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Robert LACHMANN : The Oriental Music Broadcasts, 1936-1937. A Musical Ethnography of Mandatory Palestine

Ed. by Ruth Davis. Middletown (Wisconsin) : A-R Editions, 2013
Jean Lambert
p. 345-349
Référence(s) :

Robert LACHMANN : The Oriental Music Broadcasts, 1936-1937. A Musical Ethnography of Mandatory Palestine, Ed. by Ruth Davis. Middletown (Wisconsin) : A-R Editions, 2013. XLIV + 124 p., accompagné d’un CD.

Texte intégral

1Robert Lachmann (1892-1939), musicologue comparatiste allemand d’origine juive suivit, au cours d’une vie brève et mouvementée, un parcours scientifique exceptionnel, mais trop peu connu. Celui-ci s’acheva par un séjour de quatre ans à Jérusalem au cours duquel il réalisa un programme de conférences radiophoniques dont les textes sont ici présentés par Ruth Davis, ethnomusicologue britannique spécialiste de la musique en Tunisie, qu’il n’est plus besoin de présenter. Né en 1892, grand spécialiste des musiques du monde arabe, auteur d’une thèse sur la musique des Tunisiens prisonniers en Allemagne durant la Première Guerre mondiale, auteur d’une monographie célèbre, Die Musik der Orients (1929), traducteur en allemand et éditeur d’écrits musicaux d’al-Kindî et d’Avicenne (en collaboration avec son élève égyptien, Mahmûd al-Hifnî), participant éminent du Congrès de Musique Arabe du Caire en 1932 où il présida la Commission de l’Enregistrement, Robert Lachmann fut licencié en septembre 1933 de son poste de responsable musical de la Bibliothèque de l’Etat Prussien (qu’il occupait depuis 1927) à la suite de la prise du pouvoir par Hitler. Pour fuir le régime nazi, Lachmann s’installa en Palestine en 1935.

2Ici commence cette aventure que nous décrit ce recueil de conférences musicales qui est en même temps l’occasion de présenter le travail scientifique de Lachmann durant la même période. A la suite d’efforts considérables pour exploiter ses archives sonores, écrites et photographiques, Ruth Davis nous en rend compte dans une longue introduction (pp. XI-XLIII) : invité par le président de l’Université Hébraïque de Jérusalem, Judah Magnes, Lachmann fut nommé professeur associé à l’Ecole d’Etudes Orientales de cette université au printemps 1935, poste qu’il occupa jusqu’à son décès prématuré en 1939, à l’âge de 46 ans. Pendant cette brève période très productive, Lachmann créa les Archives Musicales Orientales (p. XX), mais aussi produisit et réalisa une série de douze programmes musicaux pour Radio Jérusalem (the Palestine Broadcasting Service) (pp. 3-118).

3Le séjour de Robert Lachmann à Jérusalem suscite des questions très intéressantes à la fois pour l’étude des musiques arabes et des musiques juives, pour la musicologie comparée du Moyen-Orient et, plus largement, sur une ethno-politique des musiques de cette région. Etant un des pionniers de l’enregistrement sonore en ethnomusicologie, Lachmann disposait d’une documentation musicale exceptionnelle tant de musiques arabes (Tunisie, Egypte) que de musiques juives, surtout orientales, enregistrées par lui-même ou par d’autres chercheurs. Il avait apporté de Berlin toutes ses archives sonores, sa bibliothèque et il avait même amené avec lui son propre ingénieur du son ! Son séjour vit la rédaction de plusieurs recherches importantes, notamment celle sur la musique des Juifs de Djerba en Tunisie, qui parut à titre posthume (1940). Du fait qu’il peinait à trouver des financements pour ses recherches à l’Université de Jérusalem, Lachmann avait décidé d’effectuer une série de conférences illustrées par des enregistrements musicaux à la Radio pour toucher un plus large public, ce qu’il réalisa entre novembre 1936 et mai 1937. Cette radio venait de créer en son sein une section en langue arabe sur les conseils de Lachmann lui-même (p. XXII).

