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Livres

Christine GUILLEBAUD, dir. : Toward an Anthropology of Ambient Sound

New York/Londres : Routledge, Anthropology series, 2017
Sara Kalantari
p. 280-284
Référence(s) :

Christine GUILLEBAUD, dir. : Toward an Anthropology of Ambient Sound, New York/Londres : Routledge, Anthropology series, 2017. 239 p. Accompagné d’une plateforme de 57 exemples audio et vidéo en ligne : http://milson.fr/routledge_media

Texte intégral

1Toward an Anthropology of Ambient Sound s’inscrit dans la continuité des recherches interdisciplinaires qui, depuis les années 1990, se sont focalisées sur l’étude des expériences sensorielles d’un point de vue anthropologique. A partir des terrains ethnographiques qui sont géographiquement et culturellement très variés, les auteurs de ce collectif s’intéressent aux contextes sociaux de la production et de la perception des sons et mettent en lumière la dimension culturelle de l’écoute. Ils proposent également de développer le champ d’étude sur le son pour qu’il inclue des catégories sonores qui en étaient auparavant exclues. Les sons considérés comme bruits, le silence et les sons de la nature ont pour l’anthropologue la même valeur épistémologique que la musique et la parole. L’ensemble des contributions de cet ouvrage porte ainsi sur les manières dont les différentes manifestations sonores produisent des relations sociales.

2L’éditrice de ce collectif, Christine Guillebaud, aborde dans l’introduction certains volets conceptuels indispensables à la compréhension de l’approche anthropologique dans l’étude du sonore et de l’écoute. Prenant une tournure différente de l’acoustique environnementale, cette approche met notamment en question le concept de « paysage sonore » hérité des travaux du pionnier de l’acoustique, Murray Schafer (1977) et nous invite à problématiser le son en termes de « milieu sonore ». Plus loin dans le livre (chapitre 4), Guillebaud décrit le milieu sonore comme « un univers composite fait des sons produits, perçus et entendus intentionnellement ou d’une autre manière ». Cette définition du terme « milieu » évoque l’idée de la présence au cœur de l’expérience sonore. Cette présence, n’étant pas seulement spatiale, implique une immersion dans différents contextes aussi bien sensoriel que socioculturel (Féraud 2013). L’immersion in-situ nous permet d’effacer la distinction entre les processus de production et de réception du son. Comme le dit Jean-Paul Thibaud (2013), « en entendant un son, on entend aussi la manière dont le son est produit ». Pour questionner les manières de fabriquer les milieux sonores, les auteurs de cet ouvrage s’engagent ainsi à effectuer des ethnographies de pratiques ordinaires de la vie quotidienne et des sons ordinaires qui se produisent en marge des activités humaines.

3Les onze contributions de cet ouvrage collectif sont organisées en quatre parties introduisant chacune un onglet différent de la recherche sur le sonore.

4La première partie, « Listening into Others », évoque par son titre la place donnée à l’aspect relationnel et à l’inscription du sonore dans les rapports sociaux. Les trois chapitres regroupés dans cette partie traitent de trois types d’interactions sociales générés par le biais du son sur trois terrains différents.

5Dans le premier chapitre, Olivier Féraud nous expose son ethnographie d’une action sonore, celle des pratiques pyrotechniques de la célébration du Nouvel An dans les quartiers populaires de Naples. La réflexion de Féraud, comme il le précise (p. 23), est essentiellement basée sur le sens du terme anglais « noising » en tant que moyen d’investigation intentionnelle de l’espace.

6Une anthropologie historique est appliquée dans l’étude d’Anne Damon-Guillot (chapitre 2) sur des descriptions des missionnaires catholiques des XVIIe et XVIIIe siècles qui ont rapporté des espaces sonores sur la terre éthiopienne. Les dichotomies comme « musique/bruit » et « ordonné/sans ordre » qui apparaissent dans le discours des missionnaires dans la description de deux univers sonores semblables, l’un européen et l’autre éthiopien, démontrent comment les capacités perceptives des individus, conditionnés par leur environnement socio-culturel, informent leur écoute de l’« autre ».

7L’article de Tripta Chandola (chapitre 3) analyse la dominance sonore des pratiques verbales obscènes des femmes du bidonville de Dehli afin de démontrer comment ces pratiques modifient les rapports de pouvoir et les hiérarchies patriarcales-spatiales aussi bien au sein de cette communauté qu’en rapport avec d’autres catégories sociales.

8Le thème central des chapitres mentionnés ci-dessus est le rôle du son dans l’appropriation territoriale et la conduite des rapports conflictuels. En considérant le son comme un moyen d’interaction dans les espaces publics, les auteurs de ces chapitres démontrent, comme le dit Guillebaud dans son introduction synthétisant l’ouvrage (p. 11), « la capacité des milieux sonores ordinaires à constituer, renforcer et/ou contester des ordres sociaux » ainsi qu’à établir ou à rompre un rapport social.

