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Katia BUFFETRILLE et Isabelle HENRION-DOURCY, dir. : Musique et épopée en Haute‑Asie. Mélanges offerts à Mireille Helffer à l’occasion de son 90e anniversaire

Paris : l’Asiathèque, 2017
Ingrid Le Gargasson
p. 349-352
Référence(s) :

Katia BUFFETRILLE et Isabelle HENRION-DOURCY, dir. : Musique et épopée en Haute‑Asie. Mélanges offerts à Mireille Helffer à l’occasion de son 90e anniversaire, Paris : l’Asiathèque, 2017. 430 p., ill. illustrations n.b.

Texte intégral

1Comme l’indique le sous-titre, Musique et épopée en Haute-Asie est un recueil d’articles réunis par Katia Buffetrille et Isabelle Henrion-Dourcy en hommage à l’ethnomusicologue française Mireille Helffer, à l’occasion de son 90e anniversaire. Rassemblant une vingtaine d’articles de chercheurs français et étrangers issus de l’anthropologie, de l’ethnomusicologie, de l’histoire et de la tibétologie – autant d’approches disciplinaires couvertes par Mireille Helffer – cette compilation met en perspective les différentes facettes de son travail, tout en éclairant son héritage scientifique. Plusieurs articles s’attachent en effet à contextualiser ses travaux pour mieux en montrer l’aspect novateur, tandis que d’autres présentent les études en cours sur ses terrains et thématiques de prédilection. L’ouvrage illustre, à ce titre, le dynamisme des recherches sur les pratiques artistiques du bouddhisme tibétain qui continuent à faire l’objet d’études renouvelées révélant les transformations incessantes des pratiques religieuses, musicales et chorégraphiques concernées. Il constitue aussi un encouragement à la recherche collaborative et au rapprochement entre disciplines pour étudier sous différentes perspectives un sujet d’étude complexe qui s’insère dans un continuum de pratiques. La musique y apparaît comme une porte d’entrée privilégiée pour étudier les sociétés considérées.

  • 1 Ces enregistrements sont conservés par les archives sonores du CREM.

2Directrice de recherche honoraire au CNRS, spécialiste des musiques himalayennes, Mireille Helffer a marqué le domaine de l’ethnomusicologie asiatique et celui de l’ethnologie népalaise, comme le soulignent les directrices de l’ouvrage qui retracent son parcours scientifique et personnel. D’abord intéressée par les musiques régionales du Népal, M. Helffer se tourne, dans les années 1970, vers les musiques tibétaines avec une étude sur les bardes de l’épopée de Gesar avant de se concentrer sur les musiques rituelles du bouddhisme tibétain. Ses travaux s’appuient sur des enquêtes ethnographiques menées à partir de 1966 au Népal et en Inde, où elle collecte de précieux matériaux musicaux, alors que la recherche de terrain y est encore une tâche ardue, notamment pour une femme et mère de famille (Aubert 1997)1. Elle a également participé au développement de l’ethnomusicologie au niveau national, en s’engageant dans la mise en place d’un enseignement au sein du département d’ethnologie de l’université de Paris Nanterre, puis dans la création de la Société française d’ethnomusicologie avant de diriger, durant quatre ans, le laboratoire d’ethnomusicologie du musée de l’Homme comme le rappelle Bernard Lortat-Jacob (« Évocation »).

3Les contributions, rédigées en français ou en anglais, sont agencées autour de trois thèmes qui reflètent trois pans importants des recherches menées durant plus de quarante ans par Mireille Helffer : « Conteurs et épopée », « Danse, musique et théâtre » et « Études népalaises et tibétaines ». Des textes plus personnels rédigés par des collègues, anciens étudiants et amis illustrent, en parallèle, les liens forts que la chercheuse a tissés, au fil des années, en France et à l’international, comme sur ses terrains d’étude. Agrémenté d’illustrations en noir et blanc, ce beau volume publié par l’Asiathèque, un éditeur spécialisé dans la publication de manuels de langues, de dictionnaires et de traductions de textes, a reçu le « coup de cœur Musiques du Monde 2018 » de l’Académie Charles Cros.

