Navigation – Plan du site

AccueilCahiers d’ethnomusicologie31CD | DVD | MultimédiaL’heure de Salomon. Chants, danse...

CD | DVD | Multimédia

L’heure de Salomon. Chants, danses et musiques au Yémen

Film de Pascal Privet, DVD de 112 mn., couleur, les films du paradoxe, 2015
Jérôme Cler
p. 363-365
Référence(s) :

L’heure de Salomon. Chants, danses et musiques au Yémen, Film de Pascal Privet, DVD de 112 mn., couleur, les films du paradoxe, 2015

Texte intégral

  • 1 Cf. compte rendu par Miriam Olsen, Cahiers de Musiques Traditionnelles 11, 1998 : 192-197.

1Ce film de Pascal Privet est un extraordinaire voyage dans le temps, puisqu’il paraît vingt ans après le tournage des « rushes » dont il est la mise en forme ; ce voyage est d’autant plus impressionnant que le Yémen, depuis lors, est ravagé par la guerre, et que ces images semblent refléter un paradis perdu. Mais c’est aussi un événement pour tous ceux qui ont lu La médecine de l’âme1, de Jean Lambert (1997), publié quand ces images étaient filmées. Ce film, qui rend hommage à de grandes figures de la musique yéménite en leur laissant la parole, sans commentaire extérieur, nous donne à voir ce qui était si finement décrit par l’ethnographie minutieuse et éclairée de Jean Lambert, nous initiant à « l’heure de Salomon » – le crépuscule – au magyal, réunion d’après-midi des mariages, – et au chant de omayni, – forme de gazal remontant au XIVe siècle, accompagné au luth. Il est donc naturel que le DVD soit présenté par un livret de Jean Lambert, également traducteur des chants du film. Ce livret, de 12 pages, extrêmement précis, nous donne toutes les informations sur les circonstances dans lesquelles le film fut tourné, et sur les musiciens qui s’y expriment.

2Bien que ce film soit surtout une composition à partir de rushes, il est construit selon une progression, du dehors à l’intime, et de la fête au cœur de la tradition poétique, en neuf épisodes constituant autant de portraits, ou de restitutions d’ambiances. Le premier épisode, le plus débridé, s’ouvre sur un chanteur ambulant qui s’accompagne au tambour et bonimente son aumône en s’adressant directement au cinéaste. Cette scène bellement filmée, caméra à l’épaule, nous met immédiatement dans l’ambiance de ce DVD : une haute qualité filmique au service d’un monde musical intense conduit par de fortes personnalités. Le deuxième chapitre du film s’ouvre sur un jeune oudiste qui chante, avec un compagnon lui tenant le micro, la joue gonflée de qat. Puis la caméra nous dévoile où se trouvent ces musiciens : l’intérieur d’une maison d’habitation, les hommes s’accueillant en s’embrassant, puis assis autour d’une pièce : il s’agit du jeudi après-midi d’un mariage qui eut lieu en 1997, et les séquences qui composent ce chapitre nous donnent un aperçu de cette sociabilité musicale fortement ritualisée analysée par le livre de Jean Lambert, celle du magyal tout d’abord, puis la samra nocturne. Après ces deux chapitres où les musiciens sont suivis au sein de leur société, nous entrons peu à peu dans l’intimité de ces grandes figures dont toute la suite du film dresse les portraits successifs.

3Le chapitre suivant est consacré à Hamil Gashala, maître de la danse aux poignards bara’, qu’il a réussi à promouvoir à la dignité d’un art. On le voit alternativement chez lui et à l’extérieur en train de danser. La séquence où il s’habille, se préparant pour aller danser, est magnifique. Or après ce cheminement dans le monde très masculin des musiciens de magyal et de la danse bara’, nous passons au sublime portrait d’une chanteuse, Taqiya al Tawilia : dans un intérieur sobre où on la voit d’abord en plan rapproché, elle commence par relater les interdits qui pesaient sur les femmes qui voulaient se consacrer au chant ou à la musique quand elle aspirait à s’y consacrer dans son enfance, au point que son frère lui avait tiré dessus au pistolet : or rien ne put la détourner de sa passion pour la musique et le chant. Lors de la séquence musicale qui suit, elle est accompagnée par un homme au ‘oud et au chant : ce fait même souligne l’indépendance et la liberté souveraine de cette femme. Cette séquence nous donne à entendre la technique de percussion sur plateau de cuivre sahn dont le timbre cristallin se marie au ‘oud et aux voix. Le même plateau est joué par un vieil homme, Ahmed Ushaysh, dans le chapitre suivant, qui a fonction d’interlude avant les longues séquences consacrées à la tradition classique et au grand chanteur Yahya al-Nono. Né en 1934, ce dernier est une encyclopédie du chant yéménite, son travail l’ayant amené à voyager dans tout le pays. C’est lui qui a la plus grande part dans ce film, (environ 45 min.) car, ayant toujours refusé d’être enregistré par Jean Lambert, le film lui sembla un bon medium pour faire comprendre sa musique, et faire partager le tarab aux auditeurs. On le voit d’abord raconter sa vie et détailler ses inventions de jeunesse en feuilletant les cahiers où il imaginait les instruments qu’il voulait inventer, en particulier un luth fait d’un bidon, dessinés avec la précision d’un ingénieur. Ce n’est qu’à la trentaine qu’il put s’acheter un luth et vraiment travailler le répertoire des grands maîtres : le chapitre qui lui est consacré se poursuit ainsi par un beau récital où, peu à peu, il se laisse emporter par l’ivresse poétique et musicale, prolongée au chapitre suivant par une très belle séquence dansée de deux hommes, au son de la poésie chantée, accompagnée au ‘oud. Le film revient enfin à l’espace extérieur, s’achevant sur une fête de mariage « au village », contrastant avec tout ce qui précède par des chants de femmes s’accompagnant aux percussions, et par la clarinette de roseau mizmar. Enfin, le générique de fin présente en une courte séquence le luth qambûs, un des représentants les plus singuliers de la musique yéménite auquel Jean Lambert a consacré également un ouvrage (Lambert et Mokrani 2013).

4Cet émouvant voyage musical, tourné au plus près des musiciens dont nous devenons peu à peu les invités et les familiers, est également agrémenté, surtout vers la fin du film, de quelques plans de coupe présentant le paysage urbain et rural environnant : c’est donc un magnifique hommage qui nous est rendu accessible grâce à ce DVD de Pascal Privet.

Haut de page

Bibliographie

Jean LAMBERT, 1998, La médecine de l’âme. Nanterre : Société d’ethnologie, collection « Hommes et musiques » de la Société française d’ethnomusicologie II.

Jean LAMBERT et Samir MOKRANI, 2013, Qanbûs, tarab. Le luth monoxyle et la musique du Yémen. Sanaa : Centre Français d’Archéologie et de Sciences Sociales / Paris : Geuthner.

Haut de page

Notes

1 Cf. compte rendu par Miriam Olsen, Cahiers de Musiques Traditionnelles 11, 1998 : 192-197.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Cler, « L’heure de Salomon. Chants, danses et musiques au Yémen »Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 363-365.

Référence électronique

Jérôme Cler, « L’heure de Salomon. Chants, danses et musiques au Yémen »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3329

Haut de page

Auteur

Jérôme Cler

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search