- 1 Traduit de l’espagnol par Laurent Aubert.
1Le corpus musical des Wagogo de Tanzanie, fusionné avec la vie et épuré par le temps et les générations, atteint son expression maximale dans les répertoires polyphoniques, où la fonctionnalité et la systématique musicale se trouvent en parfaite symbiose.
- 2 Sur le hoquet en Afrique, voir notamment Arom 1985: 98-100; 1990: 141; Dehoux et al. 1997: 91-93; (...)
2L’usage du hoquet2 à la fois comme technique polyphonique et comme structure rend possible la coexistence de différents phénomènes plurivocaux dans un seul et même contexte. L’interaction parfaite entre forme, procédures et paramètres donne lieu à des constructions rigoureuses, à l’intérieur desquelles les chants se développent avec une grande flexibilité, caractéristique qui dote les polyphonies gogo d’une extraordinaire variété de textures, trait évident de leur identité musicale.
3Le terme « texture» décrit la manière dont les éléments d’une chose se combinent, s’interconnectent ou s’entrelacent. Il se réfère tant à la structure d’un corps ou d’une œuvre (forme) qu’à la disposition ou à l’interaction entre les particules qui le constituent (procédures), ou encore à la nature de celles-ci (paramètres). D’un point de vue linguistique, le terme « texture» ne comporte aucun antonyme; il se présente comme un substantif associé à des adjectifs tels que « transparente», « claire», « foncée», « uniforme», « dense», « opaque», « rugueuse», « âpre», « diaphane», etc., et apparaît normalement associé au concept de « timbre». Si la polysémie de ce dernier nous permet d’approcher les qualités physiques d’un son et les aspects sémantiques d’une pièce ou d’un fragment musical, l’analyse des propriétés de la trame d’une texture polyphonique suscite une certaine ambiguïté conceptuelle.
4Du point de vue structurel, la première audition d’une polyphonie gogo suggère l’existence de différents plans de texture: l’un externe (l’image sonore) et l’autre interne (le fond organique), tous deux interdépendants à travers les paramètres musicaux (morphologie) et leurs modalités de combinaison ou d’organisation (syntaxe). Dans certains cas, selon l’interaction permanente – même cadre d’équivalence et de fonctionnalité – de la ligne principale avec les différents niveaux de texture, il est difficile de différencier l’identité des deux plans, le premier pouvant être considéré comme le niveau prédominant. Dans chaque cas, la cohésion existant entre l’image et le fond permet de formuler une hypothèse de départ: si l’ensemble sonore est en soi une unité cohérente, chacun des plans qui la configurent se doit de répondre à une syntaxe indépendante.
5Dans une polyphonie gogo, nous rencontrons deux niveaux de différentiation de la texture :
- l’externe: affecté à la structure formelle, à la modalité de superposition vocale (la technique plurivocale) et aux procédés de variation;
- l’interne: affecté aux paramètres; la hauteur, les intervalles mélodiques et harmoniques, l’articulation rythmique, le registre et l’ambitus, la durée, l’intensité, l’attaque et le type d’émission vocale (le timbre comme couleur).
6Entre ces deux plans et au sein d’une même pièce musicale, c’est l’interprète qui établit un ordre de hiérarchie, organisant en temps réel les relations internes qui existent entre les paramètres et regroupant les événements sonores en niveaux de signification, individuelle et collective. Cette structuration instinctive du matériel musical n’est pas arbitraire; au contraire, elle suit les normes propres (implicites) de la tradition orale, où la variation constitue l’élément moteur des différents changements de texture.
7La plupart des chants gogo se présentent sous une forme responsoriale et/ou antiphonique. De plus, dans ces répertoires liés à la période des moissons et dont la structure contient un hoquet, la musique s’organise à partir de l’alternance régulière entre deux blocs bien différenciés: une section A, homophone ou monodique, qui apparaît de manière récurrente, et une section B, polyphonique, dont le matériel est sujet à une plus grande variation interne; on notera que cette séquence est semblable à ce que nous connaissons en Occident sous le nom de « rondo», où A correspondrait au refrain, et B au couplet.