9La deuxième partie, « Sound Displays and Social Effects », réunit deux textes ayant comme objet l’aspect collectif de la perception et l’effet directif des dispositifs sonores sur la coordination des comportements humains dans les espaces publics. Centré sur la dimension sensorielle de l’espace, l’article de Christine Guillebaud (chapitre 4) illustre les techniques vocales mises en œuvre dans les gares routières en Inde du Sud dans le but d’attirer l’attention des voyageurs dans le contexte compétitif et de la densité des sources sonores. Le rôle du son dans ce contexte n’est pas uniquement d’attirer l’attention des passagers, mais aussi de produire des actions/réactions (affordances) ou de provoquer une modification dans les actions des auditeurs.

10Cet aspect réactionnel est au cœur de l’article de Pierre Manea (chapitre 5) sur l’usage des cloches électriques pour façonner les comportements des voyageurs dans les gares japonaises. En illustrant un historique des pratiques sonores informatives en usage dans les gares japonaises depuis 1945, Manea s’intéresse aux manières dont le son amène les voyageurs à adopter des postures particulières, de l’écoute et du mouvement adaptées aux caractéristiques spatiales et fonctionnelles d’une gare.

11La troisième partie de l’ouvrage intitulée « Sound Identity and Locality » comprend quatre chapitres centrés sur l’appréciation des milieux sonores. Dans le chapitre 6, Heikki Uimonen se base sur des enquêtes ethnographiques réalisées dans un village écossais de 1975 à 2011 (par différentes équipes de recherche, à commencer par celle du World Soundscape Project) afin d’élucider les changements des espaces sonores du village et les manières dont ses habitants écoutent et construisent leur univers sonore en fonction de ces changements. L’approche diachronique appliquée dans cette étude vise à connaître non seulement les modalités de la verbalisation des expériences sonores, mais aussi leur évolution au cours du temps.

12Partant de l’idée que chaque langue reflète la manière dont ses locuteurs fabriquent leur univers perceptif, Vincent Battesti (chapitre 7) envisage les façons dont les habitants du Caire parlent de leurs environnements sonores. Les entretiens qu’il mène avec des Cairotes, munis d’un dispositif d’écoute binaurale, démontrent également comment les sons contribuent à la construction de l’identité des lieux et au rapport de familiarité que les individus établissent avec les lieux qu’ils fréquentent.

13Les deux articles suivants concernent plus particulièrement la transformation des milieux sonores. Iñigo Sánchez présente (chapitre 8) une ethnographie des espaces sonores d’un quartier de Lisbonne pour marquer l’interdépendance entre les changements des environnements sonores et les plans de rénovation urbaine.

14L’article de Claire Guiu (chapitre 9) sur les sonorités du développement et de la croissance urbains à Barcelone, nous invite pour sa part à découvrir la ville et ses changements à travers le son. L’objectif est de démontrer comment la reconfiguration de l’espace sonore mène à la transformation ou à la requalification des dynamiques d’un lieu donné.

15« Sound Arts and Anthropolgy » est le titre de la quatrième partie de l’ouvrage qui comprend deux chapitres centrés sur des manifestations artistiques forgées à partir d’expériences sonores. Le chapitre 10 rédigé par Jean-Charles Depaule sur la poésie sonore porte sur l’implication des sons et des milieux sonores en tant que matériaux bruts dans la création des formes poétiques non verbales.

16Les capacités des sons à réanimer et à représenter les mémoires collectives liées à l’espace sont exposées dans l’article de Vincent Rioux (chapitre 11). L’auteur démontre comment les matériaux sonores issus d’un espace en voie de disparition (une passerelle à Choisy-le-Roi) sont réemployés dans une performance musicale (live-coding) et dansée improvisée qui produit à son tour sur le même espace une ambiance sonore en constante évolution et qui génère de nouvelles interactions sociales.

17Un épilogue rédigé par Jean-Paul Thibaud clôt l’ouvrage en soulignant les thématiques communes des articles et les problématiques importantes qu’ils mettent en question.

18Les différents chapitres du livre proposent des catégories analytiques nouvelles ainsi que des termes inédits qui facilitent la conceptualisation des expériences sonores. De plus, les extraits vidéos et sonores fournis avec la plupart des chapitres aident le lecteur à mieux comprendre les caractéristiques des milieux sonores discutés dans ce livre.

19Je ne peux que conclure en soulignant le succès de ce collectif à réunir des travaux de recherche méthodologiquement variés autour d’objectifs communs : attirer l’attention sur le rôle du son dans la vie sociale et introduire en particulier le son ordinaire comme un objet de recherche en anthropologie.

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Bibliographie

FERAUD Olivier, 2013, « Ethnographier les environnements sonores », in Paul-Louis Colon, dir. : Ethnographier les sens. Collection « Anthropologiques ». Paris : Petra : 117-144.

SCHAFER Murray, 1994 (2e éd.), The Soundscape : Our Sonic Environment and the Tuning of the World. Rochester : Destiny Books.

THIBAUD Jean-Paul, 2013, « Donner le ton aux territoires », in Paul-Louis Colon, dir. : Ethnographier les sens. Collection « Anthropologiques ». Paris : Petra : 235-255.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sara Kalantari, « Christine GUILLEBAUD, dir. : Toward an Anthropology of Ambient Sound »Cahiers d’ethnomusicologie, 32 | 2019, 280-284.

Référence électronique

Sara Kalantari, « Christine GUILLEBAUD, dir. : Toward an Anthropology of Ambient Sound »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 32 | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3702

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Auteur

Sara Kalantari

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