1L’ auteur mène des recherches approfondies sur le candomblé dans l’état de Bahia (Brésil) depuis 1992, recherches qui aboutirent à un doctorat soutenu en 2001 à l’EHESS. Cet ouvrage est une version condensée de cette thèse, et il se situe dans la lignée actuelle des études sur le candomblé et les autres religions afro-brésiliennes : on assiste en effet à une relecture critique des ouvrages classiques, dont Le candomblé de Bahia de Roger Bastide (1958) est en quelque sorte la référence.
2Ces nouvelles approches, mettant l’accent sur les processus de créolisation plutôt que sur la permanence des traits africains dans les religions des descendants des esclaves déportés en Amérique, ont été clairement exposées dans les articles thématiques regroupés par Stefania Capone (2005) sous le titre Repenser les « Amériques Noires ».
3Ainsi, dans son Avant-propos, l’auteur nous présente la problématique centrale de son étude : « Religion emblématique d’un peuple aux racines multiples, le candomblé est issu de l’interpénétration de diverses civilisations africaines, européennes et amérindiennes. De ces contacts, nul n’a conservé sa prétendue pureté originelle : ni l’esclave soucieux de préserver le seul bien qui lui restait – sa religion – ni le blanc dominateur » (p. 10).
4Le travail de Xavier Vatin a une vocation typologique marquée, en comparant les « nations » Ketu (d’origine yoruba), Jêje (d’origine fon) et Angola (d’origine bantu). Nous y reviendrons, en suivant le déroulement des chapitres, qui mêlent les références aux travaux antérieurs à de courts inserts ethnographiques pour étayer les réflexions de l’auteur.
- 1 On remarquera que l’auteur ne mentionne d’ailleurs pas de références cubaines ou plus généralement (...)
5La première partie (pp. 21-104), intitulée « Contexte ethnologique », commence par faire un point complet sur les études concernant le candomblé. Après un rapide rappel de l’histoire de la traite, Vatin évoque l’apport des Bantous au Brésil : comme à Cuba1, leur contribution aux religions afro-brésiliennes a été assez systématiquement minimisée, malgré leur importance numérique et la profondeur historique de leurs déportations (dès le XVIe siècle). C’est sans doute l’objet le plus original de l’étude. La nébuleuse de ces cultes est regroupée commodément sous le terme de « nations Angola » : ceux-ci sont mis en perspective par rapport aux cultes Ketu et Jêje-Nagô d’origine yoruba, que les premières générations de chercheurs – Nina Rodrigues, Arthur Ramos, Edison Carneiro, Roger Bastide et Pierre Verger – ont étudié et profondément contribué à légitimer comme les formes orthodoxes des religions afro-brésiliennes. Encore aujourd’hui, environ 30% des terreiros (lieux de culte) se revendiquent de la nation Angola, c’est à dire d’une tradition bantu.
6Le second chapitre propose une rapide analyse comparative des différentes nations : c’est le modèle Jêje-Nagô qui a la suprématie des panthéons avec ses nombreux orixás ; mais le candomblé est une religion où chaque terreiro construit en quelque sorte son propre panthéon et sa propre liturgie, dans les limites des modèles imposés par les « nations » et de leurs subtils processus d’évolution et de distinction.
7Des tableaux (pp. 57-59) résument les caractéristiques des orixás, et leurs correspondances dans les différentes nations. Dans un même souci de synthèse, un organigramme-type des communautés religieuses, avec ses fortes contraintes hiérarchiques, puis les attributions musicales et le processus d’initiation sont décrits dans ce chapitre.
8La problématique de la possession est traitée dans la même veine : l’auteur commence par une revue de la question avec les références à Rouget, Lapassade, Motta, entre autres. A partir d’une compilation d’expériences ethnographiques, nous est présenté un tableau des types d’incorporations possibles pour les initiées selon leurs nations (p. 86). Incorporations simples ou multiples, la démonstration conduit l’auteur à réaffirmer : « Mis à part les quelques rares terreiros réafricanisés qui revendiquent une orthodoxie Nagô ‘‘pure et dure’’, force est de constater que les adeptes du candomblé ne sont aucunement prisonniers d’un savoir doctrinal. Bricolage, amalgame, et absence d’orthodoxie, tels sont les maîtres mots qui caractérisent les réalités plurielles des candomblés et de la majorité des cultes ‘‘afro-brésiliens’’ » (p. 88).
9Cette première partie se clôt avec une somme d’informations sur les déclencheurs (sonores, visuels, olfactifs…), l’entrée en transe et les comportements du possédé.