Fig. 1: Femmes et hommes wagogo interprétant la section homophone du répertoire Msunyhuno (« attirer la pluie», divertissement). Majeleko, Tanzanie. Photo Polo Vallejo, 2001.
8À la différence de la forme classique, qui présente une relation étroite entre la structure et la tonalité, la transition n’est pas tonale dans les chants polyphoniques gogo, mais modale, étant donné que tout le matériel mélodico-harmonique se développe sur le canevas d’un seul et même mode pentatonique anhémitonique (si-la-sol-fa-ré). La variation dépendra donc de l’inclusion de nouveaux textes dans la section A et de la permutabilité des paramètres dans la section B.
9Sur le plan de la texture, ces répertoires présentent en une même entité musicale deux types de trame constants, sinon antagoniques. Tandis que dans la première section – homophone, monodique – l’intelligibilité des textes est absolument fondamentale (d’où le rythme homosyllabique consécutif), dans la seconde – hoquet –, les voix font apparaître l’usage de voyelles, de syllabes et d’interjections dépourvues de signification, un procédé directement lié à la pratique de la danse qui s’y rapporte.
10Outre la nature des paramètres et de la structure formelle dans laquelle se développe une polyphonie, le degré de texture est déterminé par le nombre de ses parties constitutives, par la direction de leurs divers mouvements mélodiques et par le type d’intervalles mélodiques et harmoniques qu’elles génèrent.
11Le degré de transparence ou d’opacité d’une même pièce est directement proportionnel au nombre de ses participants. Si nous considérons la mélodie (chant à une voix) et le cluster (diversité des hauteurs et des intervalles dans un champ harmonique restreint) en tant qu’exemples de clarté interlinéaire, respectivement maximale et minimale, nous pouvons rencontrer différents types de gradation de texture entre les deux dispositions. Il existe deux types de monodie dans les chants gogo: celui du répertoire Chaya et celui de la première section du répertoire Mhana. Un bref exemple de cluster apparaît dans le répertoire Cipande, juste avant le début du hoquet: les hommes émettent un son continu – apparemment sans accordage tempéré – constitué de hauteurs couvrant un spectre harmonique très restreint.
12La trajectoire mélodique suivie par les différentes voix s’inscrit dans la trame d’une pièce. En ordre progressif de densité plurivocale, nous rencontrons: 1) le mouvement parallèle: deux voix se meuvent simultanément dans la même direction; 2) le mouvement oblique: alors que l’une se meut, l’autre demeure stable; 3) le mouvement contraire: les deux voix réalisent simultanément un mouvement en des directions opposées. Le changement de tessiture, avec l’entrecroisement des voix qui en résulte, peut aussi générer une certaine sensation d’« enchevêtrement» polyphonique.
13La nature des intervalles (seconde, tierce, quarte…) ainsi que leur disposition (ouverte ou fermée) déterminent le type de trame harmonique de l’ensemble. En ce qui concerne l’ambitus et le registre, plus la distance intervallaire est grande, plus grande sera la clarté intervocalique. On relèvera encore la présence du triton (fa-si), qui apparaît comme un facteur déterminant de la couleur harmonique particulière de la musique gogo.
Fig. 2: Répertoire Nhyindo (protocole, annonce). Nzali, Tanzanie. Photo Polo Vallejo, 1998.
Fig. 3: Le jeu de la vièle izeze. Majeleko, Tanzanie. Photo Polo Vallejo, 2000.
14La conception polyphonique qu’ont les Wagogo de leur musique implique que le dédoublement d’une mélodie en d’autres voix n’altère pas la nature d’une chanson. En fait, la langue vernaculaire, le cigogo, n’établit pas de différence lexicale entre chanter à une voix et chanter à deux voix ou plus, ceci aussi longtemps que l’articulation rythmique des textes demeure identique (homosyllabisme). En chaque cas, les intervenants utilisent le terme kwimba (« chanter»), alléguant que le seul élément pertinent pour différencier les chansons est le texte.
