Salwa EL-SHAWAN CASTELO-BRANCO & Susana MORENO FERNANDEZ : Music in Portugal and Spain. Experiencing Music, Expressing Culture
Salwa EL-SHAWAN CASTELO-BRANCO & Susana MORENO FERNANDEZ : Music in Portugal and Spain. Experiencing Music, Expressing Culture, Oxford : Oxford University Press (Global Music Series), 2019. 137 pages, ill. n.b., CD encarté et companion website
Texte intégral
1Cet ouvrage fait partie de la collection Global Music Series d’Oxford University Press. Avec vingt-sept titres déjà publiés, le format de cette collection est désormais bien connu des étudiants et des enseignants en ethnomusicologie : les principales caractéristiques de la tradition musicale abordée, avec de nombreux renvois illustratifs vers le CD audio encarté et des suggestions d’activités pédagogiques. A ce dispositif, le présent ouvrage ajoute un companion website qui donne accès à une douzaine d’exemples audio supplémentaires, ainsi qu’à certains contenus du livre (paroles des chants, analyses musicales, schémas…). Le volume dispose d’un glossaire, d’un index, et d’une section « ressources » présentant une liste commentée de dictionnaires et sites de référence.
2Si le livre hérite des principes directeurs de la collection, il représente aussi un fleuron de ce qu’on pourrait appeler l’« école ibérique » d’ethnomusicologie. Salwa El-Shawan Castelo-Branco est professeure d’ethnomusicologie à l’Université Nouvelle de Lisbonne. Elle y dirige l’institut d’ethnomusicologie (INET-MD) qu’elle a fondé en 1995. Elle est en parallèle la présidente actuelle de l’International Council for Traditional Music (ICTM). Avec des attaches intellectuelles en Egypte, aux Etats-Unis et au Portugal (voir son entretien dans les Cahiers d’ethnomusicologie 26, 2013), sa vision englobe diverses traditions musicales, ainsi que diverses manières de pratiquer la recherche en ethnomusicologie. Sur les musiques du Portugal, son expertise s’appuie notamment sur le monumental effort de l’Enciclopédia da música em Portugal no século XX qu’elle a dirigé. En 1997 elle avait publié Voix du Portugal (réédité en 2001) dans la collection Cité de la Musique-Actes Sud dont le format préfigurait à plusieurs égards celui de la collection Global Music Series.
3Susana Moreno Fernández a également été formée au long d’un parcours international, entre l’Espagne, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Portugal. Ses terrains de prédilection se situent au nord de l’Espagne, vers la Cantabrie où elle a notamment étudié le revival de la vièle rabel et de la cornemuse gaita de foles. Elle a aussi travaillé sur des musiques portugaises comme le fado. Impliquée de longue date dans la SIBE – équivalent ibérique de la Société française d’ethnomusicologie – Susana Moreno Fernández a participé à différentes actions de rapprochement entre les ethnomusicologues de la péninsule (comme le premier congrès de la SIBE à Lisbonne en 2010). Elle est actuellement professeure d’ethnomusicologie à l’université de Valladolid.
4Si ce bref portrait des auteures n’est peut-être pas superflu, c’est parce que leurs parcours donnent d’emblée une idée de l’orientation du livre. On y retrouve une connaissance fine des réalités ethnographiques locales alliée à une vue englobante des courants musicaux de la péninsule dans son ensemble. A aucun moment on ne sent une différence de « plume » entre les deux chercheuses. L’écriture est fluide, synthétique mais précise, riche en comparaisons et en exemples variés. Elle ne recule pas devant les sujets historiques « sensibles » comme les persécutions répétées à l’encontre des juifs, les persistantes influences culturelles arabes, ou les brutalités asymétriques de la colonisation.
5L’ouvrage est clairement pensé comme un éclairage croisé sur de grandes thématiques, plus que comme un catalogue des pratiques musicales et chorégraphiques traditionnelles de chaque pays. Il permet de mettre en comparaison tout d’abord les processus de folklorisation, activement soutenus par les dictatures nationalistes de chacun des deux pays au XXe siècle. Les réappropriations et « revivals » plus récents sont également abordés.
6Les fiestas font l’objet d’un autre chapitre. Les auteures y montrent le caractère polymorphe de cette notion qui inclut aujourd’hui des événements sacrés et profanes, à vocations rituelle, identitaire ou touristique, et dont le principal point commun semble être en définitive d’investir un espace public en musiques et en danses. Pour saisir la variabilité de ces institutions, le texte compare, à partir de notes de terrain prises par les auteures, la fête de San Juan de Soria en Espagne et celle de São João d’Arga au Portugal.