10La méthodologie comparative systématique adoptée dans cette partie anthropologique est originale : l’usage de tableaux légendés permet d’aborder les faits sociaux du candomblé de façon synthétique et certainement éclairante. On regrettera néanmoins que l’ethnographie (en particulier celle des cultes Angola à qui l’auteur tente de redonner une place légitime) ne soit un peu perdue dans le corps du texte (par exemple pp. 74-75) ou lacunaire, alors que l’on sent bien que les données recueillies par Xavier Vatin sont riches et nombreuses au cours d’années passées sur le terrain. Le goût marqué de l’auteur pour la synthèse – que nous ne remettons bien sûr pas en cause – nous masque peut-être un peu trop la parole des acteurs, la description et l’analyse des faits empiriquement relevés.
11La seconde partie (pp. 107-169), « Perspective ethnomusicologique », est constituée de trois chapitres, intitulés « Le contexte de la musique », « La musique » et « Les répertoires ». La description d’un rituel de candomblé n’est pas contextualisée, mais présentée sous forme de « stéréotype » de cérémonie (pp. 107-110). Le souci typologique de l’auteur nous amène ensuite à un tableau présentant les diverses occurrences et caractéristiques du cri – selon les orixás Kétu – dans le processus de la possession. Ce tableau est complété par un paragraphe sur les fonctions de ces cris dans le (les) rituel(s). Le paragraphe sur le contexte linguistique nous donne de très intéressantes informations sur les migrations lexicales entre les nations Kétu (langue yoruba), Jêje (langue fon) et Angola (langue bantu). Suit une comparaison des textes de chants Angola entre un terreiro de Salvador et deux de Rio (pp. 128-130), chants dont le signifié s’en est évanoui. Certains chants sont réafricanisés (par la moderne introduction de lexèmes africains), d’autres, au contraire, intègrent des mots ou phrases portugais. L’ auteur montre fort justement qu’il s’agit de deux stratégies opposées : « L’ une consiste à trouver dans l’Afrique une légitimité afin de pouvoir “concurrencer” la nation Ketu, longtemps considérée comme l’unique détentrice de traditions africaines “pures”, l’autre à “ingérer” une culture africaine afin de la rendre “purement” brésilienne » (p. 130).
- 2 Religion afrobrésilienne du Pernambouc, dans le même phylum que le candomblé.
12Après un examen des travaux antérieurs – où l’on s’étonne de ne pas trouver la thèse de référence d’Angela Lühning (1990) – les instruments sont décrits ainsi que les techniques de jeu. Le dernier chapitre, « Les répertoires », aborde les répertoires vocaux en lien avec leurs formules rythmiques d’accompagnement, toujours selon un essai typologique comparatif entre les différentes “nations”. La seule partie proprement d’analyse musicale nous présente ensuite les différentes formules de cloches utilisées dans les répertoires. Le mode de transcription est emprunté à Arom, et il n’est sans doute pas aussi clair pour tout le monde que la notation classique, dont par ailleurs il reprend une nécessaire « valeur minimale », dont l’existence même devrait être établie : nous avions par exemple montré que pour les répertoires cubains, et c’est aussi vrai pour les formules du Xangô de Récife/ Olinda2, que la pulsation isochrone peut être segmentée en valeurs continues, ne relevant pas d’une topologie discrète (au sens mathématique) comme celle impliquée dans notre solfège ou dans la notation d’Arom. La synthèse des différentes formules proposée par l’auteur est néanmoins de grande qualité.
13La question de la polyrythmie des trois tambours n’est pas vraiment abordée : c’est pourtant de première importance pour comprendre la logique rythmique de la batterie, et sa relation au chant. Xavier Vatin nous donne cependant quelques pistes : « (Dans les nations Ketu et Jêje) /…/ En général, la baguette de la main droite du lê et du rumpi marque par ses accents le même rythme que celui fourni par la cloche métallique » (p. 138). Il semble que dans la nation Angola, la poyrythmie soit « plus prononcée » (p. 138).
- 3 Nous nous référons ici particulièrement au terreiro Xamba-Nagô d’Aguazinhas (Olinda).
14L’ analyse mériterait certainement d’être largement complétée pour le candomblé de Bahia : on a pu remarquer par exemple que, dans le Xangô de Récife/Olinda3, les accents des tambours sont en général homorythmiques par rapport à la cloche. Un subtil jeu de variations positionne alors chaque partie, sans que l’on puisse réellement parler de polyrythmie au sens strict.
15L’ ouvrage se clôt sur un glossaire bien fait (pp. 183-191) et une annexe donnant les paroles de chants de différentes nations, en langue rituelle, et avec une traduction en français pour les chants en portugais.
16Rites et musiques de possession à Bahia intéressera un large public qui souhaite mieux connaître le monde du candomblé. Les spécialistes y trouveront de nombreux éléments de synthèse bien documentés sur ce monde foisonnant – et fascinant.