15Le cas des chants en hoquet est différent: contrairement au kwimba, on désigne cette pratique du terme de cilumi, littéralement « répartir», c’est-à-dire distribuer un matériel musical entre les différentes voix. Dans ce cas, le texte perd sa valeur sémantique du fait qu’il est remplacé par des syllabes et des voyelles sans signification. Entre ces deux textures extrêmes – monodie et polyphonie –, nous rencontrons plusieurs gradations, liées aux diverses techniques plurivocales.
16Le chant monodique est pratiquement inexistant, et il y a un rejet naturel de l’unisson. Il est évident que, quand une personne chante seule, elle le fait à une voix; mais si les interprètes sont plus nombreux, cette même chanson se développera automatiquement en deux parties ou plus. On ne peut l’apprécier que dans la section monodique qui précède le hoquet du répertoire Mhana et dans le Chaya (honneurs au défunt), espèces de litanies – entre parlé et chanté – articulées de façon non mesurée et interprétées par le collectif des anciens à l’occasion du décès d’une personne.
17Le chant parallèle occupe une place à part. La duplication d’une mélodie à une hauteur distincte implique l’imitation rigoureuse de la direction qu’elle imprime, en respectant les intervalles préétablis sur le canevas de l’échelle pentatonique à partir de laquelle elle se développe. La ligne principale se reproduit, à la manière d’une « ombre», en un registre plus grave, qui va nuancer la couleur harmonique de chaque note de la mélodie. Il s’agit d’un parallélisme pentatonique et non diatonique (duplication exacte de chaque intervalle), qui génère des intervalles de tierce majeure, de quarte et de quinte justes et de triton.
Fig. 4: Parallélisme pentatonique à partir d’une mélodie de makumbi (rite d’initiation)
MuhemeMasumbiKumfundaKwitumaMhongwaNyimbo za wadodoKunhembula mwana Makumbi
18L’usage de mouvements contraires et obliques entre les voix est rare. On ne peut les apprécier que dans les chants Nhyindo (accueil des autorités, protocole, avertissement), construits sur une structure homophone. En certains points morts (ou lors de cadences) de celle-ci, quand il faut souligner l’importance du texte, se produisent des interventions individuelles suscitées par des facteurs prosodiques, qui génèrent une espèce de halo harmonique contribuant à faire ressortir l’intervalle de seconde majeure. L’impression auditive est celle d’une sorte d’hétérophonie – non limitée à des moments précis – qui favorise l’apparition d’accords avec un certain degré de tension harmonique, et qui atteint l’extension maximale de la pièce. Du fait qu’il se produit dans le contexte d’une homophonie, riche en rapports harmoniques, cet effet passe plus inaperçu que s’il avait lieu au sein d’une monodie où, sans doute, il serait plus évident.
- 3 Ujimbi: bière locale de maïs ou de blé; kangala: liqueur de miel.
19Dans deux des répertoires polyphoniques, Msunyhuno (attirer la pluie) et Msaigwa (élaborer ujimbi et kangala3, action de grâce pour une bonne récolte), nous pouvons observer un bourdon (son émis de manière continue) sous-jacent à la base du hoquet. Mganga (guérisseur, devin) est le nom de la partie chargée d’émettre un son de pédale grave, duquel émergent ses harmoniques naturels.
20L’atmosphère sonore générée par cette voix donne à l’ensemble du hoquet une texture polyphonique dense, un continuo qui enveloppe le reste du matériel fragmenté. Un bourdon discontinu – d’une quarte juste – n’apparaît que dans un seul cas du répertoire Makumbi (initiation); le caractère exceptionnel de ce chant confirme d’ailleurs qu’il provient des Manghati, un sous-groupe masaï vivant sur le territoire des Wagogo, et que ces derniers l’ont incorporé à leur répertoire de divertissement pour célébrer la fin du rite d’initiation.
21Procédé plurivocal très fréquent dans certains répertoires gogo, associé à des chansons à la structure formelle de type responsorial et/ou antiphonique. Il a lieu quand un soliste et un groupe se rencontrent momentanément à la jonction de la fin de la phrase proposée par le premier et du début de celle entonnée par le second, ou vice-versa; une espèce de « tresse» mélodique créée de manière intentionnelle par le meneur et qui correspond donc à une construction plurivocale systématique. C’est un exemple graphique du passage d’une texture diaphane (parallélisme à deux voix) à une autre plus enchevêtrée, où la voix du meneur se mêle à celles du groupe. Le répertoire Makumbi (rite d’initiation) constitue un manuel parfait des formes responsoriales et/ou antiphoniques et du tuilage comme trait d’union entre l’antécédent et le conséquent. Quand le matériel mélodique paraît plus développé, ce phénomène suggère l’embryon d’un contrepoint imitatif primaire.