7Une large place est aussi faite au fado et au flamenco, deux genres emblématiques et patrimonialisés qui jouissent d’une large base de praticiens amateurs. La comparaison est ici laissée au lecteur (chacun des genres fait l’objet d’un chapitre séparé), mais on comprend comment convergent symboliquement deux genres que rien a priori ne réunit – l’un élaboré dans la minorité ethnique gitane d’Andalousie, l’autre dans les quartiers populaires de Lisbonne. Des vocabulaires institutionnels, discographiques et touristiques largement semblables peuvent en effet donner l’impression que le fado serait au Portugal ce que le flamenco serait à l’Espagne.
8L’intention du livre est clairement pédagogique. Il vise à synthétiser des savoirs préexistants. Mais il apporte aussi un éclairage original sur certains sujets. Par exemple, l’attention des auteures envers les rencontres musicales induites par l’histoire coloniale des deux pays les conduit à insister sur les liens entre le fado et les musiques du Brésil. Le livre dépasse ainsi l’idée consensuelle mais imprécise selon laquelle le genre résulterait d’une synthèse d’anciens styles portugais avec peut-être quelques influences maures (c’est la seule idée que le lecteur trouverait aujourd’hui dans l’article « Fado » de l’encyclopédie Wikipedia anglophone par exemple). Les auteures mettent au contraire l’accent sur l’hypothèse « controversée mais la plus plausible » selon laquelle le fado « résulte d’une synthèse entre des genres afro-brésiliens apportés dans la capitale portugaise (fado, lundum et fofa), le genre luso-brésilien modinha qui était populaire au Portugal et au Brésil, et le fandango, une danse populaire portugaise d’origine espagnole » (p. 80, ma traduction). Au passage, on apprend que le fado était à l’origine dansé, comme la plupart des genres qu’il synthétise, avant que sa composante chorégraphique ne tombe en désuétude, le transformant en art essentiellement vocal.
9L’un des intérêts majeurs de ce livre – comme plus largement de la collection dans laquelle il est publié – tient évidemment aux interactions entre le texte et le CD encarté. Elles sont de deux ordres. D’une part, les pistes audio sont citées en exemples illustrant tel genre ou tel instrument. D’autre part, de nombreuses activités d’écoute sont proposées (j’en ai dénombré 27 au total). Elles sont clairement identifiées par des encarts grisés et sont pensées pour une utilisation en cours avec un groupe d’étudiants. Un exemple : « Pour analyser cet extrait, commencez par photocopier les paroles. Sans écouter l’enregistrement, analysez la structure octosyllabique des quatrains [suivent des explications sur la manière de compter les syllabes d’un chant en langue espagnole]. Maintenant écoutez l’enregistrement. Entendez-vous cette stricte structure syllabique lorsque le texte est chanté ? Si non, pourquoi pas ? Si oui, pourquoi ? » (p. 8) Les enseignants auront reconnu le genre d’activité « clés en main » qui anime utilement un cours interactif.
10Le plus grand exploit des auteures tient peut-être à la manière dont elles ont imbriqué ces activités d’écoute avec les explications sur les contextes sociaux et historiques des musiques discutées. Intelligemment parsemées au long du texte, les activités créent une alternance bienvenue entre les idées générales (probablement exposées par l’enseignant) et les moments d’analyse et de discussion. Au texte principal et aux activités d’écoute s’ajoutent de nombreux schémas, cartes et photographies. Celles-ci sont clairement légendées et référencées dans le texte. Le livre est à ce titre un modèle d’écriture « multimédia » (si l’on admet que cette dernière n’est pas fondée par l’usage de l’informatique, mais plus généralement par le tissage habile de différents médias en une démonstration).
11Ce livre constitue donc, on l’aura compris, un parfait cours d’introduction à l’ethnomusicologie du Portugal et de l’Espagne. Il présente une synthèse moderne et bien réfléchie des savoirs disponibles dans ce domaine. Il met l’accent sur la manière dont les dimensions sociales, historiques et culturelles ont façonné ces musiques, tout en accompagnant les étudiants vers une immersion par l’écoute et par des analyses musicales précises. Les chercheurs confirmés y trouveront en outre un éclairage comparatif et des mises en perspective parfois inédites sur les phénomènes musicaux majeurs de la péninsule ibérique.
Pour citer cet article
Référence papier
Victor A. Stoichiţă, « Salwa EL-SHAWAN CASTELO-BRANCO & Susana MORENO FERNANDEZ : Music in Portugal and Spain. Experiencing Music, Expressing Culture », Cahiers d’ethnomusicologie, 32 | 2019, 295-298.
Référence électronique
Victor A. Stoichiţă, « Salwa EL-SHAWAN CASTELO-BRANCO & Susana MORENO FERNANDEZ : Music in Portugal and Spain. Experiencing Music, Expressing Culture », Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 32 | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3768
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