposer des enregistrements inédits. Or, la musique maale n’avait encore jamais fait l’objet d’une anthologie. C’est bien un panorama de cette musique dans son extrême variété que nous présente Hugo Ferran. Les plages font entendre les différents procédés vocaux mis en œuvre par les Maale. Les monodies se déploient par exemple dans l’alternance de solistes se mesurant dans des joutes vocales. La polyphonie, a cappella ou accompagnée, prend corps, quant à elle, dans des chants en hétérophonie, en contrepoint, en mouvements parallèles, en canon ou encore en hoquet vocal. En ce qui concerne la musique instrumentale, on découvre la lyre golo à cinq cordes, qui sous-tend parfois le chant ; l’orchestre de flûtes pele dépourvues de trous de jeu, chaque flûtiste produisant de fait une formule rythmique sur une seule hauteur, au sein d’un contrepoint voco-instrumental complexe ; la flûte nay malkiti, réservée aux jeunes bergers qui font alterner sons instrumentaux et vocaux yodelés ; la flûte shulungo à quatre trous de jeux, réservée quant à elle aux filles qui surveillent les champs ; les trompes, qui saluent l’arrivée du père de la région Makana, située au centre du pays maale ; les tambours funéraires, joués par les batteurs/tanneurs, et les gaylo, ces blocs de bois entrechoqués qui accompagnent le chant. Enfin, il faut citer l’étonnante polyphonie sifflée. On constate que la diversité des procédés musicaux mis en œuvre se double d’une diversité des techniques vocales et instrumentales.
5Le livret explique que le nom, les paroles et la formation instrumentale et/ou vocale de certaines pièces musicales changent en fonction de la circonstance de jeu. Ainsi, les plages 18 et 22 présentent la même pièce, toutefois dénommée de deux manières différentes, accompagnée d’instruments distincts et proposant des paroles qui ne sont pas les mêmes selon le contexte d’exécution : si la pièce de la plage 18, appelée Irbo nay koyzi, utilise des blocs de bois entrechoqués et fait l’éloge de pères lignagers en contexte non funéraire, la pièce 22, nommée Makanka dorba, emploie des trompes à l’occasion du deuil d’un géniteur que son fils aîné élève au rang d’ancêtre tout en lui succédant. Ces deux titres ont cependant une thématique commune : l’éloge de personnes prestigieuses. Or, c’est en raison de la communauté de cette thématique que les Maale utilisent la même pièce musicale, « habillée » toutefois de différentes façons.
6Refléter des pratiques musicales vivantes, soucieuses de créativité et de renouvellement, est un autre objectif de la collection « Terrains ». Le disque Musique des Maale répond parfaitement à cette attente. La présence de nombreux enfants et adolescents ayant participé à l’élaboration de ce disque montre en effet la vitalité et la continuité des traditions musicales maale. Et si, comme l’expose Hugo Ferran, la flûte shulungo tendrait à disparaître, la pièce Haya haya bolado, venue du pays gofa, aurait été nouvellement introduite en pays maale. Il s’agit bien là d’un répertoire vivant et lui-même à l’écoute.
7Enfin, la collection « Terrains » veut présenter des pratiques musicales parfaitement insérées dans leur contexte social et religieux. Le disque nous propose ainsi des polyphonies accompagnées par le son des pierres à moudre ou des bêches sarclant les champs de maïs. Différentes ambiances sonores sont réunies : les chants exécutés à l’extérieur par un chœur important côtoient l’intimité d’une berceuse chantée par une vieille femme. Mais bien plus, la musique est chez les Maale l’occasion d’un échange permanent entre générations sous la forme d’éloges envers les pères et de bénédictions des enfants, ce qui est souligné par le sous-titre du CD. La musique apparaît alors comme un facteur essentiel de cohésion sociale. Pour les Maale, tout ce qui se révèle de l’ordre du sonore influe sur le monde, et la parole exerce un pouvoir dans un schéma déterministe. Ainsi, comme l’explique l’auteur, pour prétendre bénéficier d’une production sonore bienfaitrice de leurs pères, les enfants se doivent de les nourrir en paroles, de chanter et de jouer de la musique en leur honneur. Les louanges des enfants sont adressées aussi bien aux pères territoriaux – les ancêtres qui ont pris possession du pays maale – qu’aux pères généalogiques. La chaîne de la vie est ainsi matérialisée par les offrandes des enfants et les bénédictions des pères. Un père étant aussi l’enfant de son propre père, tous sont concernés. Même les bébés louent leurs pères par l’intermédiaire de ceux qui les bercent et qui chantent l’éloge à leur place. Si la louange peut être véhiculée par la voix humaine, elle peut l’être aussi par des sons purement instrumentaux. Les funérailles sont bien évidemment un moment privilégié pour se vouer à l’éloge du père défunt. C’est alors l’occasion de magnifiques et touchantes pièces musicales.
8Le beau disque Musique des Maale se termine sur une litanie de bénédictions récitées après une levée de deuil. Elles sont adressées par le fils aîné du défunt, nouvellement investi père de maison, à ses nouveaux enfants. Ces bénédictions dédiées finalement à la célébration de la vie prennent alors une résonance toute particulière en donnant à la tradition maale une dimension universelle.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne Damon-Guillot, « Ethiopie méridionale. Musique des Maale : Eloges et bénédictions », Cahiers d’ethnomusicologie, 18 | 2005, 330-332.
Référence électronique
Anne Damon-Guillot, « Ethiopie méridionale. Musique des Maale : Eloges et bénédictions », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 18 | 2005, mis en ligne le 14 janvier 2012, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/425
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