22Simultanéité de patrons mélodico-rythmiques apparaissant de manière réitérée et variée, selon un principe de déphasage mutuel de cycles et d’accents, avec récurrence à des schèmes rythmiques du type de l’hémiole (3:2 ou 6:4). Elle sert de base aux chants et aux danses qui configurent les répertoires instrumentaux Masumbi (divertissement) et Muheme (noces, funérailles), ce dernier étant celui dans lequel les femmes jouent des tambours. Elle apparaît également dans la section de hoquet des chants polyphoniques.
23Ces deux techniques se produisent dans le cadre de la structure de hoquet dans le répertoire Cipande (fertilité, soulager la douleur), ainsi que dans certaines chansons du répertoire Makumbi (rite d’initiation). Le Gogo a tendance à répéter, à distance de pulsation (« alla parte») et de manière textuelle, des fragments musicaux préalablement émis. Il s’agit d’imitations de type contrapuntique qui favorisent la création de textures denses et amalgamées, résultant de l’imbrication entre les lignes (mélodies) et les points (sons isolés du hoquet) qui interviennent dans le complexe vocal.
24C’est le procédé polyphonique par excellence chez les Wagogo, celui par lequel leur musique atteint un de ses plus hauts niveaux de complexité, de raffinement et d’expressivité musicale. Il consiste à distribuer une mélodie, en alternance rapide, entre les différentes parties qui forment un ensemble, de telle sorte que, quand une voix résonne, l’autre se tait, et vice-versa. Il suppose la participation d’au moins deux voix et l’intervention du silence, composante organique qui, en plus d’avoir le même statut que le son, participe comme le reste des paramètres au degré de texture de la polyphonie.
25Parler de hoquet, c’est désigner un type de trame fondée à partir de la superposition de lignes fragmentées, de sons isolés qui oscillent entre chacune des voix jusqu’à générer un tissu à la fois compact et segmenté. Aucune de ses parties constitutives ne trace une ligne mélodique indépendante; au contraire, cette dernière émerge comme résultante de la combinaison entre toutes les hauteurs de l’ensemble. Sa représentation visuelle pourrait ressembler à l’image d’un kaléidoscope de sons, dans lequel l’interaction entre les différents niveaux d’articulation mélodique et rythmique crée un champ harmonique en constant mouvement et en incessante transformation.
Fig. 5: Hommes wagogo chantant la section correspondant au cilumi (hoquet) du répertoire Msunyhuno. Majeleko, Tanzanie. Photo Polo Vallejo, 2000
26L’écoute in situ d’un hoquet gogo produit l’impression trompeuse qu’il existe autant de parties que d’interprètes. L’extraordinaire entrelacement vocal suscité par la superposition et l’entrecroisement de formules mélodico-rythmiques génère à l’écoute l’illusion d’autres substructures dérivées de la connexion, point par point, de chacune de ses composantes. L’analyse détaillée de ces dernières met en évidence l’économie manifeste des matériaux et des moyens utilisés; dans certains cas, des cellules extrêmement simples donnent lieu à des structures complexes, un trait qui démontre à la fois la sagesse et la musicalité de la culture gogo.
27En ce qui concerne la responsabilité de chacun des interprètes d’un chant polyphonique, il existe un accord tacite selon lequel personne ne réalise jamais le même schéma que ses deux voisins immédiats, ce qui n’apporterait rien à l’enrichissement de la texture; pour un Gogo, c’est quelque chose de très important. Afin de remplir une telle tâche, il faut que chaque chanteur connaisse parfaitement les piliers de la structure formelle sur laquelle repose le chant, ainsi que les paramètres, les mécanismes et les marges de variation possibles.