4L’originalité des conférences données dans le cadre de ces douze émissions de radio, c’est d’être accompagnées de musiques vivantes, majoritairement enregistrées par Lachmann lui-même. Cette initiative émanait directement de ses conceptions théoriques élaborées au cours de sa courte mais très dense carrière de musicologue de terrain, mais aussi de sa connaissance des écrits arabes du Moyen Age. Il pensait que les relations entre musique vocale et musique instrumentale comportaient des niveaux différents de rationalisation qui témoignaient de strates historiques et d’évolution très anciennes : plus une musique était systématisée, plus elle exprimait les recherches récentes des instrumentistes, alors qu’au contraire, les chants a cappella et les cantillations témoignaient d’états mélodiques plus archaïques par l’absence d’intervalles fixes (p. XXIX). Dans son étude comparée du gusle, la vièle accompagnant les épopées serbes, et de la rabâba, la vièle accompagnant les poètes bédouins en Palestine et au Proche-Orient (Programme 5), il remarquait, non sans raison, la proximité des doigtés de la main gauche sur la rabâba avec ceux décrits par le Livre des Chansons (d’Isbahânî, IXe siècle). On peut cependant questionner son hypothèse selon laquelle ce doigté proviendrait du système savant du Moyen Age, alors que d’autres chercheurs plus contemporains ont avancé l’hypothèse exactement inverse (Racy 1996).

5C’est sans doute en raison de cette vision « archéologique » que Lachmann s’appuya en particulier sur des enregistrements de Juifs yéménites, qui sont particulièrement nombreux (22 pièces sur 28 dans le CD 1) (Progr. 2, 7 et 8), dont un grand nombre sont chantés en arabe. Ruth Davis souligne que Lachmann suivait le musicologue Abraham Idelsohn, qui, dans sa grande collecte de la musique juive (1914-1932), attribuait aux cantillations yéménites un privilège d’ancienneté et d’authenticité sur toutes les autres (p. 14-15). Par ailleurs, cette comparaison entre chants liturgiques et chants profanes chez les Juifs yéménites peut être rapprochée d’une comparaison très similaire chez les Juifs de Djerba que fit Lachmann dans son article de 1940 (musique non représentée dans le présent ouvrage).

6Contrairement à ce qui a été dit par certains auteurs arabophones, Robert Lachmann n’était pas du tout influencé par le sionisme (Katz 2015 : 265) et, comme le montre bien le présent ouvrage, il n’était parvenu en Palestine que par nécessité humaine et professionnelle. Sa conception de la musique juive était éminemment ouverte, et il considérait que l’on ne pouvait pas l’étudier sans connaître celle des peuples dont les Juifs avaient été les hôtes pendant deux millénaires, et en l’occurrence, les Arabes du Maghreb et du Moyen Orient. On peut aisément faire la différence avec l’orientation d’Edith Gerson-Kiwi, disciple de Lachmann, mais qui avait une approche beaucoup plus idéologique de la musique juive (p. XXVI). Les conceptions de Lachmann pourraient à la rigueur être rattachées à ce que l’on appelait, jusqu’au milieu des années trente, le « sionisme culturel » ou le « sionisme spirituel », pour lequel il était nécessaire de construire une coexistence pacifique entre les Juifs et les Arabes en Palestine et envisager leur avenir politique commun (p. XX). Cette conception, qui était partagée par Martin Buber, Ahad Haam et J.L. Magnes (Sand 2012 : 306), se brisa contre la grande grève arabe de 1936. Il est également possible que cette approche non idéologique explique le peu de soutien que Lachmann rencontra auprès des autorités universitaires pour continuer son projet (p. XXIII).

7Situé chronologiquement au cœur de cet enjeu historique, le séjour scientifique de Robert Lachmann à Jérusalem fut donc à la fois l’expérience culturelle la plus exemplaire de cette utopie de coexistence entre Arabes et Juifs, et un échec personnel qui hâta sans doute sa maladie et sa disparition. En ce qui concerne l’Orient, il s’agissait surtout d’étudier la musique des Arabes, et c’est ce à quoi il s’attacha durant son bref séjour en Palestine. C’est ainsi qu’il publia son article sur le système musical des Arabes de Palestine (en anglais, Lachmann 1936), où il traita de la dichotomie entre musiques urbaines et rurales (p. XXIV). Dans ses douze conférences radiophoniques, il inclut à la fois des cantillations de Juifs yéménites en arabe et en hébreu (Programmes 2, 7 et 8), des chants populaires arabes palestiniens (Progr. 12), dont des chants bédouins accompagnés de la rabâba (Progr. 5), des cantillations de la liturgie grecque orthodoxe (Progr. 3), des cantillations des Juifs du Kurdistan (Progr. 4), des cantillations des Samaritains (Progr. 6), des taqsîm sur le ‘ûd par Ezra Aharon (‘Azûrî Harûn, qui avait participé à la délégation irakienne au Congrès du Caire en 1932) (Progr. 9), ainsi que des enregistrements commerciaux de musique urbaine de divers pays arabes : Maroc, Egypte, ainsi que de Turquie (Progr. 10 et 11). Parmi les pièces de musique populaire des Arabes palestiniens, Lachmann avait collecté un bel ensemble de chants de mariage, zaffa, qu’il concevait comme devant être complémentaires des riches informations ethnographiques qui avaient été collectées sur le mariage palestinien par la grande ethnographe suédoise Hilma Granqvist (1931-1935) (Progr. 12).

