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JAPON. Teruhisa Fukuda, maître de shakuhachi. Offrande musicale

Enregistrements (2015) : Renaud Millet-Lacombe ; texte : Teruhisa Fukuda et Madeleine Leclair. 1 CD MEG-AIMP CXV / VDE CD-1501, 2018
Wataru Miyakawa
p. 363-365
Référence(s) :

Teruhisa Fukuda, maître de shakuhachi. Offrande musicale, Enregistrements (2015) : Renaud Millet-Lacombe ; texte : Teruhisa Fukuda et Madeleine Leclair. 1 CD MEG-AIMP CXV / VDE CD-1501, 2018.

Egalement disponible en vinyl, réf. VDE 30-1501 (réd.).

Texte intégral

1Voici un très beau disque consacré au répertoire honkyoku joué par le maître de shakuhachi Teruhisa Fukuda. Ce disque vient d’être récompensé par l’Académie Charles Cros (Coup de Cœur Musique du Monde 2018). Le terme honkyoku, que le compositeur et musicologue Akira Tamba traduit par « répertoire principal », peut également signifier « musique de base » ou « musique d’essence ». Il constitue en effet le fondement de la musique pour shakuhachi, dont les caractéristiques principales peuvent se résumer à son aspect religieux ou méditatif associé au bouddhisme zen, qui est très bien illustré dans le livret (aussi bien par le texte que par les photos).

2Le livret du présent ouvrage apparaît fort riche puisqu’il présente à la fois l’aspect historique et les caractéristiques du shakuhachi, la biographie de Fukuda sous forme d’un dialogue et les œuvres enregistrées dans le CD. On aurait cependant aimé que le propos approfondisse davantage les caractéristiques du honkyoku. Par exemple, comment Fukuda a-t-il précisément travaillé ? Quelle est la part de l’écrit et de l’oral dans cette musique ? Selon le livret, le honkyoku se caractérise par une « conception libre et fluctuante du rythme ». Mais cette conception rythmique est-elle libre au sens occidental ? Aujourd’hui, le shakuhachi n’est plus un instrument inconnu en Occident, si bien qu’il semble nécessaire d’aborder toutes ces questions pour aller au-delà d’une simple présentation de l’instrument ou de son répertoire.

3L’une des spécificités musicales fondamentales du honkyoku réside dans le fait que celui-ci appartient à la catégorie de la musique « indéterminée » qu’il faut distinguer de la musique « déterminée ». D’après Akira Tamba, la musique déterminée – telle que la musique classique occidentale ou le gagaku – repose sur « la fixité des éléments : hauteur des notes fixées au diapason, valeurs rythmiques et temporelles fixées au moyen d’une unité temporelle arithmétique » (Tamba 1995 : 12). Or, dans la musique indéterminée, « la hauteur des notes est fixée par rapport à une note de repère, librement émise et susceptible de varier, tandis que le rythme obéit à une périodicité fluctuante » (ibid.). La « conception libre et fluctuante du rythme » mentionnée plus haut illustre cette dimension indéterminée du honkyoku. Toutefois, cette pensée rythmique est en réalité strictement contrôlée par une conception temporelle qu’on nomme le ma qui désigne un intervalle, au sens spatial et temporel, et qui renvoie à un concept esthétique s’exprimant dans de nombreuses formes artistiques, en particulier l’architecture et la musique. En musique, le ma correspond aux intervalles de silence ou d’absence de mouvement. D’après le joueur de shakuhachi Katsuya Yokoyama, il existe le ma « absolu » dans le honkyoku car les Komusô (moines zen errants et mendiants) qui le pratiquaient étaient à l’origine des samouraïs ; le ma du honkyoku est en effet semblable à celui qu’on trouve dans le combat des samouraïs, où rien n’est laissé au hasard. Ainsi, la « conception libre du rythme » ne signifie pas la liberté rythmique mais plutôt l’absence de la mesure.

4J’ai eu la chance d’interroger Fukuda sur la façon dont il travaille. En général, le joueur de shakuhachi apprend le honkyoku aussi bien avec son maître qu’avec la partition. C’est notamment le cas de Fukuda. Néanmoins, l’interprétation du honkyoku pose le problème de l’authenticité. Bien que la partition originale du honkyoku existe, celle-ci étant très incomplète, il est impossible de reconstituer exactement ce qui fut joué par les Komusô d’autrefois. Ce problème n’est certainement pas sans rapport avec l’aspect indéterminé du honkyoku. Ainsi, plusieurs versions (partitions) du honkyoku existent actuellement en fonction des écoles et des individus. Dans le cas de Fukuda, en plus de son apprentissage traditionnel, il a analysé les styles de différentes écoles du shakuhachi, telles que l’école Meian ou l’école Kinko, pour trouver l’interprétation du honkyoku paraissant la plus naturelle ou la plus universelle.

5Par ailleurs, Fukuda est très engagé dans la création d’œuvres contemporaines pour shakuhachi, en collaborant régulièrement avec des compositeurs tels qu’Akira Tamba ou Chôji Kaneta. Cette collaboration avec les compositeurs actuels a profondément influencé sa conception du shakuhachi et cela se ressent même lorsqu’il aborde le honkyoku. Il a notamment pris davantage conscience de la qualité sonore immanente à cet instrument, qui est exprimée par l’énoncé ichi on jōbutsu (atteindre la bouddhéité par un seul son). Cette interaction entre l’ancien et l’actuel constitue l’une des caractéristiques majeures de l’univers sonore de Fukuda.

6En ce qui concerne les caractéristiques musicales du honkyoku, ce dernier repose principalement sur l’échelle miyakobushi composée de cinq sons : ré-mib-sol-la-sib (la plupart des œuvres du CD sont basées sur cette échelle). L’échelle miyakobushi, proche du mode mineur, reflète probablement la vie solitaire que menaient les Komusô. Sur le plan technique, la facture du shakuhachi, fondée sur le système pentacordal, ne facilite pas l’exécution de musiques basées sur une structure intervallaire très complexe. L’échelle miyakobushi étant simple de ce point de vue, l’enjeu principal du joueur de shakuhachi est d’interpréter le honkyoku en développant une grande expressivité, caractéristique de cet instrument. Le livret illustre bien la variété d’effets sonores qu’offre le shakuhachi, telles que la « fluctuation du timbre, de la dynamique et de la hauteur des notes » ou le muraiki, qui consiste à « émettre un souffle de part et d’autre de l’embouchure ». D’après Katsuya Yokoyama, la technique instrumentale meri est particulièrement importante pour jouer du honkyoku. Le meri consiste à tirer le menton vers l’intérieur pour abaisser le son. Par exemple, pour jouer les deux notes mib et , le joueur de shakuhachi utilise le meri avec un seul doigté. Bien que le jeu avec le meri soit beaucoup plus difficile que celui avec deux doigtés sans le meri – afin de contrôler la justesse de la hauteur du son –, le résultat sonore est nettement plus riche avec le meri qui crée une fluidité entre les notes. L’écoute attentive de toutes ces qualités sonores nous permettra d’apprécier le réel dynamisme d’une musique qui peut paraître statique au premier abord.

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Bibliographie

TAMBA Akira, 1995, Musiques traditionnelles du Japon. Paris/Arles : Cité de la Musique/Actes Sud.

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Pour citer cet article

Référence papier

Wataru Miyakawa, « JAPON. Teruhisa Fukuda, maître de shakuhachi. Offrande musicale »Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 363-365.

Référence électronique

Wataru Miyakawa, « JAPON. Teruhisa Fukuda, maître de shakuhachi. Offrande musicale »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3341

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