28Quant aux parties en jeu dans le hoquet gogo, on dénombre quatre voix, à chacune desquelles correspond un registre et une fonction spécifique:
- Izi ikali: voix supérieure, celle qui improvise et qui peut utiliser des textes.
- Nhunyi: registre médium, complément de izi ikali,
- Mganga: pédale grave, continuo qui fait émerger les harmoniques.
- Nhungu: base et référence rythmique.
Fig. 6: Gradation du hoquet, de la texture polyphonique la plus simple à la plus complexe,
selon les différents répertoires.
Répertoire
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Circonsatnce
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Partie constitutive et hauteurs
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Paramètres
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Technique polypho-nique
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Forme
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MSAIGWA
Nom gogo
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Elaborer l’ujimbi (bière de maïs) et le kangala (liqueur de miel)
Divertissement
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• Izi ikali (fa-ré)
• Nhunyi (si-la)
• Mganga (sol + harmoniques)
• Nhungu (si)
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Cycle:
4 pulsations
Subdivision: binaire
Echelle: pentatonique gogo (si-la-sol-fa-ré)
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Hoquet
strict
Bourdon
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Rondo:
A) homophonie (antiphonique)
B) hoquet
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NHUMBA
Baya sylvestre
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Célébrer la bonne marche de la récolte.
Divertissement
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• Izi ikali (si-la et mélodie)
• Nhunyi I (ré-sol-fa; yodel)
• Nhunyi II (sol-si)
• Nhungu (sol)
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Cycle:
2 pulsations
Subdivision: ternaire
Echelle: pentatonique gogo
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Hoquet. Superposition d’ostinati
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Rondo:
A) homophonie (responsorial) B) hoquet
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MHANA
« Courage», stimulant pour les plantes
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Stimuler les tiges vertes. Divertissement
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• Izi ikali (mélodie)
• Nhunyi (re-si)
• Nhungu (sol)
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Cycle:
8 pulsations
Subdivision: binaire
Echelle: pentatonique gogo
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Hoquet.
Superposition d’ostinati
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Rondo:
A) monodie
B) hoquet
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MSUNYHUNO
Impulsion, danse
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Attirer la pluie.
Remerciement pour son arrivée. Divertissement
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• Izi ikali (mé-lodie, yodel)
• Nhunyi (si-la)
• Mganga (sol + harmonique)
• Nhungu (sol)
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Cycle:
4 pulsations
Subdivision: ternaire
Echelle: pentatonique gogo
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Hoquet.
Superposition d’ostinati
Bourdon
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Rondo:
A) homophonie (antiphonique)
B) hoquet
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CIPANDE
Fragment, morceau
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Fertilité et début de makumbi (initiation)
Choix de l’époux.
Soulagement de la douleur.
Divertissement
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Hommes:
• Izi ikali I-II
• Nhunyi
• Nhungu
Femmes:
• Izi ikali (mélodie)
• Nhunyi (parallélisme)
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Cycle:
4 pulsations
Subdivision: binaire
Echelle: pentatonique gogo
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Hoquet.
Contrepoint (canon à la partie)
Ostinati.
Cluster initial
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Rondo:
A) homophonie
B) hoquet
Quodlibet
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- 4 Quodlibet: simultanéité de différents événements musicaux en une même pièce.
29Le hoquet gogo peut se manifester de différentes manières, de la plus stricte (un ou deux sons par voix) à la plus flexible (combinaison avec d’autres techniques plurivocales):
- Msaigwa: hoquet strict – un ou deux sons par voix – avec peu de marge de variation. Il constitue un modèle polyphonique en soi: chacune de ses parties constitutives en matérialise la version la plus épurée.
- Nhumba: hoquet plus flexible; deux ou trois sons par voix avec une certaine marge de variation. La voix supérieure peut chanter des textes, tandis que les autres réalisent un ostinato qui sert de base harmonique (voir fig. 6).
- Mhana: hoquet dont la partie supérieure se meut avec une certaine liberté mélodique, utilise la superposition d’ostinati et intègre la respiration comme élément rythmique.
- Msunyhuno: hoquet comportant une grande autonomie des voix, une importante marge de variation et une diversité conséquente de textures.