4Les premiers articles font échos aux travaux de Mireille Helffer sur le sol himalayen. Gisèle Krauskopff revient sur l’intérêt de cette dernière pour la « littérature orale » du Népal dans les années 1960-1970 et ses collaborations avec Alexander Macdonald et Marc Gaborieau, pour montrer l’apport heuristique d’une analyse conjointe des paroles et de la musique dans la compréhension des corpus enregistrés. Jean Galodé aborde son étude des répertoires musicaux populaires du Népal au sein de la caste des Gāine. Il montre que, vingt ans après l’enquête menée par Mireille Helffer, les répertoires et le rôle de ces chantres de la tradition orale se sont grandement modifiés, sous l’influence de la radio notamment, sans pour autant revaloriser leur statut social, et qu’actuellement – soit quarante-cinq ans plus tard – une bonne partie des familles Gāine recensées par l’universitaire ont migré vers Katmandou à la recherche de nouvelles opportunités. C’est d’ailleurs par l’article écrit en 2004, « Du chanteur mendiant au musicien professionnel : les Gaine du Népal (1961-2001) », remarquable par sa perspective historique, qu’étudiante en anthropologie, j’avais pris connaissances des travaux de Mireille Helffer. L’approche diachronique qui pousse à revisiter son terrain ou le terrain d’un aîné et à confronter les données issues d’enquêtes menées à une ou plusieurs décennies d’intervalles apparaît très fructueuse, même si les évolutions constatées sont, dans certains cas, plus regrettables au regard du devenir des interprètes et des répertoires poétiques et musicaux concernés (cf. les articles de Galodé et de Rappoport).

5En abordant les récits d’amour chantés de l’Himalaya central à partir d’une étude de cas, celui du récit populaire de Mālu Shāhī chanté par Joga Rām, Marc Gaborieau revisite une étude effectuée dans les années 1970 sur l’« histoire transgressive » d’un roi et d’une jeune fille prénommée Rājulī. L’auteur présente la structure du récit et en détaille certains épisodes avant de constater un processus d’adaptation du récit dans différents genres et, plus largement, un phénomène de folklorisation des récits chantés. Dans l’article suivant, Marie Lecomte-Tilouine reproduit et analyse les propos d’un barde s’exprimant sur son art et le jeu du tambour-sablier huḍko, après avoir dressé le paysage français des recherches sur les traditions des bardes du Népal depuis les travaux pionniers de Mireille Helffer et de Marc Gaborieau. Dana Rappoport nous emmène, ensuite, sur l’île de Sulawesi, en Indonésie, avec un article exposant les changements des modes d’oralité dans la société toraja suite à l’évangélisation de la communauté via le parcours de l’un de ses éminents représentants, l’officiant Lumbaa, « garant de la relation entre les vivants et les invisibles (les ancêtres, les défunts et les divinités) » avant sa conversion au protestantisme en 2009. L’incroyable savoir rituel, poétique et musical de cet informateur privilégié de l’ethnomusicologue depuis le début de ses recherches est mis en regard avec les compétences des nouveaux orateurs, les « MC » (Maîtres de cérémonies) animant aujourd’hui les grands rituels organisés pour les morts et pour les maisons, des pratiques coutumières encore tolérées par l’Eglise. Ce texte qui pointe avec une certaine amertume les transformations esthétiques et sociales affectant la société toraja peut être vu comme un ultime hommage à « Lumbaa, le dernier poète » et officiant des rituels du Soleil Levant en pays toraja qui s’est éteint en 2018.