8Ce recueil de conférences musicales est édité de manière à la fois savante et élégante. Chacun des douze programmes comprend au moins une transcription intégrale, parfois deux transcriptions différentes d’un même exemple musical. Il est suivi de commentaires rédigés par l’éditrice, qui sont très informatifs. Les deux CD offrent un panorama remarquable des musiques du Moyen Orient, en quelque sorte un premier rebond comparatiste après le Congrès de Musique Arabe du Caire de 1932 où Robert Lachmann avait joué un rôle si important, et dont les enregistrements n’ont été que récemment publiés dans leur intégralité (Moussali et Lambert 2015). Que Ruth Davis soit remerciée pour cette remarquable publication qui met en lumière le caractère à la fois génial et dramatique de la carrière de Robert Lachmann, dont l’apogée coïncida tragiquement avec la montée du nazisme et le déclenchement de ce qui allait devenir le conflit israélo-palestinien (Davis 2013). Une expérience humaine à méditer pour toute la musicologie du monde arabe et du Moyen Orient…

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Bibliographie

DAVIS Ruth, 2013, « Music in the Mirror of Multiple Nationalisms : Sound Archive and Ideology in Israel and Palestine », in Philip Bohlman ed. : The Cambridge History of Music. Cambridge : Cambridge University Press.

GRANQUIST Hilma, 1931-1935, Marriage Conditions in a Palestinian Village, vol. 1-2. Helsinfors : Societas Scientiarium Fennica.

IDELSOHN Abraham, 1973, Thesaurus of Hebrew Oriental Melodies, 10 vol. (New York, Ktav Publishing House (reprint de 1914-1932, Berlin : B. Hartz).

KATZ Israel J., 2015, Henry George Farmer and the First International Congress of Arab Music (Cairo 1932). Leiden, Boston : Brill.

LACHMANN Robert, 1929, Die Musik des Orients. Breslau : Jedermann’s Biicherei, Ferdin und Hirt.

LACHMANN Robert, 1936, « Musical Systems among the Present Arab Bedouins and Peasants », lecture presented to the Palestinian Oriental Society, Jerusalem, 17th December 1936.

LACHMANN Robert, 1940, Jewish Cantillation and song in the Isle of Djerba. Jerusalem : Azriel Press.

MOUSSALI Bernard et Jean LAMBERT éds, 2015, Congrès de Musique Arabe du Caire. The Cairo Congress of Arab Music. Mu’tamar al-mûsîqâ al-’arabiyya fî al-Qâhira, 1932. Coffret de 18 CD. Paris : BNF / Abu Dhabi : TCA.

RACY Ali Jihad, 1996, « Heroes, lovers, and poet-singers : The Bedouin ethos in the music of the Arab Near-East », Journal of American folklore 109(434) : 404–24.

SAND Shlomo, 2012, Comment la terre d’Israël fut inventée. De la Terre Sainte à la Mère Patrie. Paris : Flammarion.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Lambert, « Robert LACHMANN : The Oriental Music Broadcasts, 1936-1937. A Musical Ethnography of Mandatory Palestine »Cahiers d’ethnomusicologie, 31 | 2018, 345-349.

Référence électronique

Jean Lambert, « Robert LACHMANN : The Oriental Music Broadcasts, 1936-1937. A Musical Ethnography of Mandatory Palestine »Cahiers d’ethnomusicologie [En ligne], 31 | 2018, mis en ligne le 10 décembre 2018, consulté le 14 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ethnomusicologie/3281

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