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CD | Multimédia

Kédougou. Chants et Jeux des Enfants, Bassari, Bedik & Malinké. Sénégal

Enregistrements (de 2011 à 2015), texte et transcriptions : Groupe de Kédougou, dirigé et coordonné par Polo Vallejo ; 1 CD Swanu Books / Cézanne CZ055, 2019
Vincent Zanetti
p. 282-284
Référence(s) :

Kédougou. Chants et Jeux des Enfants, Bassari, Bedik & Malinké. Sénégal, Enregistrements (de 2011 à 2015), texte et transcriptions : Groupe de Kédougou, dirigé et coordonné par Polo Vallejo ; 1 CD Swanu Books / Cézanne CZ055, 2019.

Texte intégral

1Au sud-est du Sénégal s’étend la région la plus montagneuse de ce pays. C’est le Kédougou, littéralement le « pays de l’homme » en malinké, aujourd’hui une des quatorze régions administratives, frontalière avec le Mali à l’est et la Guinée au sud. Elle doit son nom à sa capitale administrative, dont la tradition dit qu’elle aurait été fondée par des Soninké venus de la région de Bakel, plus au nord. Etendue sur la rive du fleuve Gambie, c’est, comme toutes les villes africaines, une mosaïque multiculturelle, composée en l’occurrence essentiellement de Bassari et de Bedik, deux populations appartenant au groupe ethnolinguistique Tenda, ainsi que de Malinké, liés au groupe Mandé. Or qui dit carrefour de cultures dit langues, organisations sociales et traditions musicales diverses et possiblement contrastées. Vouloir réunir celles-ci dans une même publication discographique peut vite relever de la gageure : comment rendre justice à chacune dans un cadre si restreint ? Mais justement, le premier intérêt de cet album, c’est peut-être d’être parvenu à transcender les différences en ramenant ces cultures musicales à un même moment de leur développement et de leur transmission, une sorte de dénominateur commun : les jeux musicaux des enfants.

2Tout commence à plus de 700 km de là, à Dakar, en 2010, dans le cadre d’un atelier de formation destiné aux professeurs de musique des écoles sénégalaises. Hébergé par l’Institut Goethe de Dakar, l’événement est animé par le compositeur, pédagogue et ethnomusicologue espagnol Polo Vallejo. Inspirée des idées pédagogiques de Carl Orff, sa démarche intègre la musique, le mouvement et l’improvisation dans l’enseignement élémentaire. A Dakar, le succès est tel que de nouveaux ateliers annuels sont organisés, qui aiguisent l’intérêt des professeurs sénégalais pour l’aspect musicologique de leur travail éducatif, au point de donner naissance à un collectif, le « Groupe de Kédougou », autour d’un véritable projet de recherche. Son objectif : le collectage, l’enregistrement et la description des chants d’enfants des groupes culturels majoritaires de cette région particulièrement reculée du Sénégal.

3C’est le résultat de ce travail collectif original, mené conjointement par le « Groupe de Kédougou », Carmen Ballvé et Paulo Vallejo, qui est aujourd’hui publié sous la direction de ce dernier aux éditions Swanu Books de Madrid grâce à la collaboration de la Fondation Carl Orff de Diessen et l’Institut Goethe de Dakar. La forme est somptueuse : un livret cartonné et polychrome de 100 pages, illustré de belles photos en couleurs, avec des textes en anglais, en espagnol et en français, ainsi que les transcriptions d’une bonne vingtaine des 36 pièces enregistrées. Le projet est d’abord présenté dans son ensemble, de manière succincte, mais claire et complète. Après un rapide exposé du contexte géographique global du Kédougou, les auteurs se penchent successivement et de manière plus détaillée sur la sociologie et la culture traditionnelle des Bassari, puis des Bedik et des Malinké. S’ensuivent, dans une approche de plus en plus pointue, d’abord une présentation des caractéristiques générales des chants, de leurs structures, des gammes les plus souvent utilisées par les uns ou les autres, puis des commentaires plus précis, relatifs à chacun des chants enregistrés. On y apprend que ceux-ci ont été choisis par les filles et les garçons des écoles qui les ont eux-mêmes enregistrés, tandis que la compilation de l’information était confiée au « Groupe de Kédougou ».

4C’est sans aucun doute la force de cet album : la recherche ethnomusicologie y est éminemment participative, collective et réflexive. Tout au long de sa mise en œuvre, les enfants sont associés à la démarche tant au niveau du choix du répertoire qu’à celui de la prise de son, parfois un peu maladroite, certes, mais dont la qualité n’a au final pas grand chose à envier à nombre d’enregistrements de terrain publiés jusqu’ici. Cette implication au long cours donne au résultat un caractère presque exhaustif, tant les thèmes des chansons sont variés : initiation, fiançailles, mariage, maternité, accueil, lutte traditionnelle, divertissement, rituels, conseil divers sur la vie des groupes et des individus… Dans ce dernier registre, la problématique de la prostitution, par exemple, est abordée sans fausse pudeur par les enfants malinké. Plus loin, un chant bassari exprime le désespoir éventuellement lié à l’attente d’un diagnostic médical. Parfois, en contraste avec la structure antiphonique de la plupart des pièces, c’est d’une voix seule, a cappella, que naît l’émotion, notamment lorsqu’un jeune homme bedik imite le timbre de ses grands-parents, ou quand un de ses camarades bassari parle de vengeance, la voix tendue.

5Enfin, si la part instrumentale des musiques enregistrées reste limitée à un accompagnement de djembé assez rudimentaire, et seulement sur une partie des titres, la complexité rythmique et la richesse du phrasé de certains refrains ont néanmoins de quoi alimenter l’inspiration de plus d’un compositeur contemporain. A cet égard, l’engagement enthousiaste d’une personnalité comme Polo Vallejo dans un tel projet ne peut qu’être interprété comme un hommage à la richesse de ce patrimoine enfantin. Les syncopes de la langue chantée comme les battements de mains y sont autant d’invitations à la danse et à un possible développement polyrythmique. Evoquée dans les phrases de djembé comme dans le rythme des mots, on retrouve notamment en puissance, certes réduite à sa plus simple expression, mais n’attendant qu’à être exploitée, la passionnante richesse des batteries des tambours saoruba de Casamance.

6En conclusion, dans un contexte morose où l’on ne cesse de nous prédire la mort du CD, ce beau livre-disque dédié aux « Chants et Jeux des Enfants » de Kédougou représente une surprise d’autant plus enthousiasmante qu’elle renouvelle les règles de la collecte ethnomusicologique. Il y a là un côté citoyen qui pourrait bien inspirer de nouvelles recherches à venir. On ne peut que s’en réjouir.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Zanetti, « Kédougou. Chants et Jeux des Enfants, Bassari, Bedik & Malinké. Sénégal »Cahiers d’ethnomusicologie, 33 | 2020, 282-284.

Référence électronique

Vincent Zanetti, « Kédougou. Chants et Jeux des Enfants, Bassari, Bedik & Malinké. Sénégal »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 33 | 2020, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/4161

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Auteur

Vincent Zanetti

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CC-BY-SA-4.0

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