6Les deux derniers articles du premier volet « Conteurs et épopée » traitent de l’épopée de Gesar – sujet de la thèse de Mirelle Helffer – publiée en 1977 : elle y présentait une analyse textuelle et musicologique de l’épopée à partir de l’enregistrement d’un Tibétain exilé en France, Blo bzang bstan ‘dzin. L’article de Roberte Hamayon aborde la figure héroïque de « Geser » dans la région de Bouriatie, en Sibérie orientale, et cherche à comprendre l’émancipation de la figure du héros par rapport à l’histoire même de l’épopée, qui diffère de la version bouddhique étudiée par Helffer. Grégory Forgues décrit, quant à lui, « les rituels propitiatoires adressés à Gesar dans la tradition ris med du XIXe siècle ». Dans la deuxième section du livre, deux textes abordent la danse de Gesar, celui de Françoise Pommaret et Samten Yeshi qui proposent une description ethnographique de cette danse qui s’est récemment développée au Bhoutan, et celui d’Isabelle Henrion-Dourcy qui expose les spécificités de son exécution au monastère de Dzogchen au Tibet, où elle est apparue au début du XXe siècle. Elle dresse le portrait d’une tradition dynamique qui voit la rédaction de nouveaux épisodes et ouvrages liturgiques inspirés de Gesar, des productions qu’il convient d’analyser à l’aune de stratégies religieuses et politiques liées au contexte local de cette figure héroïque. Ces articles croisés sur Gesar mettent en évidence l’importance et la circulation de l’épopée dans un espace géographique étendu, avec des variantes performatives importantes selon les régions qui mettent en lumière l’adaptation au contexte local.

7L’ajout d’une introduction générale aurait d’ailleurs permis de tisser un fil rouge entre les différentes contributions qui dépasse le simple titre des sections et le lien à Mireille Helffer, en mettant en évidence certaines problématiques transversales adressées par ces textes de format très varié (essai, entretien rapporté, traduction et commentaire d’œuvres, témoignage personnel, etc.), dont une partie seulement a été ici détaillée. Une carte représentant les principales régions mentionnées aurait été aussi utile au lecteur non familier de la « Haute-Asie », dont les frontières non définies ne permettent pas d’en saisir, dans ce cadre, l’exacte étendue. La juxtaposition d’articles rédigés par des chercheurs de générations différentes procure, en revanche, une perspective historique intéressante qui souligne l’évolution des paradigmes scientifiques et disciplinaires depuis les années 1960. On y voit se définir, en pointillé, plusieurs champs de recherches aujourd’hui bien établis en France : l’ethnologie du Népal, l’ethnomusicologie de l’Asie et la tibétologie. Le recueil se distingue aussi par la richesse et la diversité des sources mobilisées avec la présentation de données inédites en différentes langues vernaculaires, rendues accessibles au lecteur français par des traductions dont la qualité ne peut qu’être soulignée. Musique et épopée en Haute-Asie constitue en cela un bel hommage à une femme d’exception qui permettra aux jeunes chercheurs de prendre connaissance de l’ampleur des travaux de Mireille Helffer, au-delà de ses derniers ouvrages et articles bien connus dans le milieu ethnomusicologique.

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Bibliographie

AUBERT Laurent; 1997; « “Piégée par les musiques d’Asie” : le besoin de comprendre. Entretien avec Mireille Helffer », Cahiers d’ethnomusicologie 10 : 273-290.

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Notes

1 Ces enregistrements sont conservés par les archives sonores du CREM.

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Pour citer cet article

Référence papier

Ingrid Le Gargasson, « Katia BUFFETRILLE et Isabelle HENRION-DOURCY, dir. : Musique et épopée en Haute‑Asie. Mélanges offerts à Mireille Helffer à l’occasion de son 90e anniversaire »Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 349-352.

Référence électronique

Ingrid Le Gargasson, « Katia BUFFETRILLE et Isabelle HENRION-DOURCY, dir. : Musique et épopée en Haute‑Asie. Mélanges offerts à Mireille Helffer à l’occasion de son 90e anniversaire »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3293

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Auteur

Ingrid Le Gargasson

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