- Cipande: c’est l’exemple de la densité polyphonique maximale; le hoquet est combiné avec d’autres techniques comme le canon ou l’imitation, et contient une partie en quodlibet4; c’est-à-dire qu’une mélodie écoutée précédemment réapparaît et se superpose à la section du hoquet.
30Le Cipande se pratique durant le Makumbi (rite d’initiation) pour trois motifs: 1) le choix de l’époux, 2) la fertilité de la femme, et 3) pour calmer la douleur du futur initié au moment où la circoncision va être effectuée. Dans ce dernier cas, les hommes entourent le garçon et projettent leurs voix sur lui en chantant le hoquet; en même temps et depuis l’extérieur de l’ikumbi (espace rituel), les femmes entonnent le chant parallèle avec lequel commençait la chanson. Sous l’effet de l’extraordinaire texture polyphonique générée et de la saturation d’information qui en résulte, le garçon n’est pas capable d’appréhender de manière auditive une telle complexité; cette tactique est utilisée comme « anesthésie» naturelle destinée à atténuer la douleur physique. Il s’agit d’un moment au cours duquel la musique, le langage et la compréhension sémantique atteignent leur niveau d’antagonisme le plus élevé.
31Il faut encore tenir compte d’un autre facteur qui contribue à la densité de la texture polyphonique, l’émission de sons vocaux non tempérés: lucenze (ululement caractéristique des femmes), kukuta (trémolo masculin basé sur les consonnes « brrrr») et kuama (syllabes comportant une impulsion rythmique marquée, comme « hop»). Quant aux instruments idiophones qui accompagnent le chant, le manyanga (hochet) et le ndalangunyi (petite sonnaille métallique), ils contribuent à densifier encore davantage l’atmosphère sonore générale, tout en servant de référence rythmique.
32Titre: Gago ga kwimba, « allons chanter».
33Répertoire: Nhumba, « baie sylvestre» de couleur rouge vif, fruit d’un arbuste qui pousse sur le flanc des montagnes; son apparition correspond à l’époque de la croissance maximale des cultures céréalières. Elle est le signal du début des récoltes. Se chante aussi comme divertissement.
34Langue: la section homophone se chante en cigogo, langue vernaculaire des Wagogo. Dans le hoquet (fig. 7), on utilise des syllabes dépourvues de signification.
Fig. 7: Hoquet, exemple de modèle polyphonique: contexte et aspects significatifs de sa systématique musicale
35A. Aspects mélodiques: échelle pentatonique anhémitonique gogo (si-la-sol-fa-ré). Intervalles mélodiques de seconde majeure (ascendante et descendante), de quarte juste (ascendante) et de tierce majeure (ascendante). Usage du yodel (onzième).
36B. Aspects harmoniques: particularité du triton (fa-si) implicite, déterminant de sa texture harmonique. Intervalles de tierce mineure, de seconde et de tierce majeures, de quarte juste et de triton, de quinte juste, de sixte mineure, de septième mineure et d’octave juste. Sonorité propre de l’accord de neuvième de dominante.
37C. Aspects rythmiques: cycle bref de deux pulsations isochrones à subdivision ternaire (six valeurs minimales). Commencement de chaque voix en un point différent du cycle. L’instrument d’accompagnement, le ndalangunyi (sonnaille), reproduit une séquence rythmique de type hémiole (3:2).
38D. Structure formelle: isopériodique, avec deux blocs différenciés: un hoquet qui apparaît intercalé – à la façon d’un rondo – entre des sections homophones (ou monodiques) construites sur une forme responsoriale.
39E. Parties constitutives: trois voix principales: izi ikali (voix aiguë et référence des autres, qui improvise et chante les textes); nhunyi (voix médium, complément du izi ikali, qui peut se dédoubler en deux parties, une aiguë et une grave); nhungu (référence rythmique et harmonique).
40F. Plurivocalité: srtructure de hoquet et superposition d’ostinati avec déphasage réciproque des cycles.
Fig. 8: Le jeu du lamellophone ilimba. Majeleko, Tanzanie. Photo Polo Vallejo, 2000.